Psychologie - Le confinement sera un traumatisme durable pour nos esprits
QUARTZ (NEW YORK)
L’isolement prolongé a des conséquences sur notre psychisme. Le confinement dû à l’épidémie de Covid-19 peut provoquer un syndrome de stress post-traumatique et une dépression, dont il faut essayer de se prémunir, écrit cette journaliste.
À la mi-mars, j’ai débuté quelque chose qui allait devenir banal : je me suis placée en quarantaine. Après avoir assisté à une grande conférence sur le journalisme dont l’un des participants a été testé positif au Covid-19, c’est ce qui m’a semblé le plus prudent. Il ne fait aucun doute que limiter les contacts est le meilleur moyen de limiter la propagation du Covid-19. Cela ne rend pas les choses faciles pour autant.
Avant de dénoncer ceux qui sortent dans les parcs ou de clamer que rester confiné à l’intérieur est un “désagrément mineur”, comme j’ai pu le lire sur Twitter, il faut savoir que l’isolement sanitaire, comme toute forme d’isolement, comporte d’importants risques pour la santé mentale. Une récente méta-étude publiée dans The Lancet établit ainsi un lien avec un tableau de syndrome de stress post-traumatique (ou PTSD dans son acronyme en anglais), et des symptômes de confusion et de colère, des effets qui selon certaines études pourraient être durables. La crise du Covid-19 étant visiblement appelée à durer quelque temps, ses conséquences sur la santé mentale ne doivent pas être minimisées.
Un sentiment d’impuissance et d’incertitude
Qu’on soit ou non confiné, les angoisses se trouvent exacerbées par la confusion ambiante et les jugements que l’on porte les uns sur les autres, chacun en étant encore à tenter de trouver la bonne façon de réagir. C’est exactement ce que m’a décrit cette amie qui vit à Venise, dans un pays, l’Italie, qui avait déjà mis en place des mesures drastiques de distanciation sociale. “Un silence surnaturel règne sur toute la ville, écrit-elle dans un e-mail. Les visages qui se pressent encore dans les rues affichent des traits tirés (je ne fais pas exception), et dans les familles et les cercles d’amis tout le monde juge tout le monde, persuadé d’avoir raison de ne JAMAIS sortir de chez soi ou au contraire de CONTINUER à le faire. Personne ne semble capable d’accepter les décisions d’autrui ces temps-ci, que ce soit celles du gouvernement ou du pékin moyen, et je trouve ça inquiétant.”
La clarté de l’information fournie par les pouvoirs publics est cruciale. Rima Styra, professeure en psychiatrie, et Laura Hawryluck, professeure de médecine de soins intensifs, toutes deux à l’université de Toronto, qui se sont penchées sur les quarantaines imposées pendant l’épidémie de Sras ont détecté des symptômes de PTSD chez 29 % des personnes concernées et des signes de dépression chez 31 % d’entres elles à la sortie de l’isolement. “Nos travaux ont vraiment mis en lumière l’importance d’une information fiable, cohérente et mise à jour, qui permette aux individus de comprendre ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, et ce qui est fait pour combler ces inconnues”, nous expliquent les chercheuses.
Frank McAndrew, spécialiste de la psychologie évolutionniste au Knox College (Illinois), remarque que le confinement imposé est particulièrement stressant. “Être mis en quarantaine donne l’impression d’être à la merci d’autres personnes et de forces incontrôlables, comme l’épidémie. Cela crée un sentiment d’impuissance, et d’incertitude autour de l’avenir, qui peut être très perturbant”, précise-t-il par e-mail.
De longues périodes passées dans une situation où rien ne change peuvent inciter au repli sur soi, note McAndrew. “Pour ceux qui ne sont pas habitués à l’introspection, à la rumination, écrit-il, une telle expérience peut susciter des émotions négatives, et dans des cas extrêmes brouiller la frontière entre ce qui se passe dans l’esprit du sujet et ce qui se passe réellement autour de lui.” Des activités qui changent les idées ou donnent simplement le sentiment de poursuivre un but, comme modifier la disposition des meubles ou faire le ménage, peuvent être stimulantes.
Entraide psychologique
Sue Firth, psychologue du travail [agréée] au Royaume-Uni, explique que les êtres humains doivent pouvoir prendre des décisions et maîtriser leur environnement, entretenir des liens avec la collectivité, faire des projets, se sentir utiles. Elle suggère de recréer tout cela pendant le confinement, qu’il s’agisse de skyper avec des amis, de s’imposer un travail structuré ou de faire de l’exercice chez soi, du yoga, de la danse. La solitude est un vrai risque pour la santé des personnes âgées, particulièrement exposées au virus et obligées d’éviter les contacts sociaux. Des groupes en ligne qui proposent de faire les courses peuvent être d’un grand secours pour ceux qui souffrent le plus de l’isolement.
En dernière analyse, même s’il est important de prendre soin de soi, tout un éventail de problèmes de santé mentale doivent être pris en charge par des professionnels. En Chine, la Commission nationale de la santé a publié des directives pour les soins psychologiques en période de Covid-19 et affecté des professionnels de la santé mentale à Wuhan, où l’épidémie a débuté, comme le rapporte [le site d’information] Bloomberg.
Les répercussions de l’isolement sur la santé mentale ne signifient pas qu’il ne faille pas se confiner. Mais s’il est essentiel de suivre l’avis des professionnels de santé dans la lutte contre le Covid-19, il est tout aussi important de reconnaître les difficultés. En période d’isolement, nous pouvons nous soutenir les uns les autres en admettant l’existence des problèmes psychologiques et en tentant d’y remédier, même à distance.
Olivia Goldhill