A Evreux, le tout premier « service national universel » cherche son identité
Par Violaine Morin, Evreux, envoyée spéciale
Deux mille jeunes volontaires de 15 à 16 ans, issus de treize départements, viennent d’entamer le « séjour de cohésion » du service national universel. Ils réaliseront, dans un deuxième temps, une « mission d’intérêt général ».
Il est 7 h 30, ce lundi 17 juin à Evreux lorsque les 136 jeunes « appelés » du service national universel (SNU) lèvent les couleurs pour la première fois, sur le campus verdoyant du lycée Aristide-Briand, où ils passeront les douze prochains jours.
Cette cérémonie, largement inspirée des pratiques militaires, semble plonger les jeunes, âgés de 15 à 16 ans, dans une grande émotion. A part quelques-uns qui sortent des rangs, le teint légèrement verdâtre : il ne sera pas dit que l’on n’a pas fait les choses à la loyale, en réveillant tout le monde à 5 h 50 pour lever les couleurs avant le petit-déjeuner. L’esprit « service », tout universel qu’il soit, est bien là.
Pourtant, à la fin de cette journée de juin, les « appelés » du SNU, répartis en trois « compagnies » d’environ 50 jeunes, auront réalisé, pêle-mêle, les activités suivantes : jouer au foot, au relais ou à la « balle assise », somnoler en écoutant un exposé sur l’histoire du système judiciaire, inventer des cris de guerre pour sa « maisonnée »… Et les nombreux journalistes venus voir l’ouverture de la phase pilote du SNU n’auront pas manqué de se demander où ils ont bien pu tomber. A l’école ? Au service militaire ? En colonie de vacances ?
Le SNU, qui concerne 2 000 volontaires cette année et devrait, à terme, couvrir une classe d’âge entière (environ 800 000 jeunes), veut précisément mélanger ces trois cultures que sont l’école, l’armée et l’éducation populaire. Le recrutement des cadres s’est fait en ce sens : les tuteurs des « maisonnées » sont des jeunes diplômés du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), apportant clairement les codes de la « colo » à la vie du centre.
« Recréer de la cohésion et de l’engagement »
Les « chefs de compagnie » et leurs adjoints, eux, ont été recrutés avec un souci manifeste d’équilibre : certains sont réservistes – l’un d’entre eux réussit même un doublé, à la fois gendarme réserviste et professeur d’histoire – et une bonne partie sont issus de l’éducation populaire. Dans l’équipe de direction, on trouve une enseignante d’anglais et un ancien colonel de l’armée de l’air.
Les militaires et les animateurs en éducation populaire sauront-ils s’entendre ? Apparemment, oui. « Peut-être qu’il y avait quelques préjugés au départ, admet Stanislas, animateur professionnel de 26 ans. « Mais, si nous n’avons pas les mêmes outils, nous avons les mêmes objectifs : recréer de la cohésion et de l’engagement. »
Les 2 000 appelés du SNU « première version » devront réaliser, à l’issue de ce séjour de cohésion, une « mission d’intérêt général » de douze jours (ou 84 heures réparties sur l’année à venir), auprès d’un « corps en uniforme » (pompiers, gendarmerie), d’un service public ou d’une association.
Les jeunes volontaires – plutôt ravis de leur sort, malgré la grosse fatigue du premier matin – devront aussi trouver leur compte dans cet alliage inédit qui n’est ni tout à fait l’école, ni tout à fait un service volontaire (certains en ont déjà réalisé chez les pompiers), ni vraiment une colo. Sur ce point, les préférences divergent. Il y a les appelés aux métiers de la défense et de la sécurité, comme Alisée, qui avait imaginé quelque chose de « plus strict ». Il y a les grands sportifs comme Sixtine, qui rêvait d’un « parcours du combattant, où on rampe dans la boue et tout ! » Une image qui fait rêver certains mais pourrait en angoisser d’autres…
Que l’on se rassure, il n’en sera rien, assure Florence Desjardins, directrice adjointe chargée de la pédagogie du centre d’Evreux : « C’est un service universel : il doit être accessible et inclusif. Des parcours de ce type, très durs physiquement, ne sont pas du tout au programme. »
« Rencontrer des jeunes issus d’autres territoires »
Les futurs pompiers ou gendarmes auront leur part de découvertes : une journée sur la « sécurité intérieure » est prévue, en partenariat avec la police, la gendarmerie et les sapeurs-pompiers. Mais il y en aura aussi pour ceux, comme Sacha, qui attendent avec plus d’impatience la partie culturelle du programme. Invités en Normandie, les appelés d’Evreux visiteront les plages du débarquement et le mémorial de Caen, puis la maison de Claude Monet à Giverny (Eure), avant d’assister à une pièce de théâtre.
« On vient surtout pour rencontrer de nouvelles personnes, qu’on n’aurait pas forcément croisé autrement », ajoute Sacha. Cette envie sera sur toutes les bouches, y compris lors de la visite du secrétaire d’Etat à la jeunesse, Gabriel Attal, qui porte le projet du SNU. « Dans leur grande majorité, les appelés disent vouloir rencontrer des jeunes issus d’autres territoires, a-t-il constaté, lundi après-midi, devant la presse. Il y a une envie très forte de sortir d’une jeunesse qui fonctionne trop souvent en silo. » Et de glisser que, bien entendu, les jeunes pourront petit-déjeuner avant le lever des couleurs plutôt qu’après.
Les organisateurs de la phase pilote du SNU répéteront à de nombreuses reprises qu’il s’agit d’un « test », qu’il faudra « évaluer les résultats »… Une mission de recherche a d’ailleurs été confiée à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Serait-ce cher payé pour un test ? Le SNU coûte 2 000 euros par participant, selon les chiffres avancés par le secrétariat d’Etat à la jeunesse. Soit 4 millions d’euros pour cette session, et 80 pour la suivante, qui devrait concerner 40 000 volontaires…
Un atelier « symboles républicains »
A terme, le service « vraiment universel », qui sera obligatoire pour tous les jeunes d’une même tranche d’âge, devrait coûter 1,7 milliard d’euros. Une somme qui serait mieux employée ailleurs, selon ses détracteurs, comme Régis Juanico, député (PS puis Génération.s) de la Loire fermement opposé à ce projet « redondant avec le service civique » et dont il craint qu’il ne siphonne les financements déjà exsangues.
Le SNU empiète en outre sur d’autres enjeux : « On nous dit qu’il doit recréer de la mixité sociale, mais ça, c’est la mission de l’école, et c’est sur cela qu’il faudrait mettre le paquet ! », tonne encore le député.
Pendant ce temps, à l’atelier « symboles républicains » qui réunit un groupe de garçons assis en rond sur la pelouse, l’un d’entre eux tente de répondre à la question « Pourquoi avons-nous besoin d’un SNU ? » « Pour retrouver quelque chose qu’on a perdu », risque-t-il timidement. « Et qu’est-ce qu’on a perdu ? », encourage l’animateur. « Bah, la fraternité. » L’avenir dira si cette recette l’emporte sur toutes les autres.