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Jours tranquilles à Paris

14 mai 2020

Laetitia Casta

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14 mai 2020

Au Venezuela, l’ambassadeur de France privé d’électricité et de gaz par les autorités

Par Piotr Smolar

L’ambassadeur du Venezuela a été convoqué au Quai d’Orsay lundi, puis à nouveau mercredi.

Au début, on pouvait croire à une coïncidence. A l’une de ces contrariétés de la vie quotidienne dans un pays, le Venezuela, ravagé par la crise économique et sociale, aux infrastructures décrépites. Mais l’ambassadeur de France, Romain Nadal, a dû se rendre à l’évidence. Depuis début mai, la rue où se trouve sa résidence à Caracas, à environ cinq minutes en voiture de l’ambassade, se trouve ceinte par une présence sécuritaire hors norme. Des barrages filtrants ont été mis en place à l’entrée et à la sortie par la police politique, le Sebin. L’électricité a été coupée le 3 mai, puis le gaz ces derniers jours. D’habitude, les interruptions de courant, fréquentes dans la capitale, durent quelques heures.

Face à ces actes d’hostilité, que les autorités locales n’ont pas cherché à corriger malgré de multiples échanges, le ministère des affaires étrangères, à Paris, a convoqué l’ambassadeur du Venezuela une première fois lundi, puis mercredi 13 mai, pour dénoncer de graves atteintes à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Son article 25 stipule notamment que « l’Etat accréditaire accorde toutes facilités pour l’accomplissement des fonctions de la mission ». Dans un communiqué publié mercredi, le Quai d’Orsay exprime sa « ferme condamnation des mesures prises ces derniers jours venant porter atteinte au fonctionnement normal de notre représentation diplomatique à Caracas ».

D’autres résidences diplomatiques sont également touchées, dans cette même rue de Caracas : celles des Etats-Unis – désertée depuis le départ de l’ambassadeur en mars 2019 –, d’Autriche et d’Afrique du Sud. Les diplomates encore présents peuvent circuler avec leur plaque d’immatriculation spéciale, sans fouille du véhicule, mais doivent se présenter au barrage filtrant. La résidence de l’ambassadeur de France dispose d’un générateur alimenté au gazole, avec une autonomie de plusieurs semaines. Des gendarmes et employés vénézuéliens vivent aussi sur place. Certaines familles vénézuéliennes installées dans le quartier ont été contraintes de déménager, faute de disposer d’un même équipement.

L’affaire laisse peu de place au doute : la crise politique sans issue dans laquelle est plongé le pays est à l’origine de ces brimades exceptionnelles. Le leader de l’opposition, Juan Guaido, qui s’était autoproclamé président par intérim le 23 janvier 2019, a été reconnu par une soixantaine de pays. Il est notamment soutenu par les Etats-Unis, qui ambitionnent de faire tomber Nicolas Maduro.

Rumeurs sur le lieu où M. Guaido s’est réfugié

Début février, M. Guaido avait effectué une tournée internationale à Bogota, Londres, Bruxelles, Davos, Paris, Toronto et Washington. A son retour, le 11 février, il avait été accueilli à l’aéroport dans une atmosphère très tendue par une délégation diplomatique composée de représentants de l’Union européenne, de la France, de l’Espagne, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Roumanie. Il ne s’agissait pas alors d’échanger sur les leçons de ce voyage, mais d’éviter d’éventuelles violences, alors que l’intégrité physique de Juan Guaido n’est pas assurée. Celui-ci doit vivre dans une forme de semi-clandestinité. Il avait été brièvement arrêté en janvier 2019 par le Sebin.

Fin février, ces mêmes diplomates étrangers avaient rencontré Juan Guaido plus calmement, afin de discuter de son long déplacement international. Les mesures de rétorsion prises contre l’ambassadeur de France et les autres résidences diplomatiques de cette rue de Caracas pourraient être liées à des rumeurs concernant l’opposant, relayées par les réseaux sociaux. Selon celles-ci, Juan Guaido aurait trouvé refuge dans l’une des résidences, sans que rien vienne les étayer. Mais il peut s’agir aussi d’une forme d’intimidation, destinée à forcer le départ de ces diplomates considérés comme hostiles. Nicolas Maduro a nommément mis en cause Romain Nadal à la mi-février pour s’être immiscé « gravement dans les affaires intérieures du pays ». De son côté, la résidence d’Espagne se trouve en situation de siège depuis un an, avec sa rue barrée. L’ambassade d’Espagne, elle, fonctionne avec un générateur électrique, car les autorités refusent de rétablir le courant malgré des demandes répétées.

Mardi, le président Nicolas Maduro a annoncé l’extension d’un mois de l’« état d’alerte », alors que le Venezuela demeure très peu touché par l’épidémie du Covid-19 par rapport à ses voisins. Seules 420 personnes ont été recensées comme malades, même si tous les chiffres officiels dans le pays sont à prendre avec méfiance. Ce faible bilan, s’il se révélait exact, pourrait être dû à l’isolement complet du pays et à la réduction drastique des flux avec l’extérieur.

14 mai 2020

Libération du 14 mai 2020

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14 mai 2020

Coronavirus : en Europe, les applis de traçage divisent les Etats et ne convainquent pas les habitants

Par Martin Untersinger pour Le Monde

Si la plupart des pays ont opté pour une technologie Bluetooth, le clivage concernant le choix de l’architecture globale – centralisée ou pas – fait craindre une incompatibilité entre les différentes applications.

Utiliser une application mobile pour enrayer un virus : l’idée n’existait pas il y a quelques mois à peine mais elle a fait, à la faveur de la pandémie de Covid-19, le tour de l’Europe. Aujourd’hui, rares sont les pays du continent qui n’ont pas étudié la possibilité de lancer une application de « suivi de contact » capable d’alerter les personnes côtoyées par les malades, en soutien aux équipes sanitaires censées casser les chaînes de contamination.

Une poignée de pays sont allés vite. C’est le cas de l’Autriche. Dès le 25 mars, la Corona-app développée par Croix-Rouge locale a permis d’enregistrer les contacts rapprochés par Bluetooth et de prévenir les utilisateurs en cas de dépistage positif de l’un d’eux. En Islande, Rakning C-19 enregistre régulièrement les déplacements des utilisateurs grâce au GPS. Si l’un d’entre eux est testé positif, il peut choisir de partager ses données avec les autorités sanitaires de l’île.

Les Norvégiens peuvent eux télécharger l’application Smittestopp. Sur la base du volontariat, elle utilise le GPS pour suivre les déplacements des utilisateurs et le Bluetooth afin d’identifier les personnes côtoyées de près. Si l’une d’elles est testée positive au Covid-19, l’utilisateur reçoit un SMS. Pour le moment, cette fonction n’est testée dans trois communes, avant un élargissement prévu à tout le pays.

La République tchèque a, elle, lancé début avril un vaste programme de pistage. Outre une application de traçage des contacts par le Bluetooth, eRouska, les autorités en ont lancé une autre, qui permet la géolocalisation via le populaire service local de cartographie Mapy.cz. Celle-ci permet d’établir des zones à risque de contamination mais aussi aux épidémiologistes d’aider les malades, via leurs historiques bancaire et téléphonique, à se remémorer avec qui ils ont pu être en contact.

Un modèle européen a émergé

Dans les quelques applications lancées et celles encore en développement, et à de rares exceptions, un modèle européen a émergé : celui d’une application n’utilisant pas de géolocalisation, mais les ondes radio Bluetooth pour détecter les téléphones se trouvant à proximité. Ce dispositif a le mérite d’être moins intrusif et donc compatible avec l’exigeant droit européen des données personnelles. Toutes les applications actuellement envisagées, testées ou déployées en Europe sont, de surcroît et à ce stade, d’usage facultatif. Rares sont cependant les pays où l’éventualité d’un suivi de la population – fût-il « anonyme » et respectueux du droit – n’a pas fait tiquer les défenseurs des libertés publiques.

Certains pays ont tout simplement écarté l’hypothèse, au moins pour le moment. En Belgique, le débat a déjà été vif pour mettre en place le cadre légal au suivi de contact « manuel ». L’idée d’une application sur smartphone, présumée complémentaire, n’a pas été retenue à ce stade. La Suède, qui a refusé le confinement obligatoire, n’est pas davantage favorable à une application. En plus des questions liées à la légalité et au respect de la vie privée, Anders Tegnell, l’épidémiologiste en chef, estime que le traçage demande trop de ressources et exige une politique de dépistage massif, que la Suède n’a pas mise en place. Aux Pays-Bas, une certaine confusion règne après une première sélection, très contestée, de certains systèmes. L’autorité de contrôle a émis des réserves, le Parlement s’inquiète et des ingénieurs estiment qu’un système performant et non intrusif ne sera pas effectif avant des mois.

En Autriche, depuis qu’un usage obligatoire a été écarté, les débats se sont apaisés, d’autant que l’application a été reconnue plutôt respectueuse des données personnelles par les organisations non gouvernementales spécialistes de la question. En République tchèque, malgré un niveau d’accès aux données extrêmement intrusif, le paysage politique local soutient le projet.

Discussions agitées

Ailleurs en Europe, les discussions ont été parfois agitées. Des dizaines de chercheurs européens, spécialistes de sécurité informatique ou de cryptographie, ont mis en garde, par le biais de plusieurs pétitions, contre les dangers de ce type d’application. En Norvège, des journalistes de la chaîne de télévision NRK ont ainsi montré qu’il était facile de détourner les SMS envoyés par l’application pour tromper les utilisateurs. Par ailleurs, des doutes continuent de peser sur la protection des données personnelles, rassemblées sur un même serveur, en Irlande.

Le gouvernement suisse, lui, aurait aimé déployer son application, fondée sur le Bluetooth, sans texte légal spécifique. Sous la pression du Conseil des Etats puis du Conseil national, il a fini par obtempérer. Le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, Adrian Lobsiger, a assuré qu’il examinerait cette application de près. En Italie aussi, les débats liés aux données personnelles, les réticences d’élus de tous bords mais aussi les difficultés techniques et logistiques, ont décalé le lancement de l’application, qui pourrait finalement avoir lieu à la fin du mois de mai.

L’application britannique, basée sur le Bluetooth et testée depuis peu sur l’île de Wight, au sud du pays, suscite aussi quelques inquiétudes. Harriet Harman, qui préside le comité parlementaire des droits humains, a considéré que « les ministres n’ont pas donné suffisamment de garanties de respect des données privées ». Le ministre de la santé Matt Hancock n’en a pas moins déclaré, le 12 mai, que les tests étaient concluants et que l’application serait disponible dans les prochains jours pour le pays entier.

Clivage autant technique que politique

Au-delà des débats sur le principe même de ces applications et des conditions de leur déploiement, un sujet de discorde a agité les pays européens sur le fonctionnement technique sous-jacent de ces applications, le long d’un clivage autant technique que politique.

Il y a ceux, d’un côté, qui privilégient une solution dite « centralisée ». C’est le cas de la France, du Royaume-Uni, et, initialement, de l’Allemagne et de l’Italie. Ce type d’application fait remonter les identifiants de toutes les personnes approchées par un malade dans un serveur central. Chaque application vérifie ensuite si son identifiant figure dans cette base. Ses adversaires craignent un Etat trop curieux quand ses soutiens affirment au contraire que cela permet de mieux protéger la vie privée. Car dans l’autre modèle, dit « décentralisé », ce sont les identifiants pseudonymes de toutes les personnes malades qui sont distribuées à chacun des téléphones participant au dispositif. Ces derniers vérifient s’ils ont détecté, par le passé, cet identifiant à proximité. Une méthode qui fait courir, affirment ses opposants, un danger immédiat d’identification des malades.

Le débat est technique, mais soulève des questions politiques liées au rapport à l’Etat. Et en Allemagne, le débat a été si électrique que le gouvernement a décidé de basculer vers un modèle « décentralisé ». S’agissant du calendrier, il refuse pour l’instant de se prononcer sur une date, mais, selon les spécialistes, la nouvelle application ne pourra pas voir le jour avant la mi-juin. D’autres pays ont fait le même choix que l’Allemagne, notamment la Suisse puis l’Italie. La Pologne pourrait leur emboîter le pas, tandis que l’Espagne hésite. Et en plus de la version « centralisée » développée depuis des semaines, le gouvernement britannique a reconnu travailler en parallèle sur une autre version, décentralisée. Le Parlement européen s’est lui aussi prononcé en faveur de ce type d’architecture, tout comme Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission européenne.

Si une majorité de pays européens s’orientent vers le modèle décentralisé, cela doit beaucoup à Apple et Google. Les deux entreprises, qui se partagent le marché des téléphones portables et de leurs systèmes d’exploitation, ont annoncé mi-avril travailler à un dispositif de suivi de contact à l’intérieur même de leurs téléphones, que pourront utiliser les autorités sanitaires. Cela permettrait de lever les restrictions mises de longue date par ces fabricants autour du Bluetooth, prisé des pirates et gourmand en énergie. Les deux géants des technologies ont cependant fait le choix d’adopter un fonctionnement « décentralisé » : les pays adeptes de la solution dite « centralisée », dont la France, doivent donc choisir entre persister, au risque de développer une application dont le fonctionnement sera bridé, ou bien revenir sur leurs choix sanitaires.

Le sujet est d’autant plus central que ces deux modèles ne peuvent pas communiquer entre eux. Les frontaliers de pays n’ayant pas fait le même choix ne pourraient ainsi pas être avertis des contacts établis de l’autre côté de la frontière. Dès la mi-avril, l’Union européenne rappelait aux Etats-membres « la nécessité de l’interopérabilité », fonction de l’efficacité de ces outils. Jeudi 13 mai, la Commission européenne l’a encore martelé : « Les citoyens européens doivent pouvoir être alertés d’une possible infection d’une façon sécurisée et protégée, où qu’ils se trouvent dans l’Union européenne (UE), et quelle que soit l’application qu’ils utilisent », a réclamé l’exécutif européen.

Un autre défi sera l’adoption de ces applications. L’Islande mène le train, avec un téléchargement par environ des 40 % des Islandais. La propagation du Covid-19 y a été stoppée, mais il est difficile d’isoler le rôle joué par l’application. Sur l’île de Wight, une proportion semblable a installé l’application.

Ailleurs, en revanche, les chiffres sont moins reluisants : en un mois et demi, à peine 560 000 Autrichiens, sur une population de 8,8 millions, ont téléchargé la Corona-App, que plusieurs acteurs de terrain considèrent inutile. Malgré les appels du gouvernement tchèque à télécharger ses applications, à peine plus d’un million ont activé la fonction coronavirus de Mapy.cz et 200 000 ont téléchargé eRouska, sur une population de 10,5 millions d’habitants. En Norvège, seuls 17 % de la population alimentent l’application. « Nous avons besoin de plus d’utilisateurs », a plaidé, le 7 mai, l’Institut national de santé publique.

14 mai 2020

Albert Watson

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14 mai 2020

Tribune - « Au lieu de déconfiner l’école, ouvrons-la sur le dehors, sur la société »

Par Barbara Cassin, Philosophe, Victor Legendre, Anthopologue

La philosophe Barbara Cassin et son fils, l’anthropologue Victor Legendre, proposent, dans une tribune au « Monde », que l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés.

Que veut le gouvernement en rouvrant les écoles le 11 mai ? Eviter l’écroulement de la nation en remettant un maximum de Français au travail. Pourquoi ça risque de ne pas marcher ? Parce que les enfants ne sont pas les variables d’ajustement d’une politique volontariste.

Placer la santé et le bien-être des enfants avant l’économie, quoi qu’il en coûte ? Chiche ! Alors inventons et soyons généreux.

Refusons cette double logique d’enfermement : d’abord confinés à la maison pendant deux mois, puis maintenant gardés à l’école jusqu’à l’été. Refusons cette injonction perverse : la reprise des enfants se fera sur la base du volontariat, mais les parents qui refuseront de mettre leur enfant à l’école perdront leur droit au chômage partiel. A moins que le chef d’établissement ne leur fasse un mot d’excuse en reconnaissant qu’il est incapable de faire son devoir d’accueil !

Une autre solution est possible : proposer une école ouverte, à mi-chemin entre la rentrée des classes et les vacances. Au lieu de déconfiner l’école, en 54 pages de recommandations difficilement tenables, qui instaurent de nouvelles contraintes de confinement, ouvrons-la sur le dehors, c’est-à-dire sur la société. Et, quand c’est possible, sur la nature. Refusons d’enfermer !

Changeons de rythme, inventons !

Les enfants méritent mieux que d’être parqués dans des lieux clos. Les professeurs, les instituteurs, méritent mieux que de faire de la garderie et du flicage. Au lieu d’accueillir à grand-peine quelque 15 % des effectifs dans des locaux réaménagés à la hâte, ouvrons à tous les enfants les lieux de culture et les espaces de liberté, aujourd’hui inutiles et vidés de leur sens. Dans le strict respect des règles sanitaires, ouvrons pour eux les bibliothèques, les universités, les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les parcs et les jardins, les complexes sportifs, les plages, avec les personnels et les professionnels qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Tous ceux qui savent et peuvent travailler avec les enfants, des assistants maternels aux enseignants et aux bibliothécaires, des éducateurs sportifs aux moniteurs et aux animateurs de centre aéré, des gardiens de parc et de musée aux intermittents du spectacle, faisons-les tous participer à ce grand projet.

Les élèves décrocheurs, ceux qui sont sortis des radars virtuels, auront l’occasion de voir et d’aimer ce qu’ils n’ont peut-être encore jamais vu. La culture pour tous, c’est le moment ! Prônons un déconfinement par l’ouverture totale de ce qui leur est si souvent fermé. Faire ainsi accéder au monde, c’est réduire les inégalités sociales. Les parents éduquent et l’école instruit ? Peut-être. Mais, pendant cette crise, oublions l’évaluation et la compétition, mélangeons les cartes. Proposons une réponse collective. Vacances ou pas vacances, changeons de rythme, inventons ! Que l’école ouverte pour tous commence. Et, à la fin de cet épisode de pandémie, nous aurons marqué les esprits.

A la question « que faire des enfants ? », une réponse : ouvrons-leur le monde. On parle du monde d’après, mais c’est aujourd’hui demain !

Barbara Cassin, philologue, philosophe et médaille d’or du CNRS, a été élue en 2018 à l’Académie française. Elle a notamment écrit « Eloge de la traduction. Compliquer l’universel » (Fayard, 2016) et « Quand dire, c’est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel » (Fayard, 2018).

Victor Legendre enseigne à l’université Nice-Sophia-Antipolis, il est également entrepreneur.

14 mai 2020

Charliee

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14 mai 2020

Cannes 2021, nouvel horizon des producteurs indépendants

Par Jacques Mandelbaum

« Benedetta », de Paul Verhoeven, « Par un demi-clair matin », de Bruno Dumont, et « Le Genou d’Ahed », de Nadav Lapid, trois films pressentis cette année sur la Croisette, ne sortiront pas en 2020.

Il n’aura pas échappé aux plus fins observateurs que, dans le cortège enténébré de l’annulation des festivals estivaux, Cannes aura, une fois de plus, détonné. La manifestation, qui devait se tenir du 12 au 23 mai, n’est à ce jour pas annulée, du moins au sens plein que ce mot recouvre, car la sélection poursuit son cours, et sa direction réfléchit à de « nouvelles formes » que son délégué général, Thierry Frémaux, s’est engagé à divulguer le moment venu. Cannes confine depuis lors au mystère médiéval. Sonné debout, mais ceint de la foi sacrée, son comité directeur consulte tous azimuts, multiplie les pistes, fait feu de tout bois.

Outre la tenue, assurée, d’un Marché du film numérique du 22 au 26 juin, quelques conjectures semblent se confirmer. Une association Cannes-Venise, aussitôt démentie par le président de la Mostra, mais qui semble revenir en grâce nonobstant le peu de certitudes qu’on peut avoir sur la tenue de la manifestation italienne. Ou encore la création d’un label Cannes 2020 qui accompagnera, lors de leur exploitation future, les films retenus par le comité de sélection. Face à cette situation un peu irréelle, les producteurs et productrices des films concernés se trouvent dans une cruelle expectative, au seuil d’une saison cinématographique qui ressemble au Titanic (l’événement, hélas, pas le film).

Trois d’entre eux, porteurs d’œuvres fortement pressenties pour Cannes, ont accepté de nous répondre à un moment épineux de leur réflexion. Trois exemples qui, pour appartenir à la catégorie consacrée du film d’auteur, n’en présentent pas moins des modèles économiques et esthétiques différents. Saïd Ben Saïd (SBS Productions) pilote le vaisseau amiral, Benedetta, du Néerlandais Paul Verhoeven, en compagnie duquel il poursuit une collaboration brillamment inaugurée avec Elle (2016). Signé d’un auteur internationalement établi (Robocop, Basic Instinct…), budgété à 20 millions d’euros, distribué par la maison Pathé, Benedetta met en scène l’histoire d’une nonne – interprétée par Virginie Efira – condamnée en pleine épidémie de peste à être brûlée pour homosexualité. On imagine le frisson hérétique qu’aurait fait courir sur l’échine de la Croisette ce qu’il ne faut pas craindre de nommer « un film de confinement ».

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Virginie Efira interprète une nonne dans le nouveau film de Paul Verhoeven, « Benedetta », produit par Saïd Ben Saïd. | GUY FERRANDIS / SBS PRODUCTIONS

Jean Bréhat (3B Productions) accompagne, quant à lui, toujours aussi fidèlement depuis vingt ans, la nouvelle folie de Bruno Dumont, Par un demi-clair matin. Le plus grand inventeur de formes du cinéma français à l’heure où l’on écrit ces lignes frappe depuis quelque temps là où on ne l’attend pas – série policière pataphysique avec P’tit Quinquin (2014) ; satire vitriolée de la bourgeoisie belle époque avec Ma Loute (2016) ; film de procès médiéval avec Jeanne (2019). Notons au passage qu’avec le feuilleton épidémique, Coincoin et les Z’inhumains (2018), il aura impeccablement pris la mesure, révérence parler, des merdes non répertoriées qui commencent à nous tomber sur la tête. Il revient cette année avec une manière de roman-photo qui semble vouloir faire un sort à la présente décadence médiatique, organisé autour de la personne d’une journaliste vedette interprétée par Léa Seydoux. Avec cinq millions d’euros de budget, c’est, matière raréfiée dans l’art et essai, un film dit « du milieu ».

Judith Lou Lévy (Les Films du bal) produit enfin Le Genou d’Ahed, de l’Israélien Nadav Lapid. Petit budget (1,2 million d’euros), tournage économiquement et politiquement tendu sur le plateau du Golan, cette coproduction franco-allemande aurait dû consacrer en compétition cannoise l’essor du plus stylé des réalisateurs israéliens, récipiendaire en 2019 de l’Ours d’or à Berlin avec Synonymes. Quatrième long-métrage du réalisateur, Le Genou d’Ahed poursuit la veine autobiographique et politique qui le caractérise. Il y croise la réaction d’un réalisateur israélien confronté à la censure désormais frontale que son gouvernement fait peser sur la création indépendante avec l’affaire Ahed Tamimi, cette jeune et impétueuse activiste palestinienne qui avait, en 2018, giflé un soldat israélien, suscitant le regret d’un député de la Knesset qu’on ne lui ait pas au minimum tiré une balle dans le genou.

Ni festival numérique ni label

Nonobstant le statut différent de leurs films, aucun d’entre eux ne semble tenté par une solution alternative au Festival de Cannes tel qu’en son jus ordinaire. Ni marché ou festival numérique, ni label, ni solution vénitienne, ne leur semblent en la circonstance propices. Tous mettent résolument le cap sur 2021, une année blanche (pour 2020), avec les pertes afférentes, leur semblant préférable à tout autre solution. C’est dire le poids à nul autre pareil de Cannes dans le lancement d’un film d’auteur. « Nous avons montré le film fin février et avons reçu une réponse très positive. Ensuite, l’attitude combative du festival durant la pandémie m’a vraiment aidé à tenir. J’ai cru dur comme fer au report à la fin juin. Aujourd’hui, nous avons néanmoins décidé, avec le distributeur et le réalisateur, que nous allions attendre. La tenue de Venise n’est pas assurée, l’ouverture des salles est également aléatoire. On parle du 15 juillet mais quel distributeur prendra le risque de sortir un film à cette date ? Tout porte à croire qu’il faut faire une croix sur l’année 2020. Nous visons Cannes 2021 », explique Saïd Ben Saïd, qui vient d’ailleurs d’annoncer officiellement sur Twitter la sortie du film au mois de mai 2021.

JEAN BRÉHAT (3B PRODUCTIONS) : « TOUT LE MONDE ÉVITE DE POSER SA TÊTE SUR LE BILLOT. DIRE QU’ON ANNULE C’EST DIRE QU’ON EST MORT »

Même analyse pour Jean Bréhat, en version brut de décoffrage : « Nous avons montré le film, pas terminé, jeudi 30 avril. Pas de réponse pour l’instant. Je pense que le festival est comme tout le monde dans l’industrie : tout le monde évite de poser sa tête sur le billot. Dire qu’on annule c’est dire qu’on est mort. Tout se jouera en 2021, avec un Festival de Berlin, en février, pour le coup très convoité, puis Cannes dans la foulée, trois mois plus tard. Tout dépendra donc de la chaleur de l’accueil cannois… »

Judith Lou Lévy est une jeune productrice qui monte, ayant présenté à Cannes, en 2019, deux remarquables films, Zombi Child, de Bertrand Bonello et Atlantique, de Mati Diop. Elle se démarque pourtant de ses collègues plus installés par une prudence qui n’a d’égale que l’audace de son début de carrière. Echaudée par un tournage difficile avec un réalisateur qui a dû se confiner, dès mardi 10 mars, désorientée par une pandémie qui menace de laisser sur le carreau les sociétés les plus fragiles, elle n’avance plus qu’à pas de loup. Approchée par le festival voici quelques mois – et alors même que, de concert avec le distributeur Pyramide, elle y visait une sélection –, elle n’a pas aujourd’hui de film suffisamment avancé pour être montré et ne parvient plus à « établir une ligne claire » pour l’avenir.

Evoquant une situation déjà dégradée avec « les distributeurs en souffrance », « l’arrêt des pré-achats de Canal+ », « les films qui meurent en salle trop rapidement », elle voit dans cette pandémie les prémices d’un avenir encore assombri pour les indépendants. Aussi bien sort-elle son parapluie et décide-t-elle d’avancer « très modestement » jusqu’en 2021, rejoignant in fine ses collègues dans l’intention de « présenter Berlin et Cannes », assertion qui, décryptée, signifie que de l’inclination cannoise dépendra l’inscription berlinoise. Ce faisant, Judith Lou Lévy met le doigt sur la grande crainte qui parcourt aujourd’hui – à l’instar de tous les secteurs de la société – le cinéma français.

« Une logique de rentabilité »

Saïd Ben Saïd, non moins inquiet en raison des enjeux considérables de son film, mais producteur d’expérience et partisan secret de la voie du tao, a lui fait ses calculs : « Il va nous falloir renégocier les frais avec nos partenaires financiers, chaînes de télévision et banques, ce combat n’est pas gagné. J’ai calculé que ce report nous coûtera probablement 120 000 euros. Par ailleurs, s’agissant des droits internationaux, nous étudions, à contrecœur, en raison du marché sinistré, la possibilité de vendre le film à une plate-forme pour tous les territoires hormis la France et le Benelux, avec une diffusion en même temps que la sortie française. »

Jean Bréhat élargit le tableau, sans mâcher ses mots : « Je pense qu’il y aura beaucoup de morts chez les indépendants. Nous avons un gouvernement qui se moque de la culture et qui veut soumettre la création indépendante à une logique de rentabilité, sans voir l’apport symbolique considérable que cette création rapporte à la France. On nous dit que nous serons aidés, mais, pendant la pandémie de Covid-19, les agios sur les intérêts n’ont même pas été gelés par les banques du cinéma, qui dépendent de l’Etat. D’ailleurs, ce seront les banques, comme d’habitude, qui sortiront seules renforcées de cette crise. »

Ces trois coups de sonde dans une sélection, qui demeure à bien des égards virtuelle, ne préjugent évidemment pas de la manière dont les autres candidats cannois se détermineraient si celle-ci finissait par être annoncée un jour. Tant d’inconnues demeurent encore suspendues sur le monde du cinéma. Tout y est subordonné au comportement d’un acteur sorti d’on ne sait où et totalement nul – le dénommé SARS-CoV-2 –, qui, depuis quelques mois, mène à la surprise générale une percée extrêmement pénible. Il est à craindre que personne ne respirera ici bas tant que sa carrière ne sera pas brisée.

14 mai 2020

Patrick Demarchelier - photographe

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14 mai 2020

Macron en quête de « dépassement » pour l’après-Covid

Par Cédric Pietralunga

Le chef de l’Etat espère rebondir après la crise liée au coronavirus, avec le concept de « majorité de projet », brandi lors de la campagne de 2017 puis abandonné.

Officiellement, il n’est pas question de se projeter dans « l’après ». Ou en tout cas pas encore. Alors que le déconfinement vient de commencer et que l’opposition guette le moindre faux pas de l’exécutif, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de focaliser toute son attention sur les aspects opérationnels de cet exercice inédit. « Le virus a reculé. Mais il est toujours là », a lui-même mis en garde le chef de l’Etat, dimanche 10 mai sur Twitter. « Il est trop tôt pour parler du monde d’après, les pièces du puzzle sont trop éparses », estime-t-on à l’Elysée.

Le président de la République en est persuadé : il n’aura d’avenir politique qu’à la condition que le pays recouvre un semblant de vie normale. Mais, il sait aussi qu’il doit préparer la suite. Dans les coulisses du pouvoir, une autre partition est donc déjà en cours d’écriture, celle de l’« acte III » du quinquennat, qui doit permettre à Emmanuel Macron de se projeter vers la prochaine élection présidentielle. Parmi les multiples options disposées sur la table émerge un concept en vogue lors de la campagne de 2017 mais remisé au placard depuis : celui de la « majorité de projet », c’est-à-dire le rassemblement d’élus issu de différents horizons mais capables de s’entendre sur un projet qui dépasse les clivages traditionnels. Un outil idoine pour sortir de la crise du Covid-19 tout autant qu’une arme de destruction massive des oppositions en vue de 2022.

« On a un peu oublié le dépassement »

Le premier à l’avoir évoqué est Stéphane Séjourné, député européen La République en marche (LRM) et ancien conseiller politique du chef de l’Etat. « Nous allons devoir créer une nouvelle majorité de projet : la majorité de l’après-crise. C’est une refondation. Cela doit être d’abord une méthode qui rassemble. C’est ce que le candidat Macron avait fait pendant l’élection présidentielle : rassembler en dépassant les clivages politiques », a expliqué, dans un entretien au Point fin avril, celui qui a quitté l’Elysée fin 2018 mais continue d’œuvrer en coulisses pour Emmanuel Macron.

Ce concept de « majorité de projet » fait partie du bréviaire de tous les macronistes. En 2016 et 2017, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, le candidat d’En marche ! l’avait évoqué à plusieurs reprises. « La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui est inédite : il y a une fracturation de la vie politique. Il faut donc construire une majorité de projet pour la renouveler », avait-il expliqué en mars 2017. Il en avait même fait son slogan lors de la présentation de la campagne de recrutement de ses candidats pour les législatives : « Construire une majorité de projet », avait-il écrit en tête de son discours, dans lequel il expliquait vouloir « s’affranchir des jeux d’appareils ».

« QUAND VOUS DISPOSEZ DE LA MAJORITÉ ABSOLUE, VOUS N’ÊTES PAS INCITÉ À ÉLARGIR VOTRE SOCLE. CELA A ÉTÉ TROP ÉPISODIQUE DEPUIS 2017 », REGRETTE SACHA HOULIÉ, DÉPUTÉ (LRM) DE LA VIENNE

Au final, le concept s’était avéré un formidable argument de campagne, permettant à Emmanuel Macron de rassurer ceux qui doutaient de sa capacité à disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale pour soutenir sa politique. Pour autant, il avait été ensuite abandonné. Le parti présidentiel étant majoritaire, il ne lui était plus nécessaire de trouver des alliés, même de circonstance, pour faire adopter ses textes. « Quand vous disposez de la majorité absolue, vous n’êtes pas incité à élargir votre socle. Cela a été trop épisodique depuis 2017 », regrette Sacha Houlié, député (LRM) de la Vienne. « On a un peu oublié le dépassement, abonde un élu proche de l’Elysée. C’est cela qu’il nous faut retrouver, cette envie de construire des terrains d’entente. La crise du coronavirus nous oblige à rebattre les cartes comme le président avait su le faire lors de sa campagne. »

Pour y parvenir, la majorité se dit prête à mettre sur la table un certain nombre de propositions. « Il nous reste peu de temps pour construire quelque chose d’ici à 2022, il va nous falloir concentrer l’action sur quelques thèmes et essayer d’obtenir le consensus le plus large sur ces dossiers prioritaires », explique Gilles Le Gendre, président du groupe LRM à l’Assemblée nationale. Sur les boucles WhatsApp de la majorité, plusieurs suggestions reviennent avec insistance, comme celle de « réarmer » le système de santé ou de lancer un grand plan dépendance, avec la prise en charge d’un cinquième risque par la Sécurité sociale. Certains verraient bien l’écologie devenir la ligne directrice de l’action gouvernementale, quand d’autres voudraient faire de la souveraineté, notamment industrielle, le nouveau mantra. « Sans culture et sans nature, on ne s’en sortira pas », plaide le député (ex-LRM) de Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin.

Rigorisme budgétaire

A ce petit jeu, de nombreux élus issus de l’aile gauche comme de l’aile droite de la majorité tentent de faire pencher la balance de leur côté. « Le président doit retrouver un espace politique plus grand, avec une vision et une ligne politique qui parlent à ses électeurs de centre gauche de 2017 », estime Pierre Person, député (LRM) de Paris et numéro deux du parti présidentiel. « On doit garder l’électorat de droite conquis depuis 2017, croit au contraire un parlementaire réputé proche d’Edouard Philippe. On part de trop loin pour espérer remonter la pente sur le plan environnemental ou social. Il faut solidifier notre socle de centre droit pour espérer passer le premier tour en 2022. »

« LE PRÉSIDENT DOIT RETROUVER UN ESPACE POLITIQUE PLUS GRAND, AVEC UNE VISION ET UNE LIGNE POLITIQUE QUI PARLENT À SES ÉLECTEURS DE CENTRE GAUCHE DE 2017 », ESTIME PIERRE PERSON, DÉPUTÉ (LRM) DE PARIS ET NUMÉRO DEUX DU PARTI PRÉSIDENTIEL

Seule certitude, ce n’est qu’une fois ce travail programmatique effectué que la question des éventuels partenaires avec lesquels s’entendre doit être abordée, expliquent les stratèges de la Macronie. Comprendre : pas question de composer un nouveau gouvernement sans savoir quelle politique mener. « Si on commence par parler de casting, on n’y arrivera pas, estime Stéphane Séjourné. Il faut d’abord analyser les conséquences de la crise, voir ce que cela change pour nous, discuter avec nos partenaires, et élaborer des propositions pour les deux ou trois ans qui viennent. » « Les rumeurs autour de l’arrivée d’untel ou d’untel au gouvernement n’ont aucun sens, les choses ne sont pas décantées », abonde un proche d’Emmanuel Macron. « Si on décide de décaisser à tout-va à l’issue de la crise, il faudra poser la question à ceux qui dirigent aujourd’hui s’ils se sentent à l’aise avec ça », nuance pour autant Sacha Houlié, évoquant sans le citer le rigorisme budgétaire des équipes de Matignon.

La difficulté ? Les oppositions n’entendent pas se laisser une nouvelle fois détrousser par Emmanuel Macron, qui avait lui-même qualifié de « hold-up » son élection de 2017. Depuis le début de la crise du coronavirus, la droite comme la gauche ne ménagent pas l’exécutif, multipliant les déclarations critiques et les demandes de commissions d’enquête. Malgré les pressions et les procès en irresponsabilité, le plan de déconfinement du gouvernement n’a pas été voté par le Sénat, où le parti présidentiel est minoritaire. « On sent que tout le monde pense déjà à 2022 et qu’on ne nous fera pas de cadeau », s’inquiète un stratège de la majorité, qui dit ne pas croire à un hypothétique gouvernement d’union nationale.

« Clivages forts »

Pour tenter de forcer la main de leurs oppositions, les macronistes comptent s’appuyer sur l’opinion, qui pousserait aux compromis. « La situation va rendre difficile les positions idéologiques tranchées, calcule Gilles Le Gendre. Les Français feront payer très cher toute attitude qui n’irait pas vers l’efficacité. » « Le président de la République doit prendre les Français à témoin sur le dépassement, car certains ne voudront pas jouer le jeu en vue de 2022 », ajoute Stéphane Séjourné.

Seul bémol, la situation d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de 2017. A l’époque, Emmanuel Macron était en position de force, face à un Parti socialiste usé par le mandat de François Hollande et une droite empêtrée dans les costumes de François Fillon. Aujourd’hui, le chef de l’Etat se trouve dans une position plus fragile. « Bien souvent, les opposants ne veulent pas servir de béquille ou de caution à un pouvoir qu’ils jugent en bout de course, décrypte Chloé Morin, spécialiste de l’opinion auprès de la fondation Jean-Jaurès. Début 2016, on avait vu la tentative de [Manuel] Valls de tendre la main à [Jean-Pierre] Raffarin sur l’emploi. Mais le pouvoir était alors trop faible pour réussir à forcer des oppositions, qui avaient déjà 2017 en ligne de mire, à venir à son secours… »

Il n’est d’ailleurs pas certain que cette idée de « majorité de projet » soit encore désirée par l’opinion. « Dans nos études, 61 % des Français se disent favorables à une union nationale, ce qui n’a rien d’un plébiscite, et seulement 51 % pensent que cela pourrait être efficace. L’idée d’une majorité de projet n’a pas beaucoup de résonance aujourd’hui. Les clivages n’ont au contraire jamais été aussi forts », pointe Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. Dans son allocution du 13 avril, regardée par 37 millions de Français, Emmanuel Macron a assuré que c’est « avec toutes les composantes de notre nation » qu’il entendait « dessiner ce chemin » de « l’après ». Reste à savoir qui a envie de cheminer à ses côtés.

Plus de 60 plaintes déposées contre des membres du gouvernement. Soixante-trois plaintes contre des membres du gouvernement ont été déposées jusqu’ici auprès de la Cour de justice de la République (CJR) pour dénoncer leur gestion de la crise liée au coronavirus, selon un décompte annoncé, mardi, par le procureur général François Molins sur RTL. Cette commission, composée de dix hauts magistrats, peut « décider soit le classement sans aucune suite soit la transmission au procureur général qui serait alors tenu de saisir la commission d’instruction qui agira finalement comme un juge d’instruction », a-t-il expliqué. Ces plaintes concernent le plus souvent le premier ministre, Edouard Philippe, les deux ministres de la santé qui se sont succédé, Agnès Buzyn et Olivier Véran, ainsi que leurs homologues de la justice, Nicole Belloubet, du travail, Muriel Pénicaud, et de l’intérieur, Christophe Castaner.

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