Par Raphaëlle Bacqué, Philippe Bernard, Londres, correspondant, Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen, Gilles Paris, Washington, correspondant, Laure Stephan, Beyrouth, correspondance, Jérôme Gautheret, Rome, correspondant, Charlotte Bozonnet, Isabelle Mandraud, Moscou, correspondante, Thomas Wieder, Berlin, correspondant - Le Monde
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Alors que le président français s’implique fortement sur la scène internationale, son profil particulier, jeune et libéral, continue d’intriguer et de susciter des comparaisons.
Les voyageurs et expatriés en ont tous fait l’expérience : vient toujours un moment où votre interlocuteur, qu’il soit anglais, allemand, algérien ou américain, vous interroge : « Alors, Macron ? » Sa jeunesse séduit, sa femme intrigue, bien sûr, mais il suscite plus que de la simple curiosité : une envie de comparaison. Ainsi, le 6 décembre, la seule déambulation d’un chef d’Etat de 39 ans dans le centre d’Alger a paru presque subversive dans un pays dirigé par des octogénaires. « On ne le connaît pas, mais on est venu car il est jeune », expliquaient avec un sourire trois amies, d’une trentaine d’années, pressées contre les barrières de sécurité. Même en Europe, dont Angela Merkel est le visage dominant depuis dix ans, l’irruption d’un dirigeant de vingt-trois ans son cadet semble comme un signal supplémentaire de son possible affaiblissement. Il est jeune, donc. Bon communicant. Réformateur affiché. Suffisamment plastique pour rassurer, trop neuf aux responsabilités pour décevoir.
« Plus jeune que Kennedy, plus libéral que Blair, plus européen que Schröder », écrivait le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung entre les deux tours de la présidentielle. Dans l’éventail des dirigeants ayant marqué l’Occident, on cherche encore où le situer. « Est-il un nouveau Matteo Renzi ? », s’interrogent les Italiens, c’est-à-dire une chance pour l’Europe, comme l’appellent encore de leurs vœux les réformateurs de la Péninsule, ou l’enfant des élites mondialisés critiqué par la Ligue du Nord et le mouvement populiste 5 Etoiles ?
L’interrogation n’est pas moins forte au Royaume-Uni. « Le pays de la Révolution est redevenu un laboratoire social majeur », s’extasie Adam Plowright, auteur de la première biographie en anglais du président français, The French Exception : Emmanuel Macron – The Extraordinary Rise and Risk (« l’exception française : la percée et les risques extraordinaires d’Emmanuel Macron », Icon Books, non traduit). « La Grande-Bretagne, où les proeuropéens cherchent un sauveur, pourrait-elle produire son propre Macron ? », s’interroge le biographe britannique.
Les travaillistes doivent tirer « la leçon de la victoire d’Emmanuel Macron », confirme Chuka Umunna, figure de l’aile modérée du parti. Pour ce député de 39 ans, « un mouvement alliant recherche des vraies solutions aux problèmes des gens, solide leadership, et refus de céder aux nationalistes et aux racistes est le meilleur moyen de se débarrasser de notre gouvernement conservateur incompétent ». Lors d’un entretien, un député conservateur, figure de proue de la lutte contre le Brexit, confie au Monde son espoir d’une relève de génération chez les tories. Il nous faudrait des trentenaires « à la Macron », glisse-t-il en français. Simon Kuper, chroniqueur au Financial Times, a, lui, la méfiance des chats échaudés. Ce président si sûr de son charme, pense-t-il, a le même côté glaçant que Tony Blair, dont l’éternel sourire masquait un cynisme plus trivial. Cela s’est terminé avec la guerre en Irak, rappelle-t-il, que les Britanniques n’ont jamais pardonnée au séduisant chef du New Labour…
La Commission européenne sous le charme
Qui sait vraiment ce que cache ce charisme juvénile ? Un rival d’Angela Merkel, répondent les Allemands. La chancelière, avec sa solidité sans apprêt, a rencontré son contraire et peut-être son successeur dans le petit cercle des figures marquantes du Vieux Continent. « Aujourd’hui, il continue de fasciner dans les milieux intellectuels, universitaires et journalistiques, mais il commence aussi à pas mal agacer, dans la mesure où ses propositions sur l’Europe obligent l’Allemagne à sortir de son immobilité, analyse Claire Demesmay, responsable du programme franco-allemand à la DGAP, un think tank spécialisé dans l’étude des relations internationales à Berlin. En six mois, celui qui promettait de faire bouger la France est devenu celui qui oblige l’Allemagne à bouger et, vu d’Allemagne, c’est forcément plus dérangeant. » Dans les pourparlers qu’il s’apprête à engager avec les conservateurs de la CDU-CSU en vue de former un nouveau gouvernement en Allemagne, le Parti social-démocrate (SPD) a d’ailleurs décidé de profiter de la sympathie dont jouit M. Macron en Allemagne pour faire pression sur Angela Merkel et l’encourager à enfin répondre aux propositions du président français sur l’Europe. « L’Allemagne ne doit pas rester en retrait plus longtemps », a ainsi tweeté Martin Schulz, le président du SPD, le 6 décembre.
Cette rivalité potentielle n’a pas échappé aux Britanniques. « Le règne d’Angela Merkel touche à sa fin, alors qu’Emmanuel Macron est en pleine ascension. Ses réformes favorables à l’économie de marché sont en cours et ses grands plans pour l’Union européenne [UE] plaisent aux dirigeants européens. S’il réussit, la France pourrait remplacer l’Allemagne comme puissance dominante, et un Français pourrait redevenir roi de l’Europe », résume une vidéo louangeuse du Telegraph, inattendue de la part d’un quotidien britannique ultraconservateur et europhobe.
Bruxelles ne pouvait donc pas résister à ce jeune président faisant jouer, le soir même de son élection, l’Hymne à la joie de Beethoven, symbole musical de l’Europe. La commission Juncker est tombée sous le charme d’un dirigeant qui, pour la première fois depuis des années, plaçait l’Europe et ses institutions au cœur de son programme de réformes. L’UE l’a accueilli avec d’autant plus d’enthousiasme qu’elle a désespérément besoin d’un leader pour incarner un projet communautaire menacé par les populistes.
« MAKE OUR PLANET GREAT AGAIN », LE TWEET DE MACRON DÉTOURNANT LE SLOGAN DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN POUR RÉPONDRE À SA DÉCISION DE RETIRER LES ETATS-UNIS DE L’ACCORD SUR LE CLIMAT, S’ÉTAIT DÉJÀ TAILLÉ UN CERTAIN SUCCÈS AUPRÈS DES ANTI-TRUMP
Cela faisait bien longtemps qu’un dirigeant français n’avait suscité un tel intérêt. François Hollande avait été quasi ignoré à l’étranger. Hormis pendant l’épisode de sa séparation d’avec Valérie Trierweiler, il n’avait pas accroché la lumière. Les débuts de Nicolas Sarkozy, en 2007, avaient été regardés avec une curiosité bienveillante et son activisme avait suscité de l’intérêt. Mais son impopularité grandissante en France avait vite douché les jugements favorables hors des frontières.
Avec le leader d’En marche !, c’est autre chose… L’ambassade de France à Washington est formelle : à l’exception de la chaîne conservatrice Fox News, tous les grands networks américains ont déposé des demandes d’entretien, alors qu’aucune visite n’est prévue pour l’instant aux Etats-Unis. Emmanuel Macron s’est pourtant déjà exprimé (en anglais) sur CNN en septembre, puis dans les colonnes du magazine Time en novembre. Mais si, en Europe, on l’imagine en nouveau Renzi, en rival de Merkel ou en clone de Blair, il passe, dans certains milieux américains, pour l’antithèse de Donald Trump. « Make our planet great again », son tweet détournant le slogan du président américain pour répondre à sa décision de retirer les Etats-Unis de l’accord sur le climat, s’était déjà taillé un certain succès auprès des anti-Trump.
Début décembre, une table ronde consacrée à la présidence française à la Brookings Institution, think tank plutôt proche des démocrates, a fait le plein. « Les Américains qui s’intéressent aux affaires du monde mettent en Emmanuel Macron ce qui leur tient à cœur. Les libéraux [au sens anglo-saxon] attachés au multilatéralisme qui constituent l’élite washingtonienne le considèrent comme l’opposé de Donald Trump. Les conservateurs sont attentifs à sa volonté de réformer une France jugée paralysée », détaille Célia Belin, actuellement rattachée à ce cercle de réflexion de Washington.
« Besoin d’un pays modérateur »
En Russie, où l’on cultive avec soin la nostalgie de De Gaulle ou de Chirac pour avoir su dire « non » aux Etats-Unis, aucun président français n’a pu réellement s’accorder avec Vladimir Poutine. Emmanuel Macron n’a cependant pas encore entamé son crédit. « Poutine est prêt à l’accepter comme interlocuteur numéro un ; c’est du moins l’objectif qu’il a affiché lors de leur rencontre à Versailles, observe le politologue Andreï Kolesnikov, car Macron est au même niveau : il a montré sa force, mais cela ne veut pas dire que leur coopération sera couronnée de succès. La relation est en train de se créer et, à ce stade, cela peut durer encore longtemps. » Le rôle du président français au sein de l’Europe, sa volonté de bousculer quelques dogmes – « le plan Perestroïka de Macron pour l’Union européenne », a écrit le quotidien Nezavissimaïa Gazeta – sont suivis avec autant d’intérêt que de scepticisme. « Macron veut surtout être populaire, suspecte le vice-président de la Douma, Piotr Tolstoï. Il cherche à être en phase avec son opinion publique qui ne comprend rien à la Russie. »
Depuis leur première rencontre, le 29 mai à Versailles, au cours de laquelle le Français avait fort bien accueilli son aîné Vladimir Poutine tout en lui assénant quelques vérités, notamment sur les médias russes pro-pouvoir, les deux dirigeants, il est vrai, n’ont guère été en contact. Leur dernier échange téléphonique remonte au 2 novembre. « A la demande de la partie française », Vladimir Poutine avait alors informé son homologue des résultats de sa visite en Iran. Les relations franco-russes sont aujourd’hui très dépendantes de la situation au Proche-Orient, en particulier en Syrie. Or, c’est justement sur ce dossier que le dialogue avec François Hollande s’était dégradé.
« IL SERA DIT UN JOUR QUE [LE PRÉSIDENT FRANÇAIS] A JOUÉ UN RÔLE HISTORIQUE »
SAAD HARIRI, PREMIER MINISTRE LIBANAIS
La médiation du président français au Liban a été observée avec attention. Le 4 novembre, Riyad avait forcé le premier ministre libanais, Saad Hariri, à démissionner, croyant ainsi contrer le Hezbollah, allié de Téhéran, et endiguer l’influence iranienne au pays du Cèdre. Beyrouth avait plongé dans la peur d’un nouveau conflit. En conviant Hariri à Paris, le 18 novembre, Macron a obligé les Etats-Unis à réagir tout en apaisant la tension.
« Il sera dit un jour que [le président français] a joué un rôle historique », a affirmé Saad Hariri à Paris Match. « La France fait son retour dans la région par la porte libanaise », considère Michel de Chadarevian, un proche du président libanais Michel Aoun. Avant la présidentielle, les prises de position d’Emmanuel Macron sur la région, spécialement sur la Syrie, étaient tâtonnantes. Désormais, on observe avec soin ses déclarations sur Bachar Al-Assad, qui compte alliés et ennemis au Liban. « La politique américaine au Proche-Orient est erratique. On a besoin d’un pays modérateur, comme la France, qui reste en même temps ferme sur certains principes », estime Ayman Mehanna, défenseur de la liberté d’expression. Il avait conseillé ponctuellement l’équipe Macron durant la campagne.
En Afrique, où les relations avec la France sont si ambivalentes depuis cinquante ans, Emmanuel Macron s’est plutôt bien sorti de ses voyages au Burkina Faso et en Algérie. La France a accepté de donner à ce pays une copie des archives coloniales et annoncé son intention de restituer les crânes de résistants algériens conservés au Musée de l’homme, à Paris, une décision très attendue en Algérie, sans rien céder sur sa politique restrictive des visas. « J’ai été apostrophé ce matin par trop de jeunes qui me demandaient des visas. Mais le visa, ce n’est pas un projet de vie », a affirmé Emmanuel Macron, en faisant mine d’ignorer le chômage, le système éducatif défaillant, l’atmosphère de fin de règne qui entravent l’ambition de la jeunesse dans ce pays. Comme si la philosophie très macronienne du « quand on veut, on peut » n’avait pas de frontière.