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Jours tranquilles à Paris
2 janvier 2019

Au premier trimestre 2019, trois réformes à hauts risques

Par Cécile Chambraud, Sarah Belouezzane, Benoît Floc'h - Le Monde

L’exécutif se penchera sur l’assurance-chômage, la réforme de l’Etat et la révision de la loi de 1905.

La réforme des institutions, abandonnée en juillet, a été repoussée après le grand débat lancé par le gouvernement pour répondre à la crise des « gilets jaunes ». Quant à la réforme des retraites, elle n’interviendra qu’au lendemain des européennes de mai 2019. Au premier trimestre de l’année qui s’ouvre, le gouvernement se concentrera sur trois chantiers délicats : l’assurance chômage, la réforme de l’Etat et le toilettage de la loi de 1905.

L’assurance chômage, des pistes explosives

Point central du programme social d’Emmanuel Macron, la réforme de l’assurance chômage a été officiellement lancée en novembre. Au menu : indemnisation des indépendants et des démissionnaires et mise en place d’un bonus-malus sur les cotisations patronales pour les entreprises qui abusent des contrats courts. Dans son document de cadrage, le gouvernement a également demandé de nouvelles économies drastiques aux syndicats et au patronat : 3 à 3,9 milliards d’euros sur trois ans.

Ce faisant, l’exécutif a ouvert un nouveau front avec des syndicats qui se sentaient déjà mal aimés par le pouvoir. Ils l’ont dit et répété : hors de question pour eux de rogner les indemnités des chômeurs pour trouver l’argent demandé. Quant au patronat, il est hostile à une hausse des cotisations sur les contrats courts, préférant une baisse des indemnités pour les cadres ou encore une diminution des droits de retraite engrangés par les demandeurs d’emploi.

Des pistes jugées explosives. Lancées en novembre, les discussions se sont révélées plus compliquées que prévu. Mais, crise des « gilets jaunes » oblige, le gouvernement a consenti à desserrer l’étau en ajoutant deux séances supplémentaires de négociation aux partenaires sociaux. Car sans accord, c’est le ministère du travail qui reprendrait la main, au risque de remettre une pièce dans la machine de la contestation sociale.

La réforme de l’Etat, « la mère des batailles »

Ceux qui travaillent sur le vaste chantier de la réforme de l’Etat ont poussé un « ouf » de soulagement après le discours d’Emmanuel Macron, le 10 décembre. « Vous avez entendu le président de la République : la réforme de l’Etat est à l’agenda », confiait l’un d’eux le lendemain. Pour le chef de l’Etat, ce tentaculaire processus de changement est « la mère des batailles ». « C’est un enjeu fondamental pour agir plus vite et obtenir plus rapidement des résultats concrets », poursuit la même source.

La réforme de la fonction publique devrait déboucher, sans doute en février, sur un projet de loi. Les principales dispositions sont connues. Il s’agit de rénover les instances de dialogue social en en supprimant certaines. Le gouvernement souhaite également recourir plus largement au contrat dans le recrutement des fonctionnaires et développer la rémunération de ceux-ci au mérite. Enfin, des plans de départ volontaire seront proposés à ceux qui veulent partir, notamment les hauts fonctionnaires sans poste.

Il sera aussi question de réformer les grands corps (Cour des comptes, inspection générale des finances, Conseil d’Etat). Mais la réforme de l’Etat, ce sera aussi une nouvelle organisation territoriale : le gouvernement souhaite clarifier les compétences, chasser les doublons, tout en rendant l’Etat plus présent sur le terrain. Les hauts cadres de l’Etat devraient aussi bénéficier de davantage d’autonomie. Le tout en tenant la promesse de campagne de réduire le nombre de fonctionnaires de 120 000 et de baisser la dépense publique.

Réformer la loi de 1905, pour prévenir les dérives

Le chef de l’Etat est attendu sur la retouche des lois qui encadrent l’exercice des cultes, singulièrement la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. C’est la voie que semble avoir choisie le président pour répondre aux attentes concernant la régulation du culte musulman. Un texte en préparation vise à pousser les acteurs de ce culte à se couler dans le régime associatif établi par la loi de 1905, alors que la très grande majorité d’entre eux ont choisi le régime de la loi de 1901 sur la liberté d’association, moins contraignant mais qui ne donne pas droit aux mêmes avantages fiscaux.

Les contrôles seraient renforcés pour améliorer la transparence des associations qui gèrent des mosquées, s’assurer qu’elles respectent les impératifs de l’ordre public, clarifier leur gouvernance et vérifier l’innocuité d’éventuels financements étrangers. Le texte devrait rapprocher les exigences imposées aux associations « loi 1901 » qui gèrent un lieu de culte de celles relevant de la loi de 1905 pour créer un socle d’obligations communes. A l’avenir, toutes les associations loi de 1901 à objet cultuel seraient tenues de publier leurs comptes annuels, comme leurs homologues de la loi de 1905. Elles devraient aussi faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes, même lorsqu’elles perçoivent moins de 153 000 euros de dons (seuil actuellement en vigueur).

Les deux types d’associations devraient être tenues de déclarer les dons provenant de l’étranger. Les associations « loi de 1905 » devront faire renouveler tous les cinq ans, auprès de la préfecture, leur agrément comme association cultuelle. Les appels à la haine formulés dans un lieu de culte pourraient être réprimés plus sévèrement.

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2 janvier 2019

Emmanuel Macron déterminé à reprendre le fil de son quinquennat

Par Cédric Pietralunga - Le Monde

Dix-neuf mois après son élection et alors qu’il vient de vivre six semaines de violente contestation, le président est apparu offensif lors de ses vœux, lundi.

« Je suis au travail (…) déterminé à mener tous les combats. » Dix-neuf mois après son élection et alors qu’il vient de vivre six semaines de violente contestation, Emmanuel Macron est apparu offensif lors de ses vœux aux Français, retransmis lundi 31 décembre et suivis par plus de 11 millions de téléspectateurs. Comme un symbole, c’est debout et sans pupitre que le chef de l’Etat a d’ailleurs prononcé son discours, enregistré dans le salon d’angle de l’Elysée, là où se trouve son bureau.

Loin des paroles de contrition de sa précédente allocution, diffusée le 10 décembre et destinée à calmer la contestation des « gilets jaunes », Emmanuel Macron s’est montré cette fois déterminé à reprendre le fil de son quinquennat, perdu ces dernières semaines sur les ronds-points de l’Hexagone. Plus question de laisser croire que l’action du chef de l’Etat serait entravée par les manifestations et les blocages. Le président n’a d’ailleurs pas prononcé une seule fois le mot de « gilets jaunes » lors des dix-sept minutes de son intervention, comme s’il voulait montrer que l’épisode est derrière lui.

Alors que des violences ont encore émaillé certaines de leurs actions lors de « l’acte VII » du mouvement, samedi 29 décembre, M. Macron a assuré que « l’ordre républicain sera assuré sans complaisance ». Dans une allusion transparente aux leaders de la contestation, l’hôte de l’Elysée a fustigé les « porte-voix d’une foule haineuse » qui s’en prendraient, selon lui, « aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels » sous prétexte de « parler au nom du peuple ».

« Nous ne vivons libres dans notre pays que parce que des générations qui ont précédé se sont battues pour ne subir ni le despotisme, ni aucune tyrannie. Et cette liberté, elle requiert un ordre républicain, elle exige le respect de chacun et de toutes les opinions », a déclaré le chef de l’Etat, en référence aux dérapages commis par certains lors de manifestations ou sur les réseaux sociaux. « J’ai vu ces derniers temps des choses impensables et entendu des choses inacceptables », a-t-il ajouté. A ceux qui réclament sa démission, il a aussi rappelé que si « le peuple est souverain », il « s’exprime lors des élections » et non pas dans la rue.

« Aucun renoncement »

Bien sûr, M. Macron a reconnu qu’il existait une « colère » dans le pays, « contre les injustices, contre le cours d’une mondialisation parfois incompréhensible » ou « contre un système administratif devenu trop complexe et manquant de bienveillance ». Il a également dénoncé le « capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns », et reconnu qu’il fallait « remettre l’homme au cœur » de l’action de l’exécutif. « Nous devons faire mieux », a-t-il aussi concédé, expliquant qu’il allait écrire aux Français dans les prochains jours afin de préciser les contours du grand « débat national » promis pour répondre à la crise et qui doit débuter mi-janvier.

Mais rien à voir avec le mea culpa de ses précédentes prises de parole, lors desquelles l’ancien ministre avait concédé avoir pu « blesser certains » par ses déclarations, comme celle sur le « pognon de dingue » que coûteraient les aides sociales, ou s’était excusé d’avoir donné le sentiment que la « colère » exprimée par les « gilets jaunes » « n’était pas [s] on souci ».

Après avoir renoncé ces dernières semaines à certaines des mesures adoptées depuis le début de son mandat, comme la hausse de la taxe carbone au 1er janvier ou celle de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros par mois, Emmanuel Macron s’est engagé à poursuivre les réformes promises durant sa campagne électorale. « L’impatience que je partage ne saurait justifier aucun renoncement », a-t-il expliqué.

Comme il s’y était engagé lors de sa campagne, le chef de l’Etat a listé ses chantiers à venir, indiquant qu’il allait « changer en profondeur les règles d’indemnisation du chômage, afin d’inciter davantage à reprendre le travail, l’organisation du service public, pour le rendre plus efficace, et notre système de retraite, pour le rendre plus juste ». Le prochain conseil des ministres, prévu vendredi 4 janvier, devrait donner un premier aperçu de l’agenda de l’exécutif sur ces sujets. Mais déjà, le gouvernement a publié au Journal officiel, dimanche 30 décembre, un décret durcissant les sanctions pour les chômeurs qui manqueraient à leurs obligations.

Le scrutin européen

Après avoir dû concéder le 10 décembre plus de 10 milliards d’euros de mesures en faveur du pouvoir d’achat, M. Macron a aussi laissé entendre que cette prodigalité n’était pas amenée à se renouveler. « Il serait dangereux que notre situation nous conduise à ignorer le monde qui nous entoure », a-t-il justifié, alors qu’une partie de la majorité mais aussi du gouvernement s’inquiète de voir le déficit public de nouveau déraper. « Nous dépensons pour le fonctionnement et en investissement pour notre sphère publique plus que la moitié de ce que nous produisons chaque année », a-t-il rappelé.

Signe de cette volonté de se projeter rapidement dans l’après- « gilets jaunes », Emmanuel Macron a enfin évoqué le scrutin européen du 26 mai, qui s’annonce pourtant difficile pour lui. « Je crois très profondément dans cette Europe qui peut mieux protéger les peuples et nous redonner espoir », a-t-il déclaré, assurant qu’il allait proposer « dans les prochaines semaines (…) un projet européen renouvelé ».

Malgré les difficultés, le chef de l’Etat ne semble d’ailleurs pas décidé à changer de stratégie pour cette élection, dont plusieurs de ses adversaires veulent faire un référendum anti-Macron. Comme ses proches le répètent depuis des mois, c’est l’électorat conservateur que La République en marche va tenter de séduire. Dans ses vœux, Emmanuel Macron a ainsi utilisé plusieurs formules destinées à sonner doux à leurs oreilles. « On ne peut pas travailler moins et gagner plus, baisser nos impôts et accroître nos dépenses », a-t-il notamment déclaré. Il a aussi loué le « sens de l’effort et du travail ».

Les leaders de l’opposition ne s’y sont pas trompés et ont très vite attaqué le chef de l’Etat. La porte-parole des Républicains Laurence Sailliet a critiqué mardi sur Europe 1 un président toujours « totalement dans le déni ». Sur Twitter, Marine Le Pen a fustigé « un pyromane » et « un imposteur ». Dans un message de vœux, la présidente du Rassemblement national a aussi salué la « mobilisation fraternelle » des « gilets jaunes ». Le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a, lui, dénoncé sur Twitter « un rideau de fumée » créé par un « lunaire donneur de leçons » et a exhorté le chef de l’Etat au « partage des richesses ».

Reste à savoir si cette détermination mâtinée d’empathie suffira, d’ici au prochain scrutin européen, à redresser la courbe de popularité du chef de l’Etat, qui atteint un étiage inédit. Selon le baromètre Harris interactive publié lundi 31 décembre, les Français ne sont plus que 31 % à faire confiance au président, un chiffre jamais atteint depuis le début de son quinquennat. Et six Français sur dix n’ont pas jugé Emmanuel Macron convaincant lors de ses vœux, selon un sondage réalisé par OpinionWay après l’allocution et publié mardi.

31 décembre 2018

La crise sociale oblige Emmanuel Macron à se réinventer

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Par Françoise Fressoz - Le Monde

Victime de la verticalité qu’il a érigée en système, le chef de l’Etat ne se relèvera pas indemne de l’épisode des « gilets jaunes ». S’il nie tout tournant, il va pourtant devoir changer de cap.

Un tournant ? Que nenni. Comme tous ses prédécesseurs confrontés à une grosse secousse au cours de leur quinquennat, Emmanuel Macron n’assume en rien l’idée qu’il lui faudrait radicalement changer non seulement de méthode, mais aussi de cap après le mouvement des « gilets jaunes ». Pas plus que Nicolas Sarkozy, après la crise financière de 2008, ou François Hollande, après sa conversion à la politique de l’offre, le président de la République ne veut apparaître en porte à faux avec la promesse de sa campagne.

Il entend toujours transformer le pays en rompant avec le « vieux monde » et en refondant le modèle social avec l’aide de la société civile. « Il n’y a pas de tournant, mais un changement de méthode », a assuré le premier ministre, Edouard Philippe, dans un entretien aux Echos, le 18 décembre. Une antienne répétée à loisir par le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

Dans le discours, tout est fait pour entretenir l’idée que les 10 milliards d’euros de mesures mises sur la table le 10 décembre pour éteindre l’incendie ne sont pas le énième duplicata des opérations de redistribution engagées depuis 1968 par les gouvernements aux abois. La hausse de la prime d’activité et la défiscalisation des heures supplémentaires traduiraient la valorisation du travail voulue par le candidat Macron ; la politique de l’offre ne serait pas fondamentalement remise en cause. Tout serait en cohérence avec les fondamentaux du macronisme. Tout, sauf le recul sur la CSG et le déficit budgétaire, que le gouvernement tente de dégonfler en le présentant comme temporaire. A quelques contorsions près, l’honneur est sauf.

Triple rapport de force

La tactique de l’exécutif est compréhensible : dans les sondages d’opinion, Emmanuel Macron est tombé très bas. Seule résiste une poignée de fidèles : 20 % à 25 % qui lui ont fait confiance lors du premier tour de la présidentielle. Les perdre par un changement de discours ou de ligne et c’en serait fini. Emmanuel Macron fait le même calcul que Nicolas Sarkozy : il préserve son socle, coûte que coûte, en espérant l’élargir plus tard. Mais, en réalité, il n’est plus sûr de rien. Privé de garde-fou, victime de la verticalité qu’il a érigée en système, il est devenu tributaire d’un triple rapport de force qui, aujourd’hui, ne lui est guère favorable.

Le premier, c’est celui que va tenter de lui imposer le « peuple », à travers le débat citoyen, qui va commencer à la mi-janvier, pour s’achever deux mois plus tard. Deux mois durant lesquels la plupart des réformes risquent d’être gelées pour ne pas compromettre l’exercice. L’idée de mouvement inhérente au macronisme est donc menacée. Plus fondamentalement, les tensions apparues entre l’Elysée et la commission nationale du débat public, à propos de l’organisation des débats, montrent à quel point l’enjeu est perçu comme menaçant par le chef de l’Etat.

« Le grand débat ne devra pas détricoter les décisions prises depuis dix-huit mois », a averti Benjamin Griveaux, tandis que le gouvernement lance en pâture le référendum d’initiative citoyenne comme une réponse à la crise démocratique sur laquelle avait surfé le candidat Macron. A tout prendre, cet aspect institutionnel apparaît moins risqué à traiter que le volet fiscal et économique de la révolte, qui a déjà déconstruit les fondamentaux du macronisme. La fiscalité écologique, qui scellait l’alliance Macron-Hulot, a été mise à bas. Et la redistribution, qui ne faisait pas partie des priorités présidentielles, est en train de détrôner le concept d’émancipation que promouvait le candidat Macron.

La rapidité et la facilité avec lesquelles les syndicats de policiers ont obtenu jeudi 21 décembre la promesse d’une revalorisation salariale (120 euros à 150 euros net supplémentaires par mois d’ici un an), assortie d’un calendrier de négociation pour le paiement des heures supplémentaires (21,8 millions d’heures), illustre l’état du rapport de force avec les corps intermédiaires. Les syndicats tiennent leur revanche : ils vont enfin être écoutés, notamment dans les secteurs où leurs revendications apparaissent légitimes. Personne ne peut contester que les policiers, qui sont sur les dents depuis plusieurs mois, à cause du mouvement des « gilets jaunes », mais aussi du terrorisme, ont droit au rattrapage salarial.

Mais alors que dire des personnels hospitaliers, en tension depuis des années, ou encore des enseignants, bien moins rémunérés que leurs voisins européens ? « La différence entre décembre 2017 et décembre 2018, c’est que la France croit un peu plus au Père Noël », constate l’économiste Jean Pisani-Ferry. Du coup, chacun va chercher à remplir sa hotte du mieux qu’il peut, en profitant du fait que le président se trouve dans l’incapacité d’émettre un discours unificateur.

Dernière de la classe

Cette nouvelle donne n’a évidemment pas échappé au reste de l’Europe, où se joue le troisième rapport de force. A peine élu, Emmanuel Macron avait mis en scène la rupture avec ses prédécesseurs : lui réduirait le déficit et entreprendrait les réformes structurelles pour jouer main dans la main avec l’Allemagne et « refonder » l’Europe. Las. Dix-huit mois plus tard, c’est l’échec. Empêtrée dans ses problèmes internes, l’Allemagne n’a pas répondu aux avances et Macron s’est mis dans les pas de ses prédécesseurs : à son tour, il fait le choix du déficit, au point que la France sera, en 2019, la dernière de la classe.

Comme si le mouvement des « gilets jaunes » avait ramené le président aux fondamentaux français : un pays éminemment singulier, farouchement attaché à l’égalité, mais toujours enkysté dans le chômage de masse. Avec le ralentissement de la croissance, Emmanuel Macron a aujourd’hui très peu de chances de ramener le taux de chômage de 9 % à 7 % d’ici à la fin de son mandat, comme il l’avait promis. Du coup, il s’expose au même risque que François Hollande, ce qui serait un comble. La crise l’oblige à se réinventer.

31 décembre 2018

Affaire Benalla - saison 2 : L’ex-conseiller a eu des échanges réguliers avec Macron

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Dans un entretien publié sur Mediapart dans la nuit de dimanche à lundi, Alexandre Benalla assure avoir échangé régulièrement des messages avec Emmanuel Macron, notamment sur les gilets jaunes.

Alexandre Benalla a affirmé dimanche à Mediapart avoir continué à échanger régulièrement avec Emmanuel Macron, via la messagerie Telegram, depuis son licenciement de l’Élysée, précisant avoir conservé la preuve de ces échanges sur son téléphone portable. La présidence avait assuré ne plus entretenir aucun contact avec l’ancien chargé de mission depuis son licenciement cet été après sa mise en cause pour des violences le 1er mai.

« Ça va être très dur de le démentir parce que tous ces échanges sont sur mon téléphone portable », déclare M. Benalla dans cet entretien mis en ligne dans la nuit de dimanche à lundi. « Nous échangeons sur des thématiques diverses. C’est souvent sur le mode "comment tu vois les choses ?". Cela peut aussi bien concerner les gilets jaunes, des considérations sur untel ou sur untel ou sur des questions de sécurité », des échanges du type qu’il avait déjà avec le chef de l’État quand il était son homme de confiance à l’Élysée. Il ajoute échanger aussi de manière régulière avec d’autres membres de la présidence, comme il l’avait déjà affirmé ces derniers jours dans un courrier adressé à l’Élysée.

« Lien coupé » depuis l’affaire des passeports diplomatiques

Ces échanges ont eu lieu jusqu’aux récentes révélations de Mediapart sur son utilisation d’un passeport diplomatique pour des voyages d’affaires en Afrique. « Là, le lien est coupé », selon lui. Après ces révélations, le ministère des Affaires étrangères a saisi le procureur de la République qui a ouvert une enquête pour « usage sans droit » de passeports diplomatiques. Alexandre Benalla, qui a récemment effectué plusieurs voyages en Afrique et rencontré des dirigeants, affirme aussi avoir toujours rendu compte au président ou à son entourage de ses faits et gestes.

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Passeports diplomatiques. La nouvelle affaire Benalla

« J’explique que j’ai vu telle personne, je détaille les propos qui m’ont été rapportés et de quelle nature ils sont. Après, ils en font ce qu’ils veulent. Y compris le président de la République, qui est informé en direct », dit-il. L’Élysée avait insisté mardi sur le fait que M. Benalla n’était « pas un émissaire officiel ou officieux » de la présidence. « Je suis un élément extérieur qui veut du bien au mec (Emmanuel Macron) qui lui a fait confiance ».

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« On continue à me solliciter, alors je continue à répondre »

« J’aurais pu claquer la porte et passer à autre chose. Mais on continue à me solliciter, alors je continue à répondre ». « Cela dérange un certain nombre de personnes, qui sont puissantes et qui font comme si le président était sous curatelle. Ils lui font faire des conneries phénoménales », accuse l’ex-chargé de mission.

Passeports de Benalla. Le parquet de Paris ouvre une enquête

Il raconte enfin que début octobre, une personne de l’Élysée lui a rendu des effets personnels et ses passeports diplomatiques dans une rue près du Palais avec pour seule consigne : « Tu ne fais pas de bêtises avec ». « Si on ne veut pas que j’utilise ces passeports, il n’y a qu’à les désactiver et les inscrire à des fichiers », plaide-t-il, précisant les avoir utilisés pour entrer dans « une dizaine de pays » depuis l’automne. « Quand vous voyagez à l’étranger avec un passeport diplomatique, l’ambassade de France est au courant que vous arrivez », assure-t-il. L’Élysée et le Quai d’Orsay ont affirmé n’avoir pas été informés de l’utilisation de ces passeports et avoir réclamé à Alexandre Benalla leur restitution. Le Télégramme

31 décembre 2018

Le blues des diplomates du Quai d’Orsay

Par Marc Semo

Volontariste et européen, Emmanuel Macron a suscité de grandes attentes auprès des diplomates français, avant d’être rattrapé par la réalité d’un monde où la France est une puissance fragile. Au ministère des affaires étrangères, on s’interroge : la France se donne-t-elle les moyens de ses prétentions sur la scène internationale ?

En cette journée du 11 novembre 2018, pour la commémoration du centenaire de l’Armistice, Paris semblait être la capitale diplomatique de la planète. La plupart des chefs d’Etat ou de gouvernement dont les pays furent impliqués dans la première guerre mondiale étaient là : le président américain, Donald Trump, comme son homologue russe, Vladimir Poutine, la chancelière allemande, Angela Merkel, et les autres dirigeants européens, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et bon nombre de leaders du Proche-Orient. « L’histoire retiendra une image, celle de 80 dirigeants réunis sous l’Arc de triomphe, mais ce qui est incertain est de savoir comment elle sera interprétée dans l’avenir : le symbole d’une paix durable entre les nations ou bien le dernier moment d’unité avant que le monde ne sombre dans un nouveau désordre », lançait avec gravité le président français.

Infatigable héraut d’un multilatéralisme refondé et Européen convaincu, Emmanuel Macron n’avait cessé de répéter depuis son élection : « France is back ». Ces cérémonies en étaient la consécration. Un sans-faute, sinon un petit couac protocolaire avec la relégation hors de la principale tribune d’honneur du président serbe Aleksandar Vucic, représentant le pays qui, proportionnellement à sa population, paya le prix le plus fort lors du conflit. Le succès de ces célébrations montre que la France reste une puissance diplomatique majeure. « C’est malheureusement en bonne part une illusion, comme cent ans plus tôt celle d’une France victorieuse et première puissance militaire mondiale », soupire un haut fonctionnaire du ministère des affaires étrangères.

« IL Y A UN FOSSÉ CROISSANT ENTRE LES PRÉTENTIONS DES AUTORITÉS FRANÇAISES À UNE DIPLOMATIE UNIVERSELLE ET LES MOYENS TOUJOURS PLUS INSUFFISANTS QU’ELLES SONT PRÊTES À METTRE EN ŒUVRE », RELÈVE CHRISTIAN LEQUESNE, PROFESSEUR À SCIENCES PO PARIS

Le Quai d’Orsay a du vague à l’âme. « Ce blues est profond car, après les débuts en fanfare d’Emmanuel Macron sur la scène internationale, le retour aux réalités et à ce que représente la puissance réelle de la France a été beaucoup plus rapide que prévu », note Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), rappelant en outre « la mise sous tension, faute de moyens, d’un appareil diplomatique qui se sent en sous-effectifs avec des équipes fragilisées ». Certes, le malaise des diplomates est une vieille lune. « Il a commencé avec l’invention du téléphone et de l’avion, qui ont enlevé une bonne partie de l’autonomie d’action dont disposaient jadis des ambassadeurs », ironise un ancien ministre des affaires étrangères. Mais il devient encore plus évident.

« Il y a un fossé croissant entre les prétentions des autorités françaises à une diplomatie universelle et les moyens toujours plus insuffisants qu’elles sont prêtes à mettre en œuvre », relève Christian Lequesne, professeur à Sciences Po Paris, auteur d’Ethnographie du Quai d’Orsay (CNRS éditions, 2017). La grogne se nourrit des restrictions constantes sur les moyens alors même que le budget du Quai représente à peine 1,03 % de celui de l’Etat. Sur trente ans, cette administration a perdu 53 % de ses effectifs, dont un tiers ces dix dernières années. Ils s’élèvent aujourd’hui à quelque 13 500 emplois à temps plein. « Depuis des années, les diplomates ont le sentiment d’être de plus en plus marginalisés par des élites politiques qui estiment que l’on peut s’adapter sans eux à la globalisation et avoir une grande politique étrangère avec un service diplomatique toujours plus faible », analyse Michel Duclos, ancien diplomate, aujourd’hui conseiller spécial à l’Institut Montaigne.

Le cas Philippe Besson

Dans ce monde feutré, pas de bronca, ni de mouvements publics de ras-le-bol. Les frustrations accumulées expliquent néanmoins l’ampleur de l’indignation suscitée au sein du ministère par la nomination de l’écrivain Philippe Besson, proche d’Emmanuel Macron, comme consul général à Los Angeles. Nommer des personnalités venant d’autres horizons était une pratique institutionnalisée depuis 1985 pour certains postes d’ambassadeurs, mais pas pour les consuls généraux. En plus de leur fonction d’influence et de leur travail économique et politique, ces derniers ont à remplir des tâches très techniques, d’autant que la France assure à ses ressortissants à l’étranger des services sans équivalents avec ceux des autres grands pays européens.

Mais l’auteur d’Un personnage de roman (Julliard, 2017), récit hagiographique de la campagne victorieuse du chef des marcheurs, tenait absolument à la métropole californienne. Un décret fut passé et publié au Journal officiel le 4 août pour ouvrir notamment vingt-deux postes de consul général à ces nominations extérieures. Il fut perçu comme un insupportable fait du prince et un acte de mépris vis-à-vis du personnel. Les syndicats ont déposé un recours auprès du Conseil d’Etat afin d’en obtenir l’annulation. Quelle qu’en soit l’issue, l’épisode laissera des traces, même s’il y a une part de corporatisme dans ces réactions alors que nombre de diplomates restent en attente des postes de responsabilité auxquels ils pourraient prétendre…

Le « blues » des diplomates pourrait sembler paradoxal. Héritage de sa grandeur passée et des pratiques d’une Ve République qui a fait de la politique étrangère le domaine réservé du chef de l’Etat, la France tient à garder son rang. Après les Etats-Unis, elle dispose du réseau le plus étendu au monde avec 163 ambassades. Elle se veut toujours être une grande puissance ou, à tout le moins, une « puissance médiatrice ». Sur la scène mondiale, la France compte en effet bien au-delà de ce que justifierait son poids de sixième économie mondiale, sa démographie et sa puissance militaire, malgré les capacités de projection d’une armée engagée aussi bien dans le Sahel qu’au Levant.

Une fois le Brexit devenu effectif, la France sera le seul Etat membre de l’Union européenne doté de l’arme nucléaire et le seul à disposer d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. De temps à autres, un personnage politique européen, comme en novembre le vice-chancelier et ministre allemand des finances, le social-démocrate Olaf Scholz, propose que le siège soit donné à l’Union européenne. C’est juridiquement impossible, car seuls les Etats siègent à l’ONU, et politiquement hasardeux, car l’UE n’a aucune véritable politique étrangère commune. Aux atouts français s’ajoute l’aura d’une langue qui, boom démographique de l’Afrique aidant, pourrait devenir au milieu du siècle la troisième, voire la seconde, la plus parlée sur la planète.

« JE CRAINS UN PRÉSIDENT CONDAMNÉ À L’IMMOBILISME, RÉDUIT À FAIRE DE BRILLANTS DISCOURS SANS RÉELS EFFETS, COMME BARACK OBAMA, OU À UNE AGITATION FRÉNÉTIQUE MAIS PEU CONCLUANTE, COMME NICOLAS SARKOZY », RÉSUME UN DIPLOMATE

« Les diplomates ont beaucoup attendu d’Emmanuel Macron, espérant qu’il allait rétablir l’image de la France, ce qu’il a fait en partie. Ils lui en savent gré mais il y a aussi de la déception car après ce démarrage réussi, le chef de l’Etat n’est pas parvenu à engranger de véritables succès diplomatiques et les baisses budgétaires se poursuivent », explique Michel Duclos. Face à une Angela Merkel toujours plus affaiblie et une Theresa May engluée dans le Brexit, le jeune président français s’affirmait naturellement comme la figure de proue d’une Europe qu’il veut leader du monde libre à la place d’une administration Trump toujours plus isolationniste, erratique et imprévisible.

Sa stratégie reposait sur un triple pari : mener les réformes pour rétablir la crédibilité vis-à-vis de l’Allemagne et relancer ainsi le moteur franco-allemand, puis refonder le projet européen. Cette équation s’est fracassée sur la révolte des « gilets jaunes ». En quelques samedis noirs, le fringuant président français est devenu aux yeux de la plupart de ses partenaires européens, et notamment à Berlin, un dirigeant guère différent de ses deux prédécesseurs, mettant entre parenthèses, sous la pression de la rue, les réformes nécessaires, dont celle d’un modèle social que la France n’a plus les moyens de financer depuis longtemps.

« Je crains un président condamné à l’immobilisme, réduit à faire de brillants discours sans réels effets, comme Barack Obama, ou à une agitation frénétique mais peu concluante, comme Nicolas Sarkozy », résume, amer, un diplomate en poste dans un grand pays occidental. Comme nombre de ses collègues, il est surpris de la rapidité du retour de bâton en termes d’image avec une France de nouveau perçue comme « irréformable ».

Les diplomates se sentent « mal défendus »

La période est difficile. « Indéniablement, la diplomatie vit une crise (…). Un principe de base qui est de respecter sa parole et sa signature est ouvertement remis en cause ; un second principe qui est de s’accorder sur les faits pour arriver à trouver un compromis n’est plus respecté parce que les faits sont manipulés, niés, refusés », affirmait le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans une interview au Monde le 24 septembre. « C’est une crise avant tout de moyens, pas de métier, car il n’a jamais été aussi nécessaire : le rôle du diplomate est de sentir une situation, analyser les tensions, capter l’altérité », assène un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay. « Le contraste entre la hausse des crédits militaires et la baisse des crédits diplomatiques pose un problème de cohérence à l’action extérieure de l’Etat, pouvant donner l’impression que celui-ci privilégie une approche militaire et ponctuelle des crises, au détriment d’une approche plus diplomatique reposant sur une présence continue », renchérit Thomas Gomart, de l’IFRI.

Les diplomates se sentent mal défendus. La popularité en interne d’un ministre des affaires étrangères dépend de trois critères : sa proximité avec le président, son empathie avec les diplomates et ses capacités à préserver les crédits. Dans un passé récent, seuls Hubert Védrine et Alain Juppé ont rempli les trois cases. « Nous sommes victimes des clichés, Bercy nous voit comme des mondains dépensiers », regrette un cadre du ministère, rappelant que « tout roule en général quand un ministre ou un président arrive en visite et qu’ils n’imaginent pas tout le travail fait en amont pour que tout se passe bien ». Lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, le président de la République, conscient de l’état d’esprit du Quai, avait tenu à rendre un hommage appuyé au travail des diplomates. « Vous l’avez compris, j’attends beaucoup de vous », avait-il notamment lancé, les appelant à avoir une « culture du résultat ». C’est déjà le cas. Enormément sollicités et généralement efficaces, les diplomates ont pourtant le sentiment de ne pas être reconnus.

Enarque passé par Bercy puis par la banque Rothschild, le président français n’avait a priori guère d’expérience en politique étrangère quand il s’est installé à l’Elysée. Il a rattrapé le temps perdu et son ignorance relative fut plutôt un atout. Emmanuel Macron n’était pas prisonnier de vieux schémas ni du différend qui a parcouru la diplomatie française pendant des années, entre « gaullo-mitterrandiens » d’un côté, favorables à une voix plus autonome de la France, et « occidentalistes » de l’autre.

Dès la campagne électorale, Jean-Yves Le Drian, alors tout puissant ministre de la défense du quinquennat Hollande, depuis nommé aux affaires étrangères, lui apporta ses réseaux en Afrique comme au Proche-Orient. Les deux hommes ont en outre des priorités en commun. « La sécurité des Français est la raison d’être de notre diplomatie », rappelle volontiers le président. Du Le Drian dans le texte. Ce dernier a su néanmoins rester à sa place. « Il est le Couve de Murville d’Emmanuel Macron », résume un de ses proches, évoquant la figure du très efficace mais très discret patron de la diplomatie gaullienne. Nombre de diplomates auraient préféré un ministre plus flamboyant comme lui-même l’était à la défense sous le précédent quinquennat.

DIRIGÉE PAR PHILIPPE ETIENNE, UN DIPLOMATE ÉPROUVÉ, BRILLANT MAIS GUÈRE COMMUNICANT, LA CELLULE DIPLOMATIQUE D’EMMANUEL MACRON EST À LA FOIS PLUS RESSERRÉE ET PLUS JEUNE QUE PAR LE PASSÉ

François Hollande laissait une grande autonomie d’action aussi bien à son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, notamment sur sa gestion du Quai et sur le dossier sur le nucléaire iranien, qu’à son ministre de la défense, qui se comportait en ministre bis des affaires étrangères sur ses propres dossiers. « C’était une situation atypique et nous revenons à ce qui est la norme sous la Ve République, mais cela passe mal au sein du ministère », souligne un haut fonctionnaire.

Beaucoup de diplomates ont l’impression de retrouver l’époque Sarkozy avec ses initiatives lancées d’en haut, souvent improvisées, sans aucune concertation en interne, parfois payées de succès mais n’aboutissant souvent à pas grand-chose. « La volonté de centralisation est très forte, notamment sur la communication, ce qui est logique alors même que la diplomatie publique prend aujourd’hui de plus en plus d’importance », observe Christian Lequesne, de Sciences Po. L’Elysée de son côté relit systématiquement les interviews du ministre.

Sous la Ve République, la cellule diplomatique de l’Elysée joue un rôle crucial. Les grandes initiatives publiques ou les « off » qui font sens viennent toujours du « château ». C’était vrai à l’époque de Nicolas Sarkozy, cela l’est plus encore aujourd’hui. Jean-David Levitte, son patron à l’époque et poids lourd de la diplomatie française, était de fait le véritable ministre des affaires étrangères. Il en allait de même pour Paul Jean-Ortiz puis Jacques Audibert, qui l’ont animée successivement pendant les années Hollande, avec à leurs côtés des équipes solides.

Dirigée par Philippe Etienne, un diplomate éprouvé, brillant mais guère communicant, la cellule diplomatique d’Emmanuel Macron est à la fois beaucoup plus resserrée et beaucoup plus jeune. « Ils n’ont pas beaucoup d’expérience, doivent couvrir des secteurs beaucoup trop vastes, et souvent ils ne savent pas clairement ce qu’ils veulent », déplore un diplomate. Ses collègues en poste, qui à l’occasion de la préparation de tel ou tel voyage officiel ont traité avec l’Elysée, se montrent encore plus durs.

Au Quai aussi, la « technostructure » voit les différences avec les méthodes précédentes et s’adapte comme elle peut aux demandes de l’Elysée. « Souvent au préjudice du travail bien fait et parfois de la rationalité », constate un diplomate.

Les relations des diplomates ne sont jamais simples avec le chef de l’Etat, qui selon la Constitution de la Ve République définit la politique étrangère française, ni avec le ministre des affaires étrangères chargé de la mise en œuvre de celle-ci. Elles le sont moins que jamais sous ce quinquennat avec un président omniprésent, qui veut laisser sa marque en politique étrangère, décide de tout et n’aime guère que d’autres prennent trop la lumière. « Avec la crise des “gilets jaunes”, Emmanuel Macron a d’autres priorités, et la politique étrangère française semble entre parenthèses, car il n’y a quasiment plus de parole présidentielle », pointe un diplomate européen.

Sur le retrait des Américains de Syrie comme une dizaine de jours plus tôt lors de la crise entre Kiev et Moscou sur le détroit de Kertch, la diplomatie publique tricolore fait profil bas ou réagit tardivement. C’est ainsi au tout dernier moment, après des heures de confusion, que le président a annulé son déplacement à Biarritz devant les ambassadeurs étrangers afin de présenter les priorités de la présidence française du G7 en 2019. Jean-Yves Le Drian fut chargé de représenter le chef de l’Etat. L’impact n’est pas le même.

Dissensions sur le dossier syrien

Dès les premiers jours de son quinquennat, Emmanuel Macron tint à imposer sa marque. Malgré le scepticisme des diplomates en charge du dossier, il poussa ainsi pour organiser, dès juillet 2017, à La Celle-Saint-Cloud, une conférence sur la Libye, y intégrant le maréchal Haftar, l’homme fort de l’est, jusque-là boudé par les Occidentaux mais jugé de longue date incontournable par Jean-Yves Le Drian. Un demi-succès : les dissensions furent encore plus évidentes sur le dossier syrien.

Peu après son installation à l’Elysée, Emmanuel Macron déclarait ne plus vouloir faire du retrait du pouvoir de Bachar Al-Assad une précondition pour un processus de négociations. Puis peu à peu, face à l’évidence de la politique du régime, le chef de l’Etat revint aux fondamentaux : il rappelait ainsi que le dictateur syrien devrait répondre de ses crimes même s’il revient à son peuple de décider de son destin.

Mais l’été dernier encore, l’annonce par l’Elysée d’une opération humanitaire conjointe avec les Russes dans la Ghouta, aux portes de Damas, fit grincer bien des dents au sein de la direction Afrique du Nord - Moyen-Orient. « Fallait-il vraiment, en collaborant avec une aviation russe responsable de milliers de bombardements indiscriminés contre la population syrienne, compromettre une partie de l’autorité morale dont la France disposait encore dans la région ? », s’interroge un ancien ambassadeur.

Malgré ses efforts, la France est restée marginale dans le dossier syrien. Sur les autres grandes questions internationales et européennes, l’effet Macron semble s’essouffler. La relation personnelle surjouée avec Donald Trump n’a pas donné les résultats escomptés. La main tendue à Vladimir Poutine non plus. Pour le moment, il n’y a pas encore de vrais succès, même s’il est encore trop tôt pour dresser un bilan. Le doute est là néanmoins après l’enthousiasme du début. Un diplomate qui fut un fervent « macronien » confie : « Le risque aujourd’hui est de voir le “en même temps”, y compris en politique étrangère, devenir un n’importe quoi. »

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29 décembre 2018

Affaire Benalla - saison 2 : L’Elysée de nouveau dans la tourmente après une offensive d’Alexandre Benalla

benalla macron

L’ex-collaborateur d’Emmanuel Macron a affirmé maintenir des liens avec la présidence depuis son licenciement. L’opposition a immédiatement demandé « la vérité » sur cette nouvelle affaire.

La crise qui couvait depuis le début de la semaine après les révélations sur les activités en Afrique d’Alexandre Benalla a explosé vendredi 28 décembre avec la confrontation entre l’Elysée et l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron, qui a dit maintenir des liens avec la présidence depuis son licenciement cet été.

L’opposition a immédiatement demandé « la vérité » sur cette nouvelle affaire Benalla embarrassante pour le chef de l’Etat, déjà sous pression de la crise des « gilets jaunes », qui doit exprimer lundi ses vœux au pays.

Deux questions au cœur de la nouvelle polémique : pourquoi l’ex-chargé de mission dispose toujours de passeports diplomatiques et les a-t-il utilisés pour des voyages d’affaires auprès de dirigeants africains ?

L’Elysée plaide l’ignorance

L’entourage de M. Benalla, joint par l’Agence France-Presse (AFP), a refusé de commenter les informations de Mediapart et du Monde, selon lesquelles il continue de voyager avec un passeport diplomatique émis le 24 mai, après sa mise à pied liée à des violences lors de manifestations du 1er-Mai. Il a été « utilisé ces dernières semaines pour entrer dans différents pays africains ainsi qu’en Israël », selon Mediapart qui cite « des sources sécuritaires ».

La présidence a dû se fendre d’un communiqué, plaidant l’ignorance : elle dit ne disposer « d’aucune information remontée par les services de l’Etat concernés sur l’utilisation par M. Benalla des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués dans le cadre exclusif de ses fonctions à la présidence de la République ».

Contre-attaquant, M. Benalla a assuré au Journal du Dimanche que ces documents lui avaient été restitués « par la présidence » – « début octobre », a précisé son entourage à l’AFP.

M. Benalla avait affirmé, sous serment devant la Commission d’enquête du Sénat le 19 septembre, avoir laissé ce document dans son bureau de l’Elysée. Il a également souligné entretenir des « relations » et des « échanges réguliers » avec « certains membres de la présidence », dans une lettre adressée au cabinet d’Emmanuel Macron, dont l’AFP a obtenu copie.

« S’expliquer sur d’éventuelles missions »

M. Benalla reproche à Patrick Strzoda, directeur du cabinet du chef de l’Etat à qui la missive est adressée, de ne pas lui avoir « transmis directement [ses] interrogations » au lieu de « les porter sur la place publique » : « au regard des relations que j’entretiens avec certains membres de la présidence, et des échanges réguliers que j’ai avec eux », souligne-t-il.

M. Strzoda l’avait sommé de s’expliquer sur « d’éventuelles missions personnelles et privées » menées « comme consultant » alors qu’il était « en fonction à l’Elysée ». Il lui répond qu’il n’avait « jamais effectué de missions personnelles et privées » durant ses fonctions auprès de la présidence et n’avoir « a fortiori jamais reçu directement ni indirectement de rémunérations en résultant ». En outre dans ses activités actuelles, il ne s’est « jamais prévalu d’une quelconque recommandation ou appui de la présidence de la République dans le cadre de [s] es nouvelles activités, et le prétendre serait purement mensonger » et « diffamatoire », affirme-t-il.

L’Elysée a repoussé sur le Quai d’Orsay, disant avoir, dès son renvoi pour motif disciplinaire en juillet, « demandé aux administrations compétentes » de récupérer les passeports. Le ministère des affaires étrangères a annoncé dans la foulée l’intention de Jean-Yves Le Drian de saisir le parquet, « sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale » qui enjoint tout représentant des autorités de le faire s’il a connaissance d’un crime ou d’un délit.

Le ministère affirme avoir réclamé en juillet, puis en septembre la restitution des deux documents. Le signalement auprès du procureur de la République était en cours d’analyse vendredi soir, a indiqué à l’AFP une source judiciaire.

La colère de l’opposition

Le flou gouvernemental a provoqué la colère de l’opposition : des Républicains (LR) à La France insoumise (LFI), elle demande en chœur « la vérité » à l’Elysée et à Emmanuel Macron. « M. Benalla n’est pas un agent autonome. Qui peut croire cette fable ? », a lancé Gilles Platret, un porte-parole de LR sur RTL, qui souhaite que la « justice soit saisie ».

La présidente du Rassemblement nationale (RN), Marine Le Pen, a tweeté : « Les affaires Benalla ne révèlent pas simplement un dysfonctionnement, mais une dénaturation de notre République. Emmanuel Macron aura abîmé tant en si peu de temps. »

Des protestations se font entendre jusque dans la majorité : « Nouveau mensonge et faute de Benalla qui aurait dû rendre son passeport diplomatique, mais aussi faute de l’Etat de ne pas avoir exigé que cela soit promptement fait », a tweeté le député La République en marche (LRM) de Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin : « Oui, il faudra que la justice s’occupe de ce nouvel épisode et détermine les responsabilités de ces manquements. »

« Ce qu’il s’est passé depuis le 1er mai jusqu’à maintenant est inadmissible », a abondé le député MoDem des Yvelines, Bruno Millienne, sur LCI.

« Faiblesse » ou « complaisance »

Au Sénat, dominé par l’opposition de droite, la Commission d’enquête qui a entendu Alexandre Benalla sur les conditions dans lesquelles il a participé à une interpellation musclée le 1er mai, va examiner « tous les éléments parus dans les médias ces jours-ci et relèvera toute contradiction entre ces informations et les éléments recueillis sous serment pendant ces auditions », a déclaré jeudi une source proche de la commission à l’AFP.

L’un des vice-présidents de la Commission, Alain Marc (Les Indépendants), s’est interrogé auprès de l’Agence France-Presse : les passeports non-rendus « traduisent soit la faiblesse de l’exécutif, soit une complaisance pour M. Benalla : en sait-il trop sur d’autres affaires ? »

Les nouvelles révélations semblent confirmer que « [Alexandre] Benalla était dans un rôle de conseiller spécial du président, qui ouvre des portes grâce à son entregent », avance un autre membre de la Commission.

28 décembre 2018

BILAN : 2018 ou l'échec cinglant d’un homme

macron

Qu’on le prenne d’un côté ou d’un autre, le bilan politique de l’année 2018 renvoie d’abord à l’échec d’un homme, Emmanuel Macron, quand 42% des Français lui faisaient toujours confiance en janvier, mais que 18% seulement le soutiennent encore en décembre.

Avec Christophe Boutin 

Certes, tous les Chefs de l’État récents, les Chirac, Sarkozy ou Hollande ont connu de telles baisses de leurs cotes de confiance dans leur première année de mandat, ce qui effectivement peut relativiser les choses. Mais on notera que les causes de ces effondrements successifs étaient sans doute différentes. Jacques Chirac, élu rappelons-le contre Jean-Marie Le Pen au second tour de 2002, se refusa lors de son second mandat à mener la politique de droite qu’attendaient ses électeurs après la phase de cohabitation avec Lionel Jospin, le « raffarinisme » de la première année étant tout sauf gaulliste. Nicolas Sarkozy Sarkozy trahit lui aussi un électorat très à droite qu’il avait séduit avec des formules choc, en pratiquant l’ouverture à gauche comme en excluant certaines questions des réformes prévues. Et François Hollande, engoncé dans sa « normalité », mena une politique fiscale trop à droite qui lui valut – entre autres – le mouvement des « bonnets rouges », et une politique « sociétale » trop à gauche qui conduisit à la Manif pour tous.

On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Emmanuel Macron, mais, d’une part, contrairement à certains de ses prédécesseurs, il a choisi d’engager des réformes, et, d’autre part, celles-ci correspondent assez largement à ses engagements de campagne – en n’oubliant toutefois pas que ces derniers étaient formulés en termes assez subtils, autour du fameux « et en même temps », pour permettre à de nombreux Français de s’y retrouver dans un même flou. D’où vient alors cette dégringolade de 2018 ?

La première explication tient dans l’erreur faite par les Français sur le « remplacement » qu’il était censé incarner et la déception qui en résulta. Après l’élection par défaut de Chirac pour éviter Le Pen, ou de Hollande par lassitude de Sarkozy, l’élection de 2017 a été le moment de l’expression d’une vague de « dégagisme » qui traduisait une hostilité de fond aux hommes politiques en place, auxquels les Français reprochaient de ne pas oser se saisir des problèmes qui les concernaient et de se comporter en oligarques. Ils voulaient « que cela change », et pour cela (re ?) trouver chez le titulaire du pouvoir suprême un dynamisme que n’arrivait pas à incarner François Hollande. Il fallait tout à la fois restaurer une certaine verticalité, ou, au moins, une certaine dignité du pouvoir, tout en renouant le dialogue entre ce pouvoir et les citoyens. Bref il fallait un pouvoir fort au service de la nation.

Emmanuel Macron a su incarner cela, et le faire même avec assez de talent pour que sa cote de popularité résiste plus longtemps que celle de ses prédécesseurs. Favorisant ce relatif « état de grâce », la presse n’avait alors pas de mots assez forts pour nous vanter le jeune chef et son équipe de « premiers de cordée ». Et puis… et puis l’affaire Benalla. Et de manière très surprenante, sur laquelle il faudra un jour se pencher, cette même presse qui, non seulement, laisse passer l’information, mais la crée, l’amplifie, et se retourne contre l’homme qu’elle encensait la veille. Car Emmanuel Macron a ici beaucoup plus été trahi en 2018 par ceux-là même qui avaient contribué à son arrivée au pouvoir en 2017 que mis à bas par ses ennemis politiques.

Viennent alors les erreurs majeures du Chef de l’État et de son entourage en termes de communication de crise, des erreurs qui vont changer, de manière peut-être irrémédiable, la perception qu’avaient les Français de l’homme. Sa confiance en soi devient de l’arrogance, sa hauteur de la suffisance, sa distance du mépris, et cette autorité dont les Français souhaitaient la restauration semble soudain moins légitime.

À partir de là, c’est un château de cartes qui s’écroule, car si le mode de gouvernement d’Emmanuel Macron pouvait être cohérent dans une phase offensive de réformisme, il ne l’était pas dans une phase défensive. Le Président dirige en effet la France avec une équipe réduite de conseillers placés à l’Élysée, jeunes, brillants, mais peu enclins à composer avec ceux qui osent mettre en doute la nécessité de leurs décisions, et la bulle médiatique qui a entouré - et partiellement permis - son arrivée au pouvoir a enfermé l’acteur-né et les siens dans une impression de toute-puissance qui les conduit à accumuler les erreurs. Le système macronien repose essentiellement sur la confiance en un homme, et lorsque celle-ci n’existe plus – et c’est ce qui est apparu avec l’affaire Benalla -, quand la perception qu’ont les Français de la personnalité du Président change, il faut impérativement tenter de restaurer son image. Mais avec quoi ? Le problème est qu’il n’y a rien autour, ni soutiens importants, ni « fusibles » politiques.

Le Premier ministre n’est ainsi que l’exécutant zélé de la politique décidée par le Chef de l’État, quand ses ministres sont pris en étau entre le contrôle des conseillers de l’Élysée et les freins des hauts fonctionnaires. Les élus de La République En Marche ensuite, ce parti qui n’est jamais que le parti du Président, censés exprimer la richesse de la société civile et remplacer des politiques déconnectés des réalités, sont apparus eux aussi comme terriblement éloignés des préoccupations de leurs concitoyens et tenus par une stricte discipline de vote. Dans les deux cas, gouvernement et assemblée, le bon côté de la disparition de certains hiérarques locaux, ces tout - et trop - puissants barons, cette absence voulue de contrepoids à la volonté absolue du titulaire de la fonction présidentielle et de ses affidés, se paye par l’impossibilité de trouver des appuis convaincants… ou de pouvoir désigner d’autres coupables que l’hôte de l’Élysée.

La disparition des corps intermédiaires a elle renforcé l’isolement du pouvoir au risque de le rendre autiste. Certes, Emmanuel Macron n’est pas responsable du discrédit qui a frappé les partis politiques, les syndicats et les collectivités locales – on oubliera les usines à gaz inopérantes comme le CESE -, en grande partie détruits par leurs propres dérives. Il a même bénéficié de ce discrédit, on l’a dit, en surfant en 2017 sur la vague du  « dégagisme ». Mais il s’est bien gardé de tenter de les restaurer, quand c’étaient autant de moyens de prendre le pouls de la société et que leur absence le laissait nu face aux attaques. Quant aux médias, quand bien même se seraient–ils rendus compte qu’ils étaient allés trop loin en déboulonnant la statue du Commandeur que le mal était fait.

Et de fait, il est apparu crûment que, de ces temps nouveaux qu’ils annonçaient début 2018, il ne restait rien à la fin de l’année. Emmanuel Macron allait définir, nous disait-on, un nouveau rapport de forces avec les USA de Donald Trump, le voilà ridiculisé à Washington et à Paris. Il portait un nouveau multilatéralisme international, ses coups de poings rageurs à la tribune de l’ONU n’ont suscité aucun élan. Il allait repenser l’Europe, il se montre seulement servile envers une Allemagne dont la chancelière, en fin de vie politique, le soutient comme la corde le pendu. Il allait redonner un nouvel élan à l’économie française, il se contente de brader les « bijoux de famille » pour continuer d’emprunter, sans vraiment se poser la question des gouffres financiers sans fond. Il allait enfin renouer le dialogue avec ses concitoyens… et c’est le mouvement des « Gilets jaunes ».

Car c’est en effet dans cette société déçue que ressurgit, à la fin de l’année 2018, cette question essentielle du consentement à l’impôt qui va amener des centaines de milliers de Français à manifester à partir de la mi-novembre. Des Français qui, pour beaucoup, travaillent, qui comprennent parfaitement qu’ils doivent nécessairement payer un impôt pour bénéficier des protections sociales (retraite, sécurité sociale…) dont ils veulent le maintien, mais qui estiment que l’impôt est devenu inéquitable dans notre pays. Inéquitable pour ces contribuables pressurés qui ne font partie ni de ceux, sociétés ou individus, qui peuvent échapper à l’impôt par l’évasion et l’optimisation, ni de ceux qui n’en payent pas et bénéficient amplement des aides générées par ces mêmes impôts.

Au-delà, en cette fin d’année 2018, certains Français croient comprendre qu’Emmanuel Macron ne représenterait finalement qu’une nouvelle forme, plus performante que les précédentes en même temps que plus radicale, d’un pouvoir oligarchique qui entend bien continuer de transformer de fond en comble les bases mêmes de nos sociétés, ses bases économiques, institutionnelles ou anthropologiques. Des bouleversements qu’ils perçoivent comme dangereux et auxquels ils entendent bien s’opposer.

Mais comment ? On a évoqué l’atonie des corps intermédiaires. L’année 2018 est aussi celle de l’échec d’une partie de l’opposition politique. Lorsque, après un mois de crise violente, le chef revendiqué d’une partie de l’opposition, Laurent Wauquiez, est considéré dans les sondages comme ayant moins bien géré la crise que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, tout est dit ou presque. Le parti des Républicains, bateau ivre, oscille depuis 2017 – si ce n’est avant - au gré des tensions internes et des pusillanimités de ses chefs. Très logiquement, 2018 aura donc aussi été l’année où le Rassemblement national s’est remis de l’échec de Marine Le Pen aux présidentielles, et où Debout La France de Dupont-Aignan a presque doublé son capital électoral, quand, à gauche, La France Insoumise s’est affirmée à la Chambre comme une des principales forces d’opposition.

Pensant renouer les liens avec la nation lors de son « itinérance mémorielle » destinée à commémorer la fin des combats de la Grande Guerre, Emmanuel Macron, même s’il a alors eu plusieurs confrontations directes avec les citoyens, n’a pas mesuré l’ampleur de la vague qui arrivait. Mélangeant les messages, trop occupé à ne pas vexer l’Allemagne et à utiliser le moment comme une plateforme vers les élections européennes de 2019, avec comme rhétorique simpliste : « le nationalisme c’est la guerre, l’Europe c’est la paix », il a perdu son ultime chance de désamorcer le conflit. Un conflit avec une frange de la population qui, lassée, déçue, s’est affranchie des médiations en engageant une action directe sur le terrain.

Quelles sont donc les leçons politiques de cette année 2018 ? Que pour un pouvoir rien ne peut se faire sans légitimité. On sait que Max Weber en distinguait trois, les légitimités traditionnelle, charismatique, et légale, et il faut constater qu’aucune d’entre elles ne s’applique plus au pouvoir politique en France. La première d’abord, qui traduit un conservatisme certain, ne saurait être invoquée par un pouvoir qui détruit avec rage les fondamentaux et les structures de la société qui lui précédait. La seconde a pu être construite autour de la personnalité d’Emmanuel Macron, mais les limites de l’acteur sont apparues quand son impression de toute-puissance l’a conduit à accumuler les erreurs de communication. Peut-elle être restaurée ? La question est posée pour 2019.

Reste la légitimité légale, mais sur ce point la réponse des « Gilets jaunes » est claire : la loi ne peut selon eux être uniquement faite par les élus, et l’on doit mettre en place parallèlement des procédures de consultation populaire, les référendums, des consultations qui doivent avoir comme source potentielle, parmi d’autres, une demande exprimée parles citoyens. Il ne s’agit pas ici d’en terminer avec la démocratie représentative, mais de tempérer celle-ci par des éléments de démocratie directe, autant pour éviter certaines dérives que pour pouvoir débattre en France de questions qui, sinon, ne sont jamais évoquées par les titulaires du pouvoir. Bref, sa seule légalité n’implique pas, ou plus, aux yeux de nos concitoyens, la légitimité de la norme invoquée par le pouvoir.

On le voit, l’année 2018 nous renvoie ainsi, au-delà de l’anecdotique question de savoir qui est vraiment Emmanuel Macron et pourquoi il choisit de mener telle ou telle politique, ou qui, à droite ou à gauche, aurait vocation à le remplacer, à des interrogations essentielles sur le fondement et le devenir de nos démocraties, des interrogations que nous partageons d’ailleurs avec de nombreux autres peuples, en Europe ou aux USA, et qui pourraient bien avoir des impacts importants, tant sur les politiques à mener que sur la manière de les décider. 2018 année charnière ? Peut-être.

marianne

28 décembre 2018

Aux Champs-Elysées, splendeurs et misères d’Emmanuel Macron

Par Ariane Chemin - Le Monde

L’ostentatoire avenue parisienne s’est transformée en rendez-vous des « gilets jaunes ». Un retour de bâton pour le président qui y a régulièrement mis en scène son pouvoir « jupitérien ».

Raide comme un lancier dans son command car, Emmanuel Macron remonte les Champs-Elysées. Il a posé sa main sur l’arceau du véhicule militaire. Derrière lui, le Louvre et sa Pyramide, point de départ de la fameuse « voie royale », perspective esquissée au XVIIe siècle par le jardinier Le Nôtre, qui file désormais sans obstacles jusqu’au quartier d’affaires de la Défense. Un sourire pincé assouplit légèrement les lèvres du héros. Regard martial, maxillaires saillants, il faut clore la séquence du « président normal ». Représenter les Français, mais d’abord incarner la France.

À chaque président, son mini-coup d’Etat dans des protocoles trop huilés. Ce dimanche 14 mai 2017, la passation des pouvoirs s’est déroulée selon le rituel constitutionnel : tapis rouge, garde républicaine, tête-à-tête avec François Hollande, visite du PC Jupiter, ce bunker réservé au commandement militaire. Emmanuel Macron est devenu à 39 ans le 25e président de la République française.

Mais, au moment de quitter l’Elysée pour gagner la place de l’Etoile et raviver la flamme du tombeau du Soldat inconnu, surprise : ce n’est pas la traditionnelle Citroën qui patiente devant la grille du Coq, sortie la plus discrète du Palais. Emmanuel Macron n’a pas fait son service militaire mais raffole de l’uniforme. Sa griffe, ce sera ce VLRA (véhicule léger de reconnaissance et d’appui) en « livrée camouflage ».

CE JOUR-LÀ, LES CHAMPS-ÉLYSÉES S’IMPOSENT COMME LA SCÈNE POLITIQUE DU POUVOIR MACRONIEN

Hormis les cordons de chevaux et de motards de la garde républicaine, rien ne protège le nouveau président des spectateurs postés le long des trottoirs. De quoi aurait-il peur ? On ne hait pas un inconnu. À mi-parcours, plusieurs chevaux se cabrent brusquement, manquant de semer la panique dans le cortège, mais les ruades sont vite oubliées, un épiphénomène dans ce cours radieux. Qu’importe s’il a été élu par moins de 21 millions d’électeurs : Macron a conquis le pouvoir à la vitesse d’un Rafale, sans mandat ni parti. Il a raflé 66 % des voix au second tour, face à Marine Le Pen, et savoure son apothéose sur l’avenue de la mémoire nationale.

Le pays tout entier a pris l’habitude de s’y rassembler pour fêter ses triomphes, deux millions de personnes pour la libération de la capitale en août 1944, un million et demi pour la victoire des Bleus de Zidane en juillet 1998. Ce 14 mai 2017, dans l’objectif des photographes, le visage juvénile du président sur « la-plus-belle-avenue-du-monde », encadré par l’écarlate des plumets, le cuivre des casques, le bleu des gyrophares, symphonie de couleurs devenue spécialité française, offre des clichés de rêve. Comment imaginer que l’avenue de son sacre deviendra bientôt le théâtre de sa disgrâce, l’artère d’une tragédie en plusieurs actes ? Ce jour-là, les Champs-Élysées s’imposent comme la scène politique du pouvoir macronien.

Un spectacle en trompe-l’œil

14 juillet 2017. C’est encore l’état de grâce. Le lendemain de son investiture, Emmanuel Macron a rendu visite à Angela Merkel, puis reçu Vladimir Poutine à Versailles. Pour son premier défilé militaire, il a même convaincu le président des États-Unis, installé six mois plus tôt à la Maison Blanche, de traverser l’Atlantique. Comme pour chaque fête nationale, les Champs ont sorti le grand jeu. Tout au long de ses deux kilomètres, l’avenue est pavoisée, drapeaux, fourreaux et kakémonos. Le président savoure le spectacle. On lui donne même les clés des jardins des Tuileries, qu’il traversera à pied, sous la lune, le 8 mars 2018, au retour d’un dîner officiel.

Cette année, centenaire de l’engagement américain dans la guerre de 1914-1918 oblige, cinq militaires en uniforme de « Sammies » défilent avec l’armée française. Somptueux. Des chars vieux d’un siècle descendent les pavés de l’avenue. « Il y avait beaucoup d’avions », commente Donald Trump, emballé. « Les gens ne savent pas quels grands guerriers il y a en France », s’émerveille le chef d’Etat américain. Il repart même à Washington avec un projet fou : copier ce défilé sur Pennsylvania Avenue, entre le Capitole et la Maison Blanche. « France is back », se réjouissent les diplomates.

Seuls quelques gradés le savent, les Champs-Elysées offrent ce jour-là un spectacle en trompe-l’œil. En arrivant place de l’Etoile, le président a tapé en souriant sur l’épaule galonnée du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, comme si de rien n’était. Après son élection, Emmanuel Macron a souhaité garder près de lui le général de 60 ans une année supplémentaire. Mais, deux jours plus tôt, on a rapporté au locataire de l’Elysée le coup de gueule du haut gradé devant la commission défense de l’Assemblée à l’annonce de coupes programmées dans le budget militaire : « Je ne vais pas me faire baiser comme ça ! »

Macron n’a pas apprécié. Villiers veut faire de la politique ? O.K., il va comprendre. Le nouveau chef de l’Etat l’a recadré lors de la traditionnelle garden-party du ministère des armées, la veille du défilé. « Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’aime le sens du devoir. J’aime le sens de la réserve. » Réserve, devoir, le président reprend à son compte les obligations des militaires pour mieux mettre au sol le chef des armées. « Je suis votre chef ! », claque aussi Macron en poussant les octaves jusqu’au fond des jardins de l’hôtel de Brienne.

Macron tremble un court moment

Depuis, les deux hommes n’ont pas échangé un mot. Sur le command car, le visage de Villiers reste blanc comme la nuit qu’il vient de passer. Seule son épouse a pu le convaincre d’aller défiler. Il est seul à savoir que cette revue des troupes est sa ronde d’adieu : allez, se persuade en effet l’Elysée, il ne partira pas, aucun chef des armées n’a osé le faire depuis 1958. La Macronie se trompe. Les militaires ont l’habitude de se faire broyer le dos par des rangers, pas par des souliers vernis, et Villiers est une sacrée tête de lard. Cinq jours plus tard, après la parade sur les Champs, le général cinq étoiles démissionne.

Macron tremble un court moment, à l’automne, en apprenant que son ancien chef d’état-major s’apprête à publier un livre : il se rassure en notant que l’ouvrage ne comporte aucune petite phrase ou règlement de comptes. Un coursier a d’ailleurs apporté courtoisement le premier exemplaire de l’ouvrage dédicacé à l’Elysée.

Dans les jours suivants, Servir (Fayard) est dans toutes les librairies. Depuis les années 1970, les salles de cinéma de l’avenue demeurent, chaque mercredi, le meilleur baromètre du succès d’un film, et le drugstore Publicis, au pied de l’Arc de triomphe, est un bon sismographe des ventes de livres. Dès le 8 novembre, les écrits du général y font chauffer les étals.

Le grondement de 700 bikers déboulant sur les Champs, le 9 décembre, couvre heureusement cette onde de choc. Johnny Hallyday, ce morceau du patrimoine français, est mort. C’est l’une des dernières mythologies nationales qu’on enterre. L’Elysée a décidé de lui offrir des obsèques XXL. Des dizaines de milliers de fans patientent entre l’Etoile et la Concorde. Des motards venus de tous les pays se joignent aux Harley rutilantes qui escortent le cercueil blanc du rocker. « Johnny était là pour vous, vous êtes là pour lui » : pour mettre en mots les liens tissés par un autre, Macron, ce jour-là, est très bon. Jeunes, vieux, femmes et hommes, urbains et « périphériques », une foule accourue de toute la France pleure un gilet de cuir sur l’avenue la plus courue de France.

Ici siègent l’argent, le pouvoir, la réussite

C’est ici, en 2015, qu’Emmanuel Macron a testé pour la première fois sa popularité. Manuel Valls avait pris l’habitude chaque 11-Novembre de prendre un verre avec quelques-uns de ses ministres sur une terrasse des Champs-Élysées. Mais sur BFM-TV, autour de la table du bistrot, c’est le tout frais patron de Bercy qui prend la lumière. Il a l’habileté de descendre seul le trottoir des Champs. « Vous êtes le seul intelligent de ce gouvernement, les autres on ne veut pas en entendre parler », lance une vendeuse de chaussures. Cette fois, la caméra du « Petit journal » est là et immortalise ce premier bain de foule, sa première échappée.

LE CHEF DE L’ÉTAT CONNAÎT BIEN LE QUARTIER. C’EST LÀ QUE BANQUIERS ET AVOCATS D’AFFAIRES SE DONNENT RENDEZ-VOUS.

Vuitton et ses monogrammes dorés, Ladurée et ses macarons parfumés, Lancel, Guerlain, Cartier… Entre l’avenue Montaigne et l’avenue George-V, le « triangle d’or » des Champs-Elysées concentre toutes les griffes du luxe français. Ici siègent l’argent, le pouvoir, la réussite. Le chef de l’Etat connaît bien le quartier. C’est là que banquiers et avocats d’affaires se donnent rendez-vous. Là qu’ils ont leurs bureaux. À l’été 2014, Antoine Gosset-Grainville avait hébergé quelques semaines Emmanuel Macron dans son cabinet, lorsque le trentenaire avait quitté le secrétariat général de l’Elysée et réfléchissait à se lancer dans les affaires.

Les Champs, c’étaient surtout Henry Hermand. Le mécène d’Emmanuel Macron donnait ses rendez-vous au Lancaster, un palace de la rue de Berri, l’adresse de ses premiers bureaux avant d’emménager rue Lamennais. Le vieux monsieur s’était entiché d’« Emmanuel » en 2002, et le président sait bien que son « casse » électoral aurait été impossible sans ce généreux patron de la grande distribution. Hermand s’est éteint quelques mois avant la présidentielle, au 288e rang des fortunes françaises, sans avoir vu son protégé au faîte de la gloire.

Les gênantes punchlines du président

L’aurait-il mis en garde, cet homme de la « deuxième gauche », contre ses saillies de plus en plus gênantes, de plus en plus voyantes ? Ces « gens qui ne sont rien », « le Gaulois réfractaire au changement », « les fainéants, les cyniques, les extrêmes ». Et puis cette phrase volée à de Gaulle : « La seule chose qu’on n’a pas le droit de faire, c’est de se plaindre. » Un festival.

Les punchlines présidentielles glissent sur les pavés des Champs-Elysées, mais pas sur le bitume des nationales et des départementales, ces routes des triangles de détresse que déploie la France des vieux diesels, des petites retraites, cette France des cuves à fioul qu’il va falloir remplacer au plus vite pour se mettre aux normes.

POGNON, C’EST DE L’ARGOT DE RICHES, UN MOT DE TRADEURS ENCANAILLÉS DEVANT LES FILMS D’AUDIARD.

Le pays silencieux a la mémoire longue. Les formules tournent dans les têtes et les groupes Facebook, prêtes à surgir sous un gros feutre ou une bombe de peinture. Tout cloche dans les phrases de ce président-là, même le « pognon de dingue ». Pognon, c’est de l’argot de riches, un mot de tradeurs ou de théoriciens de la « société inclusive » encanaillés devant les films d’Audiard, de jeunes banquiers qui fument sur les trottoirs au coin des Champs-Élysées, en bras de chemise et pantalons slimissimes.

L’été 2018 approche. 2017 avait laissé croire au retour de la croissance, mais elle semble désormais un brin compromise. En bas des Champs, côté pair – celui que préfère la banlieue –, les galeries et boutiques de prêt-à-porter notent que l’économie nationale donne des signes de faiblesse. Mais la veine sourit au président. Dimanche 15 juillet, l’équipe de France de football remporte le Mondial 2018. Dans les loges du stade Loujniki, à Moscou, Macron bondit en l’air comme un coach sur le bord du terrain. Voilà à nouveau les Champs au cœur de la folie qui s’empare du pays. La foule entonne même un chant à la gloire du milieu de terrain N’Golo Kanté sur l’air de Joe Dassin : « Il est petit, il est gentil, il a stoppé Leo Messi, mais on sait tous c’est un tricheur, N’Golo Kanté… »

Le bus accélère, le quinquennat s’emballe

En écho aux réseaux sociaux, la RATP rebaptise la station de métro en bas de l’avenue « Deschamps-Elysées Clémenceau », spéciale dédicace au sélectionneur des Bleus. Les noms des vingt-trois joueurs s’affichent sur le fronton de l’Arc de triomphe. Ces dernières années, hélas, le monument a surtout servi d’épitaphe : « Paris est Charlie », pleurait en janvier 2015 une bannière noire projetée sur le monument. Deux ans plus tard, un policier, le capitaine Xavier Jugelé, mourait sous les balles d’un islamiste au 104 de l’avenue, entre les magasins Marionnaud et Yves Rocher. Ce dimanche d’été 2018, le triomphe des hommes de Didier Deschamps permet de retrouver la légèreté oubliée. De l’avenue Marigny au Grand Palais s’improvise une samba endiablée.

Les champions sont attendus le lendemain, au même endroit. Ce lundi 16 juillet, l’avion de l’équipe de France a atterri à 17 heures à l’aéroport Charles-de-Gaulle, avec pas mal de retard. Quand, à 19 h 20, les héros atteignent enfin la place de l’Etoile, la foule des supporteurs cuit depuis des heures dans une chaleur d’étuve. D’un coup, dans le halo des fumigènes, apparaît le bus à impériale. L’avenue s’efface dans une brume rose, presque un spectacle de Disney. Trop courte extase.

JEAN LASSALLE INSCRIT LE « SCANDALE DES CHAMPS » AUX QUESTIONS D’ACTUALITÉ DE L’ASSEMBLÉE. « M. MACRON A VOULU ACCAPARER [LES JOUEURS] À L’ELYSÉE. RÉSULTAT : UN PEUPLE ENTIÈREMENT DÉÇU, MOINS DE DIX HEURES APRÈS AVOIR DANSÉ TOUS ENSEMBLE. »

Il y a vingt ans, le bain de foule de l’équipe d’Aimé Jacquet avait duré quatre heures. Cette fois, les groupies de Kylian Mbappé et d’Antoine Griezmann n’ont droit qu’à une parade express. À l’avant du bus, un jeune homme a l’oreille vissée à son portable. Il raccroche et fait un geste au conducteur. Le bus accélère, et c’est tout le quinquennat qui s’emballe avec lui.

Les 1 700 mètres du parcours prévu sont bouclés en vingt minutes. Tant pis pour la foule massée le long des trottoirs : le couple Macron guette les joueurs sur le perron et aimerait faire profiter les JT de 20 heures de leurs retrouvailles. À 19 h 51, les Bleus prennent la pose entre coupe et président. Place de l’Etoile, la fan-zone commence à comprendre qu’elle s’est fait voler ses champions.

Furieux qu’on soit « capable de faire tourner au vinaigre ce qu’il y a de plus beau », le député Jean Lassalle, fils de bergers occitans de la vallée d’Aspe, un fort en gueule réélu sans souci depuis 2002, inscrit le « scandale des Champs » au menu des questions d’actualité de l’Assemblée nationale. « M. Macron a voulu accaparer [les joueurs] à l’Elysée. Résultat : un peuple entièrement déçu, moins de dix heures après avoir dansé tous ensemble. (…) le petit peuple [n’aurait] pas le droit de voir l’équipe qui vient de triompher en son nom devant la planète tout entière ? Il est trop petit, le peuple, trop petit ! »

Jamais sans Benalla

Même la coupe a été dérobée aux regards. « On la cherchait partout », a dit Philippe Tournon, l’attaché de presse de l’équipe de France. Le jeune inconnu du bus l’a gardée avec lui et trimballe pendant quelques jours et quelques nuits le trophée dans une malle en aluminium. Il la montre à ses amis de l’Elysée et de la Préfecture de police de Paris, la pose fièrement sur le bureau du commandant Jean-Yves Hunault, propose à Laurent Simonin, autre ponte de la « préf », de l’admirer à son tour.

Le nom de ce conseiller ? Alexandre Benalla. Depuis la campagne, cet adjoint au chef du cabinet d’Emmanuel Macron ne compte pas ses heures et peut tout dire ou presque au chef de l’Etat. Brigitte Macron a « Mimi » (Marchand), le président peut compter sur Alex. Dans les moments délicats, Benalla sait tout faire, même faire accélérer le bus des Bleus sur les Champs-Elysées.

Emmanuel Macron a pourtant failli le perdre. Le 1er mai 2018, Benalla a été autorisé à assister en « observateur » aux manifestations aux côtés des forces de l’ordre. Bien qu’il ne soit pas policier, il portait ce jour-là un casque et un brassard. Face à un manifestant, puis à un couple lançant des bouteilles sur des agents, place de la Contrescarpe, il n’a pu se retenir d’intervenir, avec balayette et clés de bras. Suffisant en principe pour saisir la justice. Mais, en un an à l’Elysée, Benalla a tout vu, tout su, et s’est rendu indispensable : le chef de l’Etat a choisi d’étouffer la faute.

« S’ILS VEULENT UN RESPONSABLE, IL EST DEVANT VOUS. QU’ILS VIENNENT LE CHERCHER », LANCE, FIN JUILLET, EMMANUEL MACRON DEVANT LES DÉPUTÉS DE SA MAJORITÉ.

Le 18 juillet, trois jours après la victoire des Bleus, le chauffeur de Laurent Simonin est occupé à admirer la Coupe du monde quand il entend Benalla souffler : « Mon affaire va sortir. C’est une question d’heures. » Dès le lendemain, l’« affaire » vire au scandale. Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire, le Parlement deux commissions d’enquête. « S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher », lance, fin juillet, Emmanuel Macron devant les députés de sa majorité. Etrange formule, aussitôt moquée sur les réseaux sociaux et qui ne tombe pas dans l’oreille de sourds.

Le 11-Novembre. Donald Trump est de retour sur la place de l’Etoile, pour célébrer le centenaire de l’armistice de 1918. Il a cette fois sa tête des mauvais jours : Emmanuel Macron vient d’avancer sur CNN l’idée d’une « armée européenne », un projet « très insultant », a tweeté, de son avion, le président américain. Il sèche la remontée des Champs, comme Vladimir Poutine.

Un souci de plus pour Emmanuel Macron qui sort à peine d’une minitornade médiatique : il s’est englué tout seul dans un débat sur l’opportunité d’un hommage au maréchal Pétain, choquant pas mal de Français et, surtout, d’historiens. La chanteuse béninoise Angélique Kidjo peine à détendre l’atmosphère. L’ambiance a bien changé depuis juillet 2017.

Et les « gilets jaunes » vinrent chercher Macron…

Six jours plus tard, les premiers « gilets jaunes » fleurissent sur l’avenue. Ils n’ont pas supporté l’annonce de la hausse du prix des carburants. Ils se donnent rendez-vous sur Facebook et sur les ronds-points des zones commerciales. Parmi eux, peu d’ouvriers, pas de banlieusards, mais des tas de gens qui se sentent seuls et viennent se réchauffer autour des flammes des braseros. Beaucoup pensent que tous les journalistes et tous les politiques mentent. Ils ont la rage.

Qu’ils viennent me chercher, disait Macron. « On vient te chercher chez toi ! », crient les manifestants. Ils ont l’intention d’approcher aussi près que possible du palais de l’Elysée. Les rues qui bordent le Faubourg-Saint-Honoré sont bloquées ; le repli se fait donc sur les Champs. Le samedi 17 novembre, ce ne sont que de petites grappes, du côté de la Concorde. Le 24, ils investissent la place de l’Etoile, sur du Joe Dassin encore : « J’manifestais sur l’avenue, mais mon gilet leur a pas plu… ».

Sur leurs dossards fluo, des doléances sur la vie chère, le smic, l’ISF. « Macron, invite-nous au Fouquet’s ! » Il y a surtout le RIC, ce référendum d’initiative citoyenne, qui pourrait peut-être permettre de renverser le président. L’un des porte-parole du mouvement rêve tout haut du général de Villiers à l’Elysée ; d’autres crient « All cops are Benalla » (« tous les flics sont des Benalla »), détournement improvisé de « All cops are bastards ». Tout s’emmêle, mais un slogan, « Macron démission », fédère les participants, et l’arrière-plan demeure le même : les Champs-Elysées.

Début décembre, cette fois, ce sont des blindés de la gendarmerie qui encerclent la place de l’Etoile, du jamais-vu depuis la guerre. Le samedi précédent, l’Arc de triomphe a en effet été vandalisé. De Tokyo à New York, la photo fait la « une » des magazines de la planète, qui racontent même que Paris brûle. Dans les entrailles de son musée, la réplique en plâtre d’une statue de François Rude a perdu un œil.

Le lendemain, Macron s’y rend à pied. Se recueille devant le Soldat inconnu. Ne dit rien. Sauf ces quelques mots, glissés au président du Centre des monuments nationaux : « Rouvrez le plus vite possible. » En s’éloignant, il peut voir des touristes faire des selfies devant les piliers de l’Arc tagués d’insultes. Le 15 mai 2017, l’avenue était le champ d’honneur d’un jeune président. Aujourd’hui, on photographie les stigmates d’un champ de bataille. Ariane Chemin

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27 décembre 2018

Affaire Benalla - saison 2

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Affaire Benalla : Alexandre Benalla voyagerait toujours avec un passeport diplomatique (Mediapart)
Nouveau rebondissement dans l'affaire Benalla. Selon Mediapart, l’ancien chargé de mission de la présidence de la République voyagerait depuis plusieurs mois avec un passeport diplomatique. Celui-ci porterait la référence 17CD09254 et aurait été délivré le 24 mai 2018, soit 3 semaines après les violences du 1er mai dont il est soupçonné. Le document serait valide jusqu'au 19 septembre 2022.
Mediapart precise qu’Alexandre Benalla aurait utilisé ce passeport diplomatique pour se rendre récemment dans plusieurs pays africains ainsi qu’en Israël.
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Affaire Benalla: La restitution des 2 passeports diplomatiques a été réclamée fin juillet
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères indique que le Quai d’Orsay a réclamé fin juillet à Alexandre Benalla la restitution de ses deux passeports diplomatiques.
Pour rappel, Mediapart a révélé aujourd’hui que l’ancien chargé de mission de la  présidence de la République a utilisé un passeport diplomatique pour se rendre récemment dans plusieurs pays africains ainsi qu’en Israël.
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La lettre politique de Laurent Joffrin - Les aventures de monsieur Alexandre

Au moment de l’affaire des décorations, on se moquait de Jules Grévy, président de la République dont le gendre, Daniel Wilson, faisait argent d’un trafic de légions d’honneur. «Ah, quel malheur d’avoir un gendre !» lui faisait-on dire dans une chanson célèbre. On pourrait l’appliquer à Emmanuel Macron, qui chanterait aujourd’hui, déconfit et furieux : «Ah, quel malheur d’avoir un garde !» En effet, Alexandre Benalla, garde du corps préféré du Président, ne cesse, depuis qu’il a distribué des horions dans une manifestation sans que personne ne le lui demande, de hanter les nuits et les jours de l’Elysée tel un fantôme musclé.

Au début, on pouvait croire à un simple concours de circonstances. Benalla avait été vu au Tchad un mois avant que le Président ne s’y rende à son tour. La belle affaire ! Les services de l’Elysée avaient beau jeu de faire remarquer que cette unité de lieu, à défaut d’unité de temps, n’avait rien de tragique, qu’elle pouvait être attribuée sans invraisemblance à un malencontreux hasard. Benalla, tel le furet, passe par ici ou par là : Macron n’y est pour rien. Las ! Mediapart révèle que l’ancien garde du corps voyage depuis des mois avec un passeport diplomatique. Le sésame officiel, réservé habituellement aux diplomates, lui a été remis le 24 mai, soit au lendemain de la fin de sa période de mise à pied par l’Elysée mais avant la révélation de ses frasques dans une manifestation, qui a débouché sur son éviction. Simple procédure bureaucratique (certains membres de cabinet bénéficient de cette facilité). Ou b ien autre chose ?

Vindicte

Benalla, qui a son caractère, n’a jamais digéré sa mise à l’écart, jugeant que l’Elysée aurait pu le défendre plus énergiquement. Lancé depuis dans des tractations internationales à tire de «conseil», il estime que ses anciens patrons le poursuivent désormais de leur vindicte. C’est un fait que Patrick Strzoda, «dir cab» de Macron, sous-entend, dans un message plutôt menaçant, qu’il soupçonne Benalla d’avoir entamé sa carrière de «conseil» avant même de quitter l’Elysée, imputation grave si elle se vérifiait. L’Elysée, en tout état de cause, dément à son de trompe que Benalla puisse se prévaloir d’une quelconque mission officielle ou officieuse au nom du gouvernement français, ce que ce nouveau monsieur Alexandre nie avec la même énergie.

Cette polémique amère entre un ancien garde et ceux qu’il gardait n’arrange évidemment pas les affaires de la macronie, soumise ces derniers temps à quelques contrariétés. Qu’en sortira-t-il ? Rien peut-être : on voit mal pourquoi, à moins d’être suicidaire, l’Elysée aurait continué à missionner Benalla, lequel cherche à rebondir dans le rôle d’intermédiaire avec quelques dictatures africaines, dans un business incertain mais peut-être légal. C’est l’hypothèse la plus favorable aux deux parties. En attendant, l’affaire Benalla n’en finit pas de finir et de réjouir l’opposition. «Ah quel malheur…»

LAURENT JOFFRIN

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27 décembre 2018

Alain Juppé

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