Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance - Le Monde
Les deux pays se sont mis d’accord sur la tenue d’un sommet, une première depuis plus de dix ans. Pyongyang a promis de suspendre ses essais nucléaires et de missiles pendant le dialogue.
Une première depuis plus de dix ans. La Corée du Sud et la Corée du Nord se sont mises d’accord sur la tenue d’un sommet entre les deux pays. Celui-ci aura lieu à la fin du mois d’avril, a annoncé, mardi 6 mars, Chung Eui-yong, le conseiller à la sécurité nationale du président sud-coréen, Moon Jae-in, qui était en visite à Pyongyang avec une délégation de haut rang de dix personnes. Les deux pays ont également décidé d’ouvrir une ligne de communication d’urgence entre leurs dirigeants.
Le sommet aura lieu dans le village de Panmunjom, au milieu de la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare la Corée du Nord de la Corée du Sud. Il sera précédé d’une conversation téléphonique entre Kim Jong-un et Moon Jae-in.
La Corée du Nord a promis de suspendre ses essais nucléaires et de missiles pendant la durée du dialogue, a fait savoir le conseiller. Il a ajouté que la Corée du Nord avait exprimé la volonté de se dénucléariser à condition que sa sécurité soit garantie.
La délégation sud-coréenne, envoyée pour deux jours à Pyongyang, est revenue mardi en Corée du Sud, avant de s’envoler pour Washington pour un débriefing avec l’administration Trump. La Corée du Sud poursuit ainsi sa délicate entremise entre la Corée du Nord et les Etats-Unis malgré une défiance exacerbée.
Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a salué mardi des « progrès possibles dans les discussions avec la Corée du Nord ». « Pour la première fois depuis des années, un effort sérieux est fait par toutes les parties concernées. Le monde regarde et attend ! », a-t-il ajouté dans un tweet à la tonalité plutôt positive. « Peut-être de faux espoirs, mais les Etats-Unis sont prêts à s’engager pleinement quelle que soit la direction retenue ! »
Rapprochements depuis les JO
Cette visite était la première d’une délégation sud-coréenne en République populaire démocratique de Corée (RPDC, nom officiel de la Corée du Nord) depuis la fin, en 2007, de la politique dite du « rayon de soleil » de rapprochement intercoréen. « La Corée du Nord semble avoir attaché de l’importance à la venue de nos envoyés spéciaux », s’est félicité le ministère de l’unification sud-coréen.
Les dix membres de la délégation, dont Chung Eui-yong et Suh Hoon, le directeur du NIS, les services de renseignement, avaient été conviés à un dîner, lundi 5 mars, avec Kim Jong-un. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir du dirigeant, en décembre 2011, des officiels sud-coréens ont pu s’entretenir avec lui.
Organisé au siège du Parti du travail, au pouvoir en RPDC, ce repas a également réuni, côté nord-coréen, Ri Sol-ju, l’épouse de Kim Jong-un, Kim Yo-jong, sa sœur, et Kim Yong-chol, le responsable des relations avec le Sud. « [Il] s’est déroulé dans une atmosphère chaleureuse, animée de sentiments confraternels », s’est félicitée l’agence de presse officielle nord-coréenne, KCNA.
Selon KCNA, Kim Jong-un a « discuté en profondeur des moyens d’apaiser les vives tensions dans la péninsule coréenne et d’engager un dialogue par de multiples voies, d’établir des contacts, une coopération et des échanges ».
Cette visite répondait à celle de Kim Yo-jong en Corée du Sud pour l’ouverture des JO de Pyeongchang, le 9 février. A cette occasion, Kim Yo-jong, qui est aussi chargée des activités du dirigeant nord-coréen et siège au bureau politique du Parti du travail, avait remis une invitation à se rendre dans le Nord à Moon Jae-in.
La délégation sud-coréenne était également porteuse d’une lettre de Moon Jae-in pour Kim Jong-un. Le dirigeant aurait déclaré, pendant le dîner, que les JO avaient contribué à créer une atmosphère de réconciliation, d’unité et de dialogue intercoréens.
Dynamique d’apaisement
La question du sommet avec Moon Jae-in a été abordée et les échanges à ce sujet ont été jugés « satisfaisants » par Pyongyang. Le 17 février, Moon Jae-in, soucieux de ménager un allié américain pour lequel « toutes les options sont sur la table » face à la Corée du Nord, avait toutefois estimé qu’il était « trop tôt » pour une telle rencontre. Il privilégie les avancées « vers un consensus sur la nécessité du dialogue entre les Etats-Unis et la Corée du Nord ».
De fait, Séoul veut maintenir la dynamique d’apaisement après une phase de tensions qui a atteint son paroxysme en 2017, année marquée par quatre essais de missiles balistiques intercontinentaux et un essai nucléaire par Pyongyang, tandis que le président américain, Donald Trump, répondait par des invectives sur Twitter à la propagande nord-coréenne. « Les Etats-Unis devraient réduire leurs exigences et la Corée du Nord devrait exprimer sa volonté de dénucléariser », déclarait Moon Jae-in, le 26 février, devant le vice-premier ministre chinois, Liu Yandong.
Séoul doit désormais convaincre Washington de répondre à l’offre de dialogue formulée par Pyongyang, notamment lors de la venue, le 25 février, de Kim Yong-chol à la cérémonie de clôture des JO. Les Etats-Unis restent sceptiques sur la volonté d’ouverture de Pyongyang. L’administration Trump dit vouloir éviter ce qu’elle considère comme les erreurs des administrations précédentes, qui ont alterné dialogue et sanctions, sans empêcher Pyongyang de se doter d’un arsenal nucléaire.
« Politique hostile »
Pour elle, l’ouverture d’un dialogue passe par un engagement nord-coréen à discuter de la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Les Américains veulent également maintenir la pression « maximale » imposée à la RPDC, même pendant d’éventuelles discussions.
La Corée du Nord, pour qui le nucléaire est non négociable, car perçu comme la garantie de sa survie, rejette tous pourparlers sous conditions. Elle veut traiter comme puissance nucléaire, d’égal à égal, et élargir les discussions à ce qu’elle qualifie de « politique hostile » des Etats-Unis, dont l’organisation par l’armée américaine de manœuvres annuelles avec la Corée du Sud. La RPDC les considère comme une menace directe contre elle. Ces exercices devaient coïncider en 2018 avec les JO, mais ils ont été reportés, à la demande de Séoul, permettant l’accalmie. La question de leur reprise est aujourd’hui posée.