Trump-Macron, une relation paradoxale, mais visiblement solide, entre deux dirigeants à la fois proches et totalement opposés
Par Sylvie Kauffmann, éditorialiste au "Monde"
Le 24 avril, les Trump recevront les Macron à la Maison Blanche. Dans sa chronique, Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », s’interroge sur la relation privilégiée qu’entretiennent ces deux présidents que tout devrait opposer.
Entre eux, tout a commencé par une poignée de mains dont on a fait grand cas. L’a-t-on surinterprétée, cette poignée de mains virile et, disons-le, un peu ridicule au sommet de l’OTAN, le 25 mai 2017 à Bruxelles ? Peut-être.
Mais lorsque, huit mois plus tard, lors du Forum économique de Davos (Suisse), le journaliste de la télévision helvétique Darius Rochebin évoque devant Emmanuel Macron cette scène « incroyable » avec Donald Trump, cette scène où « vous lui broyez la main, elle devient blanche », le président français ne s’inscrit pas en faux. Il y a même comme une lueur de fierté dans son regard.
A Bruxelles, élu depuis quinze jours, Emmanuel Macron était le petit nouveau dans le cercle des dirigeants de l’Alliance atlantique. Auréolé de sa victoire sur Marine Le Pen, certes, mais junior quand même. L’autre nouveau venu, c’était Donald Trump, porté, lui, à la tête de la première puissance du monde sept mois plus tôt par une vague populiste.
Calculée ou non, cette poignée de mains, finalement, c’était un peu pour Macron une manière de s’affirmer face à un homme qui tétanisait les Européens et qui, à 71 ans, aurait pu être son père. Trump, qui s’y connaît en matière de transgressions, ne lui a pas tenu rigueur de ces jointures écrasées. L’épisode lui rend même « Emmanuel » sympathique : ne sont-ils pas tous deux, à ce moment-là, des animaux politiques atypiques, arrivés au pouvoir dans des circonstances inhabituelles ? Et de fait, ce moment scelle la naissance d’une relation paradoxale, mais visiblement solide, entre deux dirigeants, un Américain et un Français, à la fois proches et totalement opposés.
France First !
Cette relation trouvera sa consécration dans la visite d’Etat que feront Emmanuel et Brigitte Macron à Washington, du 23 au 25 avril, à l’invitation du couple Trump. Dans le communiqué annonçant, lundi 26 février, les dates de la visite, l’Elysée a pris soin de souligner qu’il s’agit là de « la première visite d’Etat d’un dirigeant étranger depuis l’élection de Donald Trump ».
France First ! Cette précision et la fierté qu’elle recèle sont, elles aussi, révélatrices de la proximité inattendue entre un président américain septuagénaire, nationaliste, à droite de la droite, volontiers grossier et fier de ne jamais ouvrir un livre, et un ambitieux président français de 40 ans qui se définit comme progressiste, multilatéraliste, pétri de culture et de valeurs humanistes.
Sur quoi repose, au fond, cette relation ? Dès son arrivée à l’Elysée, explique un haut responsable au fait du dossier, Emmanuel Macron a décidé qu’une bonne relation avec Washington était essentielle ; « il se trouvait que le président des Etats-Unis était Donald Trump ». Qu’importe : il faudra faire avec. Comme il l’expliquera à plusieurs reprises, les Etats-Unis sont un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité collective. A vrai dire, la brève relation Trump-Hollande fut plutôt bonne, mais vu la réputation sulfureuse du nouveau président américain, l’équipe Hollande ne s’en vantait pas. Macron, lui, fait le choix d’assumer. A Bruxelles fin mai, puis au sommet du G7 qui s’enchaîne à Taormine (Italie), le jeune président anglophone met le paquet. « Le G7 s’y prêtait, c’est une réunion très informelle, les chefs d’Etat et de gouvernement passent deux jours ensemble. Le courant est passé », confie la même source.
Puis vient la trouvaille du 14-Juillet, l’invitation au défilé sur les Champs-Elysées, le dîner à la Tour Eiffel, Melania Trump en Dior… Donald Trump, émerveillé, envoie un tweet de remerciements presque délicat, commande le même défilé sur Pennsylvania Avenue. L’affaire est dans le sac. Bluffés de faire impression à si bon compte, les Français jouent le jeu, contrairement aux Britanniques qui s’opposent bruyamment à une visite des Trump.
« Emmanuel, I like him a lot ! »
Entre Theresa May complètement accaparée par le Brexit et Angela Merkel qui ne cache pas son dédain pour le populisme du président américain, Emmanuel Macron s’impose comme l’interlocuteur privilégié de Washington en Europe. « Emmanuel, I like him a lot ! », confie Donald Trump à la chaîne britannique ITV.
« Cette relation, elle est pour moi très forte, affirme le Français à la RTS le 24 janvier. C’est une relation personnelle, qui dépasse les clivages, et j’y suis très attaché. » M. Macron aime mettre en avant cette proximité, voire son influence sur son homologue américain : il raconte ainsi l’avoir fortement encouragé au téléphone à venir à Davos, pour qu’il « se confronte à d’autres idées, qu’il soit dans ce multilatéralisme auquel je tiens ».
Chez les diplomates, on raconte même que les responsables américains raisonnables, ceux que l’on appelle à Washington « les adultes », encouragent leurs interlocuteurs français à favoriser les échanges des deux présidents : « Plus Macron lui parle, mieux c’est », plaident-ils. Quand Trump et Macron sont ensemble, l’adulte, en fait, c’est le plus jeune.
Tout n’est pas rose pour autant. Le président français évoque volontiers « des désaccords ». « Pays de merde », par exemple, avoue-t-il à la BBC, « ce ne sont pas des mots qu’on doit utiliser ». Il n’a pas réussi à convaincre son homologue Américain récalcitrant de réintégrer l’accord de Paris sur le climat et il voit les nuages protectionnistes s’amonceler sur l’horizon commercial. Il ne manquera pas aussi de plaider une dernière fois à Washington pour sauver l’accord iranien sur le nucléaire.
Trump « est parfois imprévisible, reconnaît-il, et quand on est la première puissance du monde, être imprévisible, ça peut insécuriser des gens ». Pas lui ? « Il cherche l’escalade, c’est sa méthode, dit encore Emmanuel Macron à la RTS. Il ne faut pas que ses décisions à court terme viennent entraver nos objectifs communs. C’est là qu’on a des débats. » Entre ces deux-là, il y a, donc, « désaccords » et « débats ». D’une certaine manière, c’est rassurant.