A Hanoï, Donald Trump fait le pari de la confiance en Kim Jong-un
Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant, Gilles Paris, Washington, correspondant
Le président américain espère que leur rencontre au Vietnam aboutira à des annonces concrètes du dirigeant nord-coréen.
Le pari de Donald Trump sur la Corée du Nord va être mis à l’épreuve à Hanoï, les mercredi 27 et jeudi 28 février. Après une première rencontre historique à Singapour avec Kim Jong-un, en juin 2018, le président des Etats-Unis avait assuré sur son compte Twitter qu’« il n’y a plus de menace nucléaire nord-coréenne ».
Cette rencontre s’était cependant soldée par un communiqué aux termes assez vagues pour qu’il soit l’objet d’interprétations différentes de l’objectif de « dénucléarisation » : limitée à la Corée du Nord ou bien visant la totalité de la péninsule, en concernant par conséquent aussi le parapluie nucléaire américain sur la Corée du Sud. Le président des Etats-Unis doit, cette fois, obtenir des résultats concrets.
Des observateurs optimistes, notamment au sein du Center for International Security and Cooperation de Stanford (Californie), ont mis l’accent dans une tribune au Washington Post sur un résultat positif du sommet de Singapour : l’arrêt des tests sur les programmes nucléaire et balistique nord-coréens.
Donner plus de substance au dialogue amorcé à Singapour
Dans un discours prononcé à l’université de Stanford, en janvier, l’envoyé spécial de Donald Trump chargé de la Corée du nord, Stephen Biegun, a donné des indications d’une possible souplesse américaine, notamment sur la question d’une déclaration par Pyongyang de son arsenal nucléaire supposé et des installations afférentes.
Le 19 février, Donald Trump a renchéri. « Je ne suis pas pressé. Il n’y a pas de test. Tant qu’il n’y a pas de test, je ne suis pas pressé », a-t-il indiqué à propos de l’objectif de dénucléarisation.
A Hanoï, Donald Trump et Kim Jong-un devront donner plus de substance au dialogue amorcé à Singapour. Selon Séoul, une déclaration politique commune, par laquelle les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) annonceraient qu’ils ne sont plus en guerre, constituerait une avancée importante. Les deux pays sont techniquement toujours en conflit, les hostilités de 1950-1953 ayant été suspendues par un simple armistice.
« Il existe une forte possibilité que les Etats-Unis et la RPDC s’entendent pour une telle déclaration », a déclaré, lundi 25 février, Kim Eui-kyeom, porte-parole du président sud-coréen Moon Jae-in. Un tel communiqué serait le prélude à un traité de paix, qui n’arriverait qu’une fois des progrès accomplis sur la dénucléarisation. Entre-temps, les dispositions de l’accord d’armistice resteraient en place.
Sites cruciaux
Les Nord-Coréens, de leur côté, pourraient faire des gestes. D’abord par un engagement formel de ne pas poursuivre leurs essais nucléaires et balistiques. Ensuite en autorisant l’accès à plusieurs sites : celui pour les essais nucléaires de Punggye-ri, dont les tunnels ont officiellement été condamnés en mai 2018 ; le centre de tirs et de recherche sur les moteurs de missiles balistiques de Sohae-Tongchang-ri ; ainsi que la centrale nucléaire de Yongbyon qui produit de la matière fissile.
Ces possibles concessions soulèvent cependant le scepticisme de certains experts américains, comme Sue Mi Terry, du Center for Strategic and International Studies, un cercle de réflexion de Washington. Cette dernière a estimé au cours d’une table ronde, le 22 février, que ces accès pourraient être l’objet d’interminables négociations et détourner l’attention d’autres sites cruciaux.
« Ce qui me préoccupe, c’est que le président veuille peut-être plus la paix que la dénucléarisation », a jugé de son côté Scott Snyder, du Council on Foreign Relations, à l’occasion d’une conférence, le 21 février. La volonté de Donald Trump de parvenir à des résultats, coûte que coûte, pourrait le pousser à faire des concessions plus importantes que celles auxquelles pourrait consentir Pyongyang.
A Singapour, Donald Trump avait ainsi annoncé un gel des manœuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud, qui avait frappé de stupeur le Pentagone comme Séoul.
« Changer de perception »
Le régime nord-coréen pourrait profiter de cet état d’esprit pour tenter d’imposer une réciprocité « gel pour gel » – des activités nucléaires d’un côté, des manœuvres militaires de l’autre – que Washington avait pourtant refusée en 2017. Le mot d’ordre était alors à des « pressions maximums » – une stratégie que le réchauffement intercoréen est en passe d’affaiblir, tout comme les contacts approfondis entre Kim Jong-un et son homologue chinois Xi Jinping.
Au-delà des éventuelles concessions de part et d’autre, « toute avancée sur le dossier nord-coréen suppose que les protagonistes changent de perception », estime Mark Caprio, spécialiste de l’histoire moderne de la Corée et professeur à l’université Rikkyo à Tokyo : « Les Etats-Unis doivent cesser de voir en la Corée du Nord une menace, et prendre conscience que le sentiment de menace est beaucoup plus fort à Pyongyang. »
A défaut de la prise en compte de ce que ressentent les Coréens du Nord, « on risque de retomber dans le cycle précédent des accords qui achoppent sur leur mise en pratique, avec cette fois des risques plus grands que par le passé », faisait valoir Yang Xiyu, de l’Institut chinois des études internationales, expert des questions nord-coréennes, au cours d’une récente conférence de l’Institut pour la paix Toda, à Tokyo.
Les deux questions sécuritaire et nucléaire sont liées : on ne peut résoudre la seconde sans avoir au préalable pris en compte la première.
Si le risque d’un blocage du dialogue amorcé entre Américains et Nord-Coréens n’est pas à écarter, la situation dans la péninsule a profondément évolué depuis le sommet de Singapour et incite à penser qu’il est difficile de revenir en arrière. Le rapide rapprochement intercoréen est un facteur qui pèse désormais sur les négociations entre Pyongyang et Washington.
Pour Séoul, il faut d’abord réduire les risques de confrontation dans la péninsule en évitant les activités hostiles le long de la zone démilitarisée qui sépare les deux pays ; signer une déclaration de fin de la guerre conduisant à un accord de paix se substituant à l’armistice de 1953 ; puis procéder à la dénucléarisation de la Corée du Nord et de la péninsule. Ce processus invite les Etats-Unis à renoncer à leur exigence d’une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible » de la RPDC comme préalable à toute négociation.
Mécanismes
Washington semble plus flexible. Au cours d’un entretien avec CNN, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a indiqué qu’une « réduction substantielle du risque » nord-coréen pourrait favoriser une levée partielle des sanctions. Ce qui donne à penser que, tout en maintenant les sanctions des Nations unies, les restrictions aux échanges intercoréens pourraient être réduites.
Des concessions initiales pourraient indiquer une bonne volonté réciproque qui a fait défaut jusqu’à présent au dialogue entre les Etats-Unis et la RPDC : « L’obstacle fondamental à tout progrès dans les pourparlers entre ces deux pays est l’absence de confiance », poursuit M. Yang. Cette confiance dépend certes de gestes de part et d’autre ; elle ne peut cependant pas se construire sur de simples engagements à respecter les termes d’un accord mais sur des mécanismes contraignants pris dans un cadre multilatéral, poursuit-il.
Dans le meilleur des cas, les Etats- Unis et la RPDC pourraient amorcer à Hanoï un processus conduisant à une remise à plat des équilibres dans la péninsule avec les principales puissances de la région, dans lequel s’inscrira la question de la dénucléarisation.