Récit -Incendies, fumées toxiques, canicules : l’été infernal australien
Par Isabelle Dellerba, Sydney, correspondance
La mégalopole australienne est cernée par deux gigantesques foyers de flammes. Depuis début novembre, les habitants de Sydney vivent dans une atmosphère polluée, alors que canicule et sécheresse rendent les feux hors de contrôle.
Seule la cheminée noircie tient encore debout. Autour, les quatre murs en tôle de la maison tombent en ruban sur le sol, cernés par une poignée d’arbres morts calcinés. Dans un fracas de train, le feu a dévasté la localité de Bilpin, samedi 21 décembre, avant de poursuivre sa course désordonnée à travers les montagnes Bleues, à l’ouest de Sydney. Mercredi, celui que les médias australiens ont surnommé « le monstre », et qui embrase depuis deux mois les forêts d’eucalyptus comme on allume des tas de brindilles, a dévoré près de 5 000 km2 et se répand sur un front de plus d’une centaine de kilomètres dans ce parc national. En face, un autre gigantesque mur de flammes avance dans sa direction en léchant les abords des banlieues sud-ouest de la capitale de la Nouvelle-Galles du Sud, l’Etat le plus peuplé d’Australie placé en état d’urgence depuis le 19 décembre en raison d’un risque d’incendie jugé « catastrophique ».
INFOGRAPHIE LE MONDE
Dans la mégalopole, les habitants, un goût âcre dans la bouche, observent ces effroyables brasiers former progressivement un arc de feu autour de la ville. « Ça fait deux mois que j’ai l’impression d’avoir recommencé à fumer. J’ai aussi la gorge sèche et cette drôle de sensation dans les poumons », décrit Donna, une auxiliaire de puériculture.
Le 10 décembre, elle était dans l’un des jardins de la crèche où elle s’occupe d’une vingtaine d’enfants quand le vent a poussé sur Sydney un nuage de fumée particulièrement dense et toxique, chargé de particules fines dépassant de onze fois le niveau considéré comme dangereux par l’Organisation mondiale de la santé.
Ce jour-là, le brouillard de pollution blanchâtre est tellement épais que les ferries sont maintenus à quai. Dans les tours du quartier d’affaires, entre 11 heures et midi, 154 alarmes incendies retentissent, obligeant des centaines d’employés à évacuer leurs bureaux. Même les pompiers sont victimes d’une fausse alerte. Sur le front de mer, l’océan charrie des vagues de cendres qui teintent de noir les plages emblématiques de la ville.
« Les personnes âgées, les enfants, les personnes vulnérables doivent rester à l’intérieur », martèlent les autorités depuis les premières lueurs de l’aube. Peine perdue, la fumée s’infiltre par tous les interstices des immeubles mal isolés et le nombre de personnes se présentant aux urgences à la suite des problèmes respiratoires explose, + 80 % par rapport à une journée ordinaire.
« Le plus dangereux, ce sont les particules fines PM2,5, explique Gabriel da Silva, universitaire spécialisé dans la chimie atmosphérique. Non seulement elles viennent se loger profondément dans les poumons, mais elles pénètrent aussi dans le sang et peuvent déclencher des accidents cardiovasculaires. » Cancérogènes, elles pourraient aussi, selon le professeur, avoir des conséquences à long terme sur la santé des quelque 5,2 millions d’habitants de Sydney, exposés de manière répétée et prolongée.
Masques, purificateurs d’air et applications
Entre début novembre et le 19 décembre, le niveau de pollution s’est établi fréquemment au-dessus du seuil de dangerosité dans la ville jusqu’ici réputée pour sa qualité de vie. « Il s’agit d’une urgence de santé publique », souligne Fiona Armstrong, directrice de l’Alliance pour le climat et la santé, à l’initiative d’un communiqué signé le 16 décembre par une vingtaine d’organisations professionnelles de médecins appelant le gouvernement à agir et les Australiens à se protéger.
Beaucoup n’ont pas attendu. Ces dernières semaines, ils se sont rués sur les masques à l’efficacité pourtant toute relative – seuls ceux qui filtrent les particules fines et recouvrent hermétiquement les voies respiratoires sont utiles contre la fumée – et les purificateurs d’air. D’autres ont téléchargé des applications gratuites pour recevoir des notifications quand la qualité de l’air se dégrade ou quand des feux approchent.
« N’attendez pas un avertissement », a néanmoins prévenu, vendredi 20 décembre, Rob Rogers, le commissaire adjoint des pompiers de Nouvelle-Galles du Sud :
« Nous ne pouvons pas garantir qu’un camion de pompiers sera toujours disponible. Qu’un avion ou un hélicoptère vous sera immédiatement envoyé. »
En cette période de fêtes de Noël, c’est la deuxième fois depuis le début des incendies, fin août, que la région de Sydney est confrontée au plus haut niveau d’alerte jamais émis : « Catastrophique. » Les services météorologiques prévoient des vents violents et surtout des températures caniculaires.
Le 18 décembre, l’île-continent a déjà enregistré le record de la journée la plus chaude depuis le début des relevés avec une moyenne des températures maximales de 41,9 °C. En Australie-Méridionale, le 19, le thermomètre a flirté avec les 50 °C à Nullarbor et dépassé les 48 °C à Port Augusta. Une chaleur tellement intense que l’asphalte a fondu sur les routes.
« Les conditions sur le terrain sont dantesques », témoigne Gordon Morgan, pompier volontaire de 65 ans, basé à Muogamarra, au nord de Sydney : « Cela fait trente-huit ans que je suis sur le front et je n’avais jamais vu des feux se propager aussi facilement. » Dès le début du printemps austral et en l’espace de seulement quelques semaines, c’est tout l’est de la Nouvelle-Galles du Sud qui, sur une bande d’un millier de kilomètres le long des côtes du Pacifique, s’est embrasé avec des dizaines d’incendies voire des centaines brûlant simultanément.
« Le monstre »
Dans cet Etat frappé par l’une des plus violentes sécheresses de l’histoire moderne de l’Australie et où la capitale est soumise, depuis le 10 décembre, à de sévères mesures de restriction d’eau à cause de la baisse du niveau des barrages, il a suffi d’un éclair dans les Gospers Mountain, le 26 octobre, à quelque 300 kilomètres au nord-ouest de Sydney, pour que « le monstre » prenne vie, s’épanouisse dans les bois secs et menace, deux mois plus tard, les périphéries de l’agglomération.
Dans ce territoire, mercredi, ce sont plus de 3,4 millions d’hectares qui étaient partis en fumée, presque quatre fois plus qu’en Amazonie en 2019, selon les estimations, causant la mort de six personnes et détruisant près de mille habitations. Sur l’ensemble du pays, plus de 5 millions d’hectares ont brûlé et neuf personnes sont mortes depuis septembre.
L’Australie a beau exceller dans la lutte contre les feux de brousse avec une force de frappe de 74 000 pompiers volontaires rien qu’en Nouvelles-Galles du Sud, et une expérience hors norme à l’échelle de ce continent où les incendies sont tellement fréquents qu’ils ont une saison – jusqu’ici de novembre à mars –, elle est ici impuissante face au « monstre ». Malgré le déploiement de moyens titanesques avec des centaines de camions-citernes et des dizaines d’aéronefs. Malgré le soutien de l’armée et de soldats du feu néo-zélandais, canadiens ou encore américains.
Les volontaires, qui ont parfois posé des congés sans solde pour se rendre disponibles autant que nécessaire, savent qu’ils n’ont aucune chance d’éteindre ces flammes qui déferlent en flot continu sur de nombreux fronts sans l’aide de la pluie. Et ce ne sont pas les fines gouttes enfin tombées à la veille de Noël qu’ils attendent, mais des trombes d’eau.
Dipôle de l’océan Indien
Dans l’immédiat, l’Australie se prépare plutôt à une nouvelle vague de chaleur. Quant aux précipitations, « nous n’attendons rien de significatif dans les semaines à venir. Pas avant fin janvier ou février en tout cas », répond Andrew Watkins, chef des prévisions à long terme au Bureau de météorologie, l’agence gouvernementale.
Cet expert attribue la crise actuelle à trois phénomènes distincts : une phase positive inhabituellement forte du dipôle de l’océan Indien – souvent appelé le « Niño indien » en raison de sa similitude avec son équivalent Pacifique – conjuguée à une phase négative de l’oscillation antarctique – une variation de la pression atmosphérique qui affecte la circulation des vents dans l’hémisphère Sud –, le tout sur fond de réchauffement climatique. Le météorologue explique :
« Sur l’ensemble du continent, depuis 1910, les températures ont grimpé d’environ 1 °C, en moyenne, et dans le Sud-Est, depuis les années 1990, les précipitations ont baissé d’environ 10 %. Ce climat plus chaud et plus sec est responsable d’une saison des incendies plus longue et plus virulente. »
Rien de nouveau pour les centaines de manifestants qui, samedi 21 décembre, dans une odeur de brûlé, traversaient le pont de Sydney pour aller camper devant la résidence officielle du premier ministre, Scott Morrison, en attendant son retour. L’élu conservateur, jugeant sa présence inutile, était parti discrètement passer une semaine en famille à Hawaï, déclenchant un tollé dans un pays déjà à fleur de peau. « On va lui demander des comptes ! On étouffe, on est malade et lui, non seulement il ne fait rien contre la crise climatique mais en plus, il part en vacances ! », s’étrangle Laura, une travailleuse sociale qui brandit une pancarte sur laquelle est inscrit un proverbe aborigène : « Nous ne possédons pas la terre, nous lui appartenons. »
Industrie du charbon
Depuis le début des incendies, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander au gouvernement de s’attaquer à la source du problème : la hausse des températures mondiales. Scientifiques, professionnels de la santé, chefs d’entreprise, syndicalistes, agriculteurs, élus, lycéens, membres d’ONG, activistes, simples citoyens, tous sont montés au créneau pour appeler le cabinet à adopter une politique climatique afin que l’Australie, l’un des pires pollueurs au monde per capita, puisse, au minimum, honorer le modeste engagement pris lors de la COP21 : réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 26 % à 28 % en 2030 par rapport à 2005.
Mais Scott Morrison, qui offre régulièrement ses « pensées et prières » aux victimes, se pose avant tout en défenseur de l’industrie minière, pilier de l’économie australienne. En avril, il a même approuvé un projet particulièrement controversé de mine géante de charbon à proximité de la Grande Barrière de corail.
Malgré tout, ce chrétien évangélique affirme à longueur d’interviews que son pays respectera ses engagements internationaux. Ce à quoi aucun spécialiste ne croit.
En réalité, Canberra compte « tricher », selon le terme employé mi-décembre par Laurence Tubiana, architecte de l’accord de Paris, en utilisant les crédits carbone obtenus dans le cadre du protocole de Kyoto pour diminuer drastiquement l’effort à fournir. A la COP25, à Madrid, l’Australie s’est employée à miner la mise au point de règles robustes qui lui auraient interdit d’avoir recours à ce tour de passe-passe.
« C’est dégoûtant. Comment notre gouvernement peut-il faire cela alors que nous en sommes réduits à porter des masques », demande Lily Campbell, l’une des organisatrices de la manifestation de samedi. Après avoir finalement décidé d’écourter son séjour à Hawaï, Scott Morrison a présenté, dimanche, ses excuses à ses concitoyens pour être parti en vacances. En revanche, dès le lendemain, il réaffirmait ses positions en matière de lutte contre le réchauffement climatique, estimant qu’il serait « irresponsable » de tourner le dos à l’industrie du charbon.
Isabelle Dellerba (Sydney, correspondance)
Au moins seize morts après le passage du typhon Phanfone aux Philippines. Le typhon Phanfone, qui a balayé le jour de Noël des villages reculés et des zones touristiques du centre des Philippines, a fait au moins seize morts, ont annoncé, jeudi 26 décembre, les autorités locales. Ce typhon, qui s’accompagnait de rafales de vent atteignant les 195 km/h, a provoqué d’importants dégâts matériels, arrachant les toits des maisons et renversant des poteaux électriques. Phanfone a frappé entre autres la petite île de Boracay (Centre), celle de Coron (Ouest) ainsi que d’autres sites très prisés des touristes pour leurs plages de sable blanc. L’aéroport de Kalibo, qui dessert Boracay, a subi d’importants dégâts, selon un touriste sud-coréen qui s’est retrouvé bloqué et a fourni des images à l’AFP. Quoique moins puissant, Phanfone a suivi la même trajectoire que le typhon Haiyan, le plus dévastateur enregistré dans le pays, qui avait fait plus de 7 300 morts et disparus en 2013, frappant particulièrement la ville de Tacloban. Le typhon, en train de s’affaiblir, s’éloignait peu à peu du pays jeudi, se dirigeant vers la mer de Chine méridionale, selon le centre de prévisions météorologiques Weather Philippines. En moyenne, une vingtaine de typhons et tempêtes tropicales balayent chaque année les Philippines, faisant des centaines de morts. Mi-décembre, une tempête tropicale dans le nord du pays avait fait treize morts.