Synthèse - Postes clés de l’Union européenne : la France et l’Allemagne se taillent la part du lion
Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen
Les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord pour nommer l’Allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission ; la Française Christine Lagarde hérite de la Banque centrale européenne.
L’accouchement fut relativement long, et douloureux. Mais au terme de ce quatrième sommet en l’espace d’un mois, le résultat est plutôt rafraîchissant : pour la première fois de sa courte histoire, l’Union européenne (UE) devrait nommer deux femmes aux postes de pouvoir majeurs : la Commission et la Banque centrale (BCE).
Ursula von der Leyen, 60 ans, l’actuelle ministre allemande de la défense, devrait remplacer le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission à la fin octobre.
Elle est née à Bruxelles dans une grande famille aristocratique, parle parfaitement le français et fut également ministre fédérale de la famille, puis des affaires sociales du gouvernement Merkel. Mère de sept enfants, fille du ministre-président de Basse-Saxe Ernst Albrecht, elle est considérée comme une conservatrice modérée.
C’est Emmanuel Macron, qui, lundi 1er juillet, a proposé son nom à la chancelière, pour tenter de sortir les négociations de l’ornière, ressuscitant une idée évoquée il y a un an, lors d’une discussion informelle entre les deux dirigeants. Pendant presque dix-neuf heures, les Vingt-Huit s’étaient écharpés sur l’idée de nommer le socialiste néerlandais Frans Timmermans à la Commission. En vain, une dizaine de pays, Italie et Pologne en tête, refusant ce schéma.
Un changement considérable pour l’UE
La France a aussi poussé, ces derniers jours, la candidature de Christine Lagarde pour la présidence de la BCE. Avec succès : l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) devrait remplacer l’Italien Mario Draghi à la fin octobre.
Angela Merkel apprécie depuis longtemps l’ancienne ministre des finances de Nicolas Sarkozy qui, sur Twitter, s’est dite « très honorée » d’avoir été choisie et a annoncé qu’elle quittait « provisoirement » le FMI. Christine Lagarde « a toutes les compétences et qualités pour diriger la BCE » a affirmé M. Macron, balayant les critiques sur le profil de l’intéressée, qui n’a jamais dirigé une banque centrale.
Le fait de nommer deux femmes à des postes aussi stratégiques représente, au moins symboliquement, un changement considérable pour l’UE. « Nos sociétés sont paritaires, l’accès aux postes de responsabilité doit l’être également », s’est félicité le président français, Angela Merkel se réjouissant aussi de cette première.
Le premier ministre belge Charles Michel, 43 ans, s’en ira, lui, présider le Conseil en décembre. Il remplacera le Polonais Donald Tusk. Ce libéral impressionne peu par son charisme, mais il est apprécié « pour sa capacité à former des compromis », souligne un diplomate. Des qualités jugées cruciales à Paris, qui a peu apprécié la présidence de M. Tusk. « Je veux promouvoir l’unité, la diversité et la solidarité », a affirmé son successeur.
Enfin, c’est le socialiste espagnol Josep Borrell, 72 ans, qui remplacera l’Italienne Federica Mogherini au poste de Haut Représentant de l’UE. Il a présidé le Parlement de Strasbourg entre 2004 et 2007 et occupera un poste à la fois exposé et difficile, obligeant à composer avec des diplomaties nationales encore jalouses de leurs prérogatives.
Le principe du « spitzenkandidat » affaibli
Mme Merkel et M. Macron avaient-ils, il y a un mois, vraiment pensé toutes les étapes de ce laborieux processus ? Probablement pas. Le président français voulait surtout éviter la nomination de l’Allemand Manfred Weber, chef de file de la droite européenne, pas assez expérimenté pour le poste, selon lui. La chancelière était, de son côté, très embarrassée par cette candidature qu’elle soutenait tout en donnant l’impression de ne pas trop y croire.
Après trois sommets infructueux, ils sont plutôt bien retombés sur leurs pieds et M. Macron apparaît à beaucoup comme le gagnant de cette séquence quand même douloureuse pour l’image de l’UE. Il a réussi à affaiblir, sinon à détruire, le principe très allemand du « spitzenkandidat » que défendait le Parti populaire européen (PPE, conservateurs), accroché au principe de voir la tête de liste de la formation politique remportant les élections partir pour la Commission. Le président français a aussi réussi à déstabiliser le PPE, divisé entre ceux qui soutenaient M. Weber et ceux qui préféraient le laisser tomber en faveur d’un candidat plus solide.
Emmanuel Macron envoie surtout une compatriote à la BCE, huit ans après la fin du mandat de Jean-Claude Trichet à la tête de l’institution monétaire. Et il disposera d’une personne de confiance au Conseil, avec Charles Michel.
Le fait d’avoir proposé Ursula von der Leyen pourrait l’autoriser par ailleurs, au début du moins, à pousser davantage son agenda européen – un budget de la zone euro, une politique industrielle plus volontariste et plus protectionniste, etc. Enfin, le marché pour les portefeuilles de la Commission ayant commencé, la France espère aussi un « grand portefeuille économique, de conquête ».
Mardi soir, le chef de l’Etat français voyait en Ursula von der Leyen une « très bonne candidate ». Il dit compter sur elle et sur M. Michel pour mettre sur les rails une « conférence européenne », destinée, entre autres, à « revoir les modes de fonctionnement » de l’UE.
Angela Merkel place quant à elle une personne de confiance, loyale, à la tête de la Commission. Pour Berlin, cette nomination représente un autre symbole, fort : le pays assume, pour la première fois depuis 52 ans, le tout premier rang dans l’UE.
Un vaste meccano aux nombreux perdants
La « victoire » de la chancelière est moins nette que celle de M. Macron et elle a d’ailleurs dû s’abstenir lors du vote au Conseil sur le nom de Mme von der Leyen, obligée de ménager son partenaire de coalition à Berlin, le SPD (sociaux-démocrates), ulcéré de l’éviction de Frans Timmermans sous la pression du PPE.
Les perdants de ce grand meccano sont, eux, relativement nombreux. Margrethe Vestager, la libérale, a pu espérer un temps diriger la Commission, mais la Danoise devra se contenter d’une vice-présidence. Idem pour M. Timmermans et le Slovaque Maros Sefcovic, eux aussi destinés à rester des numéros deux. Quant au Belge Guy Verhofstadt, qui rêvait du perchoir du Parlement européen, il présidera seulement, si tout se passe bien, la « conférence sur l’Europe » voulue par Paris.
Michel Barnier a, lui aussi, sérieusement pensé qu’il remplacerait M. Juncker à la tête de la Commission mais il restera le « M. Brexit » de l’UE. Enfin, M. Weber, qui a fait campagne durant des mois, a même, faute de soutien, renoncé à la présidence de l’assemblée de Strasbourg, qui lui était promise en guise de lot de consolation…
L’« équipe d’Europe » que loue Emmanuel Macron n’est toutefois pas encore en place : Ursula von der Leyen doit décrocher le feu vert du Parlement et, mardi soir, nombre d’eurodéputés réagissaient très mal à la fin, de fait, du système des « spitzenkandidaten ». Les socialistes notamment regrettaient bruyamment la mise à l’écart de M. Timmermans, et les Verts, grands oubliés de la distribution des postes, dénonçaient des nominations opaques et des manœuvres « en coulisse ».
Le Parlement osera t-il cependant entrer en guerre contre les dirigeants de l’UE, au risque de plonger cette dernière dans une profonde crise au cœur de l’été ? « Peu probable », estimaient des diplomates bruxellois après cette séquence assez homérique.