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Jours tranquilles à Paris
1 juillet 2020

Russie - Après le Covid-19, Poutine désacralisé  ?

NEZAVISSIMAÏA GAZETA (MOSCOU)

Le 1er juillet a lieu le référendum fédéral sur la réforme constitutionnelle ouvrant la voie à de possibles nouveaux mandats présidentiels pour Vladimir Poutine après 2024. Le célèbre publiciste Alexandre Tsypko, docteur en philosophie et professeur à l’Académie des sciences de Russie, veut croire que la pandémie a fait chuter le souverain de son Olympe.

Vladimir Poutine a un destin extraordinaire. Un parmi d’autres à l’été 1999, il est devenu quinze ans plus tard le père de la nation, que beaucoup de personnalités politiques ne dissocient plus de l’avenir du pays. Et le projet de loi présenté le 10 mars 2020 à la Douma a été la matérialisation du miracle russe du XXIe siècle : remettre les compteurs de Poutine à zéro après vingt ans au pouvoir, afin qu’il puisse continuer à décider de l’avenir du pays.

Le véritable maître de nos existences – le hasard – fatigué de l’arrogance des humains, a décidé, en nous accablant de cette pandémie, de remettre les compteurs de notre vie à zéro, y compris le baromètre de sacralisation de Poutine par le “peuple profond” de Russie [Concept introduit au début de 2019 par Vladislav Sourkov, l’un des idéologues du Kremlin, ndlr].

Il est apparu que lorsque la peur de la mort prend l’ascendant sur les esprits, le mysticisme qui se cache derrière la sacralisation du pouvoir de Poutine disparaît totalement. Sous nos yeux, la destinée de notre pays et celle du dauphin de Boris Eltsine miraculeusement devenu notre “tout”, se séparent.

C’est la différence entre la réaction populaire à un malheur à visage humain et sa réaction face à un malheur sans visage comme la pandémie actuelle. Habituellement, un malheur incarné, à l’exemple d’une menace militaire extérieure, tend à resserrer les liens entre le pouvoir et le peuple. Un malheur tel que le coronavirus, au contraire, creuse le fossé entre eux.

C’est ce qui se produit actuellement en Russie, malgré l’implication active de Poutine dans l’organisation du dépistage des malades et leur prise en charge. Les gens regardent différemment le monde et ceux qui les gouvernent lorsque la vie de chacun est menacée par le coronavirus. Et ce qu’ils voient, c’est que ceux qui nous gouvernent sont tout aussi mortels que nous autres. Malgré leur arrogance, ils ont le contrôle sur bien peu de choses en ce monde.

Dès 1993, Boris Eltsine avait rendu possible le retour de l’autocratie

On comprend maintenant que l’avenir de la Russie dépend en grande partie de l’impact qu’aura cette désacralisation de Poutine par la pandémie. Que pour démanteler l’autoritarisme poutinien comme le souhaite l’opposition libérale, il faut impérativement mettre fin à la sacralisation du pouvoir si profondément ancrée en Russie.

N’oublions pas que si l’autoritarisme soviétique a pris fin en 1991, dès 1993, l’équipe de Boris Eltsine avait reconstitué tout l’appareil politique nécessaire à un retour à l’autocratie russe traditionnelle. Cela n’aurait pas eu lieu sans cette manie du “peuple profond” de s’émerveiller devant le pouvoir despotique et de le regarder toujours d’en bas. Cette année-là, Eltsine a fait la démonstration de sa toute-puissance en donnant l’ordre à l’armée de tirer sur le Parlement élu.

Le 10 mars 2020, étaient encore à l’œuvre la croyance que personne d’autre que Poutine ne saurait préserver la vie actuelle, et l’enthousiasme face à sa capacité d’entreprendre des actions insensées comme, par exemple, utiliser l’armée, en temps de paix, pour annexer un territoire étranger.

Les particularités de la relation mystique à Poutine

Pour comprendre le cheminement de cette relation mystique à Poutine, pour comprendre pourquoi malgré la lassitude manifeste à le voir sur les écrans de télévision les Russes étaient encore prêts début mars à vivre à jamais dans l’autocratie poutinienne, il faut analyser les particularités de cet engouement pour Poutine.

Depuis le début, le rapport sacré à Poutine a été induit par une sorte de fascination particulière – pour son caractère secret, impénétrable, sa capacité à superviser les événements avec calme, assurance, depuis les hauteurs de son pouvoir.

En août 1999 [alors que Poutine est seulement nommé Premier ministre par Boris Eltsine], j’écrivais dans la Nezavissimaïa Gazeta que Poutine deviendrait proche du peuple justement par sa froideur, sa dureté, sa promesse de mettre derrière les barreaux ceux qui “déstabiliseraient la situation politique dans le pays”. Mais à l’époque je n’imaginais pas que cette autocratie poutinienne élue par les urnes se muerait en pouvoir à vie.

Une impression de force extraordinaire

Poutine n’a jamais eu de charisme au sens strict. En revanche, jusqu’à récemment encore, son visage dégageait une force extraordinaire, la volonté de soumettre à son pouvoir non seulement nous autres mortels, mais la vie elle-même. Cette sacralité n’avait rien en commun avec celle des tsars en tant que monarques de droit divin.

Lorsque [en avril 2018] il dissertait sur ceux qui méritent ou non d’aller au paradis après une catastrophe nucléaire, Poutine se plaçait même au-dessus de Dieu. C’est précisément pour cela qu’en 2014, avec son projet de “printemps russe”, il a placé la Russie et le monde entier devant l’abîme, ouvert la voie à une Troisième Guerre mondiale.

L’ancienne conscience militaro-défensive soviétique

La mobilisation “pour une Crimée russe” contre de supposés ennemis de la souveraineté nationale a fait renaître l’ancienne conscience militaro-défensive soviétique. La Russie post-Crimée est en fait très semblable à l’URSS dans sa façon de légitimer son pouvoir.

Le Parti communiste défendait l’URSS contre le “fléau impérialiste mondial”, tandis que le pouvoir poutinien se veut le garant de la “souveraineté originelle de la Russie”. La sacralisation du pouvoir de Poutine dans la Russie post-Crimée, transformée en forteresse assiégée, a fusionné avec la sacralisation de la souveraineté étatique.

Cela a inévitablement entraîné la réhabilitation de Staline et de ses victoires. Là commence la dérive par rapport à la vérité, au caractère dramatique de l’histoire soviétique, au coût humain terrifiant de la méthode soviétique pour préserver la souveraineté étatique russe.

Plus il y a de mysticisme et de messianisme dans le récit officiel de l’histoire soviétique, plus les gens perdent le sens des réalités, de la valeur de la vie humaine, la conscience de l’implication de chacun dans nos catastrophes russes.

De ce fait, même la sacralisation des plus incontestables succès de l’histoire soviétique mène à la déshumanisation de la conscience populaire, à la perte de l’inspiration chrétienne de la pensée russe, du bon sens, de la capacité à estimer objectivement sa propre valeur et la situation de son propre pays, ainsi que ses perspectives réelles.

Une Russie post-Crimée affaiblie par les sanctions

Dans ces circonstances, et pour des raisons qui dépassent le champ politique, toute analyse des échecs de notre pouvoir actuel est rendue impossible. Nos dirigeants sont en train de perdre les fondements du bon sens : capacité à douter, réalisme, capacité à anticiper les conséquences de leurs décisions.

Les victoires tactiques du pouvoir, toujours temporaires, mènent en réalité à la défaite de la Russie à l’échelle de l’histoire mondiale. Nul besoin d’être un génie pour voir que la Russie d’avant 2014, en tant que membre de droit du G8, avait bien plus de chances de se développer, de progresser, que la Russie post-Crimée, affaiblie par les sanctions et perçue dans le monde entier comme une menace.

Ce qui est tragique, c’est que la renaissance de l’autocratie russe au XXIe siècle ait réanimé la pensée rétrograde de puissance territoriale oubliée depuis le XIXe. Nous assistons à ce que redoutait Ivan Iline, “lorsque la fierté nationale se transforme en arrogance obtuse et en vulgaire autosatisfaction, en mégalomanie”.

Une propagande qui apparaît comme inappropriée et inhumaine

Le mensonge règne en maître à la télévision publique pour préserver la foi dans l’infaillibilité de notre dirigeant. Mais la pandémie, la menace de destruction des fondations de la civilisation contemporaine tue tout ce sur quoi s’édifie la sacralisation du pouvoir de Poutine : notre propagande destinée à attiser la haine de l’Occident apparaît comme inappropriée et inhumaine.

La sacralisation de Poutine, de mon point de vue, est semblable à celle appliquée aux leaders bolcheviques, Lénine et Staline, dont le “peuple profond” attendait des accomplissements insensés. Or, nous ne devrions pas prendre exemple sur les bolcheviques et leur prétention à refaire le monde en contestant l’essence même de l’existence humaine, le fait que la réalité existante est prioritaire par apport à ce qui se trame dans les esprits révolutionnaires.

Philosophie bolchéviste et messianisme russe

Quel est le fond de la doctrine poutinienne en matière de politique étrangère ? Ce n’est pas simplement ce que les libéraux appellent un syndrome impérialiste, mais une philosophie bolcheviste visant à créer de toutes pièces ce qui n’a jamais été ou ce qui n’est plus. L’empire soviétique s’est écroulé pour une série de raisons objectives, or aujourd’hui, oubliant tout de ces raisons, nous nous échinons à vouloir reconstruire ce que nous appelons le monde russe.

En matière de politique étrangère, nous prenons nos désirs pour des réalités : la conviction défendue par Poutine selon laquelle les Ukrainiens et les Russes appartiendraient à une même nation divisée en constitue l’exemple le plus criant.

J’aimerais insister sur un point qui reste d’actualité et permet vraiment de comprendre la nature de ce rapport sacré à la figure de Poutine. Curieusement et paradoxalement, c’est le messianisme russe, la croyance en la prédestination de la Russie et en une civilisation russe spécifique, qui a constitué le terreau intellectuel de la victoire de l’idéologie marxiste dans la Russie soviétique.

Les idéaux du “monde russe”

Sous Staline, la conviction du caractère unique du monde russe s’est fondue avec la croyance dans la victoire du communisme. Or, aujourd’hui nous observons le même phénomène : la politique étrangère de Poutine, à l’exemple de sa volonté de “contraindre l’Ukraine à s’allier avec la Russie par la force”, prend sa source dans la réanimation de cette idée russe particulière. Le bolchevisme fondait son autoritarisme sur le messianisme communiste, tandis que Poutine revient au messianisme russe historique, aux idéaux du “monde russe”.

Tout ce qui touche à la “pensée russe” sert sans nul doute les intérêts du pouvoir dans la mesure où cela anesthésie le bon sens et tout instinct de survie. La pandémie, l’horreur et la peur qu’elle suscite nous sont utiles en ce qu’elles réveillent cet instinct, poussent les humains à percevoir ce qui menace réellement leur existence.

Or dès que l’instinct de conservation revient, il chasse tout fondement psychologique au mysticisme, dont la sacralisation du pouvoir fait partie. C’est pourquoi je pense que cette pandémie va faire sauter les verrous psychologiques de ce lien mystique du peuple à Poutine.

Poutine a voulu deux fois accomplir l’impossible

Il ne faut pas oublier que durant les vingt années de son règne, Poutine a, par deux fois, voulu accomplir l’impossible dans deux domaines distincts. Au début des années 2000, il s’est jeté dans la bataille pour surmonter la pauvreté des années 1990, prenant des mesures qui ont réellement amélioré le quotidien des Russes.

Sa décision d’obliger les oligarques à payer à l’État une rente sur les matières premières exploitées par eux est l’exemple le plus marquant de l’accomplissement de quelque chose qui était jugé impossible dans les années 1990. Ce fut une réelle victoire pour Poutine dans l’amélioration des conditions de vie de la population, une mesure qui a subjugué les Russes et stimulé la sacralisation du président à cette époque.

Le second exploit de Poutine, le “printemps russe” de 2014, n’a rien apporté de réel ou de tangible. Comment s’extasier devant une guerre civile dans le Donbass, des morts, et l’inévitable montée du ressentiment contre les Russes en Ukraine, transformée de fait en tête de pont de l’Otan ? Devant le fait que le premier article de la Constitution ukrainienne annonce sa détermination à intégrer l’Otan et l’Union européenne ?

À compter de 2014, les conditions de vie de la population sont sacrifiées

La tragédie de Poutine comme personne et comme dirigeant de la Russie est là : si dans les années 2000 sa popularité se nourrissait d’avancées réelles, à compter des Jeux olympiques d’hiver organisés dans la ville subtropicale de Sotchi il a privilégié l’impossible, visant à faire impression à l’étranger, pour un effet très éphémère et sans réel bénéfice pour la Russie.

Mais ce qui m’a surtout poussé à m’opposer à la politique étrangère de Poutine à partir de 2014, c’est qu’il a commencé à sacrifier les conditions de vie de la population. Le mérite de cette pandémie est là : elle a contraint Poutine, et toutes les autorités de notre pays, à ouvrir les yeux sur la pauvreté qui règne en Russie, où 70 % de la population n’ont aucune économie et survivent d’un salaire à l’autre.

Je veux croire qu’après cette pandémie il ne restera plus grand-chose de la sacralisation du pouvoir poutinien, car toute l’armature de la déification de Poutine aura été détruite. La militarisation insidieuse des consciences, la mystification de l’histoire soviétique, les tentatives de remplacer les valeurs réelles de l’humain par des fables sur la puissance de la Russie… tout cela est incompatible avec la situation politique, morale et psychologique causée par la pandémie.

Le respect de la “ligne rouge”

Vouloir réduire le destin de la Russie à la capacité de mourir pour restaurer sa prétendue grandeur paraît désormais grotesque.

Depuis que la pandémie a pris le contrôle de nos vies, les vieilles méthodes triomphalistes de Poutine n’ont plus leur place. Du haut de sa sacralité, il est redescendu sur terre, son visage s’est animé, laissant apparaître l’inquiétude, voire un certain désarroi. La pandémie a révélé que tout ce que Poutine planifiait n’est pas réalisable, que la vie est suffisamment imprévisible pour contrecarrer les plans du pouvoir.

Et qu’il est interdit même à ceux qui voudraient accomplir l’impossible d’ignorer la ligne rouge que tout homme, s’il veut rester un homme, ne saurait franchir.

Alexandre Tsipko

Source : Nezavissimaïa Gazeta

MOSCOU http://www.ng.ru

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30 juin 2020

Le président turc Erdogan à la reconquête de Sainte-Sophie

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante

Transformer l’ex-basilique byzantine d’Istanbul en mosquée s’inscrit dans la révolution culturelle qu’impose à la société turque le dirigeant islamo-conservateur.

LETTRE D’ISTANBUL

L’ex-basilique Sainte-Sophie d’Istanbul va-t-elle être transformée en mosquée ? La vieille tocade du président turc, Recep Tayyip Erdogan, est sur le point de devenir réalité. Il est vrai qu’ajouter une mosquée supplémentaire aux 84 684 déjà existantes en Turquie ne saurait attendre.

Taraudé par ce projet, le numéro un turc a demandé au Conseil d’Etat, la juridiction administrative suprême, de se prononcer sur l’opportunité d’annuler le décret ministériel du 24 novembre 1934 qui a permis la transformation de ce joyau de l’art byzantin en musée.

La décision sera annoncée le 2 juillet. Elle devrait aller dans le sens voulu par le chef d’Etat. « Si Dieu le veut, nous dirons la prière à Sainte-Sophie », a-t-il fait savoir, le 16 juin, lors d’une réunion de son parti de la Justice et du développement (AKP).

« Une grosse erreur »

Construite au VIe siècle à l’entrée du détroit du Bosphore, la basilique où furent couronnés les empereurs byzantins a été convertie en mosquée au XVe siècle, après la prise de Constantinople par le sultan Mehmet II. Sa transformation en musée, à l’époque de Mustafa Kemal Atatürk, est, selon une affirmation du président turc en 2019, « une grosse erreur » qu’il convient de réparer.

L’idée de rendre Sainte-Sophie au culte islamique n’est pas nouvelle. En 2017, M. Erdogan l’avait évoquée en réponse à la reconnaissance par le président américain, Donald Trump, de Jérusalem en tant que capitale de l’Etat hébreu. En 2019, alors que l’AKP apparaissait en mauvaise posture pour les municipales, il avait de nouveau caressé cette idée, espérant sans doute redorer son blason auprès de la frange la plus conservatrice de son électorat.

Les islamistes rigoristes militent depuis longtemps pour que la basilique et aussi l’église de Saint-Sauveur-in-Chora (« Kariye », en turc), une autre merveille du patrimoine byzantin à Istanbul, redeviennent des mosquées. Le statut de musée dont elles jouissent actuellement est selon eux un véritable affront aux décrets du calife qui interdisait de les utiliser autrement que pour le culte.

Manque à gagner touristique

Lentement, l’idée fait son chemin. Depuis 2016, un appel à la prière est d’ailleurs lancé deux fois par jour depuis les quatre minarets qui flanquent Sainte-Sophie dont la silhouette massive domine la péninsule historique d’Istanbul.

Convertir le site en mosquée pourrait avoir des conséquences sur son classement au Patrimoine mondial par l’Unesco. Il pourrait aussi affecter les recettes du ministère du tourisme qui engrange des sommes non négligeables grâce aux visites, la « grande église » étant le monument le plus prisé d’Istanbul, avec près de 4 millions de billets vendus chaque année.

Pour éviter ce manque à gagner, le monument pourrait servir à la prière le vendredi et conserver son statut de musée le reste de la semaine. Preuve que le changement voulu relève davantage de l’affichage populiste que de la prise en compte d’un « souhait ardent » de la population, comme l’assure l’AKP, enquête d’opinion à l’appui.

Selon un récent sondage commandé par le parti présidentiel, « 90 % de l’électorat AKP-MHP », soit la coalition islamo-nationaliste qui gouverne la Turquie, est favorable à la transformation de Sainte-Sophie. L’opposition parlementaire est pour. D’après ce même sondage, les partisans du Bon parti (nationaliste) y sont favorables à 70 % tandis que 40 % des kémalistes du Parti républicain du peuple (CHP) l’approuvent.

Ceux qui ne sont pas d’accord sont invités à se taire. Pour avoir rappelé que l’ex-basilique faisait partie du « patrimoine commun à toute l’humanité », Ibrahim Kaboglu, député du CHP, s’est attiré les foudres du porte-parole de l’AKP, Ömer Çelik, excédé par ce qu’il a décrit comme « un manque de respect envers les valeurs et la culture turques ».

« Briser les chaînes de Sainte-Sophie en l’ouvrant à la prière est notre souhait commun. Cela répond à la volonté du sultan conquérant Mehmet II », a expliqué Abdulhamit Gül, le ministre de la justice.

Réinterprétation de l’histoire

Féru d’histoire, le président Erdogan n’a aucun mal à s’identifier aux sultans ottomans, surtout au « Conquérant » dont il est prêt à enfourcher le cheval pour renforcer sa popularité déclinante dans les sondages. « Briser les chaînes », « se débarrasser de la laisse » que l’Occident a passée au cou des Turcs lors de la fondation de la République, en 1923, sont les références cultes des islamo-conservateurs.

Une vaste réinterprétation de l’histoire est à l’œuvre. Selon le nouveau roman national, les partenaires occidentaux de la Turquie, aidés par ces ennemis internes que sont les Kurdes séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les « fethullahci », les partisans de l’imam Fethullah Gülen, n’aspirent qu’à sa perte.

Une fois la décision actée par le Conseil d’Etat, une grande prière collective sera organisée à Sainte-Sophie le 15 juillet, le jour des commémorations de l’échec de la tentative de coup d’Etat de 2016 dont la paternité est attribuée au prédicateur Gülen par Ankara.

Célébré chaque année, le putsch raté sert de marqueur à la révolution culturelle que M. Erdogan veut imposer à sa population. Le 15 juillet 2019, l’accent avait été mis sur l’acquisition des missiles antiaériens russes S-400, devenus le symbole d’une Turquie désireuse de prendre ses distances avec l’Occident.

Cette année, la religion sera brandie comme un trophée. « Sainte-Sophie est une propriété de la République de Turquie, elle a été conquise ! », a cru bon de rappeler Mevlüt Çavuşoğlu, le chef de la diplomatie turque, en réponse aux protestations de la Grèce. Ressassé à l’envi ces jours-ci, le thème de la « conquête » est décidément d’actualité, s’appliquant aussi bien aux monuments d’Istanbul qu’aux visées expansionnistes turques en Méditerranée.

29 juin 2020

Décryptages - Entre référendum et plébiscite, le vote sur mesure orchestré par Vladimir Poutine

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant

En pleine épidémie, le président russe organise une consultation à partir de jeudi. La réforme constitutionnelle soumise au vote renforce ses prérogatives et pourra lui permettre de se maintenir au pouvoir après 2024.

C’est un exercice inédit et étrange qui se déroule en Russie à partir de jeudi 25 juin : un référendum qui refuse de s’assumer comme tel, un plébiscite dont le héros avance masqué. Les mesures prises face au coronavirus, comme l’étalement du vote sur une semaine, font craindre des manipulations supplémentaires. Et au bout du processus, le 1er juillet, la réforme constitutionnelle offrant le droit à Vladimir Poutine de rester au pouvoir devrait être entérinée sans accroc.

L’initiative d’une réforme de la Constitution de 1993 a été prise par M. Poutine lui-même, le 15 janvier, au nom des « changements » réclamés selon lui par le peuple russe. La manœuvre a été menée à très grande vitesse, et les changements constitutionnels adoptés définitivement à la Douma moins de deux mois plus tard. La mesure la plus importante a même été ajoutée au texte quelques heures seulement avant le vote des députés : elle permet à l’actuel président, au pouvoir depuis 2000, d’y rester après 2024, ce qui lui était théoriquement interdit. En vertu du texte, ses mandats passés sont en effet remis à zéro et il peut effectuer deux nouveaux mandats consécutifs, hypothèse qu’il avait formellement exclue à plusieurs reprises ces dernières années.

Le processus devait être entériné par un « vote populaire » initialement prévu le 22 avril. Celui-ci a été reporté au 1er juillet à cause de l’épidémie de Covid-19. Et face à la situation sanitaire toujours préoccupante, les opérations de vote sont étalées sur une semaine, à partir du 25 juin.

Dès le début, les officiels ont soigneusement évité le terme de « référendum », préférant tourner autour du champ lexical de la consultation. Une telle procédure existe pourtant dans le droit russe et elle s’applique à une modification de la Constitution. Mais l’exercice est très encadré : il définit précisément la façon dont la campagne doit être menée, son financement, la présence d’observateurs indépendants, les peines prévues pour les violations… La formule choisie, celle d’un « vote populaire », est bien moins contraignante.

Quarante-six amendements constitutionnels sont mis au vote, et les électeurs devront dire oui ou non à l’ensemble. La présidente de la commission électorale a comparé cela à un « menu complet », dans lequel « on ne peut pas séparer le bortsch et les boulettes ».

« Campagne d’information » massive et orientée

De fait, les sujets abordés sont variés. On distingue d’abord un bloc institutionnel, qui renforce considérablement les pouvoirs du président, en plaçant le judiciaire et la « gestion générale du gouvernement » sous le contrôle du Kremlin, de même que la nomination des ministères stratégiques. En janvier, Vladimir Poutine avait pourtant lancé la réforme en promettant d’augmenter les pouvoirs… du Parlement.

Un deuxième bloc comprend des mesures avant tout symboliques, d’inspiration conservatrice et nationaliste, qui gravent dans le marbre l’héritage politique et idéologique de M. Poutine. Y figurent, pêle-mêle : la définition de la famille comme l’union d’un homme et d’une femme, la protection de la « vérité historique », l’inscription des « enfants comme priorité de la politique » russe, l’interdiction de la double nationalité pour les fonctionnaires… Dernier bloc, quelques mesures sociales, symboliques elles aussi, comme l’indexation annuelle des retraites à l’inflation.

poutine désacralisé

Officiellement neutres, les autorités ont conduit une « campagne d’information » massive et surtout très orientée, clairement, en faveur du oui. De façon frappante, les sujets institutionnels ont été largement occultés dans cette communication. A la place, ce sont les thématiques les plus symboliques qui ont été mises en avant, avec des mots d’ordre tels que : « défendons la mémoire de nos ancêtres », « sauvegardons la langue russe », « protégeons les droits des animaux », « défendons la famille »…

Dans sa première version, le site officiel consacré au scrutin avait même « oublié » de mentionner la remise à zéro des mandats présidentiels parmi les points soumis au vote. Résultat, le plébiscite prévu s’opère de manière détournée, comme gênée. A la télévision, les hommes du président évoquent en termes vagues la nécessaire « stabilité » dans un monde troublé…

Renforcer l’autorité de Poutine avant une transition

Vladimir Poutine a finalement abordé lui-même le sujet, dans une interview à la première chaîne de télévision, diffusée le 21 juin. Le président, 67 ans, a ainsi dit « ne pas exclure » de se représenter en 2024, voulant « éviter que tout le monde soit occupé à chercher des successeurs au lieu de travailler ». De fait, l’avenir de M. Poutine n’est pas réellement éclairci par ce référendum : pour de nombreux observateurs, il ne s’agit pas nécessairement pour lui de s’accrocher au pouvoir jusqu’en 2036, mais de renforcer son autorité avant d’engager – peut-être – une transition.

Mardi soir, à l’avant-veille du vote, le président est de nouveau apparu à la télévision, mais a expédié le sujet en une phrase, évoquant un choix pour « le développement à long terme » de la Russie. Il a surtout annoncé de nouvelles dépenses publiques, avec des primes pour les familles ou des constructions d’infrastructures, mais aussi l’augmentation des impôts des plus riches.

Au sein de l’opposition, seuls les communistes, parmi les partis autorisés et représentés au Parlement, se sont dits opposés la réforme. Leur chef, Guennadi Ziouganov, a notamment estimé que le président aurait désormais « plus de pouvoirs que le pharaon, le tsar ou le secrétaire général [du Parti communiste de l’URSS] ». Ils ne mènent toutefois pas une campagne active. L’opposition libérale, elle, est divisée. Pendant que certaines figures appellent à voter non, d’autres, à commencer par Alexeï Navalny, préfèrent une stratégie de boycottage.

Le scrutin a été adapté pour faire face à la situation sanitaire, avec notamment l’étalement des opérations de vote sur une semaine. Toutes les heures, les bureaux de vote seront désinfectés et les urnes laissées sans surveillance, selon l’ONG de supervision électorale Golos. La procédure de vote à domicile a été simplifiée à l’extrême, et le vote électronique est permis à Moscou et Nijni-Novgorod.

« Poutine a annulé l’épidémie pour permettre le vote »

Pour autant, la situation épidémiologique reste problématique, avec 7 425 nouveaux cas de Covid-19 (plus de 599 075 au total) mardi 23 juin. Dans plusieurs régions, l’épidémie est encore en progression. Et même à Moscou, où elle est stabilisée, le maire, Sergueï Sobianine, appelait encore la population à ne pas sortir, le 24 juin, pour le défilé militaire organisé dans la capitale. M. Sobianine, qui prévenait fin mai que les restrictions pourraient durer des mois, les a levées du jour au lendemain, le 8 juin. La Nezavissimaïa Gazeta, journal pourtant très loyal au pouvoir, résumait alors le sentiment général : « Poutine a annulé l’épidémie pour permettre le vote. »

Du côté du Kremlin, la préoccupation première semble être d’obtenir une participation la plus importante possible. L’organisation du défilé, tout comme la réouverture des cafés ou des parcs, devait remonter le moral des Russes, mis à mal par la crise sanitaire et plus encore par les difficultés économiques. En février, Moscou demandait déjà aux gouverneurs d’organiser le scrutin « dans un climat de fête ». Nombre d’entre eux ont entendu la consigne de manière extensive, ne se limitant pas aux traditionnelles animations ou distributions de sandwiches à proximité des bureaux de vote.

Dans de nombreuses régions, des loteries sont ainsi organisées pour les participants au vote. A Krasnoïarsk, dix appartements, dix voitures et cinquante smartphones sont en jeu. Ailleurs, ce sont des bons de réduction, des places de cinéma… Des cadeaux seront également distribués (130 millions d’euros provisionnés par la ville de Moscou). Dans le cas d’un référendum formel, ces pratiques auraient pu être associées à des achats de voix.

Selon un sondage de l’institut VTsiOM, seulement 42 % des Russes croient à un scrutin honnête et feront confiance aux résultats. Les observateurs habituellement présents lors des élections traditionnelles – ceux mandatés par les partis politiques – ne sont pas admis dans les bureaux de vote sans l’accord des autorités locales. Le vote sera aussi possible avec une simple signature, sans l’inscription du numéro de passeport, ce qui pourrait permettre des falsifications lors du dépouillement.

Mais là, encore, c’est surtout autour de la participation que se cristallisent les craintes. Dès avant le vote, de nombreux témoignages sont apparus dans la presse faisant état d’une forte pression mise sur les fonctionnaires pour les obliger à voter, sous peine de sanctions ou de licenciement. Le Monde a entendu des récits similaires venant d’enseignants, sommés d’envoyer la copie de leur inscription au vote en ligne. La pratique concerne aussi les nombreuses entreprises publiques et parapubliques. Certains fonctionnaires ont dû donner les coordonnées de leurs proches ou promettre de mobiliser trois à dix électeurs.

A Moscou, la chaîne Dojd a publié des documents montrant que des retraités avaient été inscrits sans leur consentement sur la plate-forme de services en ligne de la ville, aussi utilisée pour le vote. Selon la chaîne, les intermédiaires chargés de ces inscriptions reçoivent 75 roubles (1 euro) par compte créé, et 50 roubles pour le vote correspondant.

28 juin 2020

Le Brésil pourrait payer cher le vol de ses terres

Au Brésil, l’accaparement des terres ne date pas d’aujourd’hui. Les principales victimes sont les habitants de l’« Amazonie légale », une zone protégée par une loi fédérale de 1953 couvrant neuf États (voir infographie). Ce sont des terres publiques où indigènes : 23 % de ces terres amazoniennes sont des réserves où vivent 300 000 Indiens de 80 ethnies.

Un saccage qui s’accélère

Depuis l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil en 2018, ce saccage des terres a empiré. Le président d’extrême droite veut régulariser les titres fonciers de terres acquises illégalement, en déboisant l’Amazonie. C’était sa promesse de campagne, faite aux industriels agricoles et miniers. Le projet de loi devait être voté le 20 mai par les députés. Il a été retiré de l’ordre du jour, après le scandale d’une vidéo clandestine, sur laquelle on entend le ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, vouloir profiter de « l’opportunité du fait que la presse soit focalisée sur le coronavirus » pour « assouplir les règles ».

La proposition de loi, connue sous le nom de « PL da grilagem », n’a pas été abandonnée pour autant. Le « grilagem », déclinaison portugaise du mot « grillon »,fait référence à la technique utilisée par les premiers faussaires qui vieillissaient artificiellement les actes de propriété en les enfermant dans des boîtes où déféquaient des insectes…

Le recours aux grillons a cessé, mais le nom a perduré et l’appropriation de terres s’est perfectionnée, accélérée même, sous Bolsonaro. « Le Brésil a perdu 1,5 km² de forêt par heure en 2019, soit un peu plus qu’un terrain de football. Et 99 % de cette déforestation est illégale », selon l’étude de la plateforme scientifique MapBiomas, présentée vendredi.

« Si ce projet de loi Grilagem revient sur la table, il va amnistier des criminels, récompenser des bandits qui ont volé des terres publiques », assure Luiza Lima, porte-parole de Greenpeace Brésil.

Le tollé est international. Au Royaume-Uni, une quarantaine d’entreprises, dont Sainsbury, Tesco, et Marks & Spencer ont menacé de boycotter les produits brésiliens si les parlementaires ne rejetaient pas le projet de loi, le 20 mai. En Allemagne, l’ONG Campact a exigé son retrait pur et simple. Sa pétition a réuni 300 000 signatures en moins d’une semaine, le 14 juin, et le principe a reçu l’aval de deux grandes chaînes de distribution, Aldi Süd et Rewe.

Empêcher le bœuf ou le soja d’arriver dans l’UE

Le 19 juin, c’est le Parlement européen qui s’est saisi de la question. L’eurodéputée des Verts, Anna Cavazzini, a réclamé des « chaînes d’approvisionnement garanties sans déforestation ». La Commission n’y est pas opposée et réfléchirait à une « stratégie plus incisive », a indiqué le commissaire à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, pour empêcher les produits issus de la déforestation d’arriver dans l’UE, à commencer par le bœuf et le soja.

Il y a urgence. Peu d’Européens ont envie de ratifier le traité de libre-échange avec le Mercosur, alors que le Brésil de Bolsonaro domine le bloc sud-américain. Même les parlementaires très libéraux des Pays-Bas ont dit non, le 3 juin.

28 juin 2020

Syrie Damas, son univers impitoyable

Article de Benjamin Barthe

Argent, pouvoir, trahisons… la tumultueuse relation entre Bachar Al-Assad et son cousin Rami Makhlouf recèle les ingrédients d’un « mousalsal », série populaire arabe. Loin d’être affaibli, le président syrien fait le ménage dans son entourage

BEYROUTH - correspondant

M enhebak », (« Nous t’aimons »). Ce slogan ingénu, imprimé sur de gigantesques portraits de Bachar Al-Assad, recouvre les murs de Damas. Nous sommes en mai 2007, à quelques semaines du référendum qui va accorder un deuxième mandat au président syrien avec un score de satrape africain (97,6 %). La campagne conçue en vue de cette échéance veut donner l’impression que le pays tout entier est tombé sous le charme de ce quadragénaire (il est né en 1965) à l’allure moderne et flegmatique. Son père, Hafez Al-Assad, commandeur sec et impénétrable, régnait par la peur. Le fils, lui, veut se faire aimer.

La campagne est l’œuvre du cousin maternel de Bachar Al-Assad, l’entrepreneur Rami Makhlouf, de quatre ans son cadet, considéré comme l’homme le plus riche de Syrie. Quelques mois plus tôt, le navire amiral de son groupe, la compagnie de téléphonie mobile Syriatel, avait déroulé sur les panneaux publicitaires de la capitale une formule du même acabit, pleine de candeur, qui aurait pu tout aussi bien servir de devise au chef de l’Etat : « Daïman Maek ! » (« Toujours avec toi ! »).

Pour le régime, c’était la belle époque. Le duo Bachar-Rami, amis d’enfance, phagocytait l’espace public. La politique est dévolue au premier, les affaires au second. Aucune ombre ne semblait planer sur cette alliance bien huilée, ciment du nouveau régime, plus libéral économiquement, incarné par Assad junior. La protection du président permettait au milliardaire d’accaparer les marchés les plus juteux. En échange, ce dernier reversait une partie de ses bénéfices dans les caisses du gouvernement et dans la tirelire du couple présidentiel, Bachar et l’élégante Asma.

Treize ans plus tard, il n’est plus du tout question d’amour. Les deux inséparables sont à couteaux tirés. Le gouvernement, ruiné par neuf années de guerre civile et étranglé par les sanctions internationales, a fait main basse sur Syriatel, en arguant d’impôts impayés. Les avoirs de Rami Makhlouf ont été gelés, certains de ses employés arrêtés, et ses gros bras désarmés. Le grand argentier du système, âgé de 50 ans, est mis sur la touche.

Ses piscines de dollars

Mais dans une série de vidéos postées au printemps sur sa page Facebook, le banni a contre-attaqué. Il a contesté les accusations de fraude fiscale portées contre lui et dénoncé l’arbitraire des services de sécurité – des doléances cocasses dans la bouche de cet homme qui a financé la répression de la révolution de 2011 dans le pays. Le cousin Rami s’est même présenté en bienfaiteur de la communauté alaouite, un défi implicite au président, membre comme lui de cette minorité religieuse, issue du chiisme, qui forme le socle du régime.

« Tout autre que lui aurait été liquidé dans l’heure », remarque l’opposant Ayman Abdel Nour, ancien conseiller de Bachar Al-Assad. Sauf que l’audacieux porte un nom de famille illustre, qui le protège, et possède beaucoup d’argent à l’étranger, caché dans des comptes offshore et des sociétés-écrans. « C’est son assurance-vie, confie un homme d’affaires damascène qui connaît les deux protagonistes de ce bras de fer. S’il était éliminé maintenant, tous ses avoirs passeraient sous le contrôle de sa femme et de ses fils qui sont à l’étranger.Rami est blessé, mais il n’est pas encore à terre. »

Cette tumultueuse affaire recèle tous les ingrédients du parfait mousalsal – ces feuilletons arabes très prisés en période de ramadan. Des piscines de dollars, la gloire et le pouvoir, et puis, derrière cette façade clinquante, des haines recuites, des coups de poignard dans le dos et un clan qui s’entre-dévore. La chute de la maison Makhlouf, c’est Dallas à Damas.

L’histoire de Bachar et Rami puise ses origines dans celles de leurs pères respectifs, Hafez Al-Assad et Mohamed Makhlouf. Peu après son accession au pouvoir en 1970, à la faveur d’un coup d’Etat, le premier nomme le second, frère de son épouse Anissa, à la tête de la régie des tabacs. Caractéristique du dirigisme en vigueur à l’époque en Syrie, l’organe étatique détient le monopole de la production et de l’importation de cigarettes. Et de leur contrebande ! Grâce à cette machine à cash, Mohamed Makhlouf, dit « Abou Rami » (« le père de Rami »), s’enrichit rapidement.

Hafez Al-Assad sait récompenser ceux qui lui sont loyaux. Quand il était venu faire sa demande en mariage, dans les années 1950, les parents d’Anissa avaient fait grise mine. Le prétendant, bien qu’officier de l’armée de l’air, provenait d’une lignée alaouite nettement moins prestigieuse que les Makhlouf. Mohamed avait soutenu sa démarche et les deux hommes s’étaient liés d’amitié.

Au milieu des années 1980, en plein boom immobilier, le président transfère son partenaire de taoula (backgammon) à la tête de la Real Estate Bank, la banque d’Etat chargée du crédit à la construction. Les profits et les dessous-de-table s’envolent. Tout en conservant son titre de fonctionnaire, Abou Rami s’impose aussi comme l’interlocuteur obligé – et grassement rétribué – des importateurs de pétrole syrien.

Le futur magnat des télécoms syriens grandit dans cet environnement trompeur. Un système socialisant qui dédaigne officiellement l’argent, mais qui ménage, pour ses fidèles serviteurs, quelques rentes fort lucratives. Grisé par son ascension et par sa proximité avec le président, Mohamed élève son fils « dans l’idée qu’ils font partie intégrante du pouvoir en Syrie », écrit Ayman Abdel Nour dans un article publié par le think tank Middle East Institute.

Lorsqu’ils voyagent, les Makhlouf ont droit à un traitement VIP, avec passeports diplomatiques, lounge privé, dispense de contrôle et escorte de la présidence. « On pouvait appeler le standard du palais et demander à être transféré à leur domicile, poursuit Ayman Abdel Nour. (…) Les Makhlouf étaient les partenaires des Assad ; c’est ainsi qu’ils se percevaient. Ce n’était pas seulement le régime des Assad, mais le leur aussi. »

Lorsqu’il succède à son père, mort en 2000, Bachar reproduit ce schéma. Il offre à Rami la gestion de Syriatel, pionnier d’un nouveau marché prometteur. Selon le Syria Report, une lettre d’informations économiques en ligne, le contrat est signé après un appel d’offres de seulement deux semaines, organisé en plein été, de façon à s’assurer qu’aucun concurrent sérieux ne puisse émerger.

Le parlementaire Riad Seïf, qui dévoila au grand jour ce tour de passe-passe, paya son culot de plusieurs années de prison. La régie des tabacs, le fief d’Abou Rami, était le symbole de l’étatisme dévoyé des années 1970 et 1980. Syriatel sera l’emblème du « capitalisme de copains » impulsé par le nouveau chef de l’Etat. L’habillage change, mais le favoritisme continue.

Début 2001, Bachar Al-Assad officialise son mariage avec Asma Al-Akhras, la fille d’un cardiologue sunnite d’Homs installé au Royaume-Uni. Le président l’a rencontrée durant ses études d’ophtalmologie à Londres. Son allure glamour et sa formation d’analyste financière ravissent les gazettes people. Mais chez les Makhlouf, la nouvelle venue ne fait pas recette. Il faut dire que la famille avait un temps espéré que l’héritier d’Hafez épouserait Kinda, une sœur de Rami.

« Ouverture vers les sunnites »

« Anissa [mère de Bachar] et Mohamed étaient contre cette union, confie un consultant syrien qui travaillait à l’époque pour le couple présidentiel. C’est Bahjat Souleiman [un ponte de l’appareil sécuritaire syrien, mentor de Bachar Al-Assad au début de son mandat] qui les a convaincus de l’accepter. Il y voyait une importante ouverture vers les sunnites », la communauté majoritaire en Syrie.

L’argument laisse Rami de marbre. « Les relations entre lui et Asma ont été mauvaises dès le premier jour, assure un membre de l’élite économique syrienne. Il n’a pas aimé qu’elle soit sunnite et qu’elle ait des ambitions. » « Les Makhlouf, c’est la vieille école, renchérit le consultant. Asma, à cette époque, se piquait de réformes et de modernité. Ça ne pouvait pas marcher entre eux. »

Les opportunités économiques, à l’époque, sont suffisamment nombreuses pour combler tous ces ego. En 2006, dans le cadre de la politique de développement du secteur privé, Rami Makhlouf crée une gigantesque holding baptisée « Cham ». Soixante-dix entrepreneurs, dont des grands noms du secteur, s’associent à lui. Le nouvel oligarque a un argument massue, relate à l’époque le site d’informations économiques Syria Report : « Rejoignez-moi et vous aurez une part du gâteau, restez à l’écart et vous ne recevrez rien. »

Au même moment, Asma établit son propre groupe, Souria Holding. Le tour de table est moins prestigieux : une vingtaine d’investisseurs seulement, de seconde catégorie. L’épouse de Bachar ouvre aussi une organisation de charité, Syria Trust, la première ONG de l’histoire du pays. Mais, selon Ayman Abdel Nour, Anissa et sa fille Bouchra (la sœur aînée de Bachar) brident les ambitions de l’ex-banquière londonienne. Rami, lui, ne cesse de se développer. Grâce à ses relais au plus haut sommet de l’Etat, son empire s’étend aux hydrocarbures, aux services financiers, au transport aérien et aux assurances.

« Cette frénésie d’investissements n’a pas toujours été bien vue par Bachar, précise un homme d’affaires bien introduit à Damas. En 2004, quand Rami est parti faire des emplettes à Dubaï, dans l’immobilier et l’hôtellerie, le ton est monté entre les deux hommes. La dispute a été apaisée grâce à l’intervention d’Anissa et de Mohamed. » L’actionnaire majoritaire de Syriatel est aussi dans le collimateur du Trésor américain, qui le met sous sanctions en 2008, au motif qu’« il bénéficie de la corruption des responsables publics et qu’il l’encourage ».

Mais la punition n’entame pas son appétit. « Nous avons l’argent, nous avons le pouvoir », s’exclame-t-il un jour, en tapant du poing sur la table de son bureau, lors d’une réunion avec des partenaires. « Je veux tout le gâteau », lance-t-il une autre fois à un ministre qui lui suggère de modérer ses ambitions. La scène est relatée par le journaliste libano-américain Sam Dagher dans son ouvrage Assad or We Burn the Country (« Assad, ou nous brûlons le pays », Little, Brown and Company, 2019, non traduit)].

A la fin de la décennie 2000, il se dit que Rami contrôle 60 % de l’économie syrienne. L’estimation est disputée. Le patron de Cham Holding doit cohabiter avec un compétiteur aussi bien placé que lui, Maher Al-Assad. Le frère cadet du président, homme fort de l’armée, investit par l’intermédiaire de plusieurs prête-noms, comme Mohamed Hamsho. Mais Rami garde une longueur d’avance. Le numéro un, c’est lui.

En mars 2011, cette médaille se transforme en boulet. Dès les premiers rassemblements antirégime, à Deraa, dans le sud du pays, son nom est conspué. Des boutiques de Syriatel sont brûlées. Le roi des affaires devient le champion de la prédation. Les Makhlouf, qui redoutent d’être les premiers sacrifiés si le régime cède aux révoltés, plaident pour une réponse brutale auprès de Bachar Al-Assad.

C’est Hafez, le jeune frère de Rami, qui se distingue le plus dans ce registre. Colonel des services de renseignement, il supervise la répression à Deraa, aux côtés de Maher Al-Assad. Les deux hommes interviennent aussi à Douma, une banlieue de Damas qui s’est soulevée dans la foulée. Quand les conscrits hésitent à ouvrir le feu sur les protestataires, le colonel Makhlouf et ses sbires s’en chargent personnellement.

Rami tente de son côté une diversion. En juin 2011, il annonce qu’il se retire des affaires pour se consacrer à l’action caritative. Il crée une association, Al-Boustan, qui vient en aide aux familles de combattants morts pour le régime, principalement des alaouites de la côte. Une initiative qui fait de l’ombre au projet d’Asma Al-Assad. Mais cette organisation se dote d’une branche paramilitaire, affectée à la protection des installations pétrolières. Et, en coulisses, le banquier du régime poursuit son œuvre.

En 2012, il fait accoster des tankers dans le port de Tartous, en passant à travers les mailles de l’embargo pétrolier décrété par les Etats-Unis et l’Union européenne. Il investit aussi dans l’importation de produits alimentaires, un nouveau marché, apparu à la faveur des mauvaises récoltes de 2013 et du basculement des zones rurales dans la rébellion. « Il a été l’acteur-clé de la résilience du pouvoir syrien », reconnaît un expert sécuritaire étranger. En échange de ces précieux services, Damas rabaisse en 2014 la part des bénéfices de Syriatel devant être reversés à l’Etat de 60 % à 20 %. Une copieuse ristourne !

Quant au patriarche, Mohamed Makhlouf, il officie au début du soulèvement comme conseiller du président. « Al-Khal [l’oncle], comme on le surnomme, est alors considéré comme la voix de l’ombre, le “coach” de Bachar, souligne le politologue Joseph Bahout, fin connaisseur de la scène politique syrienne. Quand il est parti s’installer à Moscou, quelque temps plus tard, il est devenu l’homme des livraisons d’armes russes à la Syrie. »

A l’ombre du Kremlin, allié indéfectible de Damas, le magot d’Abou Rami est à l’abri. En 2014, à la suite d’un désaccord avec le président, son fils Hafez le rejoint. Le Financial Times a révélé que, dans les années qui ont suivi, le bourreau de Deraa, ses frères Ihab et Iyad et leur sœur Kinda ont acquis une vingtaine d’appartements de luxe dans des gratte-ciel moscovites. Valeur totale : 40 millions de dollars (35,5 millions d’euros). Rami, lui, est resté à Damas aux côtés des Assad. La peur d’un écroulement du régime incite les deux cousins à serrer les rangs.

Mais, après la reconquête d’Alep-Est, fin 2016, principale possession urbaine de la rébellion, le vent se met à tourner. Grâce au soutien aérien de la Russie, intervenue un an plus tôt, le pouvoir reprend confiance. En plus de faire reculer les insurgés, Assad le survivant décide de remettre de l’ordre dans la nébuleuse loyaliste. Fin 2017, il ordonne le démantèlement d’une milice prorégime, les Faucons du désert, dont les hommes sont devenus trop gourmands et trop remuants.

Soudaine disgrâce

Les patrons de cette formation, les frères Ayman et Mohamed Jaber, des affairistes de la côte, sont mis au ban du régime du jour au lendemain. Leur proximité avec Bachar Al-Assad et la participation de leurs hommes à plusieurs batailles-clés, comme celle d’Alep, ne leur valent aucune clémence. Le message envoyé par le tyran de Damas est transparent. Personne n’est à l’abri d’une soudaine disgrâce.

Pour Rami Makhlouf, les ennuis commencent à l’été 2019, quand le quartier général de sa milice, à Damas, est encerclé par des soldats. Les nervis sont mis à pied et transférés dans l’armée régulière. Au même moment, les dirigeants de l’organisation Al-Boustan, rivale de Syria Trust, l’ONG d’Asma Al-Assad, sont débarqués et remplacés par des pions du pouvoir.

Puis viennent les sanctions financières. Les avoirs de la société Abar Petroleum, l’un des maillons de l’empire Makhlouf, sont gelés en décembre. Mi-avril, le gouvernement annonce qu’il réclame 233 milliards de livres syriennes (180 millions de dollars à l’époque) à Syriatel et MTN, le numéro deux de la téléphonie mobile, en guise d’arriérés d’impôts. Dans les jours qui suivent, le nouveau proscrit poste sur sa page Facebook les trois vidéos outrées qui font éclater l’affaire au grand jour.

L’ambitieuse Asma tient sa revanche. Les photos publiées durant l’été par les deux fils de Rami Makhlouf, Ali et Mohamed, ont peut-être été la provocation de trop. Des clichés documentant leurs vacances de rock star, entre Monte-Carlo et Mykonos, au volant de Ferrari rutilantes. « Asma pense à ses propres enfants, elle veut assurer leurs intérêts à long terme, soutient Ayman Abdel Nour, l’ancien habitué du palais présidentiel, directeur du site d’informations all4Syria. Elle ne se satisfait plus des versements des hommes d’affaires prorégime, elle veut faire passer leurs avoirs sous son nom et celui de Bachar. En tant qu’ancienne banquière, elle est persuadée de pouvoir les gérer. »

Le chef d’Etat, pour sa part, n’est pas mécontent de rappeler à son cousin les règles du jeu. « Dans son esprit, Rami a toujours été un gestionnaire, et non un partenaire. C’est le malentendu à l’origine de la crise », décrypte un membre de la nomenklatura damascène. Le président a d’autant moins de scrupules à faire les poches de son cousin que celles de l’Etat sont quasi vides. Le régime a un besoin vital de dollars pour enrayer la dégringolade de la livre syrienne et la chute du pouvoir d’achat de la population, à bout de force.

Il lui faut aussi calmer ses alliés à Moscou et à Téhéran, pressés de toucher les dividendes du soutien qu’ils lui ont offert ces neuf dernières années. La publication dans les médias russes, au printemps, de plusieurs articles critiques du président syrien a été perçue comme une façon pour Moscou de signifier son impatience. « Nous investissons de grosses sommes d’argent dans l’économie syrienne mais nous ne voyons aucun résultat », pouvait-on lire dans l’un de ces articles, consacré à la corruption au sein du régime Assad.

Enfin, dans cette crise, avant tout familiale, l’absence des anciens, Anissa et Mohamed Makhlouf, les juges de paix du clan dirigeant, s’est fait sentir. La première est décédée en 2016 à Damas, après avoir vécu quelque temps à Dubaï, avec sa fille Bouchra. Le second est malade à Moscou. « Après la mort de sa mère et l’éloignement de son oncle, Bachar s’est libéré de la tutelle de ses aînés et depuis c’est la spirale infernale », juge Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès, à l’université américaine de Beyrouth.

Aux trois vidéos sacrilèges, le pouvoir a réagi de manière habile, sans violence apparente mais par une avalanche de sanctions sur leur auteur : interdiction de voyager, interdiction de passer contrat avec l’Etat, gel de tous ses avoirs, etc. Parallèlement, les tentatives de Rami Makhlouf pour diviser la rue alaouite et l’appareil sécuritaire ont capoté. En dehors des familles subventionnées par Al-Boustan, ses jérémiades parsemées de sourates coraniques ont scandalisé ou amusé.

« Ne teste pas la patience d’Assad », lui a conseillé fin mai une figure de la communauté, Ahmed Adib Ahmed, professeur de religion spécialiste des alaouites à l’université de Lattaquié. L’ancien intouchable a même été désavoué par son frère Ihab, le numéro deux de Syriatel, qui a démissionné de son poste. Le 5 juin, le fleuron de Cham Holding a finalement été placé sous séquestre judiciaire. C’est le probable prélude à une restructuration de sa direction, sur le modèle de MTN, où des proches d’Asma Al-Assad ont été promus.

L’épilogue du mousalsal reste à écrire. Selon nos informations, des contacts sont toujours en cours entre les deux camps, par l’intermédiaire de deux notables alaouites : Ghassan Mohanna, un oncle de Rami Makhlouf, et Souleïman Haddad, un ancien ambassadeur à Berlin. Les palabres porteraient sur les avoirs de Rami dissimulés à l’étranger, dont une grosse partie a échappé aux limiers occidentaux. « Ce qu’il détient en Syrie n’est qu’une petite partie de sa fortune globale, prévient le membre de l’élite damascène. Il a des investissements en Russie, en Biélorussie et aux Emirats arabes unis bien sûr, mais aussi en Asie et dans quelques pays européens. Il est prêt à transiger sur Syriatel, mais il ne veut lâcher aucun de ses actifs à l’étranger. »

Grogne larvée

L’issue de la négociation déterminera probablement si le cousin Rami pourra rester en Syrie ou s’il devra faire ses valises et rejoindre son père à Moscou. Mais, à ce stade, quelques enseignements peuvent déjà être tirés de ces déchirements. Ceux-ci sont autant le révélateur des failles du système que de sa capacité à les surmonter. Le pouvoir central syrien est évidemment fragilisé par le marasme économique et la grogne larvée qu’il entretient dans les zones loyalistes. Mais dans le bras de fer avec son puissant cousin, Bachar Al-Assad a fait la preuve qu’il tenait toujours fermement ses services de sécurité.

Le régime semble avoir passé ce test, comme il avait passé celui de la défection, en juillet 2012, du général Manaf Tlass, ex-intime du président, exfiltré vers la France. Ou comme il avait géré, quelques jours plus tard, un épisode très délicat, l’élimination des membres de la cellule de crise, à Damas : cette opération, déguisée en attentat rebelle, avait permis de liquider en douce plusieurs hauts responsables sécuritaires soupçonnés de vouloir passer à l’ennemi, dont Assef Chawkat, le vice-ministre de la défense, mari de Bouchra Al-Assad. Le régime syrien a la particularité, quand il se rétracte, de s’endurcir, et non de s’affaiblir.

« L’affaire Makhlouf est le signe du retour en force de Bachar par rapport aux membres du premier cercle dont il était devenu l’obligé, analyse Joseph Bahout. Il a fait le ménage en interne, comme son père en avait l’habitude. Il y a deux ans, il n’aurait pas pu se le permettre, il avait trop besoin de Rami. C’est un signe de bonne santé, paradoxalement. » Les nouveaux oligarques, ces quasi-inconnus qui ont profité de la guerre pour amasser des milliards, à l’image de Samer Foz, le nouveau propriétaire du Four Seasons, palace numéro un de Damas, sont désormais prévenus. Il est peu probable que le régime les laisse jamais accéder au rang de Rami Makhlouf, l’homme qui s’est cru vice-roi de Syrie.

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27 juin 2020

Liao Yiwu : "Vous, Occidentaux, quand comprendrez-vous à qui vous avez affaire ?"

Interview Mariana Grépinet

liao paris match

A Berlin, le 30 mai. Dans le jardin collectif de son petit immeuble.A Berlin, le 30 mai. 

Kasia Wandycz/Paris Match

C’est un dissident de la première heure. Il a vécu dans sa chair et dans son âme la dictature chinoise. Arrestations, harcèlement, quatre ans de prison avec tortures. A 62 ans, cet écrivain et poète exilé à Berlin, souvent comparé à Soljenitsyne, dresse un constat accablant du régime et de sa gestion de la crise sanitaire.

Il nous a donné rendez-vous en début d’après-midi, parce qu’il se lève tard. A 62 ans, Liao Yiwu, le plus célèbre dissident chinois, écrit la nuit, de 1 heure à 6 heures du matin. Et marche trois heures par jour dans les vastes parcs de Berlin. Son amie la sinologue Marie Holzman assure la traduction, car l’écrivain, fils d’un professeur de littérature persécuté pendant la Révolution culturelle, ne parle que chinois. Il est pourtant en exil à Berlin depuis neuf ans. Il y a rencontré Yang Lu, une jeune compatriote, artiste peintre. Ensemble, ils ont eu une fille, prénommée Shuyi, littéralement « la fourmi des livres ». Tout un symbole pour un homme qui a passé quatre ans en prison pour avoir écrit un poème dans lequel il racontait le massacre de la place Tiananmen. A sa sortie, en 1994, ses manuscrits lui sont confisqués, et pendant des années il enchaîne arrestations, interrogatoires, enfermements, avant de fuir son pays natal.

Les dictatures passent et les œuvres littéraires témoignent de ce qui est arrivé

Pendant la crise sanitaire du Covid-19, confiné dans son appartement en rez-de-chaussée dans l’Ouest berlinois, il a beaucoup cuisiné. Et, surtout, il a suivi l’évolution de la situation dans l’empire du Milieu, connecté à ses amis et à ses contacts sur place. Son rôle ? « Consigner ce qui se passe. Une fois que les dictatures disparaissent, les œuvres littéraires restent et témoignent de ce qui est arrivé », dit-il. Via Skype, pendant presque deux heures, il nous répond avec patience, le visage imperturbable, la voix posée. Il est précis, percutant et ne mâche pas ses mots. Sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer sa fille aînée, Miao Miao, née quand il était en prison et qu’il n’a jamais connue. Alors seulement, Liao Yiwu se tait et baisse les yeux.

Paris Match. Les autorités chinoises viennent d’imposer à Hongkong une nouvelle loi sur la sécurité, jugée liberticide par les militants pro-démocratie. Quel est l’objectif du gouvernement ?

Liao Yiwu. Pour la Chine, récupérer Hongkong est depuis toujours une évidence. Sinon officiellement, du moins dans les faits. Mais son intention était d’abord de signer l’accord commercial avec les Etats-Unis. Cela a été fait le 15 janvier. Puis le virus a tout figé pendant six mois. Maintenant, les Chinois veulent reprendre là où ils s’étaient arrêtés. Ils veulent transformer Hongkong à leur image. Les Etats-Unis, eux, multiplient les gestes de défiance. Entre les deux pays, c’est une nouvelle guerre froide. Malgré tout, Hongkong reste le grand sacrifié. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que l’avenir du monde est aussi lié à son destin.

Ce virus de Wuhan, c’est notre Tchernobyl

En cherchant à passer en force, la Chine ne risque-t-elle pas de s’attirer les foudres de tous les pays ?

Le schéma est répétitif. Regardez au moment de Tiananmen : le gouvernement chinois n’a reculé devant rien pour massacrer les étudiants. Et ensuite, qu’a-t-il fait ? Il a prononcé des mensonges, formulé de la propagande, trompé ses interlocuteurs. Croyez-vous que cela va vraiment changer ? Le virus de Wuhan a fait des centaines de milliers de morts au sein des démocraties. Cependant, pensez-vous que tous ces pays ne sont pas désireux de nouer des liens commerciaux avec la Chine, de se remettre à lui vendre de la haute technologie ? Je ne suis pas croyant, mais j’ai l’impression que tous ces morts dans les pays libres sont une punition du ciel. Ce monde est un monde sans foi. Sa seule morale, c’est le commerce et l’économie. C’est pour cela que nous avons été punis. Ce virus de Wuhan, c’est notre Tchernobyl. Mais alors que ce drame a été relativement circonscrit, le Covid-19, lui, s’est répandu sur toute la planète.

D’après une étude de l’université de Southampton, publiée en mars 2020, si la Chine avait communiqué sur la maladie trois semaines plus tôt, le nombre de cas aurait pu être réduit de 95 %…

Le confinement de Wuhan a commencé le 23 janvier. Quelques jours après, plusieurs dizaines de villes chinoises, Pékin, Shanghai, etc. étaient confinées, les voyages intérieurs arrêtés… Mais pas les vols extérieurs. Des dizaines de milliers de Chinois et d’étrangers ont alors quitté le pays pour se rendre en Italie, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, dans une absence générale de prise de conscience. Le monde avait confiance en l’OMS qui répétait qu’il n’y avait pas de transmission du virus de l’homme à l’homme. Je pense que le gouvernement chinois avait une arrière-pensée. Permettre à tant de voyageurs de se rendre en Occident n’était pas un hasard…

Y a-t-il eu 400 000 morts, 4 millions de morts ? On ne le saura jamais.

Selon un site chinois, début avril, le nombre réel de victimes s’élèverait à 59 000 morts pour Wuhan et à 97 000 pour toute la Chine. Qui peut croire au bilan officiel de 4 600 morts ?

Il y a plusieurs éléments de réponse. D’abord, au début de l’épidémie, les décès n’ont pas été recensés à l’intérieur des hôpitaux, parce qu’il n’y avait pas de tests. Peut-être que les 4 600 morts annoncés sont les seuls morts qui ont été testés… Mais il y a eu aussi de très nombreux morts à la maison. Et dans ces cas-là, surtout dans les moments de crise, on emporte les cadavres, on les brûle et plus personne n’en parle. Nous, les Chinois, ce genre de phénomène ne nous surprend pas outre mesure : pendant la grande famine, de 1958 à 1961, nous savons maintenant qu’il y aurait eu entre 30 et 40 millions de personnes décédées, alors que les documents officiels évoquent seulement plusieurs centaines de milliers de morts. Alors, quand la Chine dit 4 000, il faut peut-être multiplier par 100, voire par 1 000. Y a-t-il eu 400 000 morts, 4 millions de morts ? On ne le saura jamais. Vous, les Occidentaux, vous tombez des nues à chaque fois. Ça m’énerve un peu. Quand comprendrez-vous à qui vous avez affaire ? Cette fois, des Américains, des Italiens, des Français sont morts aussi, alors ça va peut-être vous amener à réfléchir autrement…

Des dizaines de militants des droits humains, journalistes et avocats, ont été harcelés et arrêtés depuis le début de la crise. Le pouvoir a-t-il profité de l’épidémie pour étouffer les oppositions ?

Je voudrais évoquer le grand tremblement de terre du Sichuan, en 2008. A cette époque, j’étais encore en Chine. Le blogueur Tan Zuoren avait été arrêté et condamné à cinq ans de prison pour avoir osé contredire la version officielle. Mais de nombreux observateurs chinois et occidentaux avaient pu se rendre sur place. Pas cette fois. Et les rares journalistes citoyens, qui ont tenté de rapporter ce qu’ils avaient vu, ont été arrêtés. La répression a augmenté de façon spectaculaire. Le gouvernement chinois a maintenant la certitude qu’il peut tout faire. Et que ces associations qui défendent les droits de l’homme ne sont que des tigres sans dents. Elles peuvent crier, ça ne mène à rien.

A tout moment quelqu’un peut disparaître, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit

Avez-vous des nouvelles des lanceurs d’alerte Chen Qiushi et Fang Bin, tous deux disparus ?

Il y a toutes sortes de façons de garder les gens “cachés”. Le système “ruanjin”, l’assignation à résidence, ou “shuanggui”, l’assignation en un lieu déterminé pour un temps déterminé… Ce qui est arrivé, en 2008, à Liu Xiaobo [intellectuel, dissident et Prix Nobel de la paix 2010]. Personne ne savait où il se trouvait. On a appris ensuite qu’il avait été trimballé d’une prison secrète à une autre – cela peut être un ancien hôtel ou un établissement toujours en activité, mais dans lequel un étage est réservé. Les familles restent dans l’incertitude pendant des semaines, des mois, voire des années. En Occident, on a du mal à imaginer le degré de terreur dans lequel bon nombre de Chinois sont plongés. A tout moment quelqu’un peut disparaître, sans que l’on puisse faire quoi que ce soit.

La récente condamnation de Chen Jieren, ancien salarié du “Quotidien du peuple” devenu blogueur, à quinze ans de prison pour “crime de provocation aux troubles” et pour avoir “attaqué et dénigré le parti et le gouvernement” est-elle un avertissement ?

Vous parlez d’une condamnation à quinze ans de prison… Il y a quelques années, quand on entendait que quelqu’un avait été condamné à cinq ans, on s’écriait : “Mais comment ? C’est incroyable !” Et juste après 1989, lorsque des gens prenaient deux ans, on s’exclamait aussi. Maintenant, vous me dites quinze ans comme vous me diriez trente ans, et plus personne ne réagit… Nous sommes tous complètement anesthésiés.

Que ce soit Macron, Merkel ou Trump, chacun se bat pour son petit intérêt. L’Histoire se souviendra de cette période de déclin

Que peuvent faire les Chinois ?

Le peuple chinois a déjà beaucoup fait. Il est descendu place Tiananmen en 1989 et s’est fait massacrer. Des avocats, des défenseurs des droits civiques ont été arrêtés par vagues entières. Des journalistes citoyens ont tenté de faire connaître la vérité. Et tous ces habitants enfermés à Wuhan ont eu le courage, au moment de la visite du vice-ministre de la Santé dans les rues de la ville, de crier à leurs fenêtres : “Tout ce qu’on vous dit est faux !” Lorsque Li Wenliang, ophtalmologiste à Wuhan, est décédé, les organes du parti, qui l’avaient d’abord accusé de “transmettre des rumeurs”, ont essayé de masquer ce drame. Mais plus de 100 millions de personnes ont posté des Tweet et pleuré la mort de ce pauvre médecin de 33 ans. Que voulez-vous de plus ? Il faut des messages clairs de l’Occident qui montrent que la démocratie continue à avoir un sens. En Grande-Bretagne, en France, en Amérique, il n’y a plus de Churchill, de de Gaulle ni de Roosevelt. Vous n’avez plus que des hommes d’affaires qui sont des courtisans. Que ce soit Macron, Merkel ou Trump, chacun se bat pour son petit intérêt. L’Histoire se souviendra de cette période de déclin.

Depuis vos années de prison, rien n’aurait changé…

C’est vrai sur le plan des droits de l’homme, mais, en trente ans, il y a eu d’énormes progrès dans les domaines scientifique et numérique. Grâce à Internet, on peut laver les cerveaux de tous les Ouïgours. Aujourd’hui, le niveau scientifique des Chinois est pratiquement équivalent à celui des Américains. Pour en arriver là, ils ont employé tous les moyens possibles. Ils ont fait de l’espionnage économique, industriel, scientifique, menant ce qu’ils appellent “une guerre tous azimuts”. La situation est beaucoup plus grave que ne l’annonçait Orwell dans “1984”. D’une certaine façon, je suis en train de réécrire ce que lui ou Soljenitsyne ont déjà écrit.

Le président Donald Trump affirme détenir des preuves d’une fuite du virus depuis le laboratoire P4 de Wuhan, contredisant ainsi les conclusions du renseignement américain…

Beaucoup de spécialistes ont dit que ce virus était apparu naturellement. Ils peuvent se tromper… Personnellement, je rassemble toutes les informations qui sortent sur ce laboratoire P4, parce que je veux m’en servir pour mon prochain livre. Le problème, c’est le patient numéro 1. On est encore en train d’essayer de comprendre comment il a été contaminé. Tant qu’il n’y aura pas une équipe internationale et indépendante de chercheurs pour se rendre à Wuhan, on ne le saura pas. C’est un secret qui ressemble à celui de la Cité interdite. Tant qu’on ne peut pas y entrer, on ne sait pas.

Xi Jinping est le pire dictateur que le monde moderne ait connu

Quel regard portez-vous sur le président Xi Jinping ?

Il a organisé la domination de son pays comme un gardien organise sa prison. Nous n’avons pas eu un tel dirigeant depuis Mao. N’importe quel homme ordinaire, qui observerait son comportement, ne trouverait qu’un seul qualificatif : il est fou. Il considère tous les citoyens chinois comme des suspects potentiels. Tout le monde doit lui obéir. Il est le pire dictateur que le monde moderne ait jamais connu.

Quels sont vos projets ?

J’en ai plusieurs. En France va sortir “La Chine d’en bas”, portraits de marginaux, mendiants et prostituées qui permettent de voir d’où vient la Chine d’aujourd’hui. Mon éditeur allemand, lui, vient d’acheter un nouveau livre qui est aussi à l’étude pour une version en anglais. Intitulé “Dix-huit prisonniers et deux fuyards”, il retrace le parcours des deux seuls survivants d’un groupe qui a fui la Chine pour se réfugier à Hongkong. Celui que j’ai rencontré aux Etats-Unis avait dû nager 40 kilomètres pour rejoindre les rives de l’ex-colonie britannique. Il avait écrit, avec d’autres, un guide de la fuite vers Hongkong. J’ai repris leurs conseils dans mon récit : la façon dont il faut s’entraîner physiquement, les cartes géographiques à posséder pour connaître les côtes, l’attitude à adopter vis-à-vis des chiens policiers. La technique consiste à jeter votre visage contre le sol, à le protéger avec les mains et à mettre vos fesses en l’air. Si vous vous faites mordre le derrière, ce n’est pas grave. Alors que si c’est la gorge, vous mourez. Devant les flics, c’est le contraire. Il faut rester debout et ne surtout pas courir. Lorsque l’un d’eux vous dit “ne bougez plus”, si vous bougez, il peut vous tuer. Ce livre est le dernier d’une trilogie sur les prisons chinoises qui comprend ma propre histoire, “Dans l’empire des ténèbres”, et un recueil de témoignages des “émeutiers” du 4 juin 1989, “Des balles et de l’opium”.

Après une fuite rocambolesque, en 2011, vous vivez en exil à Berlin. Avez-vous encore le mal du pays ?

Evidemment que le Sichuan me manque. La bonne cuisine, l’alcool, les amis… Mais je ne suis pas totalement défaitiste. Si puissant soit-il, un totalitarisme finit toujours par s’effondrer. Et à ce moment-là, bien sûr, je retournerai chez moi.

« La Chine d’en bas », de Liao Yiwu, éd. Globe.

Traduction du chinois : Marie Holzman

23 juin 2020

Comment la Chine vend les « organes halal » de ses prisonniers Ouïghours aux riches

coeur humain

Enfermées dans des camps d'internement, les minorités musulmanes chinoises serviraient de banque à organes. Des organes appelés "halal" prélevés de force et revendus à prix d'or dans les pays du Golfe.

Par Justine Reix ; illustrations Benjamin Tejero

ILLUSTRATION DE BENJAMIN TEJERO

Il ne fait pas bon être d'une autre ethnie que les Han, la majoritaire, en Chine. Depuis de nombreuses années, les minorités religieuses sont persécutées en Chine. Musulmans, catholiques, Tibétains ou encore Falung gong sont considérés comme des ennemis de l'État de par leurs croyances. En 2014, des camps d'internement ont été construits dans la province autonome du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Le but étant d'y enfermer des centaines de milliers de musulmans Ouïghours, Kirghiz, Hui et Kazakhs. Selon Amnesty International, un million de Ouïghours seraient actuellement détenus sans procès, ni raison particulière. Mais en plus de travail forcé dans ces camps, les organes des détenus seraient prélevés pour être revendus.

Après avoir longtemps nié l'existence de ces camps, la Chine a fini par les reconnaître officiellement, en octobre 2018, sous le nom de « camps de transformation par l'éducation». Certains n'en sortent jamais. Selon bon nombre d'enquêteurs la raison de ces disparitions serait simple : ils seraient tués pour leurs organes.

Depuis 2016, le gouvernement chinois a lancé une vaste campagne de bilan médical dans la région autonome du Xinjiang. Des tests uniquement obligatoires pour ses habitants Ouïghours âgés de 12 à 65 ans. Dans la batterie de tests proposés, du sang est prélevé mais aussi des examens échographiques sont parfois réalisés. Ces derniers permettent de visualiser la taille, la forme et la structure interne d'un organe. Des bilans médicaux douteux que la Chine n'a jamais cherché à justifier.

Pour beaucoup, cela ne fait aucun doute, ces tests permettent de récolter une base de données de futurs donneurs. Le journaliste d'investigation américain, Ethan Gutmann, a travaillé pendant plusieurs années sur les prélèvements d'organes en Chine. Pour lui, il est évident que la Chine tente de garder un œil sur les minorités ethniques à travers ces contrôles médicaux : « Tous les rescapés de camps que j'ai pu interviewer, qu'ils soient Ouïghours, Kazakh, Kyrgyz ou Hui, ont eu des prélèvements sanguins tous les mois. On pourrait se dire que c'est pour éviter des maladies infectieuses mais ce n'est pas possible puisque les Chinois Han représentent plus de la moitié de la population dans le Xinjiang et pourtant ils ne sont pas testés. Ces bilans permettent donc de les surveiller et de potentiellement les repérer pour des prélèvements d'organes. » Grâce à ces tests, le gouvernement peut donc connaître et collecter le groupe sanguin des Ouïghours ainsi que l'état de leurs organes.

La Chine fait partie des pays où le temps d'attente pour une greffe est le moins long. Pourtant dans la culture chinoise, il est important de garder intact le corps après la mort et donc ne pas faire don de ses organes. Alors que les dons d'organes ne sont pas monnaie courante, les donneurs sont pourtant toujours disponibles. Comment la Chine obtient-elle tous ces organes ? L'attente se compte souvent en jours et parfois en semaines. Alors que pour beaucoup de pays, il faut parfois attendre plusieurs mois voire années. Aux États-Unis, il faut en moyenne 3,6 ans pour obtenir une greffe alors que 145 millions de personnes sont enregistrées donneurs d'organes. En Chine, il faut environ 12 jours seulement pour la même demande alors que 373 536 personnes sont enregistrées donneurs d'organes. Certaines personnes apprennent même à l'avance la date exacte de la transplantation. En d'autres termes, les hôpitaux connaissent à l'avance les dates des décès des patients.

Les prélèvements d'organes ne sont pas nouveaux en Chine. Durant de nombreuses années, le pays a prélevé sur des condamnés à mort avant d'annoncer à la communauté internationale en 2015 la fin de cette pratique.

Enver Tohti, un ancien médecin ouïghour, a assisté et participé à des prélèvements d'organes sur des condamnés à mort en 1995. Il a, depuis, fui la Chine. Son chef de service lui a ordonné à l'époque de prélever des organes sur un condamné à mort. « On attendait les coups de feu pour sortir du véhicule dans lequel les autres médecins et moi étions. Il y avait plein de cadavres allongés par terre. Mon chef m'a ordonné de retirer un foie et un rein. Alors c'est ce que j'ai fait », raconte l'intéressé. Sauf que ce condamné à mort était encore en vie. Lorsque Enver Tohti a commencé à opérer l'homme, du sang a jailli, preuve que son coeur battait toujours. « Il a gesticulé. Son corps essayait de lutter mais il était trop faible pour résister. Il n'était pas mort et je lui ai quand même retiré son foie et son rein. Mon chef a récupéré les organes et m'a dit de tout oublier. » Les condamnés à mort ont longtemps servi de banques à organes et rien ne prouve que cette pratique s'est vraiment arrêtée en 2015.

21 juin 2020

Coronavirus. Le Brésil franchit la barre du million de cas de Covid-19

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Alors que le nombre de morts approche les 50 000 au Brésil, le cap du million de contaminations a été franchi vendredi. Il s’agit du second pays le plus touché après les États-Unis.

Le Brésil a dépassé vendredi le cap du million de cas de contaminations confirmées de coronavirus, seulement franchi auparavant par les États-Unis, après un record de nouvelles infections en 24 heures, a annoncé vendredi le ministère de la Santé.

Le plus grand pays d’Amérique latine compte au total 1 032 913 cas de contamination après un bond très important de 54 771 nouveaux cas d’infection en une journée. Il déplore 48 954 décès, après 1 206 morts supplémentaires en 24 heures.

Manque de tests

À ce jour, la plus forte progression en 24 heures de cas de contaminations était d’un peu plus de 34 000, un chiffre atteint le 16 juin. Le ministère a expliqué cette forte poussée « partiellement par une instabilité dans le mode d’extraction des données d’États comme Bahia, Rio de Janeiro et Sao Paulo ». Des données concernant plusieurs jours auraient ainsi été rapportées au titre d’une seule journée.

Les statistiques officielles sont jugées très sous-estimées par les scientifiques en raison du manque de tests dans ce pays de 212 millions d’habitants.

Mais elles font du Brésil le deuxième pays au monde où le Covid-19 tue le plus et contamine le plus, après les États-Unis.

Il n’en reste pas moins que la courbe générale de la progression du coronavirus semble actuellement devoir se stabiliser, après une progression très importante ces dernières semaines.

20 juin 2020

Coronavirus - Le Brésil dépasse le seuil du million de personnes infectées

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O GLOBO (RIO DE JANEIRO)

L’annonce a été faite vendredi 19 juin par le consortium de médias brésiliens, qui collecte et diffuse les données des secrétariats régionaux de la santé. Ce bilan pourrait être en réalité être bien plus lourd, préviennent les médias.

Le Brésil a dépassé le seuil du million de personnes infectées par le coronavirus (un nombre sûrement très en deçà de la réalité) et 48.427 Brésiliens sont décédés du Covid-19, annonce O Globo, vendredi 19 juin.

Le journal fait partie d’un consortium formé avec d’autres grands médias brésiliens dans le but de collecter et diffuser les statistiques des secrétariats de santé des États fédérés et des municipalités sur le nombre de contaminations et de décès liés au Covid-19. Cette initiative fait suite à la décision du ministère brésilien de la Santé d’arrêter, pendant plusieurs jours, la publication sur son site du bilan total des malades et des personnes décédées.

“Deux facteurs compliquent le scénario : le pic de l’épidémie n’est pas encore clairement dessiné” et sa “réelle proportion” est “bien plus élevée, même si on ne sait pas quelle est sa taille exacte”, précise O Globo.

Près de 6 millions de personnes infectées en réalité ?

Le quotidien cite une étude réalisée en mai sur un échantillon de la population, qui, “projetée dans la même proportion” à la date actuelle, peut permettre d’estimer que près de 6 millions de personnes ont en réalité été infectées. Cette sous-notification des cas s’explique en particulier par le manque de tests dont souffre le pays depuis le début de la pandémie.

“La compréhension du scénario” de la pandémie au Brésil “est difficile, car chaque région paraît suivre une trajectoire différente”, ajoute le journal. Alors que Rio et São Paulo, observent une stabilisation des nouvelles contaminations, d’autres endroits, jusqu’à présent moins touchés, connaissent un nouveau pic.

“Il existe plusieurs épidémies dans le pays”

“Il est difficile de parler du Brésil comme d’un tout” car “il existe plusieurs épidémies” dans le pays, indique un chercheur interrogé par O Globo.

“Il y a eu un premier moment pendant lequel les personnes ont beaucoup adhéré à l’isolement social, mais avec le temps, comme cela n’a pas continué et qu’il n’y a pas eu de message clair pour interrompre la transmission” du coronavirus, la pandémie a “continué, à un niveau plus modéré dans les villes” et a progressé vers des régions plus reculées, ajoute le chercheur.

Le Brésil est le deuxième pays le plus touché du monde après les États-Unis, où 2 millions de cas ont été enregistrés, mais il pourrait devenir le premier avant la fin de l’année.

Source

O Globo

RIO DE JANEIRO http://oglobo.globo.com/

coronavirus brésil

18 juin 2020

La France dénonce des manœuvres « extrêmement agressives » de la Turquie en Méditérranée

Alors qu’il cherchait à identifier un cargo suspecté de transporter des armes vers la Libye, un navire français a fait l’objet de trois « illuminations radar » de la part d’un navire turc, pourtant allié de l’OTAN.

Un navire français participant à une mission de l’OTAN en Méditerranée a récemment fait l’objet d’une manœuvre « extrêmement agressive » de la part de frégates turques, a révélé, mercredi 17 juin, le ministère français des armées, dénonçant une affaire « très grave » impliquant un partenaire de l’Alliance atlantique.

Alors qu’il cherchait à identifier un cargo suspecté de transporter des armes vers la Libye, le bâtiment a fait l’objet de trois « illuminations radar » de la part d’un navire turc, « un acte extrêmement agressif qui ne peut pas être l’acte d’un allié vis-à-vis d’un navire de l’OTAN », commente-t-on au ministère des armées. Mercredi doit se tenir une réunion des ministres de la défense de l’Alliance.

« Cette affaire est, à nos yeux, très grave. On ne peut pas accepter qu’un allié se comporte comme cela, fasse cela contre un navire de l’OTAN sous commandement OTAN menant une mission OTAN », a fait valoir Paris. La ministre des armées, Florence Parly, a mis les points sur les « i » lors d’une réunion en visioconférence des ministres de la défense de l’Alliance, a indiqué le ministère.

Opposition sur le conflit libyen

En Libye, la Turquie soutient militairement le gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj, reconnu par les Nations unies (ONU), face aux forces dissidentes du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays soutenu notamment par la Russie, l’Egypte et les Emirats arabes unis. Le soutien armé d’Ankara a fait pencher la balance en faveur du GAN au détriment du maréchal Haftar, qui a tenté en vain de s’emparer de Tripoli et qui perd désormais du terrain.

Ce soutien turc à « la poursuite de l’offensive du GAN va directement à l’encontre des efforts visant à obtenir une trêve immédiate », a insisté mercredi la porte-parole de la diplomatie française. « Ce soutien se double de comportements hostiles et inacceptables des forces maritimes de la Turquie à l’égard d’alliés de l’OTAN, visant à entraver les efforts de mise en œuvre de l’embargo sur les armes », a-t-elle ajouté.

Dans ce contexte de tensions, le ton n’a cessé de monter entre Paris et Ankara ces derniers jours. Lundi, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a condamné « le soutien militaire croissant » de la Turquie au GAN en « violation directe de l’embargo des Nations unies ». La veille, la présidence française avait déjà dénoncé l’interventionnisme « inacceptable » d’Ankara.

La Turquie a rejeté ces critiques sur son soutien armé au gouvernement de Tripoli en Libye, accusant, à son tour, Paris de faire « obstacle à la paix » en appuyant le camp adverse. La France, bien qu’elle s’en défende publiquement, est également accusée de soutenir Haftar, qui a récemment subi de lourdes défaites sur le terrain.

Le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a effectué une visite surprise mercredi à Tripoli pour faire le point avec le premier ministre, Faïez Sarraj, sur la coopération bilatérale, a indiqué le GAN dans un communiqué.

La Libye est en proie au chaos depuis la chute du régime Kadhafi en 2011. Depuis avril 2019, le conflit a fait des centaines de morts, dont de nombreux civils, et poussé plus de 200 000 personnes à fuir leur domicile.

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