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Jours tranquilles à Paris
27 novembre 2018

Credo et fièvre jaune

Cette fois, il y a mis les formes. Dans son discours sur la mise en œuvre de la transition énergétique et sa réponse - très attendue - au mouvement des Gilets jaunes, Emmanuel Macron n’a pas joué la provocation. Répétant qu’il avait entendu la colère, il s’est employé à faire de la pédagogie sur la nécessité de poursuivre l’objectif en insistant sur sa volonté de trouver des solutions pour permettre aux plus modestes de ne pas être laissés sur le bord de la route. Certes, il a clairement souligné qu’il garderait le cap et, en même temps, annoncé l’ouverture pour trois mois d’une vaste concertation, ouverte aux Gilets jaunes, pour trouver des solutions permettant à tous de rouler ou de se chauffer de façon plus propre. Les mots étaient soigneusement pesés, mais Macron a-t-il pour autant convaincu les contestataires ? Les premières réactions sur les barrages montrent qu’il n’en est rien. A part l’intention d’encadrer la taxe carbone en cas de forte montée des prix du pétrole, il n’y avait rien de vraiment concret dans le discours présidentiel pour répondre aux attentes et faire baisser la fièvre jaune. Même certains députés de la majorité estiment que le gouvernement aurait dû en faire davantage. Car cette France à deux vitesses que le président prétend vouloir éviter est une réalité depuis longtemps et les fractures seront difficiles à réduire. S’il veut réconcilier le pays avec ses dirigeants, Macron devra trouver mieux qu’un simple credo. Au-delà des carrefours bloqués, il sera aussi attendu au tournant lors des élections européennes, en mai.     

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22 novembre 2018

Congrès des Maires de France

congres maires

21 novembre 2018

Jean Lassalle

Alerte jaune à l’Assemblée   

Alerte ! Un gilet jaune à l’Assemblée ! Pas un vrai de vrai, bien que ce mouvement s’apprête à marcher sur la place de la Concorde et que certains de ses membres appellent à la « dissolution de l’Assemblée ». Non, ce gilet jaune-là avait une figure connue, celle de l’ancien candidat à la présidentielle Jean Lassalle. Certes, le député centriste béarnais est un habitué des coups d’éclat. Une grève de la faim dans la salle des Quatre colonnes du Palais Bourbon pour protester contre la délocalisation d’une usine, une longue marche à travers tout le pays pour ressentir le quotidien des Français, une chanson en Béarnais poussée en plein hémicycle, jusqu’à sa campagne présidentielle qui fut un happening permanent. Comediante ! Tragediante ! diront certains qui, comme le ministre Castaner ce mercredi à l’Assemblée, jugent que « le ridicule ne tue pas ». Il y a pourtant chez Lassalle un authentique souci des autres, une vraie empathie qui ne courent pas les rues en politique. A l’heure où tant de ses collègues s’échinent à récupérer le mouvement - on imagine d’ailleurs les Insoumis ou les frontistes (RN) se mordre les doigts de ne pas avoir eu l’idée plus tôt -, on veut croire qu’il est, lui, animé par la solidarité. Les archives du Palais Bourbon retiendront en tout cas que, ce mercredi, sur ordre du président de l’Assemblée Richard Ferrand rappelant au trublion le dress code de ces lieux, un gilet jaune a provoqué une suspension de séance.

16 novembre 2018

La lettre politique de Laurent Joffrin - Macron, président normal

Jupiter redescend parmi les mortels. Emmanuel Macron reconnaît ses erreurs. Le président vient de confesser sa difficulté à réconcilier peuple et élites, en admettant qu’il a sans doute commis quelques boulettes dans ses contacts avec les Français. Méritoire humilité. Il avait théorisé avant son élection la nécessaire verticalité de la présidence, dans un pays qui regrette, disait-il, d’avoir guillotiné son roi. Il s’agissait, aussi bien, de prendre le contrepied de son ancien mentor François Hollande, qui s’était présenté comme un candidat «normal» face à deux compétiteurs «anormaux», Strauss-Kahn et Sarkozy. Voici Jupiter renvoyé à la normalité de son prédécesseur, pourtant abondamment moqué.

A vrai dire, ce retour sur terre était inévitable. Dans la démocratie française d’aujourd’hui, celle des réseaux, des chaînes d’info, de l’individu méfiant envers les pouvoirs, de la révolte à fleur de peau, le président ne peut s’abstraire de la vie des autres. Parole rare, hauteur de vue, autorité laconique : ces résolutions affichées au début du mandat sont impraticables. Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral (la présidentielle avant les législatives), exécutif et législatif marchent de pair sous la direction d’un président chef de majorité. L’ancien découplage entre un chef de l’Etat concentré sur les grandes affaires et un Premier ministre occupé du quotidien n’est plus de mise. L’opinion confie les rênes à un chef d’équipe qui concentre les pouvoirs. Elle attend qu’il rende compte. Elle réagit aux difficultés comme le client mécontent dans un restaurant : «Appelez-moi l e patron !» Le patron en question ne peut éviter de répondre de la qualité des plats et de la célérité du service, sauf à perdre sa clientèle. C’est ce qui est arrivé à Emmanuel Macron. Il a expliqué à ceux qui trouvaient sa cuisine mauvaise qu’ils avaient mauvais goût. Ils sont allés manger ailleurs.

Renvoyé à la normalité, donc, Emmanuel Macron affronte une popularité normale depuis vingt ans pour un président, c’est-à-dire très basse, des ennuis normaux face aux «gilets jaunes», successeurs normaux des «bonnets rouges», une panique normale de sa communication, condamné à changer de personnage comme certains changent de monture au milieu du gué. Macron modeste, Macron humble, Macron à l’écoute. Les rôles de composition sont les plus difficiles.

LAURENT JOFFRIN

15 novembre 2018

Emmanuel Macron - Donald Trump

trump twitter

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13 novembre 2018

La valse des regrets des ministres de la culture

Par Sandrine Blanchard, avec Guillaume Fraissard - Le Monde

En vingt-cinq ans, la rue de Valois a connu douze locataires. Alors que Franck Riester vient de succéder à Françoise Nyssen, huit de leurs prédécesseurs témoignent de la difficulté de la fonction.

Après seulement dix-sept mois, Françoise Nyssen s’en est retournée, devenant l’une des ministres de la culture et de la communication les plus éphémères. L’éditrice arlésienne, emportée par le remaniement et remplacée par Franck Riester, est loin d’être la première à avoir fait un passage éclair rue de Valois. Ces vingt-cinq dernières années, ce ministère a vu défiler pas moins de douze locataires. Qu’ils soient issus du monde politique ou de la société civile, leur sort a été comparable. Difficile, avec une durée moyenne de deux ans en fonction, d’imprimer sa marque et de mener à bien des projets. Seuls André Malraux et Jack Lang ont occupé ce poste pendant dix ans chacun et en sont devenus les figures tutélaires.

Mais quelle « malédiction » touche ce ministère qui fêtera, en 2019, son soixantième anniversaire ? Pourquoi une telle fugacité de ses titulaires ? Alors que Franck Riester vient tout juste de composer – non sans peine – son cabinet, huit anciens ministres de la culture ont accepté de revenir sur leur expérience et de confier leurs souvenirs sur ce poste à la fois tant convoité et tant exposé. Sollicité par Le Monde, Jack Lang (en poste de mai 1981 à mars 1986 et de juin 1988 à mars 1993) n’a pas souhaité mêler sa parole à celle de ses successeurs. Davantage que l’amertume, ce sont les regrets qui l’emportent chez ceux qui ont connu ce « plus beau des ministères ».

Avoir (ou pas) la confiance du président

De Gaulle-Malraux, Mitterrand-Lang, les anciens ministres portent tous un regard envieux sur ces duos qui ont marqué l’histoire de la rue de Valois. Non seulement André Malraux et Jack Lang sont restés une décennie à leur poste mais ils ont aussi bénéficié d’un soutien fort et public de l’Elysée, et, pour le second, d’un doublement du budget du ministère.

Depuis, « on assiste à une banalisation du débat culturel et de sa place dans le discours public », constate Jacques Toubon (en poste de mars 1993 à mai 1995). Avec la fin des grands travaux au tournant des années 1990 « la politique culturelle n’est plus et ne sera plus cette décoration que le président porte à son revers », poursuit-il. Frédéric Mitterrand (nommé de juin 2009 à mai 2012) est catégorique : « Un ministre de la culture a besoin d’une chose essentielle : avoir la confiance de l’Elysée et d’un président qui a la volonté d’inscrire la culture dans le projet républicain. »

D’autant que si la rue de Valois n’est pas soutenue « par le prince », comme le dit Christine Albanel (en fonction de mai 2007 à juin 2009), il sera plus difficile de négocier avec Bercy où la culture est davantage considérée comme une dépense – qualifiée souvent d’« excessive » – que comme un investissement. « La synergie avec le président et le premier ministre est capitale », confirme Renaud Donnedieu de Vabres (ministre de mars 2004 à mai 2007) qui regrette, à l’heure du « détricotage du projet européen » que la culture ne soit pas « un grand sujet ». « En raison même de la situation intérieure et internationale, ce ministère devrait avoir un rôle majeur, stratégique », insiste-t-il.

Or, tout se passe comme si ce secteur n’était plus jugé comme une priorité et, de fait, n’était plus incarné. Bien sûr, chaque candidat à la présidentielle a un volet culturel dans son programme. « Mais il ne fait pas élire un président », constate Jean-Jacques Aillagon (en poste de mai 2002 à mars 2004). « Ce n’est plus un levier électoral car il n’a plus de caractère emblématique », complète Jacques Toubon. « Le lien s’est interrompu entre l’Elysée et la rue de Valois parce que la culture n’est plus au cœur des projets politiques, regrette Christine Albanel. Un ministre de la culture ne peut pas être constamment menacé. »

Une fois en poste, les présidents ont souvent la fâcheuse habitude de passer au-dessus de la tête de leur ministre de la culture. De s’accaparer des thématiques, d’intervenir dans des nominations – sujet ô combien passionnel et chronophage, témoignent tous les ex-locataires –, et de trop écouter « les visiteurs du soir », regrette Aurélie Filippetti (ministre de mai 2012 à août 2014). En 2008, c’est Nicolas Sarkozy, qui, sans prévenir Christine Albanel, annonce le projet de supprimer la publicité sur l’audiovisuel public. « J’étais dans une solitude totale », reconnaît l’ex-ministre. Puis, en janvier 2009, c’est encore Nicolas Sarkozy qui nomme le producteur et distributeur de cinéma Marin Karmitz (MK2) à la tête d’un conseil pour la création artistique.

De son côté, Emmanuel Macron n’a pas demandé l’avis de Françoise Nyssen pour charger l’animateur Stéphane Bern d’une mission sur le patrimoine. « Quand vous avez l’Elysée qui se met à désigner quelqu’un d’autre, c’est vécu instantanément comme un désaveu. Cela crée des turbulences déstabilisantes et renforce les corporatismes », explique Christine Albanel. Quant aux conseillers culture de l’Elysée, ils devraient être des « facilitateurs », ajoute-t-elle. Et non « des compétiteurs, des ministres bis, des empêcheurs de travailler », complète Jean-Jacques Aillagon pour qui « le premier acte de responsabilité d’un ministre est de former son équipe ».

Etre (ou pas) adoubé par le milieu culturel parisien

La scène filmée par le réalisateur Yves Jeuland, dans son documentaire A l’Elysée, un temps de président (2015), est restée célèbre : « Va au spectacle. Tous les soirs faut que tu te tapes ça. Et dis que c’est bien, que c’est beau, ils veulent être aimés », conseille François Hollande à Fleur Pellerin (ministre de la culture d’août 2014 à février 2016) qu’il vient de nommer à l’été 2014.

La rue de Valois, ministère des mondanités davantage que des territoires ? Ce que Françoise Nyssen – qui ne se sentait jamais aussi bien que lors de ses déplacements en province – a appelé, à plusieurs reprises, « le parisianisme culturel » ou « l’entre-soi » pèse dans la cote d’un ministre. « Cela existe, c’est vrai. J’ai été démoli dans des dîners en ville. Le seul problème, c’est quand cela a des conséquences politiques », témoigne Frédéric Mitterrand.

« Il faut être malin », résume Renaud Donnedieu de Vabres. Car si un locataire de la rue de Valois n’a pas « l’onction des cercles culturels parisiens », ces derniers ont facilement accès aux médias pour le faire savoir. « La plupart des autres ministères ont des ouailles discrètes. Là, elles ont les relais médiatiques », témoigne Christine Albanel. « Mon pire souvenir, ce sont les rumeurs et les ragots permanents liés au fantasme que suscite ce poste, surtout quand il est occupé par une femme », confie Aurélie Filippetti. « Il s’agit d’un milieu très compliqué, violent, fait de coteries, en agitation permanente », affirme l’une de ses homologues.

« Dans ce petit milieu, tout se sait. Ils se connaissent, se voient le soir, à l’opéra ou ailleurs, s’auto-congratulent. Vous avez réussi si ce petit milieu le dit, sinon c’est foutu, glisse Philippe Douste-Blazy (en poste de mai 1995 à juin 1997). Quand vous parlez d’accès à la culture pour tous, il y a trois cents personnes influentes qui s’en moquent. » Jacques Toubon lui, ne croit pas à ce parisianisme culturel : « Le grand enjeu n’est ni parisien ni provincial mais concerne l’accès à l’offre culturelle où qu’elle soit. La seule façon de lutter contre les élites est de développer l’éducation artistique et culturelle à l’école pour que tous les gosses soient à égalité. » Pour cet ex-ministre devenu Défenseur des droits, le projet d’un Pass culture, voulu par Emmanuel Macron, peut constituer « une bonne réponse à la démocratisation de la culture », à condition qu’il soit fait « dans un esprit malrucien ».

Un ministère trop technique et bureaucratique ?

De l’archéologie au jeu vidéo, du patrimoine au numérique, du droit d’auteur à l’audiovisuel public… la rue de Valois – dont le maintien du budget est devenu un combat permanent pour son titulaire – a pris l’allure d’« un monstre, dur à gérer et qui doit faire face au pouvoir des artistes, incroyablement revendicatifs », liste Frédéric Mitterrand. « Si vous ne connaissez qu’un seul secteur, vous êtes à la merci de votre administration », décrit une ancienne ministre. Avec un cabinet réduit à dix conseillers (contre vingt auparavant) et deux grandes directions générales gérées par intérim (patrimoines et création artistique), Françoise Nyssen n’avait pas un pilotage opérationnel.

Tous ses prédécesseurs se disent abasourdis par cette longue vacance de postes importants. « C’est un affaiblissement incroyable, c’est comme si l’on voulait démontrer que le ministère ne sert à rien », pointe Christine Albanel. « Il est urgent de rebrancher les tuyaux. Le sujet de l’appareil de commandement n’est pas sexy mais essentiel pour avoir des capteurs et que chaque discipline (théâtre, musée, etc.) ait un interlocuteur », insiste Renaud Donnedieu de Vabres. Mercredi 7 novembre, Sylviane Tarsot-Gillery a été nommée, par Franck Riester, à la direction générale de la création artistique. Cette ex-directrice générale de la BNF faisait partie de la short-list proposée en juillet par… Françoise Nyssen.

Quant au périmètre, les ex-ministres ont des avis divergents : si Frédéric Mitterrand et Jean-Jacques Aillagon se disent favorables à la création d’un secrétariat d’Etat à la communication, Philippe Douste-Blazy considère qu’un ministère de la culture et de l’éducation (comme ce fut le cas sur une très courte période entre 1992 et 1993) mais sans la communication serait plus « justifié ».

De son côté, Jacques Toubon, pointant que le budget de l’audiovisuel est plus important que celui de la culture, plaide davantage pour une « re-répartition » en deux ministères, culture d’un côté, communication de l’autre, surtout en période de réforme de l’audiovisuel. « La grande question serait de savoir où l’on met les industries culturelles du numérique, reconnaît-il. Actuellement, Bruno Le Maire tente de taxer les GAFA. Très bien. Mais il y a aussi la question des droits d’auteur. Pour la France, l’enjeu des contenus culturels sur Internet est aussi important que la fiscalité. » Christine Albanel, quant à elle, prône le pragmatisme : « Tout dépend du profil du ministre nommé. »

Franck Riester : le profil adéquat ?

Qu’ils soient de droite ou de gauche, les anciens ministres voient plutôt d’un bon œil la nomination de Franck Riester. Son profil politique, sa bonne connaissance des rouages parlementaires seraient des atouts à l’heure du projet de loi pour réformer l’audiovisuel public. « C’est un choix intéressant, il connaît les enjeux », considère Aurélie Filippetti. « Il a le capital confiance nécessaire et la force de caractère », croit savoir Frédéric Mitterrand.

Et pourtant, son premier choix de directeur de cabinet (Olivier Henrard, ancien conseiller culture de Nicolas Sarkozy et conseiller d’Etat) a été retoqué par l’Elysée. C’est finalement Lucie Muniesa, directrice générale adjointe à l’Agence des participations de l’Etat, qui a été retenue. « Le premier acte de responsabilité d’un ministre, c’est de former son équipe. Il doit redevenir le maître de sa maison. Je n’aurais pas imaginé un instant qu’on me dise : “Non, vous ne pouvez pas prendre untel ou unetelle”. Il faut vite trouver les bonnes voies, les bonnes attitudes sinon le sort de ce ministère deviendra extrêmement préoccupant », s’inquiète Jean-Jacques Aillagon.

Or, la rue de Valois est « un ministère de combat, insiste Renaud Donnedieu de Vabres, qui doit être en initiative permanente ». Christine Albanel emploie les mots de « catalyseur » et de « gardien de la flamme. « On sous-estime la force de la France sur les enjeux culturels au niveau européen. » Pour Jacques Toubon, « la politique culturelle fait partie d’un bien commun, il faut en avoir l’intime conviction ». « Ce ministère doit concevoir et mettre en œuvre une politique culturelle. C’est un organe de service, pas au service de la réputation du ministre mais au service du pays. Cette fonction s’est parfois perdue », remarque pour sa part Jean-Jacques Aillagon.

12 novembre 2018

Centenaire 11-Novembre : face à Trump, Macron et Merkel jouent la carte de l’unité

Par Marc Semo

Devant son homologue américain, le président français s’est posé en héraut de l’ouverture, de l’Europe et du multilatéralisme

Il ne s’agit pas seulement de commémoration car « cent ans après, la cicatrice de cette guerre est encore visible sur la face du monde » et l’enjeu aujourd’hui est de tirer les leçons de la paix alors ratée. Alors que Paris devenait l’espace de deux jours les 10 et 11 novembre la capitale diplomatique du monde avec quelque 70 chefs d’Etat et de gouvernement et les représentants de 84 pays et organisations internationales ces thèmes sont revenus sans cesse dans la bouche du président français Emmanuel Macron comme de la chancelière allemande Angela Merkel. Les points d’orgue des commémorations furent la cérémonie d’hommage à l’arc de Triomphe puis l’ouverture à la Grande Halle de La Villette du Forum de la paix de Paris qui doit encore durer deux jours, mais sans les chefs d’Etat.

Ces deux moments étaient aussi différents que complémentaires. Le premier dont le seul véritable acteur fut Emmanuel Macron était centré sur la mémoire, l’hommage aux morts, le tragique. Le second fut choral, afin de défendre un multilatéralisme toujours plus menacé et la gouvernance globale. Le Forum pour la paix appelé à devenir annuel a été ostensiblement boudé par Donald Trump qui, tout au long de ces quarante-huit heures, a mené un cavalier seul affirmant une nouvelle fois son obsession de « l’Amérique d’abord » et son rejet de toute règle commune qui ne soit basée sur le rapport de force. Un dur rappel aux réalités. Ce centenaire dans la capitale française a été marqué par la prise de conscience de la montée des périls.

« L’histoire retiendra une image celle de 80 dirigeants réunis sous l’arc de Triomphe mais ce qui est incertain est de savoir comment elle sera interprétée dans l’avenir : le symbole d’une paix durable entre les nations ou bien le dernier moment d’unité avant que le monde ne sombre dans un nouveau désordre », a reconnu lucide Emmanuel Macron au Forum pour la paix soulignant que « cela dépend de nous ».

Peu après, la chancelière Angela Merkel qui, symboliquement, prononçait le grand discours d’ouverture de ces trois jours de réunion entre dirigeants politiques, ONG, think tanks et entreprises rappelait à quel point « il est facile de détruire les institutions internationales mais difficile de les reconstruire ». Et de s’interroger : « Serions-nous aujourd’hui capables, en tant qu’assemblée des nations, d’approuver comme en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Je n’en suis pas si sûre ».

« Les démons du passé qui ressurgissent »

Dénonçant le retour « d’un nationalisme à œillères », la chancelière allemande a souligné « que la coopération internationale, l’équilibre pacifique entre les intérêts des uns et des autres et que même le projet européen de paix sont de nouveau mis en question ». Dans la grande salle ronde évoquant quelque peu celle de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le Russe Vladimir Poutine et le Turc Recep Tayyip Erdogan ont écouté sans broncher, venus à la grande halle de la Villette comme une trentaine d’autres chefs d’Etat et de gouvernement.

Quasiment au même moment, le président américain prononçait un discours d’hommage aux soldats américains tombés pendant la Grande Guerre, au cimetière américain de Suresnes où il a salué le sacrifice des « patriotes américains et français »… Juste avant d’arriver sur les lieux puis de repartir pour Washington, le président américain s’est fendu d’un tweet dans lequel il salue la « merveilleuse cérémonie » de la matinée et « remercie » le président français.

Quelques heures plus tôt, les mots d’Emmanuel Macron devant la flamme du Soldat inconnu étaient presque les mêmes pour dénoncer « les démons du passé qui ressurgissent ». « Le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme, le nationalisme en est une trahison », a déclaré le chef de l’Etat lors de cette cérémonie commencée à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année, exactement comme il y a cent ans. Le carnage était enfin fini après quatre ans et en comptant l’ensemble des pays impliqués dans la guerre quelque 10 millions de morts.

« Additionnons nos espoirs au lieu d’opposer nos peurs », a-t-il lancé aux dirigeants mondiaux les exhortant au « combat pour la paix » en refusant « le repli, la violence et la domination ». Des lycéens français, anglais, américains, allemands ont lu dans leur langue des lettres de combattants de l’époque. La cérémonie fut ouverte par une Sarabande de Bach interprétée par le violoncelliste américain Yo-Yo Ma et conclue par le Boléro de Ravel joué par l’orchestre des jeunes de l’Union européenne. L’artiste béninoise Angélique Kidjo a chanté en souvenir des troupes coloniales. Mais le seul grand acteur de la cérémonie sous l’Arc de triomphe, c’était lui.

« Durant ces quatre ans, l’Europe manqua de se suicider »

Dans son discours à l’Arc de triomphe, Emmanuel Macron a voulu garder l’équilibre entre la célébration de la paix et la relance du projet européen sans pour autant effacer la victoire de 1918 et sa mémoire. Celle de « l’immense cortège des combattants » de la Grande guerre, « venus du monde entier, parce que la France représentait pour eux tout ce qu’il y avait de beau dans le monde ». Il n’a pas hésité à citer Georges Clemenceau qui, il y a exactement cent ans lançait « combattante du droit et de la liberté, la France sera toujours et à jamais le soldat de l’idéal ».

Le discours était avant tout politique alors que, pour les prochaines élections européennes, le président français se pose en héraut de l’ouverture, de l’Europe, du multilatéralisme face aux nationalismes et aux mouvements populistes. « Durant ces quatre années, l’Europe manqua de se suicider » a lancé le chef de l’Etat dans un plaidoyer pour les institutions internationales, l’Europe d’aujourd’hui et l’ONU. « Cela s’appelle, sur notre continent, l’amitié forgée entre l’Allemagne et la France (…). Cela s’appelle l’Union européenne, une union librement consentie jamais vue dans l’histoire et nous délivrant de nos guerres civiles. Cela s’appelle l’Organisation des Nations unies »

Face à un président américain toujours plus isolationniste et en retrait des affaires du monde, face à une première ministre britannique Theresa May engluée dans le Brexit et restée à Londres pour ses propres cérémonies, Emmanuel Macron aux côtés d’une Angela Merkel affaiblie se pose en leader naturel d’un monde occidental qui doute. Cette crise de la relation transatlantique évidente dès le début des célébrations, quand Donald Trump, à peine arrivé dans la capitale française le 9 novembre au soir, jugeait dans un tweet rageur « très insultants » les propos tenus deux jours plus tôt par Emmanuel Macron pour « une vraie armée européenne ». Mais dès le 10 novembre, les deux présidents ont joué l’apaisement et Emmanuel Macron insistait sur le fait que « l’Europe qui puisse prendre davantage sa part du fardeau commun au sein de l’OTAN ».

« Ne rien céder aux passions tristes »

Les cérémonies ont été, comme il est de règle dans ce genre de réunion, l’occasion de rencontres en marge. Y compris très brièvement entre le président russe et son homologue américain. Evoquant « une bonne discussion » sans pour autant en préciser l’objet, Vladimir Poutine a déclaré qu’il souhaitait rétablir un dialogue complet avec les Etats-Unis sur le traité régissant les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) ratifié en 1988 et dont Donald Trump a annoncé en octobre le retrait des Etats-Unis.

Le combat pour le multilatéralisme contre les vents mauvais qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux ne peut passer que par l’Europe. D’où l’importance accordée, tout au long de ces cérémonies, à la relation avec Berlin. La veille, il était aux côtés de la chancelière allemande à Compiègne dans la clairière de Rethondes où fut signé l’armistice. C’était la première fois qu’un chancelier de l’Allemagne fédérale se rendait sur ce lieu symbole de la défaite et des conditions humiliantes imposées par les vainqueurs. « Ici succomba l’orgueil de l’Empire allemand vaincu par les peuples libres qu’il prétendait asservir » clame l’inscription sur la dalle sacrée édifiée alors.

Désormais une petite plaque à son pied, inaugurée par Emmanuel Macron et Angela Merkel, célèbre la paix et la réconciliation franco-allemande. En discutant avec des jeunes à l’issue de la cérémonie, le chef de l’Etat les a appelés à « ne rien céder aux passions tristes, aux tentations de la division ». « Cette journée n’est pas seulement une journée du souvenir mais une incitation à l’action (…) pour faire tout le possible pour rétablir l’ordre dans le monde de façon pacifique », commentait pour sa part la chancelière allemande.

9 novembre 2018

Donald Trump fustige les propos "très insultants" d'Emmanuel Macron

8 novembre 2018

Polémique

petain

7 novembre 2018

Éditorial : « On peut douter que sa longue semaine au “front” suffise à M. Macron pour restaurer une confiance en berne »

Par Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde »

Dans sa chronique, Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde », observe que le chef de l’Etat tente de reconquérir une opinion publique critique des territoires dont les élus et les habitants s’estiment négligés par la politique du gouvernement.

La meilleure défense, c’est l’attaque, dit-on. Bousculé, affaibli, stoppé dans son élan depuis quatre mois, Emmanuel Macron a donc engagé, cette semaine, une offensive de grande envergure pour tenter de reprendre l’initiative.

Préparé de longue date, le périple qui va le conduire de Strasbourg le 4 novembre jusqu’à Paris le 11 novembre, en passant par tous les départements de l’Est et du Nord ravagés par la Grande Guerre, était évidemment destiné à commémorer le centenaire de la victoire des Alliés (Français, Britanniques, Américains, Belges, Italiens et bien d’autres) sur les empires allemand, austro-hongrois et ottoman. Et à tirer de ce passé aussi tragique que glorieux d’utiles enseignements pour le temps présent.

Mais ses déboires estivaux ont conduit le président de la République à ajouter à cette « itinérance mémorielle » deux autres objectifs, plus pressants encore : la reconquête d’une opinion publique de plus en plus critique à son endroit et celle de territoires dont les élus et les habitants s’estiment négligés par la politique du gouvernement.

Sur le front de l’opinion, l’été aura été calamiteux. Selon la moyenne des dix instituts de sondage qui mesurent chaque mois la popularité présidentielle, Emmanuel Macron ne recueillait plus, en octobre, que 28 % de confiance ou de bonnes opinions, soit une dégringolade de onze points depuis le mois de juin. Hormis chez les sympathisants de La République en marche (LRM), le discrédit s’est brutalement installé dans toutes les catégories politiques ou sociales.

Absence de résultats tangibles, sonnants et trébuchants

Tout y a contribué. L’assurance du chef de l’Etat, bientôt perçue comme de l’arrogance. Un parler vrai revendiqué, à coup de petites phrases choc, peu à peu ressenti comme de la provocation, voire du mépris.

Plus sûrement encore, les Français étaient prêts à admettre, il y a dix-huit mois, que les réformes engagées prendraient du temps pour produire l’effet escompté. Devant l’absence de résultats tangibles, sonnants et trébuchants, en matière d’emploi comme de pouvoir d’achat, ils ont fini par s’impatienter, puis par s’irriter.

Le mouvement de protestation qui enfle contre la hausse des prix de l’essence est symptomatique de cette exaspération, beaucoup de Français, notamment les plus modestes, ayant le sentiment que le gouvernement reprend d’une main ce qu’il distribue de l’autre. Bref, entre le chef de l’Etat et ses concitoyens, le fil s’est rompu.

Il en est de même sur le front des « territoires ». Le « pacte girondin » promis par le candidat, puis le président Macron, n’a pas longtemps fait illusion aux yeux des élus locaux, heurtés les uns (les maires) par la suppression progressive de la taxe d’habitation, les autres (les départements) par des transferts de charges inopinés, les troisièmes (les régions) par la réforme de la formation professionnelle qui était jusqu’à présent leur apanage.

Arrondir les angles avec les élus locaux

Le pouvoir exécutif s’est employé, depuis peu, à arrondir les angles pour éviter le divorce qui menaçait. Là encore, le long déplacement provincial du chef de l’Etat, loin de Paris et des métropoles, au plus près des villages oubliés et des petites villes en déshérence, peut contribuer à apaiser la fronde. Mais il en faudra davantage pour restaurer la confiance.

Reste le troisième front sur lequel Emmanuel Macron va faire porter tout son effort cette semaine : celui de la mémoire de la première guerre mondiale.

C’est un terrain qu’il affectionne. Mieux que d’autres, il sait y déployer la gravité requise et s’inscrire avec aisance dans le récit national. Gageons qu’il saura, dans la clairière de Rethondes (Oise), le 10 novembre, associer la chancelière Angela Merkel à la célébration de la réconciliation franco-allemande sur le lieu même où, en 1918 comme en 1940, les deux pays subirent successivement l’humiliation de la défaite.

Et présumons qu’il trouvera, le lendemain à Paris, devant une centaine de chefs d’Etat et de gouvernement, l’éloquence nécessaire pour plaider en faveur de la paix, contre toutes les crispations nationales, voire nationalistes, actuelles.

Exercice de « lucidité » à double tranchant

Pour autant, l’exercice n’est pas simple. En dépit de l’immense entreprise menée depuis quatre ans par la Mission du centenaire pour en ressusciter les multiples mémoires, la Grande Guerre est, aujourd’hui, littéralement impensable.

Cette effroyable tuerie de masse, cette entreprise industrielle de destruction des peuples, ces millions de jeunes hommes dont la mort laissait imperturbables, sinon indifférents, les chefs politiques et militaires, tout autant l’abnégation des soldats qui endurèrent pendant plus de quatre ans les pires souffrances, et pour finir le suicide collectif des puissances dressées les unes contre les autres et un désir de revanche qui enfanta un second conflit mondial plus ravageur encore : tout cela est devenu inconcevable dans un pays et sur un continent en paix depuis sept décennies, si l’on excepte les guerres coloniales et le terrible conflit yougoslave.

Il n’est pas plus aisé de tirer les leçons de l’Histoire. Ainsi Emmanuel Macron n’a pas hésité à s’inquiéter de la « ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres », « une Europe divisée par les peurs, le repli nationaliste et les conséquences de la crise économique ». A bien des égards, il a raison. Mais l’exercice de « lucidité » auquel il invite est à double tranchant. Ses adversaires populistes, en France comme en Europe, ne manqueront pas de lui demander pourquoi cette Union européenne développée et consolidée depuis soixante ans n’a pas su apaiser ces peurs et ces divisions.

L’on mesurera rapidement l’impact de l’offensive tous azimuts du chef de l’Etat. Mais l’on peut douter que cette longue semaine au « front », entre écoute, pédagogie et Histoire, suffise à restaurer une confiance en berne.

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