Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant
Les manifestations à Hongkong, les fuites d’informations sur le Xinjiang et la confrontation avec les Etats-Unis sur l’économie ont contribué à dégrader l’image de la Chine dans le monde.
Les drapeaux brandis dimanche 22 décembre à Hongkong lors d’une manifestation de soutien aux Ouïgours résument on ne peut mieux l’accumulation de problèmes auxquels sont confrontés les dirigeants chinois en cette fin d’année 2019.
Outre des bannières noires en faveur de l’indépendance de Hongkong – quasi absentes au début du mouvement de protestation en juin –, on voyait des étendards bleu clair du Turkestan oriental – nom donné au Xinjiang par ceux qui souhaitent l’indépendance de cette province du nord-ouest de la Chine –, des drapeaux du Tibet, de Taïwan mais aussi plusieurs des Etats-Unis et de l’Australie, et même un de l’Union européenne.
Commencée le 2 janvier par un discours martial de Xi Jinping sur la nécessité de « réunifier » Taïwan et la Chine, 2019 apparaît désormais comme une annus horribilis pour le président chinois. Celle où la situation économique a continué de se dégrader et, pire pour un dirigeant chinois, où le moindre incident local a désormais un retentissement international.
Des employés zélés d’une bibliothèque du Gansu brûlent-ils une soixantaine de livres « politiquement non corrects » ? Immédiatement, l’émotion internationale est telle face à cet autodafé de sous-préfecture que les autorités locales, sans doute à l’origine de la décision, doivent feindre de s’en offusquer et « lancer une enquête » avant de punir un lampiste. Une broutille, comparée aux deux grandes crises du moment : le Xinjiang et Hongkong.
Chantage
L’emprisonnement d’un million de musulmans dans des camps au Xinjiang n’a dans un premier temps intéressé que les militants des droits de l’homme et les journalistes occidentaux. Désormais les Chinois commencent à en parler, le Congrès américain s’est saisi de l’affaire et les Européens se réveillent. Tout aussi grave : la publication de plus de 400 pages de documents internes au Parti communiste chinois (PCC) par le New York Times en novembre a révélé à la face du monde les dissensions internes au Parti sur le sujet.
Mais 2019 restera sans doute comme l’année de la crise à Hongkong. La plus grave que le pays ait connue depuis « les incidents de Tiananmen » il y a trente ans. Celle qui a à nouveau montré qu’une partie de la jeunesse était prête à se sacrifier plutôt que de vivre en Chine communiste.
La récente manifestation de Hongkong en solidarité avec les Ouïgours constitue à ce titre une première. Les deux crises ont en commun d’avoir suscité une large mobilisation internationale face à laquelle la Chine s’est montrée sous son pire jour.
En boycottant la ligue nord-américaine professionnelle de basket-ball (NBA) parce qu’un entraîneur soutenait les manifestants de Hongkong, puis en déprogrammant, en décembre, un match de football du club anglais Arsenal parce qu’un de ses joueurs, l’Allemand Mesut Özil, dénonçait la politique menée au Xinjiang, la Chine a montré qu’elle n’entendait pas seulement limiter la liberté de parole de ses ressortissants, mais aussi au-delà de ses frontières. Un chantage dont ont été aussi victimes nombre d’entreprises, voire des pays – la Suède notamment – coupables de ne pas se plier aux desiderata des dirigeants chinois.
Une image détériorée
Résultat : selon la dernière enquête de Pew Research Center, l’image de la Chine, négative dans une majorité des trente-quatre pays étudiés, s’est encore détériorée dans dix-sept d’entre eux : en Amérique du Nord et en Europe occidentale notamment, mais aussi en Indonésie, premier pays musulman de la planète, ainsi qu’aux Philippines, et ce malgré les milliards de dollars dépensés par Pékin – pas toujours à mauvais escient – dans le vaste programme mondial d’investissements que sont les « nouvelles routes de la soie ».
Même la Grèce, principale bénéficiaire de la manne chinoise en Europe, est divisée. Seulement 51 % des Grecs ont une bonne opinion de l’empire du Milieu.
Le pire est évidemment aux Etats-Unis, le seul pays auquel les dirigeants chinois se réfèrent. Déjà pas fameuse, l’image de la Chine y a régressé de 12 points. Seulement 26 % des Américains en ont une image favorable, alors que 60 % pensent l’inverse.
Malgré un premier accord supposé constituer une trêve dans la guerre commerciale que se livrent Washington et Pékin, l’année 2019 n’aura vu aucune amélioration sensible sur ce dossier crucial. Les Chinois ont la désagréable impression de n’être qu’un pion dans la campagne de Donald Trump pour sa réélection à la Maison Blanche. Ce qui est sûr est que ce conflit fait souffrir la Chine.
Les dettes publiques, vaste trou noir
Malgré la manipulation des statistiques, il n’est pas certain que l’économie aura doublé de volume en dix ans (2010-2020), objectif pourtant assigné en 2012 par le pâle Hu Jintao à son successeur. Pour y parvenir, le débat fait rage entre économistes chinois, ceux partisans de la réforme et de l’ouverture et ceux défendant une économie toujours administrée. Xi Jinping semble opter pour cette dernière et mise essentiellement sur la commande publique pour maintenir la demande. Problème : les dettes publiques constituent un vaste trou noir et les investisseurs étrangers commencent à s’inquiéter de possibles défauts de paiement.
En décembre, une entité publique relevant du gouvernement de Mongolie intérieure a été incapable de faire face au remboursement d’une partie de sa dette. Selon les spécialistes de la Nikkei Asian Review, les défauts sur l’endettement des entreprises publiques chinoises ont atteint 40 milliards de yuans (5 milliards d’euros) en 2019, plus du triple de la somme de 2018. Les autorités centrales ne sont manifestement plus disposées à éponger les dettes émises localement. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose mais cette nouvelle incertitude rend les marchés fébriles.
Outre un ralentissement de la croissance et une augmentation du chômage, le gouvernement chinois doit faire face à une épidémie de peste porcine qui a provoqué une importante augmentation du prix de cette viande, essentielle à l’alimentation des Chinois, entraînant à son tour un regain d’inflation. Si les responsables chinois ne peuvent être tenus pour responsables du phénomène, ils l’ont amplifié en tentant de remplacer les importations de porc américain (non contaminé) par du porc en provenance de Russie (pays touché par l’épidémie). Les astres ne se sont pas trompés : 2019 est bien l’année du cochon !
Pour compenser la baisse de ses exportations vers les Etats-Unis, la Chine a multiplié les efforts pour signer un accord de libre-échange entre pays asiatiques. Mais, là aussi, sans succès jusqu’à présent. Au dernier moment, l’Inde, par peur d’être envahie de produits chinois, s’est retirée de ce partenariat économique régional global, provoquant à son tour le retrait du Japon.
Crime de lèse-majesté
Cette accumulation de revers n’est pas le fruit du hasard. Si le débat reste tabou en Chine, la personnalisation du pouvoir autour du président constitue pour certains une des explications. Depuis que la « pensée de Xi Jinping » a fait son entrée dans la Constitution en 2018, remettre en cause l’homme, c’est remettre en cause le PCC lui-même. Un crime de lèse-majesté impensable.
« Xi Jinping ne peut s’en prendre qu’à lui-même ou plus exactement à son excessive concentration du pouvoir (…) Les contentieux commerciaux avec les Etats-Unis, les problèmes posés par l’ingérence de la Chine à Hongkong et les tensions ethniques au Xinjiang ont précédé l’arrivée de Xi au pouvoir à la fin de 2012. Mais le leadership collectif chinois, même corrompu et indécis, s’arrangeait pour limiter l’escalade de ces crises, en raison notamment de son aversion du risque. Par exemple, quand à Hongkong en 2003, plus de 500 000 personnes ont manifesté contre un projet de loi sur la sécurité nationale, le gouvernement chinois a immédiatement accepté de le retirer », note Minxin Pei, sinologue reconnu, dans une récente tribune publiée par l’organisation médiatique Project Syndicate.
« Mais l’intolérance de Xi face à toute contradiction (…) rend ce gouvernement encore plus susceptible de commettre des erreurs politiques. Ce qui aggrave la situation. Comme un homme fort doit garder une image de quasi-infaillibilité il est peu probable qu’une politique soit remise en cause même si elle est inefficace ou contre-productive », dit-il. Selon cette théorie, en 2019, Xi Jinping a donc moins été victime des autres que de… lui-même.