Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance
Dans un entretien au « Monde », le président autoproclamé du Venezuela estime que son rival a perdu le soutien de la population et qu’il est « acculé dans les cordes ».
Propos recueillis par Jean-Pierre Bricoure (Caracas, correspondance)
Propulsé à la tête de l’Assemblée nationale du Venezuela le 5 janvier, Juan Guaido, jeune dirigeant de 35 ans, a multiplié les initiatives pour chasser du pouvoir le président Nicolas Maduro. Alors que l’affrontement entre les deux hommes se poursuit, divisant la communauté internationale et menaçant la stabilité régionale, M. Guaido estime, dans un entretien au Monde, que son rival a désormais perdu le soutien de la population et qu’il est « acculé dans les cordes ».
Beaucoup de choses ont été écrites sur vous ces dernières semaines, vous-même, vous vous exprimez abondamment, mais on a du mal, in fine, à vous situer sur le champ politique. Même le positionnement de votre parti Volonté populaire fait débat. Que dites-vous ?
La question idéologique est, pour moi, un peu anachronique. Ce qui importe aujourd’hui au Venezuela est la mise en place de politiques d’assistance sociales, d’inclusions, d’autonomisations et d’égalité des sexes. C’est essentiel pour les populations les plus vulnérables du pays. L’autre priorité est l’économie. Je soutiens la libre entreprise de marché, l’autonomisation de l’entrepreneuriat et la compétitivité.
Pour le dire simplement, je suis de centre gauche sur les questions sociales. Je partage une grande partie des valeurs de la social-démocratie, en particulier sur les questions liées à la diversité, les avancées en matière des droits. Sur le plan économique, on peut dire que je suis du centre, tendance libéral.
Mais débattre du Venezuela en termes de droite et de gauche est, selon moi, erroné. La triste réalité du pays n’a été que pillage et corruption. Le mot « pueblo », le peuple, a été galvaudé pour voler les ressources de notre territoire. Il n’y a pas d’idéologie là-dedans. La réalité des problèmes du moment touche aux valeurs fondamentales de l’humanité et de la démocratie.
Volonté populaire fait partie de l’Internationale socialiste depuis 2015. Vous sentez-vous à l’aise avec cela ?
Pour être franc, je pense qu’ils ont été un peu ingrats dans la gestion de la crise vénézuélienne. Ils ont été trop prudents pour dénoncer le régime dictatorial en place parce qu’ils abordaient le problème vénézuélien en termes précisément de droite et de gauche. Peu importe si les dictateurs sont de gauche ou de droite, ils restent des dictateurs opposés à la démocratie.
Vous avez immédiatement obtenu le soutien de Donald Trump. Pourquoi le président américain continue-t-il d’agiter la menace d’une intervention militaire ?
Je pense que toute cette histoire d’intervention a été déformée et récupérée. A nos yeux, elle masque le fait que nous sommes en train de construire une véritable majorité dans le pays, avec une Assemblée nationale souveraine et élue, soutenue à l’étranger par, non seulement, les Etats-Unis, mais aussi l’Europe, le Canada et les pays d’Amérique latine. Soixante pays nous reconnaissent à ce jour. Alors réduire tout cela à un des éléments qui est sur la table minimise les années de sacrifices et de combats que les Vénézuéliens ont menés pour recouvrer notre démocratie et notre liberté.
Mais cette menace a été brandie encore récemment. N’est-elle pas un argument de choix pour Nicolas Maduro ?
Aujourd’hui, rien n’est bon pour Maduro. Il est acculé dans les cordes. L’intervention est le seul argument qui lui reste pour influencer l’opinion publique internationale. Ici, cela n’a pas d’impact sur l’opinion publique. Tout le monde sait qu’au Venezuela, il n’y aura pas d’affrontement entre civils, personne ne va s’immoler pour Maduro. Il n’a aucun soutien de la population. Il n’a plus d’argent parce que lui et ses proches l’ont volé. Alors, il essaie de vendre cette thèse de l’intervention pour se poser en victime. Il n’y parvient pas, sauf peut-être dans quelques pays. Il est important de réaffirmer, ici, que chaque décision visant à mettre un terme à cette usurpation du pouvoir sera prise par des Vénézuéliens.
Une vingtaine de pays européens vous soutiennent. Qu’attendez-vous de plus ?
Beaucoup de choses. En premier lieu, la pleine reconnaissance de mes fonctions de président par intérim, ce qui inclut la protection des avoirs vénézuéliens. Hier, le régime a tenté de transférer de l’argent vénézuélien sur un compte en Uruguay. Heureusement, nous avons stoppé l’opération. Nous devons absolument protéger les avoirs vénézuéliens car [nos adversaires] ont déjà pillé plus de quatre fois le produit intérieur brut (PIB) du Venezuela au cours des dix dernières années.
La deuxième chose est que nous avons besoin de soutien pour livrer l’aide humanitaire et ouvrir efficacement des corridors d’acheminement. Enfin, la troisième chose serait une pression diplomatique pertinente afin d’asseoir un gouvernement de transition stable permettant d’instaurer une réelle gouvernance et de générer les bases nécessaires à la reconstruction du pays. Après cela, nous pourrons parler du sauvetage de l’économie et des besoins techniques qui nous sont indispensables.
L’Europe, par exemple, a une expérience indéniable dans le domaine de la reconstruction. Lorsque nous comparons les indicateurs de la crise vénézuélienne avec certaines périodes européennes, nous sommes très semblables. Nous devons entièrement reconstruire le système de santé, les transports publics, le trafic routier, le système éducatif. Sans oublier que 3,3 millions de personnes ont quitté le pays ces dernières années.
Mais nous avons les ressources naturelles et les liens sociaux forts qui nous permettront, avec l’aide internationale, l’apport d’experts et de fonds, de reconstruire le pays de manière non traumatisante. Je suis confiant.
L’armée est le pilier du régime. Que faudrait-il pour qu’elle prenne ses distances avec Nicolas Maduro et appui une transition ?
Au Venezuela, il existe un proverbe qui dit que « les militaires sont fidèles jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus ». Ce que je veux dire c’est qu’une transition ne se décrète pas, elle se construit. Si vous évaluez la situation actuelle, vous conclurez que nous avons près de 90 % de la population avec nous. Je pense réellement que le soutien populaire à Maduro est inexistant.
Aujourd’hui, une des variables manquantes à cette transition est effectivement l’armée. Qu’avons-nous à lui offrir ? Nous avons déjà offert des garanties et une amnistie. Nous avons également expliqué qu’elle a un rôle à jouer dans la reconstruction du pays. Bref, nous avons formulé de nombreuses offres et propositions. Nous travaillons. Lorsqu’ils nous auront rejoints, je vous dirai qu’elle élément a joué le rôle déclencheur.
Pendant des années l’opposition vénézuélienne s’est illustrée par ses divisions et intérêts antagonistes. Qu’est-ce qui vous rend si différent ?
Nous n’avons jamais cessé de travailler, de croire et de travailler encore. Et c’est cela peut-être le plus important : nous sommes l’aboutissement d’un très long processus. Nous sommes unis et résolument tournés vers l’avenir. Nous sommes une alternative crédible au pouvoir, conforme à la Constitution et dotée du soutien de la communauté internationale.
Mais vous-même, qu’est-ce qui vous rend différent ?
J’ai été constant toute ma vie, persistant aussi. Je suis un fan de l’équipe de baseball « Los Tiburones de la Guaira » (originaire de Vargas, l’équipe n’a rien gagné pendant des années), ce qui veut dire que je suis un optimiste de nature.
Vous avez dit un jour connaître « le pouvoir du chavisme ». Qu’en est-il ?
En 2016, je vous aurai dit qu’il s’agit d’une force politique représentant 20 % à 30 % de la population. J’aurais également affirmé qu’à ce moment-là les chavistes constituaient une force importante et influente dans le pays, qu’ils pouvaient se mesurer aux autres partis par le biais de mécanismes démocratiques, gagner ou perdre des élections, puis tenter de les gagner à nouveau.
Mais si vous me demandez aujourd’hui ce qu’ils représentent, je vous dirai qu’ils sont chaque jour moins nombreux. Ils ont nourri trop de contradictions, tourné le dos au monde démocratique. Toutefois, j’estime qu’ils sont nécessaires pour assurer la stabilité future du pays. Autant j’ai reconnu l’importance des militaires et fais des propositions, autant je reconnais celle des chavistes et celle aussi des nombreux ex-chavistes. Tous ici sont importants à mes yeux pour permettre à un gouvernement de transition de se stabiliser et trouver un minimum d’accords afin d’institutionnaliser le Venezuela.
Des camions d’aide humanitaire arrivent à la frontière du Venezuela Près d’une dizaine de camions d’aide humanitaire américaine destinée au Venezuela sont arrivés, jeudi 7 février, près du pont international Tienditas, dans la ville frontalière de Cucuta, du côté colombien de la frontière avec ce pays. Le chargement a été réceptionné par l’Unité nationale de gestion des risques de catastrophes (UNGRD), l’organisme étatique chargé des secours en Colombie, qui a précisé dans un communiqué qu’il se limitait à la recevoir et à l’entreposer dans un centre de stockage de Cucuta. La manière dont cette aide traversera la frontière reste un mystère. Le gouvernement de Nicolas Maduro, désavoué par les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) et plusieurs pays latino-américains, a averti qu’il ne la laisserait pas entrer, la considérant comme un cheval de Troie en vue d’une intervention militaire que Washington n’a pas écartée. Bogota et Caracas n’ont plus de relations depuis 2017 et le président colombien Ivan Duque est à la tête des pressions diplomatiques exercées sur la « dictature » au Venezuela, selon ses termes. Le Groupe de contact international sur le Venezuela, créé à l’initiative de l’UE, a lancé un appel à une solution négociée lors de sa réunion inaugurale à Montevideo, la capitale uruguayenne. La haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a déclaré à l’ouverture de la réunion, qui rassemblait treize pays européens et latino-américains, que seule une solution pacifique et politique permettrait d’éviter au Venezuela de plonger dans le chaos.