THE WALL STREET JOURNAL (NEW YORK)
L’impact négatif du plastique sur l’environnement redonne espoir à l’industrie du verre, en net recul aux États-Unis. Reste, dans ce pays, à faire de gros efforts de recyclage.
Les verriers comptent sur la disgrâce du plastique à usage unique pour enrayer la désaffection croissante pour leurs bouteilles et leurs bocaux. Ils devront toutefois commencer par améliorer un piètre taux de recyclage du verre [aux États-Unis] qui fragilise leur argumentaire sur les vertus écologiques de leurs produits.
Naguère incontournable pour conditionner le lait, le ketchup, la bière ou les sodas, le verre a été évincé par des matières plus légères et incassables comme le plastique et l’aluminium. Actuellement, 1 % seulement des sodas sont vendus dans une bouteille en verre aux États-Unis, contre près de 58 % en 1975, selon le cabinet de conseil Beverage Marketing. Sur la même période, le plastique, parti de zéro, a bondi à 32,5 %.
Aujourd’hui, les inquiétudes grandissantes au sujet des méfaits du plastique à usage unique sur l’environnement conduisent certains consommateurs à s’en détourner, poussant des groupes agroalimentaires comme Nestlé, PepsiCo et Unilever à s’intéresser aux contenants réutilisables et aux matières autres que le plastique.
Préserver les océans
Les verriers y voient une occasion de regagner les faveurs du consommateur. Récemment, une campagne de marketing financée par l’industrie verrière européenne remerciait les clients de supermarchés de participer à la préservation des océans en leur diffusant une vidéo de dauphins [à la caisse] chaque fois qu’ils scannaient un article vendu dans un récipient en verre.
“On a du mal à rester indifférents devant les images de milliards d’emballages plastiques se promenant dans le Pacifique”, rappelait l’année dernière, aux investisseurs, Andres Alberto Lopez, directeur général d’Owens-Illinois (O-I Glass Inc), le premier fournisseur mondial d’emballages en verre. “Le verre est un formidable substitut [au plastique].”
Arglass Yamamura [coentreprise du géant verrier japonais Nihon Yamamura Glass et de la société d’investissement américaine Cambium] est en train de construire en Géorgie la première verrerie à voir le jour aux États-Unis depuis douze ans, pour un montant de 123 millions de dollars. O-I, dont le siège se trouve à Perrysburg, dans l’Ohio, investit en ce moment plus de 60 millions de dollars dans la construction d’un nouveau four dans son usine française [de Gironcourt-sur-Vraine, dans les Vosges] – ce qui sera son premier projet d’expansion dans la région en vingt ans. Les verriers misent également sur les nouvelles technologies de manière à pouvoir changer rapidement de couleur et de moule afin de séduire les brasseries artisanales et les petites marques, rompant ainsi avec la production en grandes séries qui dominait dans l’industrie jusqu’à présent.
Deux tiers des pots en verre utilisés aux États-Unis ne sont pas recyclés
Les verriers rappellent que leurs produits – fabriqués à partir de sable – sont 100 % naturels, réutilisables et recyclables à l’infini. Le verre est l’unique contenant alimentaire de grande diffusion que la Food and Drug Administration [l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux] a estampillé “généralement considéré comme sûr”, ce qui signifie qu’il n’a pas besoin d’une autorisation préalable à la mise sur le marché. Moins perméable que le plastique, il permet de conserver plus longtemps les aliments et les boissons, ajoute Sokhna Gueye, responsable du département plastique et environnement chez Nestlé.
Les beaux discours des verriers sur les vertus de leur matière ne s’en fissurent pas moins par endroits, en particulier aux États-Unis. Le verre casse facilement et pèse lourd, ce qui augmente la consommation de carburant. Les tentatives de revenir aux contenants réutilisables pour la bière, le lait et le soda sont restées embryonnaires. Et, surtout, près des deux tiers des récipients en verre utilisés aux États-Unis ne sont pas recyclés, selon l’Agence américaine de protection de l’environnement.
Le recyclage n’est pas rentable, pointent les centres de tri. Pourquoi ? Parce que la plupart des Américains jettent le verre dans le même bac de recyclage que le papier et le plastique, où il se casse et sera difficile à récupérer. En Europe, où le verre est généralement déposé dans un bac conçu à cet effet et où les systèmes de consigne sont plus courants, plus des trois quarts des emballages en verre sont recyclés, selon la Fédération européenne du verre d’emballage.
Des verriers financent des programmes de collecte
Sans compter que le verre cassé déchire les tapis roulants des centres de tri et coûte plus cher à transporter vers des verreries qui sont situées de plus en plus loin. Aux États-Unis, la chute de la demande de sodas en bouteille s’est traduite par un effondrement du nombre de verreries : - 65 % depuis 1983.
“Longtemps, les gens ont pensé que le verre était recyclé alors qu’en réalité ce n’était pas le cas”, observe Erik Grabowsky, responsable de la gestion des déchets solides au comté d’Arlington, en Virginie, une des régions – de plus en plus nombreuses – qui n’assurent plus la collecte du verre sur les trottoirs. Jugés trop sales par les sociétés de recyclage, les contenants en verre atterrissent depuis belle lurette dans les centres d’enfouissement du comté, ajoute Erik Grabowsky.
Les verriers ont décidé de réagir et tentent d’améliorer les taux de recyclage en soutenant des programmes de collecte différenciée dans les régions qui ne sont pas dotées des infrastructures nécessaires. O-I et CAP Glass, une société de recyclage de Mount Pleasant, en Pennsylvanie, ont ainsi financé des collectes ponctuelles afin que les habitants de Pittsburgh puissent déposer leurs emballages en verre après que la société choisie par la ville pour assurer la collecte des ordures ménagères a décidé qu’elle ne récupérerait plus le verre. Les industriels du verre viennent de créer une fondation visant à améliorer les infrastructures de recyclage.
Les consommateurs en première ligne
L’année dernière, le comté d’Arlington et d’autres comtés de Virginie du Nord ont commencé à disposer des bacs violets réservés au verre. Les élus locaux assurent que le programme est un succès, et une partie du verre collecté est réutilisée par Strategic Materials – numéro un du recyclage du verre aux États-Unis – pour fabriquer de nouvelles bouteilles. Le plus difficile reste de trouver des gros volumes, observent les professionnels.
Malgré les efforts des verriers, la part des nouvelles boissons vendues dans du verre aux États-Unis n’était que de 25 % l’année dernière, contre 37 % en 2015, selon le cabinet d’études Mintel. “On devrait pouvoir tirer parti du désamour pour le plastique à usage unique, mais ça ne va pas être simple”, reconnaît Nipesh Shah, directeur général d’Anchor Glass Container, à Tampa [en Floride]. “La première chose à faire, c’est déjà d’empêcher que les fabricants abandonnent le verre pour le plastique.”
Les verriers espèrent que l’évolution des consommateurs remettra les contenants en verre réutilisables au goût du jour. L’empreinte carbone du verre à usage unique est un repoussoir pour les entreprises comme PepsiCo, affirme son responsable du développement durable, Simon Lowden. Selon une étude de l’International Journal of Life Cycle Assessment, une bouteille en verre de 75 centilitres doit être utilisée trois fois pour que son empreinte carbone égale celle d’une bouteille en plastique d’un demi-litre.
Coca-Cola, Procter & Gamble, Nestlé, PepsiCo et Unilever participent à une expérimentation baptisée “Loop” [“Boucle”] qui consiste à vendre des produits, comme du jus d’orange Tropicana ou de la mayonnaise Hellmann, dans des bouteilles et des pots consignés. Sur les 300 articles concernés par l’expérimentation, plus de la moitié est conditionnée dans du verre. “Le fait de réutiliser une bouteille en verre fait baisser son empreinte carbone, explique Ben Jordan, responsable du développement durable chez Coca-Cola. Quand elle n’est pas réutilisée, c’est l’inverse.”
Saabira Chaudhuri