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Jours tranquilles à Paris

16 février 2020

SEX is ART

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16 février 2020

Récit - Alain Terzian, le parrain déchu des Césars

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Par Zineb Dryef, Clarisse Fabre, Laurent Telo

On lui reprochait non seulement sa gestion autocratique et opaque, mais surtout de ne pas avoir pris en compte les voix qui réclament davantage de diversité.

Alain Terzian n’a plus d’appétit. Il n’a pas touché à sa choucroute. Ni à son mille-feuille. Ce lundi 10 février, il déjeune chez Lipp, la brasserie historique de Saint-Germain-des-Prés, en compagnie de François-David Cravenne, le fils de Georges, créateur des Césars en 1976, et de Christophe Tardieu, ancien numéro deux du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le président de l’Académie des Césars, 70 ans, d’ordinaire si sûr de lui, a l’air dépassé.

Depuis la mi-janvier, le monde d’Alain Terzian se fissure de toutes parts, comme un vieux décor de cinéma après un (long) tournage. Les faux pas et les mauvaises nouvelles s’accumulent pour le producteur qui jusque-là présidait les Césars, seul maître à bord depuis la « reprise » de l’académie en 2003. On lui reproche, non seulement sa gestion autocratique et opaque, mais surtout de ne pas avoir pris en compte les voix qui réclament davantage de parité, de diversité et de démocratie au sein de l’académie.

Alors que la 45e Cérémonie des Césars doit avoir lieu vendredi 28 février, dans la prestigieuse salle Pleyel à Paris, avec Florence Foresti en maîtresse de cérémonie, Terzian, l’orgueilleux, le bagarreur, semble abattu.

La veille, dans un entretien au Journal du dimanche (9 février), il pensait avoir gagné du temps en promettant des mesures pour féminiser et rajeunir l’académie. Mais ce lundi, Terzian ne sait plus quoi dire :

« J’en ai marre. Je peux pas faire plus. Ça suffit. Je me suis saigné à blanc. J’en ai marre de ces cons. Tous des cons… »

Il fait comprendre qu’il va démissionner, sur le mode « retenez-moi ou je fais un malheur ». Ses deux convives tentent de le remonter, échafaudent des scénarios pour permettre au parrain des Césars, sinon de rebondir, du moins de garder la main, encore quelques jours : faire un speech pendant la cérémonie, demander à Foresti d’utiliser l’affaire dans ses sketches, s’appuyer sur l’esprit Canal…

On reproche aux membres de l’académie d’être trop âgés ? Il faut davantage trier et ne laisser entrer que ceux qui ont deux Césars à leur actif. « Oui, mais on va avoir Yolande Moreau… », bougonne Terzian. En quittant le restaurant, François-David Cravenne le prend par les épaules et lui dit : « Bouge-toi, ressaisis-toi ! » Mais Terzian, lui, semble toujours aussi fermé, découragé parce qu’il sent qu’il n’a plus grand monde derrière lui.

Surtout, il ne sait pas encore que se prépare en coulisses son coup de grâce. Mardi, le lendemain du déjeuner, Alain Terzian prend de plein fouet une tribune signée par 400 personnalités du cinéma – membres de l’académie – qui dénoncent un système qu’elles jugent opaque et obsolète : « Nous n’avons aucune voix au chapitre ni dans les fonctionnements de l’académie ni dans le déroulé de la cérémonie », déplorent-elles dans Le Monde daté du 12 février, avant de réclamer « une refonte en profondeur des modes de gouvernance de l’Association et des fonctionnements démocratiques qui les encadrent ». Fait rarissime : d’Omar Sy à Jacques Audiard, en passant par Céline Sciamma, Cédric Klapisch ou Bertrand Tavernier, toutes les familles du cinéma français se sont réunies pour tourner la page Terzian.

La tribune a un effet déflagrateur. Dans un ultime sursaut, le patron de l’académie pense encore pouvoir sauver sa place et publie un communiqué annonçant la prochaine nomination d’un médiateur. Mais au sein même du conseil d’administration, les soutiens historiques de Terzian le lâchent. Entre mercredi et jeudi, plusieurs administrateurs lui annoncent qu’ils vont démissionner.

« Alain Terzian n’avait plus le choix. On a fait ça pour rendre service au cinéma, on va faire notre révolution culturelle », explique l’un d’eux, sous couvert d’anonymat. Il ajoute : « Franchement, on n’en pouvait plus, ça devenait intenable. » Le jeudi soir, vers 19 h 30, un communiqué tombe comme un couperet : la direction de l’Académie des Césars présente « sa démission collective ».

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Faux pas révélateur

Pour comprendre ce vent de révolution, il faut remonter un mois auparavant. Tout est parti d’un faux pas du président, révélateur pour certains de son côté « has been ». Le 13 janvier, à quelques heures de la soirée des révélations, qui mettent en lumière une trentaine de jeunes acteurs et actrices, aux côtés de leurs parrains et marraines, la Société des réalisateurs de films (SRF) révélait dans un communiqué qu’Alain Terzian avait refusé Virginie Despentes comme marraine. L’écrivaine et cinéaste devait accompagner Jean-Christophe Folly, personnage principal de L’Angle mort, de Pierre Trividic et Patrick-Mario Bernard.

Après moult épisodes, l’acteur français d’origine togolaise renonçait à assister au dîner des Révélations. La SRF, emblème d’une nouvelle génération d’auteurs, ajoutait que Claire Denis avait également été écartée (« elle n’était pas disponible », a assuré l’académie), alors que la réalisatrice était tout à fait prête à « marrainer » Amadou Mbow, qui joue dans Atlantique, de Mati Diop – couronné du Grand Prix à Cannes et nommé au César du meilleur premier film.

Quelques heures après le communiqué du 13 janvier, en plein dîner du gala, un moment ordinairement consacré à l’autocélébration des personnalités présentes, Cédric Klapisch, Michel Hazanavicius, Laurent Lafitte, Robin Campillo, Louis Garrel, Jacques Audiard, Golshifteh Farahani et Marina Foïs ont lancé une fronde aussi soudaine qu’inédite. Devant un Alain Terzian médusé, tous se sont succédé au micro pour dénoncer les pratiques de l’Académie des Césars. « On est tous mal à l’aise. (…) Acceptez les demandes même quand les gens ne portent pas le costume » (Louis Garrel) ; « Je me sens dans l’embarras de participer à des soirées où il y aurait des castes, des désirables et des pas désirables » (Marina Foïs).

Ce soir-là, Danièle Thompson, fidèle de Terzian, est justement assise au côté de l’actrice. La réalisatrice est abasourdie :

« Je suis tombée des nues. J’ai été étonnée par ce déferlement de révolte sur un sujet dont je n’avais jamais entendu parler. Je ne sais pas du tout pourquoi ça s’est passé comme ça. On n’est pas mis au courant de ces histoires de parrainage. »

Après son intervention, Marina Foïs lui glisse « qu’il faut que l’académie s’ouvre, cela ne peut plus se passer comme ça ». Danièle Thompson lui assure qu’elle y est favorable depuis longtemps :

« De l’extérieur, les Césars sont vus comme un vieux truc. Quand vous regardez la composition de notre bureau, on n’est quand même pas des perdreaux de l’année, raconte-t-elle quelques jours plus tard. Il faut qu’on intronise de nouveaux membres, qu’on s’ouvre à cette formidable vague du cinéma français. A des gens comme Céline Sciamma ou des producteurs qui s’impliquent beaucoup. »

Le soir du dîner, Alain Terzian a reconnu s’être pris les pieds dans le tapis, présentant dans un communiqué ses « sincères excuses » et « ses regrets ».

L’incident aurait pu s’éteindre en quelques jours. Mais il intervient à un moment où le cinéma est traversé par de brûlants sujets de société : rendre visible les minorités, promouvoir l’égalité femmes-hommes, dénoncer les comportements sexistes. Or le cinéma de Terzian, c’est d’abord du rêve, du glamour, des actrices en robe de soirée… certainement pas le réceptacle des débats de société. En 2017, le surgissement de l’affaire Weinstein le préoccupe d’ailleurs assez peu.

Il déclare qu’un tel scandale « ne pourrait pas se produire en France parce qu’en France, on est trop attaché au projet artistique pour se permettre ce genre de pratique ». Il clôt le débat d’un définitif : « Il n’y a pas d’abus de pouvoir dans le cinéma français. » La même année, Terzian propose à Roman Polanski de présider la cérémonie des Césars, alors que plusieurs accusations de viol visaient le cinéaste. Aujourd’hui, les douze nominations pour son dernier film J’accuse (dont il n’est pas responsable, puisque ce sont les 4 000 membres de l’académie qui votent) ont soulevé la colère des associations féministes qui ont appelé en début de semaine l’académie à ne pas apporter ses suffrages au film de Polanski.

Remarques sexistes

Au courant de l’année 2018, lorsque le collectif 50/50 réclame à Terzian le pourcentage de la répartition femmes-hommes au sein de l’académie, il promet des chiffres qu’il ne transmettra jamais, malgré des relances. Il y a seulement quelques jours, il a reconnu que, sur les 4 680 membres de l’académie, 65 % sont des hommes et 35 %, des femmes. Lors de la 43e cérémonie en 2018, durant laquelle les invités arboraient un ruban blanc en soutien aux femmes victimes de harcèlement et de violences, une blague avait circulé, suggérant de porter un badge « Moi Terzian, toi Jane », tant le président n’est pas réputé féministe.

LONGTEMPS AVANT DE SUSCITER UNE HOSTILITÉ QUASI UNANIME DE LA PROFESSION, ALAIN TERZIAN FUT CONSIDÉRÉ COMME LE « SAUVEUR » DES CÉSARS

Evoquer son nom, c’est entendre, très souvent, des remarques et allusions sur son comportement avec les femmes. Le Monde a recueilli plusieurs témoignages, souvent spontanés, de femmes (qui ont voulu rester anonymes) ayant fait l’objet de remarques et comportements sexistes ou de gestes déplacés. Dans l’entretien avec le JDD, alors qu’il lui est demandé s’il a toujours eu un comportement irréprochable avec les femmes, il répond par ce seul mot : « Parfaitement. »

Longtemps avant de susciter une hostilité quasi unanime de la profession, Alain Terzian fut considéré comme le « sauveur » des Césars. C’est une vieille histoire qui commence à l’aube de l’an 2000. Daniel Toscan du Plantier, producteur brillant qui a travaillé avec les réalisateurs les plus prestigieux du cinéma (Ingmar Bergman, Federico Fellini, Roberto Rossellini, Andrzej Wajda), se retrouve une fois de plus comme un oiseau sur la branche. Talentueux mais piètre gestionnaire, il est régulièrement aux abois. Quatre ans plus tôt, Toscan a racheté la société de production de la cérémonie des Césars à son fondateur, Georges Cravenne.

C’est en 1976 que le journaliste et producteur de cinéma lance l’Académie des Césars. Pour veiller à son bon fonctionnement, Georges Cravenne fonde alors deux entités : l’Association pour la promotion du cinéma (APC) – association loi 1901, à but non lucratif – et une entreprise aujourd’hui connue sous la dénomination ECE SA (Europe Cinéma Evénement) chargée de négocier les droits de diffusion de la cérémonie.

En ce début de millénaire, Toscan, nouveau propriétaire des Césars, cherche désespérément une issue : il doit payer des annuités importantes à Georges Cravenne mais il n’en a plus les moyens. Après avoir fait le tour de ses connaissances, il se tourne vers son ami Bernard-Henri Lévy. Les deux hommes étant très liés, Bernard-Henri Lévy accepte sans barguigner. Il lui prête 3 millions d’euros, dont 1 million pour les Césars.

Le mardi 11 février 2003, Daniel Toscan du Plantier meurt subitement d’une crise cardiaque à Berlin, où il participait à la 53e Berlinale, après avoir dîné joyeusement avec Jean-Jacques Aillagon. L’ancien ministre de la culture se souvient du séisme d’alors : « Il est mort comme un feu d’artifice en plein ciel. » Toscan laisse le cinéma français orphelin et les Césars endettés : BHL devient le principal créancier de la société. D’après les souvenirs de l’un de ses proches, la situation embarrasse l’écrivain. Les Césars ne l’intéressent pas. La Banque OBC est mandatée par Mélita Toscan du Plantier, veuve du producteur, pour trouver une solution. Or, à l’époque, personne n’en veut. Quelques propositions émergent : Arnaud Lagardère et un magnat de l’immobilier s’y intéressent mais elles ne satisfont pas les membres historiques de l’académie.

De son côté, Alain Rocca, le trésorier de l’académie, se tourne vers Natixis Coficiné, la banque du cinéma. Les discussions débouchent sur une solution alternative : et si l’APC devenait propriétaire d’ECE ? La banque, au nom du sauvetage de la vitrine du cinéma français, s’engage à prêter l’argent à l’APC afin qu’elle rachète la société commerciale. C’est là qu’Alain Terzian, membre du conseil d’administration de l’académie, entre en scène. Le producteur, à la tête de la puissante Union des producteurs de films (UPF), négocie pied à pied avec Canal+, le diffuseur de la cérémonie, et obtient une victoire : la chaîne signe un contrat de diffusion qui l’engage pour sept ans, de 2005 à 2012. Ce contrat, précieux, constitue une garantie pour la banque qui accorde donc un crédit d’1,2 million d’euros à l’association des Césars, désormais propriétaire de la cérémonie. Le 25 octobre 2005, à 10 heures, Alain Terzian, sans avoir mis un sou de sa poche, cumule alors deux fonctions : celle de président du conseil d’administration de l’Association pour le cinéma (APC) qui régit l’Académie des Césars, et PDG de l’ECE, devenue filiale de l’association. Des décennies après l’arrivée de ses grands-parents arméniens en France, Antranik Georges Alain Terzian est arrivé là où il voulait arriver : au sommet du cinéma français.

Entrisme en poltique

Né au mois de mai 1949 à Paris, il grandit entouré de sa grand-mère, de sa tante et de sa mère, adorée, qui l’élèvent dans un appartement exigu de la rive gauche. Son père, dont il ne parle jamais, est absent. Professeure des écoles, Anouche, sa maman, le pousse à l’excellence – lycées Montaigne et Louis-le-Grand, Sciences Po, Assas – et cultive son amour de l’Arménie. A la maison défilent les cousins et amis exilés, avec lesquels sa grand-mère et sa tante, rescapées du génocide, évoquent l’exode d’Erzurum à Paris. Charles Aznavour est un habitué. La famille fréquente les églises et les maisons de la culture arméniennes, les enfants rejoignent les scouts et, l’été, ils séjournent à la colonie de vacances de Bellefontaine, une « petite Arménie » dans le Jura.

« Alain Terzian est atteint de la même maladie que moi : cette obsession du génocide, cette bataille contre le négationnisme, cette même souffrance qui marque les peuples victimes d’un génocide », souligne Patrick Devedjian, membre des Républicains et président du conseil départemental des Hauts-de-Seine. Longtemps, les deux hommes n’ont fait que se croiser. Cérémonies officielles, commémorations du 24-avril, réunions et dîners du Comité de coordination des organisations arméniennes françaises (CCAF), l’équivalent du Crif pour les Arméniens. A force, cela scelle les amitiés. Devenu un interlocuteur incontournable de la cause arménienne, il est, depuis Jacques Chirac, de tous les voyages présidentiels à Erevan depuis quinze ans.

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« NÉGOCIER AVEC TERZIAN EST UNE HORREUR. IL EST D’UNE MAUVAISE FOI TOTALE. IL APPARTIENT À UNE GÉNÉRATION EN VOIE D’EXTINCTION. POUR VOUS CONVAINCRE, IL NE VOUS LAISSE PAS PARLER. IL EST COMME UN TGV QUI VOUS PASSE DESSUS. »

Partisan de la droite décomplexée, Alain Terzian n’a hésité ni à signer une tribune en faveur de Nicolas Sarkozy en 2007 ni à déclamer publiquement son enthousiasme pour la « France forte » au meeting géant de l’ancien président de la République, à Villepinte en 2012 – tout en maintenant ses parties de tennis avec Dominique de Villepin. Depuis, il a su naviguer de François Hollande à Emmanuel Macron, de Jack Lang à Franck Riester, des conseillers socialistes à ceux d’En Marche.

« Avec les politiques, il est proche de tout le monde, confirme son ami Philippe Labro, membre du conseil d’administration de l’APC. Il a su évoluer. Belle démonstration de darwinisme. » Cet entrisme en politique lui a permis pendant les années 2000 de s’affirmer comme un excellent lobbyiste au sein de l’UPF. « Alain Terzian aime la castagne, mais c’est surtout un négociateur costaud. J’ai même l’impression qu’il se battait plus pour l’intérêt général que pour monter ses propres films, décrit la productrice Margaret Menegoz. Comme il dit : “La hargne des Arméniens est éternelle.” »

Un agent influent du milieu souligne le même trait :

« Alain Terzian rappelle toujours ses origines arméniennes et le caractère bien trempé des Arméniens. Négocier avec lui est une horreur. Il est d’une mauvaise foi totale. Il appartient à une génération en voie d’extinction. Pour vous convaincre, il ne vous laisse pas parler. Il est comme un TGV qui vous passe dessus. Il est d’une mauvaise foi souriante. »

Terzian s’est montré combatif, confirme la productrice Marie Masmonteil, qui n’a pas signé la pétition des « 400 » et n’apprécie guère le climat actuel :

« Il y a une vendetta contre lui, et notamment du cinéma d’auteur, que je trouve un peu injuste. Alain Terzian a toujours défendu toute la diversité du cinéma. Et il n’a jamais été de ceux qui disent qu’il y a trop de films, bien au contraire. Son credo, c’est que pour faire beaucoup d’entrées, il faut faire beaucoup de films. »

Mettre à l’abri la vitrine du cinéma français

Joint par téléphone par Le Monde le 17 janvier, quelques jours après le dîner des révélations, le patron des Césars a tenu à rappeler ses débuts – par la suite, il refusera, après de multiples sollicitations, de répondre à nos questions. « Je suis arrivé dans le cinéma par deux-trois rencontres, il y a plus de quarante ans », dit-il. Son destin s’est noué dans une petite salle bondée de la Maison de la culture arménienne où, à 15 ans, il a écouté, fasciné, Henri Verneuil parler de cinéma. Ce jour-là, à la fin de la conférence, le cinéaste, attendri par l’adolescent, l’invite à visiter les studios de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Le jeune Terzian croise Alain Delon, Lino Ventura et Jean Gabin.

Dix ans plus tard, après ses études, sa rencontre avec Claude Lelouch sera déterminante. C’est auprès du réalisateur oscarisé qu’il fait ses classes – chauffeur de stars, assistant multitâche… – avant de se lancer lui-même dans la production. Il y a beaucoup de nanars (Les Ringards, 1978 ; les Charlots en délire, 1979 ; Premiers Désirs, 1983), des films qu’il a plaisir à évoquer, ceux dont Alain Delon est la vedette et ceux réalisés par Philippe de Broca, André Téchiné, Robert Guédiguian ou Danièle Thompson. Et puis, en 1993, le succès qui fera sa fortune : Les Visiteurs.

Quand il prend la présidence de l’Académie des Césars, l’obsession d’Alain Terzian est de trouver de l’argent pour mettre à l’abri la vitrine du cinéma français. Il se met au travail, en duo, avec Alain Rocca. Les deux hommes ne se ressemblent pas : Terzian est tapageur quand Rocca est discret, l’un négocie, l’autre réfléchit et trouve les solutions. Si leurs visions du cinéma ne sont pas les mêmes, le duo fonctionne et, à eux deux, ils sortent en quelques années les Césars de la situation de crise.

Pour remplir les caisses, le tarif des adhésions à l’académie augmente comme le prix payé par les producteurs pour faire figurer leurs films dans le coffret des DVD envoyés aux votants avant la cérémonie. Et l’homme d’affaires parvient, en 2016, à rembourser totalement le crédit contracté auprès des banques : l’académie peut enfin respirer. Mais les dépenses augmentent : les Césars s’ouvrent massivement au sponsoring, organisant un marathon de dîners et de mondanités qui commencent, au début du mois de janvier, avec le dîner des révélations (sponsorisé par Chanel) pour s’achever avec le dîner des producteurs (financé par la BNP qui installe à chaque table un de ses représentants), quelques jours avant la cérémonie officielle. « C’est une belle visibilité mais tout ça coûte trop cher », regrette un administrateur.

Les tarifs continuent de flamber : le prix de l’adhésion est fixé à 90 euros et, désormais, chaque producteur doit payer 6 600 euros HT pour figurer dans le fameux coffret. Une somme considérable pour les films à petit budget mais aussi pour les sociétés de production qui financent parfois cinq ou six films par an et se retrouvent à verser des dizaines de milliers d’euros aux Césars. Si les protestations publiques ont toujours été balayées par Alain Terzian, elles sont demeurées rares. Elisabeth Tanner, de l’agence d’acteurs Time Art, rappelle que, durant des années, le milieu du cinéma a laissé faire Terzian : « Pendant longtemps, ça ronronnait. Personne ne disait rien. Mais, aujourd’hui, la situation est différente. Est-ce qu’il n’est pas temps de sortir l’outil de son obsolescence afin que l’académie soit en phase avec la société ? », s’interroge celle qui a inspiré le personnage de l’agente d’acteurs Andréa Martel dans la série Dix pour cent sur France 2.

Mêmes administrateurs

Alain Terzian n’aime pas le changement. Depuis ses débuts à la tête de l’Académie des Césars, il est entouré des mêmes administrateurs, dont le mandat a été renouvelé une fois (à l’exception de Charles Berling, qui a été démissionné, sans même en avoir été averti). Ce sont souvent des proches, presque toujours âgés : Philippe Labro (83 ans), Danièle Thompson (78 ans), Robert Guediguian (66 ans), Margaret Menegoz (78 ans), Gilles Jacob (89 ans) et Tonie Marschall (68 ans)… Le plus cocasse, c’est qu’une partie d’entre eux se retrouve également au conseil d’administration d’ECE, la société commerciale détenue par APC. Réuni deux ou trois fois par an – désormais à la nouvelle adresse du CNC, boulevard Raspail (Paris 14e) –, le conseil a connu ses propres soubresauts ces derniers temps.

IL N’ÉTAIT PAS RARE QU’ALAIN TERZIAN RÉCUPÈRE UNE VINGTAINE DE POUVOIRS D’ABSENTS, CE QUI LUI PERMETTAIT DE FAIRE LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS.

La réalisatrice Tonie Marshall se souvient d’une réunion : « On s’est regardées, avec Danièle Thompson, et on s’est dit : nous sommes une assemblée de vieux croûtons. Et l’ambiance générale est masculine. » La directrice de la photographie Caroline Champetier a, elle, haussé le ton, il y a de cela un an, appelant à un rajeunissement de l’assemblée, dont elle est l’une des plus jeunes membres, à l’âge de 65 ans. « On est un alibi à une petite clique de gens qui tiennent le cinéma », affirme la « cheffe op » de Leos Carax. Et l’entre-soi nourrit l’entre-soi. « Beaucoup de gens n’ont pas envie de venir à l’académie en disant que c’est une assemblée de bourgeois. C’est devenu un machin, comme disait le général de Gaulle », grince Tonie Marshall. Mais Terzian n’a jamais voulu bouger.

Souvent les assemblées générales sont clairsemées, réunissant à peine la moitié des 47 personnalités habilitées à y siéger. Les discussions tournent autour du choix du maître (ou de la maîtresse) de la cérémonie, ou des « remettants » qui viendront donner la statuette aux lauréat(e) s, autant de décisions qui appartiennent in fine à Canal+, le producteur de la cérémonie.

Certains ont fini par perdre le goût du débat. Car, bien souvent, les jeux sont faits : les statuts de l’académie permettent en effet aux administrateurs (ainsi qu’aux membres du conseil) de récupérer les pouvoirs des absents sans limite. « Le nombre de pouvoirs dont peut disposer un membre de l’association est illimité », lit-on dans le compte rendu d’une assemblée générale du 17 décembre 2015, un document de neuf pages que Le Monde s’est procuré. Plusieurs administrateurs l’affirment : il n’était pas rare qu’Alain Terzian récupère une vingtaine de pouvoirs d’absents, ce qui lui permettait de faire la pluie et le beau temps. D’ailleurs, plusieurs membres du CA n’ont pas le souvenir d’avoir eu l’occasion de voter une seule fois.

Même sur un sujet qui ne fait pas l’unanimité comme le contrat avec Canal+ pour la retransmission de la cérémonie. Des administrateurs auraient préféré un partenariat avec une chaîne du service public. Mais, là encore, Terzian a eu le dernier mot. Véritable nerf de la guerre, le montant des droits versés par la chaîne cryptée à l’académie (le contrat vient d’être renouvelé jusqu’en 2022) est tenu secret. Le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada, se contente d’assurer que « la dotation a augmenté continuellement ces dernières années », et ce, alors même que l’audience de la cérémonie ne cesse de diminuer – elle s’établissait à 1 650 000 téléspectateurs en 2019.

TONIE MARSHALL : « TERZIAN EST À LA FOIS AUTOCRATIQUE ET EXCESSIVEMENT DÉMOCRATIQUE. EN CLAIR, IL VA PASSER UN TEMPS FOU À S’ASSURER QUE LA DÉCISION QU’IL SOUHAITE IMPOSER EST ACCEPTÉE PAR LES AUTRES. »

Il est même arrivé que pour écarter une nomination, le président et son conseil changent opportunément les règles. En 2004, Les Invasions barbares, de Denys Arcand, est en bonne place pour remporter une statuette. « Alain Terzian est le meilleur défenseur du cinéma français, et il trouvait que ça n’allait pas du tout, se souvient Margaret Menegoz, membre du conseil d’administration. On a changé le règlement pour que le film césarisable soit made in France et produit majoritairement en France. »

Dix ans plus tard, en 2014, Alain Terzian ne s’est pas embarrassé d’un vote pour imposer son choix à la commission chargée de présélectionner les Révélations, ces jeunes talents en lice pour le César des meilleurs espoirs féminin et masculin. Un membre de cette commission raconte : « Il a déboulé au début d’une réunion et nous a balancé : ajoutez Louane Emera [César du meilleur espoir féminin pour La Famille Bélier en 2015], elle y est d’office ! Ça nous a coupé la chique. C’est rageant, parce qu’on fait ça sérieusement, on regarde les films… Mais c’est dans le règlement : Terzian a le droit d’ajouter des noms à notre liste. Il gère tout. Ça fait beaucoup pour un seul homme. » « Il est à la fois autocratique et excessivement démocratique, décrit Tonie Marshall. En clair, il va passer un temps fou à s’assurer que la décision qu’il souhaite imposer est acceptée par les autres. »

Gestion clanique

A la transparence, Alain Terzian préfère la gestion clanique. Il ne passe que rarement dans les bureaux de l’académie, rue de l’Avre, dans le 15e arrondissement de Paris. Une ruche entre les mois de janvier et juillet, lorsque les effectifs de la minuscule équipe permanente, dont certains salariés sont là depuis l’ère Toscan, doublent. Ils ont alors un unique interlocuteur : Samuel Faure qui assure le travail quotidien. Ce quinquagénaire, qui a commencé comme assistant de Gilles Jacob avant de s’occuper des partenariats cannois, bénéficie de la confiance totale et absolue de Terzian.

Appelé à la rescousse au milieu des années 2010 par Alain Terzian, Samuel Faure excellera dans le démarchage de nouveaux sponsors. Devenu incontournable, il a été nommé trésorier de l’APC et directeur général d’ECE. Rendre des comptes et être transparent, ne semble pourtant pas faire partie de la culture maison, observe Pascal Rogard, le directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), très actif sur les réseaux sociaux :

« Je m’en suis ouvert plusieurs fois à Alain Terzian. Je lui ai demandé d’avoir accès aux comptes de l’académie. “Tout est sur Internet”, m’a t-il répondu. Eh bien non. Je ne vois pas où les comptes sont visés et où part l’argent. »

Les comptes ne sont en effet pas publiés sur le site de l’APC. Les membres du CA interrogés par Le Monde ont reconnu ne pas savoir grand-chose des comptes de la filiale ECE dont l’association est pourtant l’unique et principale actionnaire. En 2018, deux ans après avoir remboursé sa dette à la banque Natixis Coficiné, l’ECE enregistre un chiffre d’affaires de 1 691 947 euros et un résultat net de 205 790 euros. La société s’est constitué une réserve de 644 446 euros. C’est une petite entreprise florissante, sortie du rouge.

D’ailleurs en 2015, ECE rémunère Alain Terzian, via Alter Films, sa société de production. En 2015, il touchait 80 000 euros. En 2018, Alain Terzian se verse 135 000 euros. Le trésorier de l’APC, successivement Alain Rocca puis Samuel Faure, touche 60 000 euros annuels. Si la rémunération du trésorier est connue des membres de l’association, cela ne semble pas être le cas de celle d’Alain Terzian. Danièle Thompson, apprenant qu’Alain Terzian est rémunéré, est restée incrédule :

« Ah… Franchement, au sein de l’Académie, on est juste une bande de personnalités artistiques qui avons participé aux Césars de manière amicale. Alors, depuis le début de cette affaire, on est tous un peu abasourdis. J’espère ne pas être abasourdie par d’autres découvertes… »

Ils ont préféré collectivement démissionner.

16 février 2020

Pierre et Gilles - Sylvie Vartan

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16 février 2020

Réflexion - Serge Gainsbourg

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16 février 2020

Critique - Dans « L’Institut », Stephen King maltraite les surdoués

Par François Angelier, Collaborateur du "Monde des livres"

Des jeunes dotés de superpouvoirs sont férocement exploités par de sadiques bureaucrates. Le King signe un nouveau roman hallucinant et politique.

stephgen

« L’Institut » (The Institute), de Stephen King, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Albin Michel, 608 p., 24,90 €

Dans D’après une histoire de Stephen King (Hachette Heroes, 2019), Matthieu Rostac et François Cau notaient que les grandes orgues du récit kingien s’autorisent d’une trentaine de voix fixes et récurrentes qu’elles registrent et harmonisent à chaque roman de façon variable. Celles-ci vont de l’Apocalypse à l’éthylisme du héros, de l’emprise des forces occultes à la technophobie.

Si L’Outsider (Albin Michel – comme tous ses livres depuis 1982 –, 2019), Sleeping Beauties (avec Owen King, 2018) et Fin de ronde (2017) mobilisaient l’infiltration sourde du mal, l’affirmation de la puissance féminine ainsi que l’intraitable vieillard enquêteur, L’Institut, nouveau roman du maître de Bangor (Maine), table sur l’entrecroisement de quatre thématiques fortes : les hyperpouvoirs mentaux paranormaux (un classique de son inspiration depuis Carrie, 1976, et Shining, 1979), les sociétés enfantines (notamment dans Ça, 1988, et Dreamcatcher, 2002), l’enfance violentée (dans Doctor Sleep, 2013) et la riposte à certaines menaces planétaires (Le Fléau, 1981), réelles ou supposées.

Pouvoirs terroristes

Enlevé en pleine nuit, dans le Minnesota, par un commando d’inconnus qui exécutent froidement ses parents, Luke Ellis, jeune surdoué de 12 ans doté de pouvoirs télékinétiques, est interné dans un mystérieux « Institut » installé depuis la guerre froide aux confins des forêts du Maine.

Il s’agit d’un centre d’expérimentation gouvernemental secret doublé d’un bagne à la fonction claire : travailler et enrichir, à grand renfort d’injections hypodermiques, de chocs lumineux et d’une atmosphère terrifiante, la puissance mentale d’enfants aux capacités psychiques surnaturelles ; pouvoirs notamment télépathes dont l’usage terroriste, à distance et clandestin, s’avère la finalité la plus opaque des Etats-Unis et de leurs alliés.

Luke, qui s’y lie avec d’autres détenus mineurs, filles et garçons, tous forts de « talents » extraordinaires et également arrachés à leurs familles, découvre d’abord les maîtres de l’endroit, une petite bureaucratie infernale, sadique, amère et désenchantée, régentant, à l’aide d’une escouade de matons, une chiourme d’enfants rebelles ou traumatisés.

Le sinistre des locaux sera sa seconde découverte : cellules ternes, salles de jeux, corridors, tunnels et salles opératoires, technologie quasi obsolète. L’on y suit, entre séances de traitement et moments de détente, un parcours exténuant qui mène, après l’Avant et l’Arrière, de niveau en niveau, à Gorky Park, une déchetterie humaine où les cobayes à bout de neurones s’entassent dans un sous-sol fétide.

Luke, à l’issue d’un long périple et avec l’aide imprévue de Sudistes, parviendra à s’extraire de cet enfer clinique, apprenant sans vraiment y croire que, de ce massacre programmé d’enfants et d’adolescents, dépendent, au dire de ceux qui l’ont planifié, l’ordre et la sécurité du monde.

Une petite clique de bourreaux routiniers

Un roman, moins d’action et d’épouvante que de réflexion politique, qui vaut avant tout pour la peinture hallucinante de l’effroyable petit monde confiné de l’Institut où, loin de toute terreur gothique et de savants fous, s’affaire au quotidien une petite clique de bourreaux routiniers trompant leur ennui par l’administration d’une discipline atroce.

C’est plus l’écrivain-citoyen responsable que le conteur fantastique qui se manifeste dans ce roman. Stephen King y analyse en effet, à travers les manigances en roue libre de certaines agences occultes, la dérive paranoïaque et totalitaire d’Etats contemporains.

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16 février 2020

Fanny Müller

fanny64

16 février 2020

Chronique - « Le pangolin tient-il sa revanche avec le nouveau coronavirus ? »

pangolin

Par Hervé Morin

L’animal, protégé, fait l’objet d’un vaste trafic international à destination de l’Asie. Il est soupçonné d’avoir servi d’hôte intermédiaire au nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Une chance pour sa survie, s’interroge, dans sa chronique, Hervé Morin, chef adjoint du service Planète Science.

Le pangolin, inoffensif mammifère poussé vers l’extinction par la gloutonnerie et la cupidité humaines, tient-il sa revanche ? Le petit animal, qui fait l’objet d’une « journée mondiale » le 15 février, est soupçonné d’avoir servi d’hôte intermédiaire au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, entre la chauve-souris et l’homme. Des analyses conduites en 2019 par des chercheurs cantonais sur des pangolins javanais, issus d’une saisie des douanes chinoises, avaient déjà de quoi inquiéter : les animaux, finalement morts d’infections respiratoires, étaient porteurs de nombreux coronavirus. Certains étaient très proches du SARS-CoV, responsable de l’épidémie de SRAS qui a eu la Chine pour épicentre entre 2002 et 2004, faisant près de 800 morts.

Prolongeant ces observations, une équipe du Baylor College of Medicine (Houston) a mis en ligne le 13 février une analyse montrant une très grande proximité entre un coronavirus prélevé sur ces pangolins et SARS-CoV-2, particulièrement sur la séquence génétique codant la structure qui permet au virus de se lier aux cellules de l’arbre respiratoire humain. Elle est plus proche que ne l’étaient celles des coronavirus infectant les chauves-souris, suspectes n° 1 jusqu’alors.

Que cette piste – aussi évoquée par une équipe chinoise – soit ou non confirmée, le principe de précaution voudrait qu’on bannisse toute promiscuité entre humains et pangolins. Force est de constater les parallèles avec l’épidémie du SRAS. Le SARS-CoV avait transité de la chauve-souris à l’homme en passant par la civette, prisée par certains gourmets asiatiques. Les autorités chinoises l’ont depuis bannie des étals des marchés : la farouche civette masquée est retournée à sa clandestinité forestière. L’histoire repasserait-elle les plats, avec un autre ingrédient ?

Danger critique d’extinction

La famille des pangolins, ces insectivores couverts d’écailles, compte huit espèces, toutes inscrites dans l’annexe 1 de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (Cites) : leur commerce international est interdit depuis 2017. Prisé en Afrique et plus encore en Asie pour sa viande comme pour ses écailles parées de mille vertus thérapeutiques, l’animal fait pourtant l’objet d’un trafic international qui met en péril sa survie.

Le pangolin de Chine et son cousin javanais sont les plus menacés, classés en danger critique d’extinction, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui en décembre 2019 a ajouté celui des Philippines dans cette catégorie. Leurs populations auraient régressé de respectivement 90 % et 80 % au cours des vingt dernières années. Celui d’Inde est lui « en danger », avec une chute des populations de 50 % en deux décennies.

Parmi les quatre espèces africaines, deux sont encore considérées comme seulement « vulnérables ». Le pangolin à ventre blanc et le géant terrestre sont désormais eux aussi classés « en danger », en raison d’un déclin probable de 50 % en vingt ans en partie dû au report du trafic international vers l’Afrique comme source d’approvisionnement.

Un rapport de l’ONG Wildlife Justice Commission (WJC) rendu public le 10 février, documente « la croissance rapide du trafic à l’échelle industrielle des écailles de pangolin (2016-2019) ». L’enquête du WJC – dont les photos illustrant cet article sont tirées – fait état de 206 tonnes d’écailles confisquées aux trafiquants au cours de 52 saisies sur cette période. Cela représentait entre 57 000 et 570 000 animaux sacrifiés, selon l’espèce prise comme base de calcul (le pangolin géant d’Afrique porte environ 3,6 kg d’écailles, contre 360 g pour son cousin des forêts). Près des deux tiers des saisies ont eu lieu au cours des deux dernières années, signe d’une intensification et d’une industrialisation du trafic.

« Nous pensons que ces chiffres ne représentent qu’une fraction du trafic, car il est probable qu’une proportion importante de la contrebande passe inaperçue », estime Sarah Stoner, directrice du renseignement du WJC, dans un communiqué. Selon l’ONG néerlandaise, en raison de la baisse de la valeur de l’ivoire d’éléphant, les réseaux du crime organisé ont diversifié les produits écoulés mais doivent transporter de grandes quantités d’écailles pour maintenir leurs marges : le prix du kilo d’écailles est inférieur à celui de l’ivoire. Il se négociait à 52 dollars en 2018 au Nigeria, pour atteindre respectivement 226 et 283 dollars en Indonésie et au Vietnam. Le prix de détail le plus élevé relevé par les enquêteurs de l’ONG atteignait 739 dollars le kilo au Laos.

Une nouvelle « route des écailles »

Le Nigeria et le Vietnam jouent un rôle éminent dans une nouvelle « route des écailles », les deux pays étant impliqués dans 84 % des cargaisons détectées entre 2018 et 2019. « Le Nigeria est une plaque tournante en Afrique », confirme le naturaliste Ray Jansen (Université de technologie de Tshwane, Afrique du Sud), qui a collecté les données concernant ce continent pour le WJC et anime l’African Pangolin Working Group qui, depuis 2011, œuvre à la préservation de l’animal et de son habitat.

Le marché était jusqu’alors dopé par une forte demande asiatique, notamment chinoise. Même si en Chine le braconnage et le commerce des pangolins sont illégaux, l’industrie pharmaceutique est autorisée à produire des traitements en médecine traditionnelle : en 2016, 700 hôpitaux disposaient de licences pour vendre quelque 66 médicaments à base d’écailles. La vente en ligne serait aussi un moyen commode pour « blanchir » le trafic illégal. La décision en août 2019 des autorités chinoises de suspendre à compter de janvier 2020 le remboursement de la pharmacopée à base de pangolin – et de nombreuses autres espèces – pourrait changer la donne, espère le WJC. L’apparition du nouveau SARS-CoV-2 et sa paternité encore douteuse aussi.

« S’il se confirme que le nouveau coronavirus a bien muté dans le pangolin avant d’être transmis à l’homme, cela pourrait être une bonne chose pour cet animal, estime Ray Jansen. La consommation de viande pourrait baisser. Mais certains pourraient être tentés de tuer les pangolins pour éliminer le virus. » Des singes hurleurs se sont ainsi retrouvés doublement victimes de la fièvre jaune, en 2017, au Brésil. « Mais les gens pourraient décider qu’il est simplement plus prudent de laisser les pangolins tranquilles… », espère Ray Jansen.

16 février 2020

Milo Moiré - Photos : Peter Palm

milo66

milo67

15 février 2020

Fanny Müller

fanny55

fanny56

fanny57

15 février 2020

Coronavirus

Coronavirus : plus de 1 500 morts en Chine. Le bilan de l’épidémie du nouveau coronavirus a dépassé samedi les 1 500 morts en Chine, rapporte le South China Morning Post. Selon le quotidien, 1 523 personnes ont succombé à la maladie, alors que près de 66 500 personnes sont contaminées par le virus à travers le pays. Les médecins et personnels soignants, qui font face à l’épidémie dans des établissements débordés, ne sont pas épargnés par le virus. Les autorités chinoises estiment à plus de 1 700 le nombre de membres du personnel médical contaminés. Six d’entre eux sont décédés.

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