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Jours tranquilles à Paris
29 octobre 2019

Les musées face au défi de la surfréquentation

Par Nicole Vulse

Billets préréservés, multiplication des points d’entrée, recours à la mécanique des fluides... certains établissements, comme le Louvre ou La Villette, s’adaptent à des affluences record. Une politique du chiffre qui peut se révéler contre-productive.

La Joconde trône à nouveau dans sa vitrine, réinstallée depuis quelques semaines dans la salle des Etats rénovée, au premier étage du célèbre musée du Louvre. Son sourire énigmatique draine un tel public que Jean-Luc Martinez, le président-directeur du musée, a renoncé à faire figurer la toile dans l’exposition Léonard de Vinci, qui a ouvert ses portes jeudi 24 octobre.

Au total, « 30 000 visiteurs en moyenne viennent voir La Joconde » quotidiennement, explique M. Martinez. Pour l’exposition organisée jusqu’au 24 février 2020, à l’occasion du 500e anniversaire de la mort du maître florentin (1452-1519), il ne s’attend « qu’à » 5 000 personnes par jour.

Au cœur de l’été, quand l’icône du Louvre était provisoirement accrochée salle Médicis, il fallait compter au minimum une heure, parmi un flot ininterrompu de touristes, avant de l’atteindre. Cela reste vrai. En plusieurs langues, des panneaux préviennent : « Chacun a envie de rencontrer La Joconde. Merci de faciliter la visite en restant un bref moment. » Deux gardiens postés devant la plus célèbre toile du musée, peinte sur un panneau de bois de peuplier, font de grands moulinets avec leurs bras pour que les visiteurs ne s’attardent pas trop longtemps devant ce qui constitue bien souvent le clou de leur visite à Paris.

« Go ! Go ! Move on ! [Allez, allez, avancez !] », leur intiment-ils. En moyenne, les spectateurs passent cinquante secondes face à cette œuvre. Le temps de prendre plusieurs selfies. Une minorité ­conserve son téléphone dans la poche. A la sortie de l’exposition De Vinci, le public a dorénavant la possibilité de scruter plus en détail le portrait de la Joconde, grâce à un casque virtuel.

Si le Louvre, indétrônable numéro un des musées de l’Hexagone en matière de fréquentation, se félicite d’avoir atteint 10,2 millions de visiteurs en 2018 (+ 25 % par rapport à 2017), faut-il vraiment s’en réjouir ? Tout est fait pour attirer un public toujours plus nombreux, quitte à inviter les chanteurs américains Beyoncé et Jay-Z à créer leur parcours d’œuvres choisies.

« Ce n’est ni du marketing ni une opération financière », tempère Jean-Luc Martinez. Il n’empêche : la politique du chiffre, devenue l’alpha et l’oméga de beaucoup de musées pour doper leurs ressources propres, peut nuire aux visiteurs, et même aux œuvres. « Le tourisme est un phénomène sociétal du XXIe siècle », assure M. Martinez. Un fléau ? « Non, c’est une chance ! » rétorque-t-il. Désormais, il n’est pas de tourisme sans musée, sans selfie devant une œuvre phare. « Pour moi, la question reste celle de la qualité de l’expérience du visiteur », affirme le patron du Louvre.

Course à l’audience

Accueillir de telles foules nécessite certains aménagements. Depuis peu, les musées recourent aux réservations en ligne. Le Louvre a démarré avec l’exposition consacrée au peintre néerlandais Vermeer, en 2017. Pour De Vinci, les billets sont en vente depuis quatre mois. Le Centre Georges-Pompidou propose, pour la première fois, des billets horodatés pour l’exposition sur le peintre britannique Francis Bacon, qui se tient jusqu’au 20 janvier 2020.

« Nous avons assoupli le système, en gardant la possibilité de réserver sur place. Au lieu de trois files d’attente successives, il n’y en a plus qu’une, au sixième étage, et le temps d’attente excède rarement la demi-heure », observe Serge Lasvignes, président du Centre Georges-Pompidou. A la tour Eiffel (6 millions de visiteurs l’an dernier, soit autant qu’au château de Versailles), 50 % des billets sont prévendus à des horaires non modifiables, « ce qui a réduit de trente minutes le temps d’attente en haute saison », souligne-t-on à la Société d’exploitation de la tour Eiffel.

De même pour Toutânkhamon, le trésor du pharaon, à la Grande Halle de La Villette, qui a explosé cette année les records de fréquentation pour une exposition en France (1,4 million de spectateurs en six mois), les tickets étaient valables une demi-heure et les visites s’échelonnaient… jusqu’à minuit. Impossible de venir sans avoir réservé. « La jauge maximale a été cantonnée à 400 personnes », rappelle Didier Fusillier, président du parc et de la Grande Halle de La Villette. Les 155 œuvres n’étaient pas accrochées au mur, « afin d’éviter des files indiennes », mais au milieu des salles, « pour permettre aux spectateurs de tourner autour ».

Comment canaliser le flot du public ? Tel est l’enjeu central. Les musées font appel à des spécialistes de la mécanique des fluides, comme dans les gares ou les aéroports. Multiplier les accès et les portes d’entrée, malgré les mesures de sécurité imposées par le plan Vigipirate, permet de réduire les files d’attente. Pour désengorger l’accès par la Pyramide, M. Martinez envisage deux nouvelles entrées, cour Lefuel et dans le Jardin de l’infante. De même à Beaubourg (où se sont rendues 3,5 millions de personnes en 2018), les travaux sur la Piazza visent à créer cinq entrées dans un an, contre trois aujourd’hui.

L’INJONCTION DES POUVOIRS PUBLICS AUX MUSÉES D’AUGMENTER LEURS RECETTES DE BILLETTERIE SOULÈVE DES QUESTIONS

Certains établissements rivalisent d’inventivité pour juguler l’affluence. Dans la tour de Londres, un tapis roulant évite l’encombrement devant les vitrines des couronnes d’Angleterre. Plus prosaïquement, au Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto (Canada), un gardien, chronomètre en main, accorde soixante secondes – pas une de plus – à quatre visiteurs pour voir l’installation de l’artiste japonaise Yayoi Kusama.

Pourquoi une telle course à l’audience ? L’injonction des pouvoirs publics aux musées d’augmenter leurs recettes de billetterie (qui représentaient 35,2 % du budget du Louvre et 13,4 % de celui du Centre Pompidou en 2018) soulève des questions. M. Lasvignes est l’un des rares à lancer à haute voix : « Jusqu’à quand va-t-on se soucier des chiffres de fréquentation ? Nous produisons des expositions qui visent une relecture critique de l’art moderne et contemporain ». Et d’ajouter : « Si nous avions la fréquentation pour seul critère, nous ferions en boucle des monographies de David Hockney, Marc Chagall et René Magritte »…

Appel à des sémiologues

Lui se félicite de l’exposition Préhistoire, une énigme moderne, organisée du 8 mai au 16 septembre, même si elle n’a rassemblé « que » 290 000 visiteurs. Financièrement, les dépenses y ont été mieux maîtrisées et la marge s’est révélée bien supérieure à celle des expositions blockbusters. A titre d’exemple, la monographie de l’Américain Jeff Koons, extrêmement onéreuse, s’est avérée déficitaire.

Les grandes expositions coûtent également des fortunes en assurances (jusqu’à un milliard d’euros pour l’exposition Toutânkhamon à La Villette, par exemple). L’établissement public a dû investir massivement dans la sécurisation des portes et la ­climatisation. « Les recettes seront partagées avec le ministère des antiquités égyptiennes, la société américaine IMG [spécialisée dans les événements sportifs et artistiques à gros budget] et La Villette », indique M. Fusillier. Fait notable, Toutânkhamon démontre que, même avec un prix d’entrée très cher (le billet sans réduction s’élevait à 24 euros), le public peut être massivement au rendez-vous.

Cela prouve que les icônes feront toujours rêver. Même le président du Centre Pompidou regrette de ne pas avoir d’« œuvres aimants », à l’instar de La Joconde (70 % des visiteurs du Louvre disent souhaiter la voir), de La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh au MoMa de New York, ou encore de ­Guernica au Musée Reina-Sofia de Madrid. Des œuvres qui, à elles seules, méritent une visite et permettent à ces établissements de réaliser des expositions plus scientifiques, militantes ou complexes.

M. Lasvignes a fait appel à des sémiologues pour définir « la » liste des œuvres les plus emblématiques des collections, destinée à mieux faire connaître Beaubourg auprès des touristes. Les Chinois, par exemple, ne représentent que 1 % des visiteurs. Un parcours d’une quinzaine de « very important pieces » (VIP), fléché dans les collections, comprendra ainsi les Bleu I, II et III de Joan Miró, La Muse endormie de Constantin Brancusi, La Blouse roumaine d’Henri Matisse, Les Loisirs de Fernand Léger, Avec l’arc noir de Vassily Kandinsky ou encore Sculpture éponge bleue d’Yves Klein… Déjà en 1910, le patron du Louvre avait envisagé un miniparcours pour les touristes pressés, en juxtaposant les stars La Vénus de Milo, Les Esclaves de Michel-Ange et La Joconde, avant d’abandonner cette idée politiquement incorrecte.

Faut-il cyniquement jouer les faux pour remplacer les vrais ? Le Musée du Belvédère, à Vienne (Autriche), propose aux visiteurs de faire un selfie devant une reproduction de son tableau le plus emblématique, Le Baiser, de Gustav Klimt. Bon nombre de visiteurs s’en contentent et ne vont pas voir l’authentique. Le Louvre a tenté l’expérience cet été avec La Joconde, mais le public n’a pas mordu à l’hameçon. Beaubourg vient d’installer un Photomaton qui permet de choisir une œuvre du musée en toile de fond.Pour aiguiser l’attention du public, la chaîne culturelle britannique Sky Arts avait proposé en 2016 un jeu, en remplaçant sept chefs-d’œuvre outre-Manche par des copies dans des musées de Londres, Manchester, Edimbourg, Liverpool et Cardiff. Le public non averti n’y a vu que du feu.

Alors, faut-il copier les œuvres pour les diffuser ailleurs ? M. Fusillier a mis en place des « Micro-Folies », des petits espaces modulables installés provisoirement dans des zones rurales ou en banlieues pour y projeter La Joconde en haute définition et sur écran géant. La première a été ouverte à Sevran, en Seine-Saint-Denis. L’idée n’est pas nouvelle. Henri Matisse raconte, dans Bavardages : les entretiens égarés (Skira, 2017), qu’il copiait des œuvres du Louvre lorsqu’il était élève de Gustave Moreau, avant 1897, en espérant être acheté un jour par la commission d’achat qui envoyait ces fac-similés dans les musées de province…

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29 octobre 2019

Enquête - Histoires de voiles, des femmes témoignent

Par Cécile Chambraud, Louise Couvelaire

Qu’il s’agisse du fruit d’un cheminement spirituel, d’un acte militant, d’un geste hérité de la tradition, d’une affirmation identitaire et/ou d’une pression sociale, le port du foulard islamique est, en France, un sujet polémique récurrent.

Maheen en a un tiroir plein. Un jaune, un rose, un blanc, un avec des perles, un à paillettes… Elle a 25 ans, des escarpins noirs à talons hauts aux pieds et un voile sur la tête. Elle ne l’enlève que pour aller travailler. La jeune femme est institutrice dans une école publique, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), où elle est née et habite toujours. Ces derniers temps, elle n’a qu’une peur : que des parents d’élèves la croisent en dehors de l’école avec son foulard. « Vu le climat, ils pourraient ne pas apprécier et faire en sorte que je sois écartée de l’enseignement. »

Depuis plusieurs semaines, le voile est une nouvelle fois au cœur des débats : entre l’appel d’Emmanuel Macron pour une « société de vigilance », l’injonction d’un élu Rassemblement national (RN) à une mère accompagnatrice de retirer son voile jusqu’aux paroles du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer estimant que le voile n’était « souhaitable dans la société ».

La preuve d’une intégration ratée

Qu’il s’agisse du fruit d’un cheminement spirituel, d’un acte militant, d’un geste hérité de la tradition, d’une affirmation identitaire et/ou d’une pression sociale, le port du voile est, en France, un sujet polémique récurrent et un signe visible de religiosité que nombre de Français sans lien avec la culture musulmane ont du mal à comprendre. Et à accepter.

Puisqu’il est un instrument d’oppression de la femme dans certains pays, certains y voient l’importation d’un symbole de l’inégalité de l’homme et de la femme, la marque d’une vision rétrograde, conservatrice, voire dangereuse de la société. Et, surtout, la preuve d’une intégration jugée ratée.

Elles s’appellent Maheen, Latifa, Fati, Nawel, Mina, Asma ou encore Ouatania. Elles ont entre 23 ans et 64 ans, elles sont issues de la bourgeoisie, de la classe moyenne ou d’un quartier populaire. Toutes sont Françaises. Aucune n’est militante provoile. Qu’elles le portent en turban, en drapé, à la mode égyptienne ou indienne, qu’il soit noir ou coloré, elles ont, un jour, décidé de se couvrir la tête. Par choix, disent-elles. Sans contrainte, assurent-elles. En complément du jeûne et des cinq prières quotidiennes que la plupart disent observer.

« ON NOUS PREND POUR (…) DES ANALPHABÈTES, DES IGNORANTES, SANS ÉDUCATION, SANS CERVEAU, FORCÉMENT INSTRUMENTALISÉES. » LATIFA

Maheen fait partie de ces femmes à qui « on ne parle jamais ». Nombreuses sont celles qui craignent de s’exprimer aussi. La plupart ont peur pour leur emploi, ou pour leurs enfants, et demandent à ce que seuls leurs prénoms soient publiés.

« On parle de nous à notre place, mais personne n’imagine qu’on puisse avoir quelque chose à dire, dénonce Latifa, 38 ans. On nous prend pour des cantinières, des femmes de ménage, des analphabètes, des ignorantes, sans éducation, sans cerveau, forcément instrumentalisées, incapables de réfléchir par nous-mêmes et de faire nos choix en toute liberté. » Latifa est ingénieur financier dans une entreprise du CAC 40 située à La Défense, dans les Hauts-de-Seine. « On n’est pas des assistées, on est capable de parler, martèle Zora, 40 ans, assistante maternelle à Lyon. C’est terriblement condescendant. » « Et très rabaissant, s’indigne Mina, une Toulousaine de 27 ans titulaire d’un master en informatique décisionnelle. Tout le monde a le droit de parler sur nous et sait ce qui est mieux pour nous, comme si on était des enfants. »

Invasion « insidieuse » du wahhabisme

Sont-elles libres ou contraintes ? Si la plupart disent ne pas connaître de femmes directement « forcées » à se voiler, quelques-unes évoquent sans s’y attarder l’existence d’une pression sociale en faveur du port du foulard, d’autres le cas de jeunes filles qui se couvrent la tête uniquement dans leur quartier « pour avoir la paix » et pouvoir sortir le soir en toute liberté. Asma, 45 ans, la mère de Maheen, très engagée dans la vie associative locale, appelle ça le phénomène des « mosquées de caves », apparu dans les années 1990.

A Lyon, Zora se souvient de l’arrivée du wahhabisme dans le quartier de son enfance, qu’elle ne veut pas nommer, il y a une trentaine d’années. Elle parle d’une « invasion progressive et insidieuse ». « Il y a d’abord eu des livres dans les librairies, décrit-elle, puis des tenues vestimentaires dans les magasins de vêtements, puis le noir est arrivé, il n’y avait alors plus d’autre choix, puis sont venus les discours insistant sur l’enfer et le paradis. » Aujourd’hui, avance-t-elle, dans un quartier populaire, les normes vont d’un extrême à l’autre : « On voit autant de filles habillées en ultra-moulant et décolleté que de filles voilées, dont beaucoup en ont fait un accessoire de mode. »

L’empreinte de cette offensive menée par les rigoristes peut se retrouver dans le discours religieux dominant et dans les formes de pratique, plus soucieuses d’orthodoxie qu’auparavant. « Cela a fait bouger le curseur, affirme le sociologue Omero Marongiu-Perria. Un musulman qui cherche aujourd’hui à s’informer sur la religion trouve sur le marché un discours d’inspiration salafiste et des infrastructures sur le terrain issues de la matrice frériste, même s’il ne s’en rend pas compte. »

« BEAUCOUP DE FEMMES ONT INTÉGRÉ L’IDÉE QUE SE VOILER EST OBLIGATOIRE ALORS QU’IL S’AGIT D’UNE PRESCRIPTION MINEURE. » FARID ABDELKRIM, COMÉDIEN

Farid Abdelkrim, comédien et ancien membre des Frères musulmans, partage cette analyse : « Beaucoup de femmes ont intégré l’idée que se voiler est obligatoire alors qu’il s’agit d’une prescription mineure. S’il est vrai qu’aujourd’hui le port du voile peut être un choix personnel, il n’en reste pas moins que ce choix s’inscrit dans un discours imaginé et fomenté par des hommes, puis repris par des femmes. » Repris, mais aussi réinventé parfois, libéré de ses attributs traditionalistes originels qui inquiètent la société française. C’est, du moins, ce que les femmes qui ont témoigné expriment et revendiquent lorsqu’elles évoquent les raisons qui les ont amenées à se voiler.

Bien souvent, porter le foulard est tout sauf le signe d’un conformisme familial. La mère et la sœur de Nawel, une commerçante parisienne de 40 ans voilée depuis treize ans, n’en portent pas. Ni les belles-sœurs de Mina, une Toulousaine de 27 ans, pas plus que les trois sœurs de Rania, infirmière parisienne de 23 ans.

Amanda (le prénom a été modifié), 26 ans, a quant à elle une histoire familiale singulière. Enfant, à Lyon, elle allait à la messe le dimanche. Son père, d’origine syrienne, est musulman. Sa mère, française, est catholique. Ses deux sœurs ont choisi la religion maternelle. Elle, elle a choisi l’islam. Et le voile, à l’âge de 19 ans, qu’elle porte désormais en turban. « L’islam, c’est plus simple, plus accessible, on a une relation directe à Dieu, raconte la jeune femme, titulaire d’une licence en langues étrangères appliquées et d’un master en histoire. J’avais beaucoup de clichés en tête, notamment sur la place de la femme, mais en relisant le Coran, j’ai eu un déclic : la première femme du prophète était une businesswoman accomplie. » Elle a été élevée par sa mère et son père n’a eu aucun rôle direct dans son choix, précise-t-elle.

L’aboutissement d’un cheminement spirituel

La décision de se voiler est souvent décrite comme une forme d’aboutissement dans un cheminement spirituel très personnel. Certaines femmes étaient même auparavant résolument hostiles à cette pratique. Rania, l’infirmière parisienne, « détestait » le voile avant de l’adopter, à 19 ans. Elle ne « [comprenait] pas » pourquoi les femmes devaient se plier à cette discipline et pas les hommes. Elle a questionné les différentes traditions religieuses, y compris chrétiennes et juive, sur la « pudeur et la modestie » pour finalement y adhérer. « C’est ma façon à moi d’être pudique. Et aussi de manifester mon obéissance à Dieu. Pas à des hommes, hein ! », s’amuse-t-elle.

Cette quête personnelle prend parfois des détours surprenants. Nawel a été élevée dans une famille peu pratiquante. Au lycée et à l’université, elle se considère athée. Plus tard, ses recherches la mènent dans diverses directions. Elle fréquente même brièvement une loge maçonnique. « Une fois que j’ai décidé de remettre Dieu dans mon existence, je ne suis pas allée à l’islam directement, explique-t-elle. J’ai réfléchi, beaucoup lu, rencontré des gens ». « Je n’ai pas été “rappelée par mes origines” », soutient-elle.

C’est en rouvrant le Coran qu’elle a le déclic. Elle commence à prier, veut vite en faire plus : « arrive la question du voile », une « obligation en islam », selon elle. « Le voile est une question de pudeur, mais pour moi, c’est d’abord un acte d’adoration. » Elle n’a fréquenté aucune mosquée ni suivi aucune conférence, et dit se méfier de tous ceux qui prétendent vous expliquer « comment vivre et comment penser ».

La liberté de choix est aussi revendiquée par celles qui ont subi des pressions familiales. Maheen se souvient encore de la première fois où elle a décidé de porter le voile. C’était un dimanche soir, elle était en classe de seconde. Sa grand-mère et ses tantes avaient bien tenté de la persuader de le porter depuis plusieurs années.

« Jamais je ne l’aurais mis parce qu’elles me le demandaient !, lance la jeune femme. Personne n’a le droit de me dire ce que je dois faire. J’ai décidé de le porter lorsqu’elles ont cessé d’essayer de me l’imposer, parce que je le voulais, parce que j’y avais beaucoup réfléchi, que je trouvais les femmes qui le portaient tellement courageuses d’oser être elles-mêmes et que c’était pour moi une façon de me rapprocher de Dieu. »

Pour une autre génération, la tradition a sa part dans cette décision. Originaire du Maroc, Ouatania, 64 ans, aide-soignante à Gonesse (Val-d’Oise), ne s’est pas posée la question. Dans les pays du Maghreb, à partir d’un certain âge ou après avoir fait le pèlerinage à La Mecque, on met le voile, « c’est culturel, dit-elle, c’est comme ça ».

A la génération suivante, cette tradition maghrébine s’est en quelque sorte réinventée. Zora, une assistante maternelle lyonnaise de 40 ans, témoigne de cette appropriation. « Ma mère, originaire d’Algérie, était analphabète, elle se voilait sans se poser de questions, parce qu’elle n’avait pas le choix. Moi, je suis née ici, je me bats pour le porter. » Contre l’avis de son père d’abord, ouvrier à la SNCF, et de sa mère, femme au foyer, qui n’ont pas compris sa décision. « Ils se sont battus pour s’intégrer, ils me répétaient que j’étais en France et que j’étais libre, mais pour moi, c’était une façon de me réapproprier ma féminité et de m’affirmer. »

L’affaire de Creil en 1989 : un déclencheur

De son côté, à Mulhouse, Lamia, 50 ans, mère au foyer, le porte façon terroir. Elle se couvre avec un béret. Elle a pris sa décision pendant ses études. Un souci de « pudeur » l’a emporté. « C’est un âge où l’on se cherche, dit-elle. En Algérie, je n’étais pas Algérienne, en France, je n’étais jamais comme il fallait. Qu’on le veuille ou non, quand on est musulman, on devient des personnages géopolitiques… C’était autour de 1989, lors de l’affaire du voile à Creil [Oise], quelle pression ! »

Pour toute une génération, l’affaire du collège de Creil, dont le principal avait exclu trois collégiennes qui refusaient d’ôter leur foulard, a constitué un déclencheur. Soum (le prénom a été modifié) s’en souvient comme si c’était hier. Elle avait à peine 15 ans. Elle venait d’étudier la Révolution française dans son collège de Pantin (Seine-Saint-Denis) et ne comprenait pas comment, au pays des droits de l’homme, on pouvait « interdire » à trois jeunes filles d’exercer leur foi. « J’ai décidé de faire comme elles et de porter le foulard », dit-elle. Comme un pied de nez à ceux qui, selon elle, bafouaient les libertés.

Un acte militant, aussi. A l’époque, l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), proche des Frères musulmans, structure une partie du terrain associatif musulman et, rappelle le sociologue Omero Marongiu-Perria, refuse de chercher « un terrain d’entente avec l’Etat » sur la question du voile, « envoie au front les jeunes filles et récolte les bénéfices derrière avec le discours victimaire ». « Cette affaire a attisé un fort sentiment identitaire au sein de la communauté, il fallait se positionner pour ou contre, ça a creusé un fossé entre “eux et nous” », commente Fati (le prénom a été modifié), la grande sœur de Soum, qui, comme sa cadette, porte le foulard en turban, pour ne pas être associée à la « catégorie femmes voilées », trop polémique à leur goût.

« MA MÈRE M’A DIT : TU TE METS AU BAN DE LA SOCIÉTÉ. » NAWEL

Au sein d’une même famille, les ressorts qui mènent au voile peuvent varier d’une sœur à l’autre. Le foulard n’était pas le choix de Fati. « Je l’ai porté à 17 ans pour des raisons assez simplistes et naïves, c’était un prolongement naturel pour obéir à une injonction de mon père, très conservateur », explique-t-elle. A l’époque, elle vit mal le poids de cette tradition et souffre de « problèmes identitaires ». « Puis, le voile a fini par devenir un choix spirituel », affirme-t-elle. A tel point qu’elle a refusé de passer un examen sans lui. Ironie de l’histoire, c’est son père qui l’a finalement convaincue de l’enlever.

Contrairement à Soum et à Fati, la décision de porter le voile est souvent désapprouvée par les parents. Pour les femmes les plus jeunes du moins. Et sans doute aussi pour les plus diplômées. Le jour où, à 19 ans, Mina annonce qu’elle va se couvrir, sa mère, elle-même voilée, se braque. « Elle ne m’a plus parlé dans les jours qui ont suivi. Elle avait peur que je subisse des discriminations. » La mère de Nawel, qui n’est pas voilée, a été « très choquée » lorsque sa fille s’est couverte. « Elle m’a dit : tu te mets au ban de la société. »

Une crainte partagée par les parents de Latifa, l’ingénieure de La Défense. Elle avait 21 ans lorsqu’elle a choisi de porter le voile. Elle a attendu pour le faire de quitter le domicile familial. Motif ? Ses parents étaient convaincus qu’elle se « coupait l’herbe sous le pied ». « Ils étaient aussi très inquiets pour mon intégrité physique », ajoute-t-elle.

Fatima, une habitante de Gonesse de 50 ans, bénévole au Secours catholique coiffée d’un voile noir, a vu sa fille faire le choix de se voiler à 14 ans. Contre l’avis de son père. « Mon mari pensait qu’elle était beaucoup trop jeune et que ça risquait de lui faire du tort », raconte-t-elle. L’adolescente n’a pas plié.

« QUAND NOUS SOMMES ARRIVÉS EN FRANCE, DU PAKISTAN, (…) JE ME SUIS AFFIRMÉE EN NE METTANT PAS LE VOILE. [AUJOURD’HUI], MA FILLE S’AFFIRME EN LE METTANT. » ASMA

A Champigny-sur-Marne, la mère de Maheen, Asma, n’a jamais caché ses cheveux. « J’ai été surprise du choix de ma fille mais je le respecte, dit-elle. Pour ma génération, dans nos pays d’origine, c’était très différent, nous n’avions pas le choix, c’était effectivement un instrument de soumission. Quand nous sommes arrivés en France, du Pakistan, j’avais 3 ans, ma mère sortait peu, elle ne travaillait pas, on ne voyait pas les femmes dans les rues. Je me suis affirmée en ne mettant pas le voile, ma fille s’affirme en le mettant. »

Pour Maheen, c’est justement parce qu’elle est née en France qu’elle s’autorise à le porter. Pour elle comme pour Latifa, c’est aussi une façon de relever la tête et de s’affranchir de ce qui a pesé sur les trajectoires « souvent tragiques et douloureuses » de leurs aînées, qui ont, aux yeux des jeunes générations, « baissé la tête » et « rasé les murs » pour s’intégrer.

« Nos mères ou nos grands-mères n’étaient pas Françaises, elles ne savaient pas forcément pourquoi elles portaient le voile. Moi, je suis née ici, c’est mon pays ici, j’ai le choix et le droit d’être qui je suis », plaide la jeune femme.

Revendication identitaire pour les uns, affirmation de soi pour elles. « Personne n’imagine, que dans certains cas, le voile puisse aussi être un signe d’intégration, avance Latifa. Pourtant, cela signifie qu’on sort des quartiers. » Et qu’importe ce qu’ont vécu les générations précédentes et ce que les femmes endurent dans d’autres pays, « comparer leur situation avec la nôtre est hors sujet », juge l’ingénieure. Et Zora de conclure : « Ici, nous sommes en France, ici, nous avons le choix, arrêtons les amalgames et le soupçon et faites-nous confiance. »

28 octobre 2019

Comment j’ai essayé de me passer de Google pour de bon (et pourquoi c’est si difficile)

Par Gabriel Coutagne

Moteur de recherche, mais aussi navigateur, messagerie électronique, plate-forme vidéo, serveurs… Notre journaliste a tenté d’effacer entièrement Google de son quotidien.

C’était la fin des vacances. Ce matin-là, j’avais vérifié que ma carte d’embarquement était bien imprimée : Toulouse-Paris. Soudain, mon smartphone a vibré. Une notification s’est affichée. Vu la circulation, il était temps de partir afin de ne pas rater mon vol.

Android, le système d’exploitation développé par Google, avait identifié, dans ma boîte Gmail, la présence d’un billet d’avion. De là, le système a ensuite déduit l’heure d’arrivée idéale à l’aéroport pour que je ne sois pas en retard. Enfin, il a utilisé la fonction de géolocalisation de mon smartphone et en a déduit, en tenant compte des embouteillages, un temps de trajet entre ma position et celle de l’aéroport. Google m’a donc permis d’attraper mon avion et m’a rendu un fier service, ce jour-là.

AVAIS-JE ENVIE QUE MON SMARTPHONE PUISSE AINSI DÉDUIRE TANT DE CHOSES DE MON EXISTENCE ? MA DÉCISION ÉTAIT PRISE. AVEC GOOGLE, IL FALLAIT QU’ON FASSE UNE PAUSE

Mais pour cela, il a utilisé différentes données me concernant, auxquelles je lui avais permis d’accéder en acceptant ces conditions d’utilisation que, comme vous, je ne lis jamais.

Ce jour-là, il avait identifié un événement et m’avait littéralement rappelé à l’ordre. De l’enthousiaste technophile, je suis peu à peu devenu sceptique, jaloux de mes données personnelles. Bien sûr, je savais depuis longtemps que mes recherches sur Google influençaient les publicités qu’on me proposait. Mais, jusque-là, j’avais eu le sentiment que l’empire grandissant de la multinationale sur ma vie quotidienne était inoffensif.

Avais-je envie que mon smartphone puisse ainsi déduire tant de choses de mon existence ? Ma décision était prise. Avec Google, il fallait qu’on fasse une pause.

Mais, comme toutes les ruptures, celle-ci n’allait pas être de tout repos. Smartphone sous Android, Google Agenda, Google Photos, Google Drive, Hangout, Google News, Google Maps, YouTube… Tous ces services étaient jusqu’ici connectés au même compte Google : le mien, et associés à la même adresse mail, hébergée sur Gmail depuis 2007. Tous dépendent d’Alphabet, la maison mère de Google, une entreprise qui a été condamnée, le 21 janvier, à une amende record de 50 millions d’euros. En cause : sa politique de gestion des données personnelles en France.

Google, c’est 90 % des recherches sur Internet

Pour commencer, il a fallu changer de navigateur sur mon ordinateur et sur mon smartphone, afin de me débarrasser de Chrome (le navigateur de Google). Entre Safari, publié par Apple, ou Edge, son concurrent chez Microsoft, il existe aussi Chromium, la version open source de Chrome, Opera ou Firefox, développé par Mozilla…

Mais ça ne suffit pas. Car tous proposent par défaut Google comme moteur de recherche. Il faut donc aussi changer cela dans les paramètres. Car Google, c’est encore et surtout un moteur de recherche redoutablement efficace et en position de quasi-monopole. A travers le monde, il représente l’outil utilisé pour plus de 90 % des recherches, selon StatCounter. Viennent ensuite Bing (détenu par Microsoft), ou Yahoo! (détenu par Oath).

Les alternatives efficaces sont rares. DuckDuckGo garantit de ne pas conserver l’historique de recherche associé à mon adresse IP, tout comme le français Qwant et le néerlandais Startpage (qui interroge différentes bases de données, dont celle de Google), tandis qu’Ecosia promet de réinvestir ses recettes publicitaires dans la reforestation.

Toute ma vie stockée sur Google Drive

J’ai ensuite supprimé l’historique complet des positions enregistrées par mon smartphone. Mais ce n’était que le début. J’avais, pour ainsi dire, « toute ma vie » sur Google Drive : des scans de mes pièces d’identité, des fiches de paie, ma carte de presse, des notes, des photos de vacances, des souvenirs, des échanges de mails amoureux… De nombreux documents dont la présence « sur le cloud » était aussi pratique que rassurante.

Pour se débarrasser de Google, il fallait donc que je trouve une alternative. La première qui m’est venue à l’esprit, c’est Dropbox. J’avais déjà un compte, limité à 2 Go. Bien loin des 15 Go de stockage gratuits sur Google Drive. Et les conditions générales d’utilisation de Dropbox stipulent que ses utilisateurs doivent lui accorder l’autorisation de réaliser certaines opérations, « ainsi qu’à nos filiales et aux tiers de confiance avec lesquels nous collaborons ».

ETAIT-IL POSSIBLE, FINALEMENT, DE NE PAS CONFIER SES DONNÉES À UNE ENTREPRISE PRIVÉE ?

Etait-il possible, finalement, de ne pas confier ses données à une entreprise privée ? Comment rivaliser avec les gigantesques data centers de Google, ces immenses hangars remplis de serveurs dans lesquels s’entassent nos données, accessibles à tout moment grâce à une connexion Internet ? Une solution : avoir mon propre serveur.

J’ai donc recherché comment accueillir chez moi un « NAS » (Network Attached Storage, un serveur de stockage en réseau). Il existe de nombreux fabricants : Synology, Qnap, Asustor, Thecus, Buffalo… Les inconvénients ? Il est nécessaire d’avoir son serveur toujours allumé pour avoir accès à ses données et pour les synchroniser. Le NAS suppose aussi un investissement de départ (une centaine d’euros, sans compter les disques durs, pour les moins chers). Et la démarche n’est pas sans risque. Un incendie, un cambriolage, un choc violent, un dégât des eaux, et c’en est fini des données stockées sur le NAS. Il faudra que je pense à faire une sauvegarde…

Après de longues semaines d’hésitation, je saute le pas. Un NAS, un disque dur, et un peu de patience, pour installer et maîtriser la machine – notamment si l’on souhaite accéder aux données à distance.

Mais cette première étape d’installation m’a fait aller plus loin. Les logiciels des fabricants de NAS proposent en effet des alternatives à Google Photos ou Photos chez Apple. Sur certains modèles, on trouve également des applications de travail partagé, comme un traitement de texte, ou un tableur, sur le modèle de Google Office ou Microsoft Office 365. Il existe même des équivalents de WhatsApp (pour peu qu’on convertisse ses proches, ce qui prendra du temps). Certains utilisateurs vont même jusqu’à héberger leur bibliothèque musicale sur leur machine, afin de pouvoir l’écouter depuis leur smartphone, s’évitant ainsi un abonnement chez Apple Music, Spotify ou Deezer.

Que faire de ma boîte Gmail ?

Restait à voir pour ma boîte mail Gmail. Je pouvais tenter d’héberger mes mails sur mon propre serveur domestique, mais il fallait aussi être propriétaire d’un nom de domaine. Ça m’aurait permis par exemple de bricoler des adresses amusantes comme latete@to.to, ou encore rst@uvw.xyz mais, faute de temps, j’ai remis ça à plus tard.

De nombreux services revendiquent le respect de la vie privée, comme Lavabit, connu grâce à un de ses utilisateurs : Edward Snowden. Certains mettent en avant la localisation géographique et les législations auxquelles sont soumis les serveurs. Par exemple, Tutanota explique que les données sont « stockées dans leurs propres serveurs dans des centres de données fortement sécurisés en Allemagne », donc soumis au règlement général sur la protection des données (RGPD), tout comme Mailbox. Runbox vante la rigueur de la législation norvégienne ; ProtonMail, celle de la législation suisse.

La manière dont les données sont chiffrées (c’est-à-dire rendues illisibles sans une clé de décryptage détenue par l’utilisateur) rentre aussi en compte. Par exemple, ProtonMail propose un algorithme de chiffrement open source, c’est-à-dire vérifiable par des experts en chiffrement dans le monde entier. Après des tests, j’ai donc finalement opté pour ProtonMail, notamment parce que son interface me paraissait la plus simple d’utilisation, et la moins dépaysante quand on est habitué à Gmail. Pour ce qui est de mes anciens mails, il suffisait de les télécharger et de les sauvegarder sur mon NAS, qui permet également de naviguer facilement parmi ces gigaoctets de données.

Pour l’agenda, en revanche, l’offre est beaucoup plus restreinte. L’association française Framasoft propose une suite de services alternatifs à ceux proposés par les Gafam, dont Framagenda, compatible avec des clients comme le calendrier d’Apple, Google Agenda, ce qui permet de s’abonner à d’autres agendas (ceux de membres de sa famille, ou des agendas professionnels).

Se débrouiller sans Waze ni Google Maps

Enfin, il me fallait encore me séparer de Google Maps, ou de Waze. En cas de déplacement en voiture, pour connaître l’état de la circulation, je n’ai trouvé que Sytadin, l’outil de la direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement, mais limité à l’Ile-de-France.

J’ESPÉRAIS QU’APRÈS CETTE RUPTURE, GOOGLE ARRIVERAIT À M’OUBLIER

Pour le reste, plusieurs solutions s’offraient à moi : racheter un plan de Paris, me perdre avec délectation (ou pas) dans les rues de la capitale, ou trouver une alternative.

Moyennant un abonnement, l’IGN propose une application donnant accès à toutes ses cartes, à de nombreuses échelles, dont certaines sont très précises. Il existe également les cartes du projet open source Maps.me, qui permet de les consulter hors connexion. La spécificité de cet outil est que, comme Wikipedia, il est enrichi par ses utilisateurs ; l’inconvénient, c’est que certaines adresses restent introuvables, comme celle de mon domicile, pourtant en proche banlieue parisienne... Mais jusqu’à maintenant, je me souviens de l’endroit où j’habite.

Une boîte Gmail et un compte Drive vide ainsi qu’un historique de navigation et de géolocalisation vierge : j’espérais qu’après cette rupture, Google arriverait à m’oublier. C’était la fin des vacances, je suis revenu au journal. Mon ordinateur s’est allumé, Chrome s’est lancé, s’ouvrant sur ma boîte mail professionnelle. Sur Gmail. La plupart des services informatiques courants utilisés par les salariés du Monde (e-mail, agenda, documents partagés) sont en effet fournis… par Google.

27 octobre 2019

Tribune « L’heure d’hiver est mieux adaptée aux horloges biologiques des individus »

En vue de la disparition, en 2021, du changement d’heure, les chronobiologistes préconisent d’adopter l’heure « standard », qui resynchronise le rythme circadien.

L’alternance du jour et de la nuit résulte de la rotation de la Terre autour de son axe en vingt-quatre heures. Pour anticiper et s’adapter à ces rythmes journaliers, les organismes ont développé un système de mesure du temps constitué d’horloges biologiques internes capables de coordonner l’ensemble des fonctions biologiques, de l’activité des cellules jusqu’au comportement et à la performance de l’individu dans son ensemble.

Tous nos rythmes sont organisés dans le temps pour assurer une adaptation maximale aux cycles jour/nuit. Ainsi, durant notre sommeil, la sécrétion de cortisol, la pression sanguine, l’activité métabolique et nos performances cognitives augmentent, par anticipation à l’éveil de notre organisme.

En lien avec ce rôle d’anticipation, ces rythmes journaliers persistent même en l’absence de cycles lumière-obscurité, une propriété vérifiée chez tous les organismes, dont l’humain. Ainsi, les organismes privés de leurs repères temporels externes continuent d’avoir un rythme régulier proche de vingt-quatre heures, appelé « rythme circadien ».

Dans la majorité de la population, le rythme interne de l’horloge est supérieur à vingt-quatre heures, entraînant une dérive de l’activité vers le soir, qui est naturellement corrigée par l’effet synchroniseur de la lumière en début de journée.

Changement semestriel devenu impopulaire

Lorsque l’exposition à la lumière en début de jour est faible ou absente, ou lorsqu’il y a une forte exposition en fin de journée, l’horloge prend du retard et notre corps a plus de mal à s’adapter aux exigences biologiques du moment de la journée. Une telle désynchronisation des rythmes peut conduire à des troubles biologiques et à des pathologies.

LES ACCIDENTS AU TRAVAIL, LES TROUBLES MENTAUX, LES INFARCTUS DU MYOCARDE ET LES AVC AUGMENTENT DANS LES JOURS OU LES SEMAINES QUI SUIVENT LE PASSAGE À L’HEURE D’ÉTÉ

A la suite du choc pétrolier de 1976, pour réduire les besoins en éclairage, plus de soixante-dix pays ont décidé d’avancer d’une heure chaque printemps et de retarder d’une heure chaque automne le cycle éveil/sommeil des citoyens. Par conséquent, des millions de personnes vivent pendant six mois de l’année (printemps, été) avec une avance de deux heures par rapport à l’heure solaire.

Même si aucune étude épidémiologique n’a encore démontré d’effet néfaste à long terme de ce changement semestriel, de nombreuses études scientifiques ont montré que la durée du sommeil diminue et que les accidents automobiles, les accidents au travail, les troubles mentaux, et le nombre d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux augmentent dans les jours ou les semaines qui suivent le passage à l’heure d’été.

De façon générale, l’horloge circadienne humaine s’adapte moins bien à l’heure d’été qu’à l’heure d’hiver où les horaires de sommeil sont plus en phase avec la luminosité solaire.

Ce changement semestriel est devenu très impopulaire, comme le montre une enquête de la Commission européenne révélant que 84 % des répondants (4,6 millions de réponses des vingt-huit Etats membres) ont exprimé leur souhait de voir cette pratique supprimée.

Il a donc été décidé d’arrêter ces changements d’heure dès 2021. Se pose maintenant la question du choix entre « l’heure standard » et « l’heure d’été ». En France, une consultation publique a indiqué qu’une majorité de répondants (56 %) préfère l’heure d’été. Pourtant, les chronobiologistes recommandent, au contraire, de conserver l’heure standard. En effet, c’est avec elle que nos horloges biologiques sont le plus en phase avec la journée solaire, le méridien officiel n’étant décalé que d’une heure, contre deux avec l’heure d’été.

Sous un régime permanent d’heure d’été, les soirées estivales seront plus lumineuses pendant une heure par rapport à l’heure standard permanente, tendant à nous faire coucher plus tard, aux dépens de la durée de notre sommeil. De plus, en hiver, les matins resteront sombres plus longtemps, nous privant de lumière solaire avant de commencer notre activité journalière.

Exposés à plus de lumière solaire

En adoptant l’heure standard permanente, les soirées d’été seront toujours plus longues et lumineuses qu’en hiver mais, les matins d’hiver, nous serons exposés à plus de lumière solaire qu’avec un régime d’heure d’été permanent. En effet, au jour le plus court de l’année (le 21 décembre) le soleil se lèvera, à Paris, à 8 h 41 en heure standard, au lieu de 9 h 41 avec un régime d’heure d’été.

Puisque de nombreuses études chez l’animal et chez l’humain ont démontré que la lumière matinale est essentielle pour synchroniser efficacement les horloges biologiques, et que la surexposition à la lumière le soir est défavorable, les chronobiologistes considèrent qu’un régime constant à l’heure standard est plus bénéfique qu’un régime permanent en heure d’été. En effet, pour une majorité de la population, l’heure standard favorisera un meilleur sommeil, une meilleure santé physique et mentale et de meilleures performances physiques et intellectuelles, pour ne citer que quelques exemples.

A l’inverse, l’heure d’été constante pourrait accentuer les troubles observés lors du passage à l’heure d’été et augmenter la prévalence de troubles du sommeil, de dépression, d’obésité, de diabète et de cancers, dans une proportion importante de la population.

Alertés dès octobre 2018 par la communauté des chronobiologistes, les pouvoirs publics doivent maintenant se positionner sur ce choix en toute connaissance des conséquences sanitaires potentielles.

Signataires : Etienne Challet (CNRS), Claude Gronfier (Inserm), Martine Migaud (INRA), Valérie Simonneaux (CNRS), directeurs de recherche et membres de la Société francophone de chronobiologie.

25 octobre 2019

Tribune - Mireille Delmas-Marty : « La “société de vigilance” risque de faire oublier la devise républicaine »

Par Mireille Delmas-Marty, Juriste

La « vigilance » prônée par le président Macron au motif de combattre le terrorisme risque d’entraîner un « glissement » de l’Etat de droit vers un Etat de « suspicion », s’inquiète, dans une tribune au« Monde » la juriste, pour qui se dessine un « culte de la sécurité ».

[Mireille Delmas-Marty est professeure émérite au Collège de France (chaire « études juridiques comparatives et internationalisation du droit ») où elle a enseigné de 2003 à 2011, et membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Agrégée de droit privé et de sciences criminelles, ancienne professeure des universités Lille-II, Paris-XI, ­Paris-I-Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France de 1992 à 2002, cette juriste de renommée internationale a été professeure invitée dans la plupart des grandes universités européennes, ainsi qu’aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Chine, au Japon et au Canada. Auteure de plus d’une vingtaine d’ouvrages, elle a notamment publié Libertés et sûreté dans un monde dangereux (Seuil, 2010), Résister, responsabiliser, anticiper ou comment humaniser la mondialisation (Seuil, 2013) et Aux quatre vents du monde. Petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation (Seuil, 2016).]

Tribune. Le monde est dangereux, et nous en sommes de plus en plus conscients, qu’il s’agisse de dangers concernant l’ensemble de la planète comme le changement climatique ou le risque nucléaire, ou menaçant plus particulièrement les êtres humains, comme les crises sociales, le désastre humanitaire des migrations forcées, les crises financières… ou le terrorisme.

Le 3 octobre, quatre agents de la Préfecture de police de Paris « sont tombés sous les coups d’un islam dévoyé et porteur de mort qu’il nous revient d’éradiquer ».

Ayant prononcé ces mots le 8 octobre dans son discours en hommage aux victimes, le président de la République Emmanuel Macron souligne que « les institutions seules ne suffiront pas » et que « l’administration seule et tous les services de l’Etat ne sauraient venir à bout de l’hydre islamiste ». Et il annonce un véritable changement de société. « C’est la nation tout entière qui doit s’unir, se mobiliser, agir. » Il nomme ce changement « société de vigilance ». Il faudra, dit-il, « savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi les relâchements, les déviations. »

A quoi ressemblera cette nouvelle société ? On peut craindre qu’une vigilance aussi intrusive finisse par réaliser la prophétie du philosophe et politiste Alexis de Tocqueville.

Citoyenneté « augmentée »

Imaginant pour les nations démocratiques « un despotisme plus étendu et plus doux, qui dégraderait les hommes sans les tourmenter », l’auteur de De la démocratie en Amérique (1835 et 1840) décrit de façon prémonitoire « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes ». Au-dessus, s’élève « un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ; il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ». Etendu à la société tout entière, « il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour », car il réduit chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et apeurés dont le gouvernement est le berger.

Tocqueville voyait loin mais il n’avait pas imaginé l’avènement de la « république numérique » dont les algorithmes, dotés de capacité d’autoapprentissage et de raisonnement autonome, révolutionnent la fabrique du droit, ouvrant la voie d’une justice et d’une police « prédictives ».

IL A FALLU DES SIÈCLES POUR INVENTER UN « ETAT DE DROIT ». IL AURA SUFFI DE QUELQUES ANNÉES POUR LE TRANSFORMER EN UN ETAT « DE SURVEILLANCE »

Certes les algorithmes « sont encore très loin d’une conscience, d’une capacité à définir » nous rassure le mathématicien Cédric Villani. Il n’empêche qu’un juriste aussi peu suspect de laxisme que le professeur Yves Gaudemet (Revue du droit public, 2018) s’inquiète du fait que la question de la neutralité et de l’exactitude des traitements des données « n’ait guère reçu de réponse ». Même si l’on devait créer une nouvelle autorité administrative indépendante, « seuls des scientifiques experts seraient à même d’exercer un contrôle ».

Certes la citoyenneté peut se trouver « augmentée » grâce aux réseaux sociaux, mais, dans l’univers numérique, la plupart des règles s’appliquent aux utilisateurs sans avoir pour objectif de réglementer les activités de l’entreprise propriétaire du réseau, qu’il s’agisse de garantir la liberté d’expression ou le droit au respect de la vie privée.

L’extension de la répression à la prévention

Au motif de combattre le terrorisme, le gouvernement risque donc de donner un nouveau coup d’accélérateur aux glissements de l’Etat de droit vers un Etat de surveillance.

Amorcé depuis 2001, le glissement s’est accéléré à partir de la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté, puis, après les attentats terroristes, avec la proclamation de l’état d’urgence et la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

On compte en moyenne une loi par an, avec des années fastes comme 2017 (lois du 28 février relative à la sécurité publique, et du 30 octobre renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme). S’ajoutent les lois du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, et du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

Il a fallu des siècles pour inventer un « Etat de droit », caractérisé par la séparation des pouvoirs et la garantie des droits fondamentaux. Il aura suffi de quelques années pour le transformer en un Etat « de surveillance » – ou « de suspicion », car il affaiblit les libertés à partir d’un soupçon quasi permanent.

Cette transformation est caractérisée par un renforcement du pouvoir administratif, une marginalisation du juge, et enfin, l’extension de la répression à la prévention, puis à une prédiction de plus en plus précoce. Faudra-t-il afficher au fronton de nos mairies la nouvelle devise de la société de vigilance : « sécurité, efficacité, prédictibilité » ?

La « reconnaissance des émotions »

Or un tel programme ne peut être assuré par les seuls Etats. Il appelle une autre dérive, sans doute plus grave car moins visible, la privatisation de l’ordre « public ». Autrement dit, le glissement d’un « Etat de surveillance » à une « surveillance sans Etat ».

Plusieurs grandes villes ont montré la voie. Nice en tête, avec la convention entre la mairie et un groupe de quinze entreprises dirigé par Thales, chargé d’identifier les « signaux faibles » à travers l’exploitation d’un maximum de données au sein d’un « centre d’hypervision et de commandement ».

La vidéosurveillance est désormais couplée avec la « reconnaissance des émotions », détectant les expressions faciales associées à la joie, la tristesse, la peur ou le mépris.

Et voilà que l’on apprend, le 14 octobre, que le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, va accélérer la mise en place de la reconnaissance faciale. Le gouvernement promet un « débat citoyen » associant des citoyens aux administrations pour « clarifier le cadre légal », mais les expérimentations pilotées par des groupes privés sont déjà bien lancées.

« DE LA SURVEILLANCE PRIVATISÉE, QUI ÉCHAPPE À L’ETAT AU PROFIT D’ENTREPRISES TRANSNATIONALES, ON EN VIENT À LA SURVEILLANCE MONDIALISÉE »

Osera-t-on rappeler que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui a valeur constitutionnelle, prévoit que la garantie de ces droits nécessite une force « publique », et précise que « cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

Il en résulte, notamment, l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique (Conseil constitutionnel, 29 mars 2018).

« Empire du tout contrôle »

De la surveillance privatisée, qui échappe à l’Etat au profit d’entreprises transnationales, on en vient à la surveillance mondialisée. Nous avions appris, au moment du débat sur la « loi renseignement », que les données de masse (big data) pouvaient être transférées, par paquets en quelque sorte, à nos « alliés », à commencer par les Etats Unis dont on connaît les pratiques intrusives. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elles soient transférées dans le monde entier, à l’échelle du futur « empire monde » que pourrait préfigurer le programme chinois des « nouvelles routes de la soie ». Au risque, s’il combine le « tout marché » et le « tout numérique », d’instaurer un véritable « empire du tout contrôle ».

« LA MÉFIANCE, QUI EST AU CŒUR D’UNE SOCIÉTÉ DÉCLARÉE “EN GUERRE”, POURRAIT AFFAIBLIR NON SEULEMENT NOS LIBERTÉS MAIS NOS CAPACITÉS DE RÉSISTANCE »

Alors que « l’ancien monde » n’en finit pas de finir et que « l’effondrement » écologique est annoncé comme inéluctable, la multiplication de dangers d’origines diverses et de natures variées crée une société de la peur, élargie à l’échelle du globe, qui traverse les grands défis sans les relever. Une sorte d’angoisse diffuse dresse alors les individus et les peuples les uns contre les autres, effaçant peu à peu la distinction entre groupement criminel et Etat, entre crime et guerre. C’est ainsi que la méfiance, qui est au cœur d’une société déclarée « en guerre », pourrait affaiblir non seulement nos libertés mais nos capacités de résistance.

A première vue, le culte de la sécurité semble unir chaque communauté contre son ennemi préféré. En réalité, il prend le risque de diviser les humains en opposant leurs différences. Ne serait-il pas plus judicieux de mobiliser toutes les énergies, en apprenant à harmoniser ces différences autour d’un destin qui, à l’heure de la mondialisation, sera forcément commun ?

Un destin à la chinoise

En ce sens, le changement climatique est peut-être une chance s’il permet d’accélérer la prise de conscience de notre appartenance à une même humanité, dont les interdépendances sont devenues si fortes qu’en effet son destin sera commun.

Mais quel destin ? Un destin à la chinoise, si l’on considère que, depuis 2018, le préambule de sa Constitution engage la Chine à « construire une communauté de destin pour l’humanité » [selon l’expression du président Xi Jinping]. A moins qu’un autre destin soit inventé par les nouvelles générations, apparemment plus sensibles à l’équilibre écologique.

En toute hypothèse, ce n’est pas le moment pour la France d’oublier que sa devise républicaine commence par « liberté » et se termine par « fraternité » ; ni pour l’Europe de renoncer au triptyque « Etat de droit, démocratie, droits de l’homme » qu’elle inventa naguère. S’il reste une chance de stabiliser le monde sans le paralyser, elle viendra moins d’une défiance généralisée que d’une confiance retrouvée dans l’humanité, fragile et faillible, mais néanmoins responsable dans sa diversité acceptée.

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23 octobre 2019

Paris: Les utilisateurs des trottinettes Lime devront payer l’amende en cas de mise en fourrière

Jusqu’à présent, Lime prenait à sa charge le règlement de l’amende et ne répercutait pas le prix sur ses utilisateurs
Les règles changent. Alors que jusqu’ici Lime prenait à sa charge le règlement de l’amende en cas de mise en fourrière d’une trottinette et ne répercutait pas le prix sur ses utilisateurs, l'entreprise annonce au Parisien qu’elle entend désormais faire payer les frais de fourrière aux clients garés hors des emplacements autorisés à Paris. Et ce, afin de « responsabiliser davantage les utilisateurs et les inciter de manière contraignante à adopter les bonnes conduites en matière de stationnement ».
59 euros
« Aujourd’hui, dans le cas où une trottinette serait mise en fourrière ou signalée par les autorités pour mauvais stationnement, l’amende devra être réglée par le dernier utilisateur. Pour ce faire, Lime vérifiera le positionnement du véhicule grâce au numéro de la trottinette ainsi que la photo prise par l’utilisateur à la fin de son trajet, permettant d’assurer le verrouillage de cette dernière », note Lime dans un communiqué.
A Paris, l’amende pour trottinette gênante s’élève à 35 euros + 49 euros de mise en fourrière, soit 84 euros, plus 10 euros par jour, rappelle Le Parisien qui précise que Lime demandera 59 euros au client indélicat, « soit les frais d’extraction et la première journée de mise en fourrière ». Lime s’apprête à créer un nouveau service client, exclusivement dédié au traitement des amendes de mauvais stationnement.

22 octobre 2019

Entretien - Michel Desmurget : « La multiplication des écrans engendre une décérébration à grande échelle »

Par Pascale Santi, Stéphane Foucart

Pour le neuroscientifique, laisser les enfants et les adolescents face à des écrans relève de la maltraitance. Il alerte sur ce problème majeur de santé publique.

Michel Desmurget dirige, au CNRS, une équipe de recherche sur la plasticité cérébrale. Il vient de publier La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants (Seuil, 425 pages, 20 euros).

En se fondant sur la littérature scientifique disponible, le neuroscientifique y détaille les effets de l’omniprésence des outils numériques sur la cognition, le comportement et le bien-être des enfants.

Vous abordez dans votre livre les différents types d’écrans classiques, les jeux vidéo, etc. Qu’est-ce qui est le plus délétère pour l’enfant ?

C’est la convergence de tout cela. De nombreuses études mettent en évidence l’impact des écrans, quels qu’ils soient, sur des retards dans le développement du langage, sur le sommeil et l’attention. Le cerveau – surtout lorsqu’il est en construction – n’est pas fait pour subir ce bombardement sensoriel.

Quelles sont les données disponibles sur le temps d’écran ?

Le temps d’écran n’est pas seulement excessif, il est extravagant. Aux Etats-Unis, on est à près de trois heures par jour à 3 ans, quatre heures quarante entre 8 et 12 ans et six heures quarante entre 13 et 18 ans. En France, les enfants de 6 à 17 ans passaient en moyenne, en 2015, quatre heures et onze minutes par jour devant un écran, selon l’étude Esteban menée par Santé publique France. D’autres données diffèrent un peu, mais elles sont toutes dans des fourchettes équivalentes, et, dans tous les cas, dans des proportions très élevées. Seulement 6 % à 10 % des enfants ne sont pas touchés.

Est-ce si grave ?

Avant 6 ans, il est montré que les écrans ont un effet dès quinze minutes par jour. Dans les cinq à six premières années de la vie, chaque minute compte : c’est une période de développement absolument unique, d’apprentissage, de plasticité cérébrale qui ne se reproduira plus !

Au-delà de 6 ans, jusqu’à une demi-heure, voire une heure de consommation par jour, il n’y a pas d’effets mesurables pour peu que les contenus consultés soient adaptés et que cette activité ne touche pas le sommeil. Mais on est très au-delà. Ce qui se produit en ce moment est une expérience inédite de décérébration à grande échelle.

Pour les adolescents, le niveau moyen de consommation est-il problématique ?

On peut vraiment parler d’épidémie chez les adolescents ; c’est un problème majeur de santé publique. La littérature dans son ensemble indique notamment des effets délétères des écrans sur la concentration. Quels que soient le contenu, le support, le cerveau n’est pas conçu pour de telles sollicitations exogènes. Un grand nombre de travaux montrent des risques accrus de dépression, d’anxiété, de suicide, liés au temps d’écran.

Enfin, les écrans contribuent aussi à la diffusion de contenus à risque sur la drogue, le tabac ou la sexualité. Pour les adolescents, cela prend entre 40 % à 50 % du temps de veille ; l’une des atteintes majeures porte sur le sommeil.

Selon les dernières statistiques, la majorité des adolescents sont en dette de sommeil – activité fondamentale. Pour une large part, cette dette est liée à l’usage numérique qui décale l’heure du coucher (il faut bien prendre quelque part le temps offert aux écrans) et retarde l’endormissement (la lumière émise par les écrans perturbe la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil).

Vous évoquez un lien entre l’utilisation des écrans et la chute des capacités cognitives, est-ce sérieux ?

Rappelons qu’il existe notamment un lien fort entre la richesse du langage et la performance intellectuelle. Robert Sternberg, professeur de psychologie cognitive à l’université de Yale, ne disait-il pas que « le vocabulaire est probablement le meilleur indicateur singulier du niveau d’intelligence générale d’une personne » ?

Les écrans interfèrent avec le développement de nos aptitudes verbales, même s’il existe d’autres causes, scolaires (baisse du nombre d’heures d’enseignement…) ou environnementales (perturbateurs endocriniens…). Par exemple, chez un enfant de 18 mois, chaque demi-heure supplémentaire passée avec un appareil mobile multiplie par 2,5 la probabilité d’observer des retards de langage. De même, plus le temps d’écran est important, moins les enfants sont exposés aux bienfaits de l’écrit, de la lecture.

Considérez-vous que la gravité de la situation est telle que l’Etat devrait intervenir ?

Le fait d’être informé serait un bon début. Mais d’autres prennent des mesures. A Taïwan, si vous exposez votre enfant de moins de 2 ans à un écran, vous avez une amende de 1 500 euros. Et entre 2 et 18 ans, si c’est plus d’une demi-heure consécutive, c’est la même amende. Je ne sais pas si c’est souhaitable et comment le mettre en place, mais c’est intéressant : les Taïwanais considèrent que c’est une maltraitance.

En France, l’Etat ne se préoccupe même pas du fait qu’un enfant ou un adolescent puisse avoir accès en un clic à des vidéos très trash, pornographiques ou hyperviolentes. Cela devrait changer.

Vous sentez-vous seul dans ce combat-là ?

Je me suis senti très seul en 2011, quand j’ai sorti mon livre sur la télévision [TV lobotomie. La vérité scientifique sur les effets de la télévision, Max Milo, 2011]. Je me sens de moins en moins seul en tant que scientifique, et parce que le problème commence à se voir.

Le discours « Il faut les utiliser de façon raisonnée » ou « Ne soyez pas trop alarmiste » commence à se heurter à l’épreuve du réel. Professionnels de l’enfance et enseignants sont en première ligne et constatent des troubles au niveau de l’attention, du langage, de l’apprentissage, etc.

Au collège et au lycée, et même plus tôt, les tablettes et les portails Web éducatifs se généralisent. Que faire lorsque les écrans envahissent le système scolaire ?

Quelques études montrent qu’un livre papier favorise la compréhension, même si le lecteur n’en a pas toujours conscience… Mais bon, si la tablette sert à consulter les notes, les devoirs, et le contenu des manuels, il n’y a pas de problème. De même, si les enfants apprennent à utiliser certains outils numériques – écrire du code, utiliser un traitement de texte… Il faut toutefois discuter de ce que cela remplace.

Le vrai problème est qu’on est en train de transférer au numérique une partie de la charge d’enseignement : faire apprendre les maths, le français, l’anglais, etc. Or, les études récentes montrent toutes que cela nuit à la qualité de l’apprentissage. Un enseignant qualifié, c’est toujours mieux qu’un écran. Les études PISA montrent même que, plus les gamins utilisent les logiciels d’apprentissage, plus leurs notes baissent, et ces effets ne sont pas marginaux.

Les études PISA et deux études académiques récentes soulignent que, si vous voulez faire exploser les inégalités sociales, le meilleur moyen est d’utiliser le numérique à l’école. On nous l’a toujours vendu comme un moyen de réduire les inégalités, mais, en réalité, cela les accroît massivement. Les enfants les plus aptes à utiliser de manière profitable ces outils sont ceux qui ont un support humain à la maison, c’est-à-dire les plus favorisés.

Pourquoi l’Académie américaine de pédiatrie est-elle beaucoup plus sévère sur le sujet que ne l’a été l’Académie des sciences française ?

D’abord parce qu’elle a demandé à des spécialistes du sujet de plancher dessus, alors que ce sont des scientifiques non spécialistes – par exemple, un expert des allergènes du jaune d’œuf – qui ont mené ce travail pour l’Académie des sciences française, sans avoir lu la littérature, mais en auditionnant quelques personnalités. Pur argument d’autorité.

Par ailleurs, comme l’a suggéré Le Monde à l’époque, d’autres intérêts que la science et la santé publique ont pu jouer dans la rédaction et la publication de l’expertise de l’Académie.

Peut-on priver un enfant de téléphone portable de la sixième à la seconde sans provoquer une forme de marginalisation ou de désocialisation ?

C’est un excellent argument de pression des enfants sur leurs parents… Mais beaucoup d’études montrent que ces outils – notamment le smartphone et l’utilisation des réseaux sociaux – ont des effets négatifs sur le développement et la vie des enfants et des ados.

Je n’en connais aucune – mais peut-être seront-elles un jour publiées – montrant que l’absence de ces outils puisse avoir quelque effet négatif que ce soit.

Il y a sûrement des parents qui vous diront que leurs enfants ont été ostracisés, etc. Mais, à l’échelle de la population, il n’existe à l’heure actuelle aucune étude indiquant que le fait de priver un enfant de l’accès à ces instruments puisse avoir un effet négatif à court ou à long terme. Cependant, ce n’est pas parce que les écrans récréatifs ont des effets délétères qu’on doit rejeter le numérique dans son ensemble ! Personne n’est technophobe au point de réclamer le retour à la roue pascaline. Sans aller jusque-là, on peut aussi donner des téléphones à clapet aux enfants au lieu des smartphones.

22 octobre 2019

Affaire Dupont de Ligonnès : Après la fausse arrestation, le parquet de Nantes a saisi l’IGPN

Par Anne-Hélène Dorison, Nantes (intérim)

Le procureur de la République de Nantes a ouvert une enquête pour « violation du secret de l’instruction » et saisi la police des polices pour identifier l’origine des fuites.

Le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès, a annoncé, jeudi 17 octobre, avoir ouvert une enquête pour « violation du secret de l’instruction » après la publication dans la presse de nombreux articles affirmant que Xavier Dupont de Ligonnès avait été interpellé vendredi 11 octobre, à Glasgow, en Ecosse.

L’information de cette arrestation était erronée. Et l’homme présenté comme étant le suspect avait été remis en liberté dès le lendemain. Vérifications faites, il s’agissait d’un retraité français, victime d’une terrible méprise, à la suite d’une dénonciation anonyme.

« J’ai en effet ouvert une enquête et saisi l’Inspection générale de la police nationale [IGPN] mardi [15 octobre] », a simplement indiqué au Monde Pierre Sennès, jeudi, confirmant une information du Figaro. La police des polices est chargée d’identifier les responsables des fuites – et donc les sources des journalistes, protégées par la loi – qui ont conduit à la diffusion de cette fausse information.

La police écossaise a démenti

Dans la soirée du 11 octobre, des sources policières françaises avaient rapporté à plusieurs médias que la police écossaise avait informé la France de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, à son arrivée à Glasgow dans un vol en provenance de Roissy-Charles De Gaulle.

Ces sources affirmaient que la police écossaise s’était montrée formelle : l’empreinte digitale du passager correspondait, selon elle, et de façon certaine, à celle qui figurait sur la fiche Interpol rouge de l’homme soupçonné d’avoir assassiné sa femme et leurs quatre enfants, en avril 2011, à Nantes. « Ils ont été affirmatifs et nous ont répété à plusieurs reprises que c’était lui », a depuis indiqué au Monde une source policière française. Or, un test ADN, dont les résultats ont été connus seize heures plus tard, a prouvé qu’il s’agissait d’une erreur.

Depuis, la police écossaise a démenti s’être montrée catégorique avec son homologue française, ce soir-là. Lundi, elle a assuré n’avoir « jamais confirmé, ni en public ni en privé » que l’homme interpellé à l’aéroport de Glasgow était Xavier Dupont de Ligonnès.

Huit ans et demi après les faits, les enquêteurs ignorent donc aujourd’hui encore si ce dernier est encore vivant. Xavier Dupont de Ligonnès, qui serait aujourd’hui âgé de 58 ans, est toujours activement recherché.

Il a été aperçu pour la dernière fois le 15 avril 2011. Filmé ce jour-là par une caméra de vidéosurveillance, il quittait à pied un hôtel de Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Six jours plus tard, les corps de sa femme et de ses quatre enfants étaient découverts, enterrés sous la terrasse de la maison familiale, enroulés dans des draps et recouverts de chaux.

Une information judiciaire, conduite par une juge d’instruction, est toujours en cours à Nantes.

22 octobre 2019

Chronique - La bisexualité, c’est compliqué !

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Par Maïa Mazaurette

Très minoritaire, cette orientation sexuelle, qui suscite souvent suspicion, déni voire mépris, reste difficile à appréhender, souligne Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale ».

LE SEXE SELON MAÏA

Ah, le désir polymorphe ! L’élan indistinct vers son prochain, sans limites, sans questions dépassées ! Si nous sommes toutes et tous, comme a pu l’avancer Freud, psychiquement bisexuels, il faut alors se demander comment on peut, en 2019, n’être pas bisexuel. Imaginez l’aubaine : chacun verrait son potentiel sexuel multiplié par deux. Ce serait merveilleux. Le soleil brillerait en octobre. Et puis franchement… ce serait tellement plus simple.

Alors, comment dire ? S’il y a bien une orientation sexuelle à laquelle le qualificatif de « simple » ne s’applique pas, c’est la bisexualité.

Laissons les sociologues Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz nous guider dans ce qu’il faut bien appeler un énorme foutoir : selon leurs derniers travaux (pour l’INED, 2018), seuls 0,9 % des femmes et 0,6 % des hommes se disent bisexuels. Déjà, en termes de prévalence, ça ne casse pas trois pattes à un canard sauvage (lequel aurait des comportements bisexuels, comme plus de 450 autres espèces, dont les lions ou les girafes).

Facile ? Attendez un instant : 2,2 % des femmes et 1,6 % des hommes ont déjà couché avec des personnes des deux sexes. Donc, moins de la moitié des bisexuels pratiquants se revendiquent comme bisexuels. Vous êtes, présentement, entourés de bi invisibles. Angoissant, hein ?

Sauf qu’une fois encore, c’est plus compliqué que ça. Par exemple, certains hommes couchent avec des hommes de manière opportuniste, tout en véhiculant l’image d’une forte hétérosexualité (donc de forte virilité). Pensez aux détenus, aux militaires et aux cow-boys. Certains homosexuels n’aiment pas le mot « homosexuel », ni le mot « gay », et revendiquent d’autres identités. Dans la pornographie, la catégorie gay-for-pay représente des performeurs hétérosexuels ayant des pratiques gays devant la caméra.

Le sexe qu’on pratique et celui qu’on revendique

Pour arranger encore nos affaires, les chercheurs de l’INED nous informent que « la majorité des individus qui se disent homosexuels (61 % des homosexuelles, 49 % des homosexuels) ont eu des partenaires des deux sexes au cours de leur vie. Et une part non négligeable d’entre eux se disent autant attirés par les deux sexes (17 % des homosexuelles et 9 % des homosexuels) ».

Etes-vous perdus ? Reprenez un bretzel, redécoupez nos sexualités en morceaux (métaphoriquement, sachant que les fantasmes de castration ont déjà eu leur chronique), et répétez après moi : le sexe anatomique, le sexe psychique, le sexe qu’on pratique et la sexualité qu’on revendique sont des choses différentes. Vous opérez des découpages similaires à longueur de temps : certains « gourmets » savent à peine cuire des pâtes, d’autres refusent cette appellation mais maîtrisent la moussaka comme des dieux grecs.

Les arrangements entre les mots et leur définition, entre les actes et les paroles, ne sont pas propres à la sexualité. Mais à cause de ces décalages, les bisexuelles en particulier suscitent une certaine incrédulité – elles ne seraient pas des « vraies » bisexuelles. On minimise : « c’est juste une phase », « elle veut titiller les garçons ». Parce qu’on réduit la sexualité à la pénétration, et qu’on n’imagine pas toujours la sexualité entre femmes comme pénétrative (bisou aux lectrices lesbiennes)… on estime que le sexe entre femmes, « ce n’est pas grave ». Résultat : une femme se revendiquera plus facilement comme bisexuelle (elle n’a pas grand-chose à perdre). Mais elle sera plus facilement disqualifiée comme bisexuelle (elle cherche à faire son intéressante).

Spectre

En parlant de disqualification : non, les bisexuels ne sont pas plantés comme la Suisse au milieu des catégories plus connues. Ils ne couchent pas avec tout le monde. D’abord parce que 7 milliards de partenaires sexuels, ça fait beaucoup de bretzels (pour l’énergie). Mais surtout parce que celles et ceux qui couchent « avec tout le monde » s’appellent les pansexuels – dont les intérêts, totalement indifférents aux questions de sexe et de genre, incluent les intersexes et les trans.

Oui, désolée, il faut rajouter encore un degré de complexité dans notre histoire « toute simple » : la bisexualité est un spectre (sexuel, pas un spectre d’Halloween). Il existe des bi-curieux comme des bi-convaincus. Mais à partir du moment où on emploie le préfixe « bi », il y a reconnaissance d’une fondation binaire de la sexualité. Or en 2019, la bipartition du monde n’est plus franchement une donnée incontestable.

En réalité, la portion des bisexuels qui sont indifférents au sexe et au genre (rappelez-vous : il faut découper) utilisent cette appellation uniquement pour vous éviter une migraine. Elles et ils sont pansexuels.

Avez-vous mangé ce bretzel ? Pas encore ? Remplacez-le par une aspirine, parce qu’aimer les hommes et les femmes ne signifie absolument pas qu’on les aime pareil. Selon Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz, « 89 % des bisexuelles ont eu un premier rapport avec un homme, 77 % des bisexuels ont eu un premier rapport avec une femme ». La majorité d’entre eux rapportent plus de désir pour les personnes de l’autre sexe. Coup de grâce ? 12 % des hommes bisexuels se disent attirés uniquement par le sexe opposé (si vous vous demandez comment une telle chose est possible, repassez sur la planche à découper : on n’a pas besoin de désirer quelqu’un pour coucher avec).

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« Biphobie »

Vous allez bien ? Non ? Eh bien, les bisexuels non plus, qui sous le motif d’aimer le rose autant que le bleu, en voient de toutes les couleurs. Le compte Instagram @payetabi (Paye ta biphobie, plus de 10 000 abonnés) recense les vexations subies : suspicion, déni, mépris, accusations d’immaturité ou de manque de fiabilité… Cette « biphobie » s’exprime de manière genrée : on a d’un côté le bisexuel incontrôlable qui sème le chaos sur son passage (comme Jules César, « mari de toutes les femmes et femme de tous les maris »), et de l’autre la bisexuelle très contrôlée, forcément soumise aux fantasmes de harem.

Dans les faits, effectivement, les deux profils divergent – tant au niveau de l’âge que de la catégorie socio-culturelle. Les bisexuelles sont plutôt plus jeunes (moins de 30 ans) et plus diplômées que les hétérosexuelles. Leur choix peut constituer une prise de pouvoir, ou au contraire, une soumission à des désirs phallocentrés. Les bisexuels mâles sont plutôt plus âgés (plus de 50 ans) et moins diplômés que les gays et hétérosexuels. Ce qui laisse à penser qu’on y trouve au moins quelques gays à demi sortis du placard. Doit-on généraliser pour autant des stéréotypes condescendants ? Certainement pas.

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D’ailleurs, pourquoi cette condescendance ? Aux réflexes biphobiques se mêle une indéniable fascination : si la bisexualité existe, alors les désirs spécifiques sont possiblement mesquins, pauvres en générosité, amputés dans leur imagination. Coincés par le sexe, balisés par le genre. Et si les bi avaient fondamentalement raison ? Et si les pansexuels dominaient le monde ?

Face à cette menace pesant sur notre paradigme Mars/Vénus, on a vite fait de menacer les bisexuels eux-mêmes. Pourtant, en sexualité, personne ne nous oblige à choisir entre fromage et dessert. Dire que les bi « trichent », clamer qu’ils ne peuvent pas « tout avoir », qu’ils en veulent « trop »… ça commence à ressembler à de la jalousie. Alors d’accord : avec les bisexuels, ce n’est peut-être pas simple. Mais au moins, on ne risque pas de s’ennuyer. Un petit bretzel ?

21 octobre 2019

FEMEN a lancé une action contre l'industrie du sexe

FEMEN a lancé une action contre l'industrie du sexe en coopération avec diverses associations féministes, comme le réseau Ella, un groupe de défense des femmes de la prostitution. Devant l'entrée de la foire érotique Vénus, ils se sont souvenus, avec un enterrement symbolique, des victimes de l'industrie du sexe.

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Chaque jour, nous sommes confrontés à la violence mentale, verbale et physique à l'égard des femmes. Cela veut être considéré dans l'industrie du sexe, comme fétichisé et comme la liberté sexuelle (discours). On dit souvent que la violence se fait dans la prostitution ou dans la pornographie serait juste une pièce de théâtre, mais un jouer n'a pas d'impact réel sur l'épisode. La pénétration, l'humiliation et la douleur sont réelles.

Les femmes qui se prostituent sont exposées à la violence mentale et physique de la part des pigistes et des proxénètes. Dans l'industrie du porno, on vit non seulement la violence visible et directe du partenaire de tournage, mais aussi la violence invisible des producteurs et des réalisateurs, des plateformes qui distribuent ces vidéos et des consommateurs qui font aussi partie de cette chaîne de violences. Sur Internet, vous trouverez d'innombrables vidéos qui n'ont pas été tournées à l'unanimité, ou à l'insu et sans le consentement de ceux qui sont montrés. C'est une violation des droits de la personne. Des millions de consommateurs se masturbent chaque jour devant cette violence. Vous n'êtes pas seulement terne et empathique, vous appréciez la torture et le pouvoir que ces films ont sur les femmes. Votre cerveau ne peut pas être différencié entre positif et négatif l'adrénaline, ce qui signifie que vous devez voir de plus en plus de matériel extrême afin d'obtenir la satisfaction. Cette cascade n'est pas seulement en utilisant la consommation de pornographie. Ainsi, même chez les jeunes femmes qui ne font pas partie de l'industrie du sexe, les blessures s'accumulent. Par exemple, ils sont admis à l'hôpital avec des fissures anales et des blessures graves au cou. Une enquête menée en 2010 a révélé que 90 % des clips les plus populaires montrent de la violence à l'égard des femmes. Une société engagée en faveur de l'égalité des sexes ne doit pas faire exception à la violence sexuelle ! Parce que la pornographie n'est pas un phénomène marginal. Un quart de toutes les recherches sont pornographiques, les garçons voient leur premier porno avec une moyenne de 11 ans.

#Berlin #protitution #femen #porno

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