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Jours tranquilles à Paris

22 avril 2020

Seulement 1,8 % des Bretons contaminés au 11 mai

carte

Frédéric Jacq

5,7 % de la population française aura été contaminée par le Sars-CoV-2 au 11 mai, et seulement 1,8 % en Bretagne. C’est ce que révèle, ce mardi, une étude menée par des modélisateurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm.

Quelle proportion de la population a été infectée ? Quel est le taux de mortalité du Covid-19 ? Le confinement est-il efficace ? Pour répondre à ces différentes questions, des chercheurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec Santé publique France, l’Inserm et le CNRS, ont réalisé une analyse détaillée des hospitalisations et des décès en France et construit des modélisations à partir de ces données.

« Des efforts devront être maintenus au-delà »

Leurs premiers résultats publiés ce mardi révèlent que 5,7 % de la population française aura été contaminée par le Sars-CoV-2 au 11 mai, dernier jour du confinement. Sans surprise, ce pourcentage de personnes infectées tombe à 1,8 % en Bretagne, où le virus a moins circulé qu’ailleurs. Elle est la deuxième région, derrière la Nouvelle-Aquitaine (1,4 %) à présenter la plus faible immunité collective.

À l’autre bout du classement, l’Ile-de-France et le Grand-Est, où ces taux atteignent 12,3 et 11,8 %. Ces niveaux d’immunité restent, toutefois, très inférieurs à celui, estimé à 70 %, nécessaire pour éviter une seconde vague si toutes les mesures de contrôle devaient être levées. Conclusion des auteurs de l’étude : « Des efforts importants devront être maintenus au-delà du 11 mai pour éviter une reprise de l’épidémie ».

Autres résultats de cette étude : le taux de reproduction (R0), qui indique le nombre de personnes infectées par chaque porteur du virus est passé de 3,3 en début de confinement à 0,5.

Cela a conduit à une réduction du nombre journalier d’admissions en réanimation de 700, fin mars, à 200, mi-avril. Si cette tendance se poursuit, le nombre journalier d’admissions en réanimation en France devrait se situer entre dix et 45 au 11 mai. Selon la courbe présentée, ce chiffre frôlerait le zéro en Bretagne.

0,5 % de taux de mortalité et 13% chez les plus de 80 ans

L’étude montre, par ailleurs, que le risque d’hospitalisation est de 2,6 % pour les personnes ayant été infectées par le Sars-CoV-2. Ce risque augmente fortement avec l’âge pour atteindre 31 % chez les hommes de plus de 80 ans. Les scientifiques de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm sont aussi parvenus à établir le taux de mortalité chez les personnes infectées, qui serait de l’ordre de 0,5 % (13 % chez les hommes de plus de 80 ans). La probabilité de décès est 45 % supérieure chez les hommes infectés que chez les femmes infectées, avec une différence qui augmente avec l’âge.

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22 avril 2020

LE CROTOY: la maison de Jules Verne

le crotoy jules verne

L'écrivain Jules Verne s'installa, dans une maison, « La Solitude », qui existe toujours, à côté du port. Il passa près de huit ans au Crotoy. Il y rédigea notamment 20000 Lieues sous les Mers. Une légende locale veut que la maquette du Nautilus soit enfouie dans le port du Crotoy. Pendant la Guerre de 1870, Jules Verne était capitaine de la garde locale et patrouilla à bord de son voilier le Saint-Michel.

22 avril 2020

Coronavirus

corona

22 avril 2020

Chronique - Loin des yeux, loin du sexe ? Pas forcément

Par Maïa Mazaurette

Etre confiné en solo ne signifie pas renoncer à toute intimité avec ses partenaires. Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale », livre dix conseils pour optimiser sa télésexualité.

LE SEXE SELON MAÏA

Confinement, semaine 5 ! Si votre couple commence à ressembler à la cohabitation de deux ficus, gardez le moral : au moins, vous avez de la compagnie. En effet, selon l’enquête Ifop/Consolab publiée la semaine dernière, 27 % des Français sont confinés en solitaire. Cette catégorie regroupe des célibataires, des couples non cohabitants (4 % des unions selon l’Insee en 2013, 12 % selon l’Ifop en 2014) et des personnes confinées hors du domicile conjugal.

Ces âmes esseulées ont-elles abandonné toute vie sexuelle ? Pas nécessairement : certains (re) découvrent les joies du sexe à distance, d’autres (ré) investissent les plaisirs en solo. Aux rangs des « télé-amants » s’ajoutent les infidèles, les polyamoureux, les libertins… Pour tous ceux-là, voici nos conseils.

1) Ne vous laissez pas distancer par le consentement

Petit rappel de base : le sexe n’est jamais un dû, qu’on le pratique en contact rapproché ou par hologrammes à 10 000 kilomètres de distance. A ceux qui douteraient que le sexe connecté soit du « vrai » sexe, exhumons une information passée relativement inaperçue : la France a prononcé le 13 janvier dernier sa première condamnation pour complicité d’agression sexuelle à distance.

Rien n’empêche en effet d’imposer des chantages et pressions sexuelles par messagerie, de forcer à des masturbations par téléphone, d’exiger des strip-teases par Skype… donc d’utiliser le « virtuel » pour infliger des blessures bien réelles. La sexualité ne devient pas magiquement « soft » sous prétexte que les protagonistes sont séparés, comme vous le diraient les dominatrices professionnelles, qui télé-terrorisent leurs soumis depuis l’invention du parchemin.

Le consentement reste donc un incontournable point de départ, surtout pour les novices. Il n’existe en effet aucun consensus culturel concernant les rapports à distance : pour certains, passer les galipettes en mode Wi-Fi sera naturel et excitant ; pour d’autres, au contraire, le rapport désincarné passera pour ridicule, inintéressant ou carrément choquant. Face à ces préférences très intimes, personne n’a raison ou tort. Une chose est sûre : pas question d’exiger des vidéoconférences érotiques sous prétexte que « c’est normal » ou que « c’est la moindre des choses ». Il n’y a rien de normal dans la situation actuelle.

2. Le sexe à distance n’est pas forcément un pis-aller

Selon l’enquête Ifop/Marianne de juillet 2014, 86 % des personnes en couple non cohabitant sont satisfaites de leur vie sexuelle (45 % de « très satisfaits »), contre 79 % des personnes en couple sous le même toit. Le sexe à distance promet donc, à ses adeptes, de jouissives perspectives ! En revanche, la satisfaction dégringole chez les célibataires, puisque 52 % d’entre eux seulement sont contents de leur sort (ce qui nous laisse quand même plus de la moitié des célibataires heureux, un score très appréciable).

3. Comment se préparer aux rapports à distance ?

Profitez de vos soirées solitaires pour travailler vos nudes et dick pics : faites attention au cadre (le panier de linge sale en arrière-plan a terrassé les libidos les plus triomphantes), trouvez une lumière avantageuse (plutôt de côté, pour faire ressortir les volumes du corps), jouez sur le contraste entre zones d’ombre et surfaces éclairées (si le résultat ressemble à une masse grise pixellisée, recommencez), utilisez le retardateur pour dégotter des angles originaux (le smartphone tenu à bout de bras, ça finit par lasser). N’oubliez pas de séparer la tête et le sexe, pour préserver votre vie privée.

Côté sexting, inutile de prétendre que le confinement n’existe pas. Transformez plutôt le virus en accroche : parlez de ce que vous feriez si vous étiez ensemble – ou projetez-vous dans le futur, en concoctant le scénario de vos retrouvailles sexuelles. Discutez de vos fantasmes par le menu… ou par application interposée, si vous êtes timide (sur FantasyMatch, UnderCovers, Kindu, Mojo). L’exercice de prospective peut aussi prendre la forme d’un cadavre exquis : vous faites une première proposition, l’autre enchaîne, et ainsi de suite. Faute d’avoir les va-et-vient, vous aurez les allers-retours !

Pour les plus créatifs, pourquoi ne pas vous lancer des défis ? Taquinez votre partenaire par emojis, en alexandrins, en argot du XIXe siècle… et n’oubliez pas les jerk-off instructions (instructions de masturbation) : suggérez à votre partenaire des gestes précis, des accessoires, des rythmes, comme si vous étiez maître (sse) d’orchestre.

4) Surmontez votre trac

Vous avez la trouille de « monter sur scène » ? C’est normal. Le sexe à distance rebat les cartes, nous fait sortir de nos habitudes, nous fait prendre conscience de nos attitudes, nous confronte avec le brouillage de notre image privée. Le défi est encore plus compliqué pour les femmes, censées constamment contrôler leur apparence – et dont la silhouette, réduite à deux dimensions dans le coin du smartphone, peut facilement déconcentrer. Pour éviter les écueils du narcissisme (« pas mal, ce rouge à lèvres ») autant que le piège des complexes (« je déteste mon profil gauche »), supprimez le retour de la caméra frontale.

5) Faut-il vraiment faire l’amour sur Skype, Zoom ou Messenger ?

C’est une simple option, pas une obligation ! D’autant que le cyberharcèlement augmente depuis quelques semaines : de quoi inviter à la réflexion avant de se lancer dans une grande production son et lumière. Si vous pensez que les scandales de sextapes n’arrivent qu’aux autres, ou que votre partenaire personnel « ne ferait jamais un truc pareil », désolée de jouer les rabat-joie : 100 % des victimes de revenge porn ont pensé précisément la même chose. Vous n’avez aucune idée de ce qui passera par la tête de votre partenaire dans deux semaines ou deux décennies. Et vous n’avez aucun moyen de savoir si l’autre enregistre à votre insu, pour « consommer plus tard » ou garder des souvenirs.

Etes-vous condamné(e) à penser à des hackers ukrainiens pendant votre show spécial interdit aux moins de 18 ans ? Pas si vous suivez ces deux recommandations : 1) portez des masques de carnaval, des loups, des bandeaux, voire des cagoules (le folklore érotique vous y encourage – en revanche, gardez vos masques chirurgicaux pour des usages vraiment nécessaires) ; 2) laissez tomber la vidéo et contentez-vous de la voix. Pourquoi se priver du plaisir des yeux ? Pour échapper à l’auto-scrutation, et parce que l’audio laisse plus de place au mystère et à l’imagination. Petite précaution, grands résultats !

6) Quid des sextoys connectés ?

Point sémantique : les teledildonics sont une catégorie de sextoys pouvant être contrôlés à distance par télécommande ou application partagée (le partenaire contrôle la puissance, la vitesse, le type de stimulation… et le bouton on/off). Certains accessoires fonctionnent même en duo.

Les marques les plus connues s’appellent WeVibe (plutôt orienté couple) et Lovense (très utilisé par les professionnelles des shows par webcam). Petit hic : la sécurité informatique des sextoys connectés est exactement aussi hasardeuse que celle des sites pornographiques ou des applis de rencontre. Si vous consommez des contenus problématiques ou que vous télé-stimulez une amante, faites attention. Au passage : quand avez-vous fait le ménage dans votre historique de recherche pour la dernière fois ? C’est bien ce que je pensais.

7) Lancez ensemble des projets érotiques

Celles et ceux d’entre vous que les acrobaties par webcam rendent perplexes pourront toujours se rabattre sur la culture : consommez à distance des œuvres érotiques, chacun depuis son canapé. En échangeant vos recommandations, vous développerez une conversation en pointillé concernant vos fantasmes, dont vous ferez bon usage après le 11 mai (en croisant les doigts)

Autre possibilité : pourquoi ne pas créer ensemble votre propre chef-d’œuvre ? Les participants au forum GoneWild Audio sur Reddit élaborent ainsi du porno audio collaboratif : ça donne envie d’écrire des histoires à quatre mains ou de se lancer dans la conception de votre propre jeu de rôle, non ?

8) Comment trouver un nouveau, ou une nouvelle, partenaire ?

Happn, Bumble, Meetic, Tinder, OkCupid : les applis et sites de rencontres constatent une augmentation du nombre de connexions en ce moment (pour les adeptes d’exotisme, Tinder a rendu gratuite sa fonctionnalité « Passeport », qui permet de draguer n’importe où dans le monde). C’est peut-être l’occasion de vous lancer… sauf si vous préférez envoyer, à l’ancienne, des emails amoureux.

Ne pas pouvoir « transformer l’essai » sera probablement frustrant, mais voyons le verre à moitié plein (cabernet franc pour moi, merci) : faute de passer à l’acte tout de suite, vous vous rencontrerez avec tellement d’informations dans votre besace que vous pourrez vous émanciper des premières nuits archi-classiques et parfois ennuyeuses. Après plusieurs semaines d’attente et de confessions, ça pourrait bien faire des étincelles ! Enfin, pour le point romantique : ce délai avant consommation vous permet de cristalliser, de fantasmer… donc de profiter de ce fameux meilleur moment où on monte les escaliers (du désir).

9) Mais si on n’a vraiment, vraiment pas de partenaire ?

Les lectures et podcasts érotiques sont faits pour vous : Coxxx pour les hommes, Voxxx pour les femmes, mais aussi CtrlX et Le Verrou. Les voix chaleureuses accompagneront vos plaisirs solitaires. Sinon, pensez à la littérature ou aux fanfictions érotiques !

10) Pourquoi ne pas tout simplement se rabattre sur le porno ?

Tant qu’elle est produite et diffusée dans des conditions décentes, la pornographie constitue une alternative manifestement très appréciée des internautes (+ 20 % ces dernières semaines). Seulement, outre sa tendance à rétrécir notre imaginaire à quelques mots-clés, le X n’est pas toujours éthique. Tentez plutôt le porno féministe, kink ou queer (comme ErikaLust.com, BellaFrench.com, PinkLabel.tv, Kink.com).

En conclusion ! Ne nous voilons pas la face (sauf au moment d’allumer notre caméra) : la situation n’est pas idéale. Mais vous avez les moyens de contrebalancer les aléas de la distance physique par un rapprochement émotionnel, par l’enthousiasme… et par une bonne connexion Wi-Fi.

22 avril 2020

Szymon Brodziak

brozniak

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22 avril 2020

Stéphane Audoin-Rouzeau: «Nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois»

PAR JOSEPH CONFAVREUX

Stéphane Audoin-Rouzeau, historien de la guerre de 1914-1918, juge que nous sommes entrés dans un « temps de guerre » et un moment de rupture anthropologique.

Stéphane Audoin-Rouzeau est directeur d’études à l’EHESS et président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés à la Première Guerre mondiale et à l’anthropologie historique du combat et de la violence de guerre. Nous l’avions reçu pour son dernier livre, Une initiation - Rwanda (1994-2016), publié aux Éditions du Seuil.

Quel regard porte l’historien de la Grande Guerre que vous êtes sur la situation présente ?

Stéphane Audoin-Rouzeau : J’ai le sentiment de me trouver plongé, soudainement et concrètement, dans mes objets d’étude ; de vivre, sur un mode évidemment très mineur, quelque chose de ce qu’a été la Grande Guerre – pour les civils naturellement, pas pour les combattants –, cette référence si présente aujourd’hui. La phrase la plus frappante d’Emmanuel Macron, lors de son second discours à Mulhouse, a été celle qui a été la moins relevée : « Ils ont des droits sur nous », pour parler des soignants. C’est le verbatim d’une phrase de Clemenceau pour parler des combattants français à la sortie de la guerre. La référence à la Grande Guerre est explicite, d’autant plus quand on sait que l’ancien directeur de la mission du Centenaire, Joseph Zimet, a rejoint l’équipe de communication de l’Élysée. De même, pour le « nous tiendrons ». « Tenir », c’est un mot de la Grande Guerre, il fallait que les civils « tiennent », que le front « tienne », il fallait « tenir » un quart d’heure de plus que l’adversaire…

Ce référent 14-18 est pour moi fascinant. Comme historien, je ne peux pas approuver cette rhétorique parce que pour qu’il y ait guerre, il faut qu’il y ait combat et morts violentes, à moins de diluer totalement la notion. Mais ce qui me frappe comme historien de la guerre, c’est qu’on est en effet dans un temps de guerre. D’habitude, on ne fait guère attention au temps, alors que c’est une variable extrêmement importante de nos expériences sociales. Le week-end d’avant le confinement, avec la perception croissante de la gravité de la situation, le temps s’est comme épaissi et on ne s’est plus focalisé que sur un seul sujet, qui a balayé tous les autres. De même, entre le 31 juillet et le 1er août 1914, le temps a changé. Ce qui était inconcevable la veille est devenu possible le lendemain.

Le propre du temps de guerre est aussi que ce temps devient infini. On ne sait pas quand cela va se terminer. On espère simplement – c’est vrai aujourd’hui comme pendant la Grande Guerre ou l’Occupation – que ce sera fini « bientôt ». Pour Noël 1914, après l’offensive de printemps de 1917, etc. C’est par une addition de courts termes qu’on entre en fait dans le long terme de la guerre. Si on nous avait dit, au début du confinement, que ce serait pour deux mois ou davantage, cela n’aurait pas été accepté de la même façon. Mais on nous a dit, comme pour la guerre, que c’était seulement un mauvais moment à passer. Pour la Grande Guerre, il me paraît évident que si l’on avait annoncé dès le départ aux acteurs sociaux que cela durerait quatre ans et demi et qu’il y aurait 1,4 million de morts, ils n’auraient pas agi de la même façon. Après la contraction du temps initiale, on est entré dans ce temps indéfini qui nous a fait passer dans une temporalité « autre », sans savoir quand elle trouvera son terme.

On parle déjà de déconfinement, est-ce une illusion comparable à ce qu’a été l’idée que la guerre serait bientôt terminée ?

Je suis fasciné par l’imaginaire de la « sortie » tel qu’il se manifeste aujourd’hui dans le cas du déconfinement, sur le même mode de déploiement déjà pendant la Grande Guerre. Face à une crise immense, ses contemporains ne semblent pas imaginer autre chose qu’une fermeture de la parenthèse temporelle. Cette fois, on imagine un retour aux normes et au « temps d’avant ». Alors, je sais bien que la valeur prédictive des sciences sociales est équivalente à zéro, mais l’histoire nous apprend quand même qu’après les grandes crises, il n’y a jamais de fermeture de la parenthèse. Il y aura un « jour d’après », certes, mais il ne ressemblera pas au jour d’avant. Je peux et je souhaite me tromper, mais je pense que nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois.

Pourquoi concevoir une telle rupture alors que, précisément, on n’est pas dans un moment de brutalisation et de violence comparable à ce qu’a été la Grande Guerre ?

Je le dis en tant qu’historien et avec une franchise qui peut paraître brutale : l’ampleur du choc économique et social, mais aussi politique et moral, me paraît nous mener vers une période tout autre. Sur le plan politique, le conservateur que je suis se sent un peu comme un pacifiste à la fin du mois de juillet 1914, qui croit encore aux progrès de l’humanité, à l’entente entre les peuples, à la bonne volonté du gouvernement. Qui pense que les diverses internationales (catholique, protestante, ouvrière…) empêcheront la guerre, perçue comme une absurdité anachronique.

Aujourd’hui, peut-on croire comme avant à l’Union européenne, à la libre circulation des individus, des idées ou des biens, au recul continu des souverainetés nationales ? En une semaine, sont réapparus les Nations et leurs États, avec le sentiment que plus l’État-nation est puissant, mieux il s’en sort. C’est aussi l’heure des chefs : on écoutait de moins en moins les chefs d’État, me semble-t-il, et là, nous voici suspendus à leurs lèvres. Les germes d’une crise politique grave étaient déjà présents avant le Covid-19, mais je crains que demain, la crise politique soit terrible, avec une reddition des comptes potentiellement meurtrière pour la classe politique.

51edm9hkyblMais à cela, il faut ajouter, d’un point de vue plus anthropologique, les risques d’une crise morale comparable à celle qui s’est produite après chacune des deux guerres mondiales. La Première a été un choc pour l’idée de progrès, qui était consubstantielle à la République. La fameuse phrase de Paul Valéry, « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », dit quelque chose de très profond sur l’effondrement de la croyance en un monde meilleur : un effondrement sans lequel on ne peut pas comprendre le développement des totalitarismes au cours de l’entre-deux-guerres. La Seconde Guerre mondiale a constitué un second choc anthropologique, non pas tellement par la prise de conscience de l’extermination des juifs d’Europe, bien plus tardive, mais avec l’explosion de la bombe atomique qui ouvrait la possibilité d’une autodestruction des sociétés humaines.

À mes yeux, nos sociétés subissent aujourd’hui un choc anthropologique de tout premier ordre. Elles ont tout fait pour bannir la mort de leurs horizons d’attente, elles se fondaient de manière croissante sur la puissance du numérique et les promesses de l’intelligence artificielle. Mais nous sommes rappelés à notre animalité fondamentale, au « socle biologique de notre humanité » comme l’appelait l’anthropologue Françoise Héritier. Nous restons des homo sapiens appartenant au monde animal, attaquables par des maladies contre lesquelles les moyens de lutte demeurent rustiques en regard de notre puissance technologique supposée : rester chez soi, sans médicament, sans vaccin… Est-ce très différent de ce qui se passait à Marseille pendant la peste de 1720 ?

Ce rappel incroyable de notre substrat biologique se double d’un autre rappel, celui de l’importance de la chaîne d’approvisionnement, déficiente pour les médicaments, les masques ou les tests, mais qui fonctionne pour l’alimentation, sans quoi ce serait très vite la dislocation sociale et la mort de masse. C’est une leçon d’humilité dont sortiront peut-être, à terme, de bonnes choses, mais auparavant, il va falloir faire face à nos dénis.

De même qu’on avait prévu la Grande Guerre, on avait prévu la possibilité d’une grande pandémie. Par exemple, le Livre blanc de la Défense de 2008 inscrivait déjà les pandémies comme une des menaces à envisager. Mais, comme pour la guerre, il existe toujours une dissonance cognitive entre l’événement imaginé et l’événement qui survient. Ce dernier ne correspond jamais à ce que l’on avait prévu. Ceci nous a rendu incapables de profiter des capacités d’anticipation dont nous pensions disposer.

Même si, comme chercheur, je trouve que ce confinement généralisé et interminable constitue une expérience sociale du plus haut intérêt, je crains donc que nous devions nous préparer à une sortie de temps de guerre très difficile.

De quoi dépendra que l’après soit plus difficile ou porteur d’espoir ?

Cela dépendra sans doute des modalités de la « victoire ». Je pense qu’il y aura victoire, car le virus a vocation à s’éteindre, comme s’est éteint celui de la grippe espagnole en 1918-1919. Mais le virus disparaîtra-t-il « naturellement » ou sera-t-il vaincu par nos capacités techniques et organisationnelles ? Et quel sera le prix de la victoire ? Si le bilan est très lourd, je crains alors que l’après-coup ne soit terrible. À cela s’ajoute le fait que certaines régions du monde pourront avoir le sentiment d’avoir vaincu la maladie, tandis que d’autres seront défaites, je pense notamment aux pays les plus pauvres.

Pendant la Première Guerre mondiale en France, on n’imaginait pas vraiment le monde de l’après-guerre. Il fallait gagner, refermer la parenthèse, et puis « l’Allemagne paierait ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, les choses ont été différentes puisque la construction de la société d’après-guerre a commencé bien avant que les combats ne se terminent.

Cette fois, on a le plus grand mal à penser « l’après », même si on s’y essaie, parce qu’on sait qu’on ne sera pas débarrassés de ce type de pandémie, même une fois la vague passée. On redoutera la suivante. Or, rappelons que le Covid-19 a jusqu’ici une létalité faible par rapport au Sras ou à Ebola. Mais imaginons qu’au lieu de frapper particulièrement les plus âgés, il ait atteint en priorité les enfants ?… Nos sociétés se trouveraient déjà en situation de dislocation sociale majeure.

Je suis, au fond, frappé par la prégnance de la dimension tragique de la vie sociale telle qu’elle nous rattrape aujourd’hui, comme jamais elle ne nous avait rattrapés jusqu’ici en Europe depuis 1945. Cette confrontation à la part d’ombre, on ne peut savoir comment les sociétés et leurs acteurs vont y répondre. Ils peuvent s’y adapter tant bien que mal, mieux qu’on ne le pense en tout cas, ou bien l’inverse.

Je reste sidéré, d’un point de vue anthropologique, par l’acceptation, sans beaucoup de protestations me semble-t-il, des modalités d’accompagnement des mourants du Covid-19 dans les Ehpad. L’obligation d’accompagnement des mourants, puis des morts, constitue en effet une caractéristique fondamentale de toutes les sociétés humaines. Or, il a été décidé que des personnes mourraient sans l’assistance de leurs proches, et que ce non-accompagnement se poursuivrait pour partie lors des enterrements, réduits au minimum. Pour moi, c’est une transgression anthropologique majeure qui s’est produite quasiment « toute seule ». Alors que si on nous avait proposé cela il y a deux mois, on se serait récriés en désignant de telles pratiques comme inhumaines et inacceptables. Je ne m’insurge pas davantage que les autres. Je dis simplement que devant le péril, en très peu de temps, les seuils de tolérance se sont modifiés à une vitesse très impressionnante, au rythme de ce qu’on a connu pendant les guerres. Cela semble indiquer que quelque chose de très profond se joue en ce moment dans le corps social.

L’ouvrage que vous aviez dirigé avec Christophe Prochasson en 2008, intitulé Sortir de la Grande Guerre (Tallandier), montrait notamment que la sortie de guerre n’avait pas le même sens dans chaque pays. Pensez-vous que dans un monde confronté au coronavirus, la sortie du confinement sera très différente selon les pays ?

Nous ne sommes pas dans le même type d’événement. En 1918, il y avait des vainqueurs et des vaincus, des nations humiliées et d’autres triomphantes. Mais la gestion différentielle de la crise peut entraîner une dissociation qu’on voit déjà se profiler en pointillé. Entre les États qui s’en seront relativement bien sortis, comme peut-être l’Allemagne, et ceux qui auront été touchés de plein fouet, à l’instar de l’Italie. Entre les États qui se seront organisés en supprimant les libertés publiques, comme la Hongrie, et ceux qui auront essayé de les maintenir au moins en partie.

Peut-on aussi imaginer des changements de statut selon les professions confrontées très inégalement à la crise ?

La reprise de la phrase de Georges Clemenceau par Emmanuel Macron était discutable, mais elle dit quelque chose de vrai : les soignants vont sortir de là un peu comme les poilus en 1918-1919, avec une aura d’autant plus forte que les pertes seront là pour attester leur sacrifice. Le sacrifice, par définition, c’est ce qui rend sacré. On peut donc tout à fait imaginer la sacralisation de certaines professions très exposées, et une démonétisation de beaucoup d’autres (les métiers universitaires, par exemple ?). En termes de capital symbolique, comme aurait dit Bourdieu, les statuts sociaux vont se trouver modifiés. Pour parler de mon domaine, les sciences sociales, il se peut que des domaines entiers se trouvent démonétisés et que d’autres émergent, avec une nouvelle hiérarchie des centres d’intérêt et des priorités. Il n’est malheureusement guère possible de donner des exemples, car les sciences sociales sont dénuées de toute capacité prédictive y compris dans le champ qui leur est propre !

Peut-on déterminer la durée d’une sortie de crise ou d’une sortie de guerre ?

Il ne me semble pas. La notion d’après-guerre suggérait une date déterminant un avant et un après : l’armistice du 11 novembre par exemple ou le traité de Versailles de juin 1919. Mais la notion de « sortie de guerre », plus riche, suggère en réalité un glissement. À la limite, on peut ne jamais sortir complètement d’un événement guerrier… Certaines en sortent, d’autres pas. On peut faire l’hypothèse que les sociétés française et britannique, par exemple, ne sont jamais sorties complètement de la mort de masse du premier conflit mondial. La notion de sortie de guerre suggère une direction, pas un segment chronologique avec un début et une fin. N’en sera-t-il pas de même pour une « sortie de pandémie » dont on ne peut connaître ni les effets ni la durée ?

Est-ce que, dès le début de la Grande Guerre, les responsabilités ont été recherchées, comme elles le sont aujourd’hui ?

Pas vraiment. En raison de l’Union sacrée, l’inventaire des erreurs commises a été remis à plus tard. Cette fois, on sent bien qu’il y aura inventaire, mais on s’accorde globalement pour estimer qu’il n’est pas temps de le dresser au cœur de l’action. Mais « l’Union sacrée », selon l’expression du président Poincaré, le 4 août 1914, n’est qu’une suspension du combat politique. Elle ne consiste pas à dire qu’il n’existe plus d’affrontement, mais que chaque acteur a intérêt à y renoncer momentanément tout en pensant, plus tard, ramasser la mise.

De ce point de vue, les accusations actuelles me semblent n’être rien par rapport à ce qui va suivre. À la sortie, le combat politique a de bonnes chances d’être plus impitoyable que jamais, d’autant qu’on ne manquera pas de déclarations imprudentes et de décisions malvenues pour alimenter la machine. Rappelons au passage qu’en France, les unions sacrées s’achèvent en général en profitant aux droites, voire à l’extrême droite. Cette seconde hypothèse, je la redoute beaucoup pour notre pays.

22 avril 2020

Déclaration de revenus

irpp jusquau 11 juib

22 avril 2020

5th Nude Workshop from Gene Oryx on Vimeo.

22 avril 2020

Laetitia Casta

casta88

22 avril 2020

Téléphonie : la 5G joue son avenir en pleine pandémie de Covid-19

Par Charles de Laubier

Le mobile ultrarapide est rattrapé par la crise sanitaire, qui exacerbe un débat sur la souveraineté technologique déjà présent. Si les Européens temporisent, les Américains pensent, eux, avoir trouvé la parade pour contrer les Chinois.

Pas de chance pour la 5G. Alors que de nombreux salariés confinés chez eux expérimentent les avantages de l’Internet rapide sur leur mobile, la nouvelle génération censée révolutionner les usages devra attendre un peu plus. Les enchères d’attribution des fréquences entre Orange, SFR, Bouygues Telecom et Iliad (Free), qui devaient se tenir mardi 21 avril, sont reportées sine die pour cause de Covid-19. Et, avec elles, l’ouverture au grand public, prévue pour la fin de l’année.

Un défi de plus à relever pour cette technologie, déjà prise en otage dans la guerre technologique à laquelle se livrent Américains et Chinois sur fond d’accusation d’espionnage. La pandémie, qui freine le déploiement de la 5G, pourrait bien avoir d’autres conséquences à plus long terme. Non seulement elle démontre l’utilité de cette technologie, mais elle pourrait aussi permettre aux Américains, grands perdants de la bataille actuelle, de profiter de la confusion pour revenir dans la course aux équipements dominée par le chinois Huawei et ses concurrents européens Nokia et Ericsson.

« Le confinement a eu pour effet d’augmenter de façon exponentielle les communications Internet et les vidéoconférences. Les réseaux sont saturés. Les fournisseurs de contenus ont dû réduire la demande de la bande passante [les débits] pour leurs contenus (Netflix, Facebook, YouTube…). La demande de télétravail et de vidéoconférences restera sûrement très forte après la crise », estime Thierry Maupilé, vice-président exécutif d’Altiostar, un fournisseur américain d’une nouvelle génération de réseaux mobiles.

Selon lui, le Covid-19 pourrait bien être l’étincelle qui donne une accélération aux projets de déploiement de la 5G. Ce Français, installé dans la Silicon Valley, en veut pour preuve le lancement commercial – prévu cet été au Japon – du réseau 5G de l’un de ses clients, l’opérateur Rakuten Mobile. En Europe, avec ses solutions de réseaux 5G virtuels, plus souples et moins coûteux à déployer que les infrastructures télécoms traditionnelles, Altiostar, créée en 2011, a aussi séduit l’espagnol Telefonica.

Offensive chinoise

Pour l’instant, ces technologies restent marginales et le vainqueur de la course à l’Internet mobile ultrarapide est sans conteste la Chine. La crise actuelle la conforte dans ses choix. « Il y a une dynamique chinoise à accélérer l’adoption de la 5G, qui était déjà une priorité avant le Covid-19, afin de vite permettre davantage d’utilisations à distance (éducation, médecine, procédés industriels, etc.) et d’être aussi plus préparés à la poursuite des activités économiques en cas de crise », relève Sylvain Fabre, analyste au sein du cabinet d’études Gartner.

« IL SEMBLERAIT QU’EN GÉNÉRAL, EN EUROPE, ON ASSISTE À UNE TEMPORISATION DES EFFORTS SUR LA 5G, AVEC UN FOCUS SUR LA 4G », OBSERVE SYLVAIN FABRE

L’empire du Milieu pourrait ainsi sortir grandi de cette épreuve et renforcer son leadership mondial dans les réseaux 5G. Une offensive qui contraste avec un certain attentisme européen. « Il semblerait qu’en général, en Europe, on assiste à une temporisation des efforts sur la 5G, avec un focus sur la 4G – laquelle est déjà en place et permet de poursuivre les activités des entreprises et de l’industrie », observe Sylvain Fabre.

Car l’Europe, qui abrite pourtant sur son sol deux des derniers champions occidentaux du domaine, est tiraillée entre son souhait de ne pas se priver des équipements de Huawei, dont ses opérateurs sont friands, et ses difficultés à résister aux pressions et chantages qu’exerce depuis près d’un an et demi Washington sur les Etats européens pour qu’ils bannissent eux aussi Huawei de leurs fournisseurs de réseaux mobiles 5G. L’administration Trump, en pleine « phase 2 » de ses négociations commerciales avec la Chine, n’a de cesse d’accuser Huawei de cyberespionnage pour le compte de Pékin, sans toutefois en apporter les preuves. Ce qui n’empêche pas le discours sur la souveraineté technologique de rencontrer un écho de plus en plus favorable du côté des gouvernements européens.

En France, SFR et Bouygues Telecom attendent toujours que le premier ministre autorise – conformément à la loi relative aux réseaux mobiles du 1er août 2019 – la présence d’équipements Huawei dans leurs futurs réseaux 5G. Mais à condition que ces derniers respectent des règles de « défense et de sécurité nationale » (éviter les lieux sensibles, les cœurs de réseaux…). Illustration de l’ambiguïté française, Paris déroule dans le même temps le tapis rouge au chinois, qui a annoncé fin février son projet de construire en France sa première grande usine en dehors de son pays. Chacun à sa manière, tous les pays européens chantent la même chanson d’un souverainisme à géométrie variable. A commencer par les Britanniques et les Allemands, pourtant d’habitude plus sensibles aux pressions de Washington.

L’avance technologique de Huawei

Car du côté des opérateurs, le discours est toujours le même : ils ne veulent pas se passer de Huawei, moins cher et plus en avance technologiquement que ses concurrents suédois (Ericsson) ou finlandais (Nokia). Le chinois est aujourd’hui le premier déposant mondial et européen de brevets, tous secteurs confondus. En 2019, il a dépensé 18,6 milliards de dollars en recherche et développement, soit quatre fois plus que Nokia (4,8 milliards).

« En 2018, les Européens étaient effectivement en retard, confirme Stéphane Téral, analyste télécoms chez Informa Tech. Ericsson a quelque peu regagné du terrain en 2019, tandis que Nokia a été confronté à des problèmes de performances de ses équipements 5G liés à son choix technique de 2017 (la technologie FPGA, pour Field Programmable Gate Arrays), avant de repasser sur une autre technologie (SoC, pour System on a Chip), et travaille dur pour réparer la casse ! »

La pandémie de Covid-19 et la chasse aux sorcières dont est victime le chinois Huawei permettront-elles aux équipementiers télécoms européens de remonter la pente ? Rien n’est moins sûr. Car les fournisseurs américains sont en embuscade. Et c’est cela la grande nouveauté.

AVEC LA « VIRTUALISATION », « LES OPÉRATEURS PEUVENT RÉDUIRE LES COÛTS D’INVESTISSEMENT ET DE MAINTENANCE DU RÉSEAU DE 30 % À 40 % », EXPLIQUE THIERRY MAUPILÉ, VICE-PRÉSIDENT EXÉCUTIF DE D’ALTIOSTAR

Outre Cisco, leader mondialement reconnu pour ses passerelles et routeurs de « cœurs de réseau », mais seulement en cinquième position selon Gartner, les autres challengers sont bien moins connus en Europe : Ciena, Juniper Networks, Altiostar, Mavenir, Parallel Wireless ou encore Affirmed Networks, tout juste racheté par Microsoft. Ils constituent la botte secrète de l’« America First » chère à Donald Trump pour que le pays prenne sa revanche. « C’est le crash de 2000 qui a déclenché la grande crise des télécoms et a poussé à une consolidation sans précédent. Cela a tué les équipementiers américains. Cisco, Ciena et Juniper Networks sont les seuls survivants de cette époque », rappelle Stéphane Téral.

Pour l’instant, interdits de Huawei, les opérateurs mobiles américains ont privilégié les européens Ericsson et Nokia, au point qu’il a été suggéré, début février, par William Barr, le ministre de la justice américain, que « les Etats-Unis et leurs alliés » prennent le contrôle capitalistique du suédois ou du finlandais afin de faire barrage à Huawei. Une idée aussitôt démentie par la Maison Blanche.

Outre un texte de loi adopté en juillet 2019 par le Sénat américain, qui conditionne l’octroi de subventions fédérales au remplacement des équipements Huawei déjà installés aux Etats-Unis, Washington mise sur la « virtualisation » des réseaux 5G. Le coûteux matériel télécom disparaît au profit de logiciels réseau économiques et accessibles à distance par le cloud, comme une banale application Internet. « En plus des avantages de performance et de flexibilité, les opérateurs peuvent réduire radicalement les coûts d’investissement et de maintenance du réseau de l’ordre de 30 % à 40 %, comme c’est le cas pour le réseau de Rakuten au Japon », explique Thierry Maupilé.

« Killer application »

Les nouveaux venus pensent avoir trouvé la « killer application » face à leurs rivaux de l’empire du Milieu et du Vieux Continent : la virtualisation du réseau d’accès radio (technologie vRAN). Cette technique est bien moins coûteuse que son équivalent matérialisé. « Les nouveaux fournisseurs de vRAN se sont démarqués par leur approche du XXIe siècle, montrant ce que devrait être maintenant un réseau de télécommunications », assure le consultant Stéphane Téral.

Ces start-up installées entendent convaincre les opérateurs mobiles de l’alliance O-RAN (pour Open-Radio Access Network), créée en février 2018 par AT&T, China Mobile, Deutsche Telekom, NTT Docomo et Orange, depuis rejoints par BT, Vodafone, Bell Canada, ainsi que des fournisseurs de réseaux mobiles (dont Altiostar et Mavenir). « Grâce aux standards ouverts (3GPP et O-RAN), les opérateurs ont maintenant la possibilité de construire un réseau mobile de bout en bout avec un grand choix de fournisseurs, dont de nombreux américains, y compris Intel, Qualcomm, IBM/Red Hat, Cisco, Dell/VMware… », se félicite Thierry Maupilé.

L’alliance O-RAN promeut au niveau mondial un écosystème ouvert (interopérable) des équipements assurant les connexions des terminaux mobiles (smartphones, tablettes…) aux réseaux. C’est une petite révolution dans le monde des télécoms, habitué aux solutions verrouillées. Le chinois ZTE est membre de cette alliance basée près de Bonn, en Allemagne, mais pas Huawei, qui ne croit pas à la réduction des coûts à long terme par ce concept d’interfaces ouvertes entre composants réseau séparés.

Le champion chinois des équipements 5G n’est pas non plus membre du Telecom Infra Project (TIP), cofondé en 2016 par Facebook pour mettre d’accord le plus d’industriels possible sur une infrastructure ouverte. Vodafone, qui doit diminuer le poids de Huawei dans le cœur de ses réseaux sur les instructions de l’Europe, expérimente la solution du TIP, à l’instar de Telefonica en Allemagne et de Telecom Italia au Brésil. En février, O-RAN et TIP se sont engagés à collaborer autour de la 5G.

Sans oublier les incontournables géants américains de l’Internet. « On a assisté à la montée en puissance d’Amazon, Facebook, Google et Microsoft, qui ont construit leurs propres réseaux, plus efficaces, simples et agiles que les réseaux télécoms traditionnels, qui prennent beaucoup de temps pour évoluer. L’ironie du sort est que leurs initiatives poussent les autres à adopter leurs architectures simplifiées, qui utilisent les principes de virtualisation et de cloud », constate Stéphane Téral.

En jetant fin mars son dévolu sur Affirmed Networks, pour plus de 1,3 milliard de dollars, Microsoft fait un pas décisif dans la virtualisation de réseau. La 5G made in USA se sent pousser des ailes. Cette bataille pour le mobile ultrarapide, qui pourrait se déployer jusque dans l’Internet des objets et les voitures connectées, préfigure un bouleversement technologique majeur pour la génération suivante. En dépit des crises sanitaire et géopolitique, le futur des télécoms s’invite à nouveau dans la Silicon Valley. Et les Européens ont peu de temps pour réagir.

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