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Jours tranquilles à Paris
29 juillet 2019

A Hongkong, « le gouvernement a permis aux gangsters d’attaquer les civils »

Par Simon Leplâtre, Shanghaï, correspondance

Une semaine après l’attaque de manifestants et d’usagers du métro par des membres des triades, des dizaines de milliers de personnes ont défilé pour dénoncer la violence des gangs.

Ils sont cinq hommes adossés à une barrière : entre 35 ans et 50 ans ; l’air méfiant, ils scrutent les manifestants qui s’agglomèrent doucement sur le terrain de sport d’où partira la manifestation du jour à Hongkong. Derrière eux, il y a leur « village » : quelques grappes de maisons de trois étages au milieu des immeubles de Yuen Long, un district résidentiel du nord de la mégalopole, dans les nouveaux territoires.

« On est pacifiques. S’ils le sont aussi, on ne bougera pas, mais on est prêts à protéger notre village, prévient un quinquagénaire en short et marcel blanc. Regardez-les : ils s’habillent en noir, ils se masquent le visage, ils ont des casques, des parapluies ou des bâtons. Ils ont l’air agressifs. Il faut bien se défendre », justifie cet habitant du village qui ne donne que son nom de famille, Huang, « comme tous les habitants du village ». Sa famille y est présente depuis « des centaines d’années », assure-t-il.

Une semaine plus tôt, le 21 juillet au soir, des centaines d’hommes vêtus de tee-shirts blancs et armés de cannes de bambou et de tuyaux métalliques ont attaqué les usagers du métro qui sortaient de la station de Yuen Long. Ils visaient ceux qui revenaient de la manifestation du jour, sur l’île de Hongkong, à une heure de métro plus au sud.

Mais tous les passagers ont été attaqués indistinctement, sans que la police n’intervienne. L’attaque a fait 45 blessés, a fait couler beaucoup de sang, et a choqué les Hongkongais habitués à vivre en sécurité sur leur territoire.

Des villages vus comme des viviers du crime organisé

Rapidement, les triades – des gangs violents – ont été pointées du doigt. Les jours suivant, la police a arrêté six personnes ayant « des liens avec les triades ». Samedi 27, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblées à Yuen Long pour dénoncer la violence des mafias, l’inaction de la police, et la politique du gouvernement du territoire semi-autonome qui n’a toujours pas consenti à retirer officiellement un projet de loi permettant l’extradition des Hongkongais vers la Chine continentale.

La manifestation n’avait pas été autorisée, de peur que les manifestants n’en viennent aux mains avec les habitants des villages, vu comme des viviers du crime organisé à Hongkong. Finalement, les manifestants les plus radicaux se sont contentés de viser la police, tandis que les villageois ont regardé passer la foule avec méfiance.

Même s’il se dit pacifique, M. Huang, qui fait des affaires avec la Chine, ne condamne pas l’attaque du 21 juillet : « les triades, je n’en fais pas partie, mais il faut voir que derrières les gangs, il y a des hommes qui ont peur pour leurs biens et leur famille, défend l’homme au teint hâlé par le soleil tropical. Je trouve plutôt qu’ils ont fait preuve de retenue : ils ont utilisé des cannes flexibles, comme pour corriger les enfants ! ils ne voulaient tuer personne ! »

Lam Cheunk Ying, député des nouveaux territoires, ne partage pas leur avis. Il a encore la bouche enflée et porte une attelle au poignet. Le 21 juillet, il entend que des hommes armés se dirigent vers de la station de métro. « J’ai averti la police, et je suis parti voir avec deux assistants. » Quand il arrive sur place, les forces de l’ordre ne sont pas là. « C’était effrayant : beaucoup de gens étaient blessés ». Malgré sa carrure imposante, il est lui aussi la cible des agresseurs. Bilan : dix-huit points de suture à la bouche et un poignet cassé. « Le gouvernement a délibérément permis aux gangsters d’attaquer les civils », assène-t-il.

Un certain nationalisme

Si l’identité du commanditaire reste floue, l’implication des triades ne fait pas de doute. « Seules les triades ont le niveau d’organisation et le personnel pour orchestrer ce genre d’actions violentes », explique le professeur T Wing Lo, de l’université de la ville de Hongkong. Yuen Long est un district partiellement rural où elles sont particulièrement implantées, d’après lui. « Au quotidien, les triades sont engagées dans des activités légales et illégales : divertissement, bars, restaurants, boîtes de nuit, rénovation. Dans les nouveaux territoires, et en particulier à Yuen Long, une activité importante, c’est le développement immobilier. »

Elles profitent d’un privilège accordé aux familles « indigènes », qui occupaient les villages avant l’arrivée du colon britannique. Dans chaque foyer, les hommes obtiennent à la naissance le droit à 65 mètres carrés de terrain pour construire une maison de trois étages, sur la zone du village ou en dehors.

La plupart des habitants s’arrangent pour vendre leur privilège à des développeurs immobiliers, souvent par l’intermédiaire des mafias. Pas forcément politisés en tant que groupe, puisqu’ils travaillent pour de l’argent, rappelle T Wing Lo, ses membres font preuve d’un certain nationalisme, illustré par l’un de leur slogan : « Aime le pays [la Chine], aime Hongkong, aime le village. »

Résultat, les indigènes des villages sont souvent vus par le reste des Hongkongais comme une caste de privilégiés plus ou moins corrompus.

« La police protège les villages des mafieux »

En fin de cortège, près de la station Yuen Long, un cordon de police protège un grand portique traditionnel en bois peint qui marque l’entrée du village de Kwan Lok Sun Tsuen. Une jeune manifestante soupire : « La police protège les villages où habitent les mafieux. C’est nous qu’ils devraient protéger. » Etudiante en histoire, habitante du même district, deux stations plus loin, elle tenait à venir montrer sa colère. « J’ai très peur. Avant, je passais tous les jours par la station Yuen Long. Maintenant je prends le bus pour l’éviter. »

Les grilles d’accès à ce petit hameau urbain ont toutes été cadenassées. Quelques habitants s’aventurent près des grilles mais évitent les micros des reporters.

Un couple de résidents d’une tour située cent mètres plus loin, s’approche, « pour voir ». Christy, 40 ans, cadre dans le privé, donne son sentiment : « Les gens qui vivent dans les villages étaient là avant que les Britanniques arrivent. C’est l’histoire… mais pour les autres habitants de Hongkong, leurs privilèges semblent injustes. Ils obtiennent un terrain automatiquement quand ils naissent, alors qu’il y a un gros problème pour se loger à Hongkong. La crise du logement est l’un des principaux reproches des Hongkongais contre notre gouvernement. »

Dimanche 21 juillet, elle rentrait chez elle quand elle a vu des hommes armés de bâtons se diriger vers la station. « J’étais terrifiée. Les triades, on sait qu’elles existent, mais d’habitude, elles ne s’en prennent pas aux gens lambda. »

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28 juillet 2019

Plus de 1 000 arrestations lors d’une manifestation à Moscou : les réactions indignées se multiplient

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Plus de mille personnes demandant la tenue d’élections libres dans la capitale ont été arrêtées samedi par la police.

Une semaine après avoir laissé plus de 20 000 personnes manifester dans le centre de Moscou, les autorités russes ont haussé le ton face à la contestation qui touche la capitale, samedi 27 juillet, en arrêtant plus d’un millier de manifestants.

La police avait été déployée dans des proportions rarement observées pour empêcher la tenue d’un rassemblement non autorisé en faveur d’« élections libres », sans parvenir à empêcher une foule compacte de plusieurs centaines de personnes de se retrouver devant la mairie, sur la rue Tverskaïa. Après de premières arrestations, les forces de l’ordre ont rapidement dispersé les manifestants pacifiques dans les rues adjacentes.

Plusieurs défilés improvisés se sont alors formés, réunissant, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, plus de 3 500 personnes. Aux cris de « Liberté » ou « C’est notre ville », la foule a refusé de se disperser, se contentant de reculer face aux charges des forces antiémeutes. Fait rare en Russie, où le moindre geste de résistance peut avoir des conséquences lourdes, des heurts isolés ont opposé les manifestants aux policiers. Ceux-ci ont largement fait usage de leurs matraques sur des protestataires pacifiques, parfois simplement assis sur des bancs.

En fin de soirée, plus de mille arrestations ont été annoncées par la police (1 074 personnes selon les autorités, 1 373 selon l’ONG spécialisée OVD-Info, qui a recensé 77 cas de personnes battues), soit un chiffre rarement atteint qui comprend de nombreux passants ou encore des retraités participant à cette mobilisation qui aura donc duré presque toute une journée.

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Le calme n’est revenu que dans la soirée quand les derniers manifestants, rassemblés sur une place du centre-ville, se sont dispersés ou se sont laissé arrêter sans résister.

L’ambassade des Etats-Unis en Russie a dénoncé l’usage « disproportionné de la force policière ». L’Union européenne a elle aussi fustigé cette vague d’arrestations. « Ces détentions et le recours disproportionné à la force contre des manifestants pacifiques (…) portent une fois de plus gravement atteinte aux libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion », selon un communiqué dimanche citant la porte-parole de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.

L’ONG Amnesty International a dénoncé samedi soir un « recours à la force excessif » de la police russe, appelant à une « libération immédiate des protestataires pacifiques ».

Des candidats interdits de scrutin

Cette nouvelle manifestation, dont l’ampleur semble avoir pris de court les autorités, concernait ce qui s’est imposé comme le feuilleton politique de l’été en Russie, à savoir les élections à venir pour le Parlement de la ville de Moscou. Mi-juillet, au terme d’une procédure de vérification opaque, la commission électorale de Moscou a exclu de ce scrutin pourtant mineur une soixantaine de candidats, dont la quasi-totalité des opposants indépendants, pour des vices de forme ou des irrégularités.

Malgré les nombreux éléments apportés par ces candidats montrant la régularité de leur dossier, y compris des témoignages de citoyens certifiant avoir bel et bien déposé des signatures de soutien jugées fausses par la mairie, les procédures d’appel ont été expédiées en quelques heures ces derniers jours. A travers tout le pays, ce sont des centaines de candidats qui ont été interdits de s’enregistrer à ce scrutin du 8 septembre, dont l’opposition, qui ne peut participer aux élections plus importantes, a fait une cible prioritaire.

Cette réaction brutale des autorités montre la volonté du pouvoir russe d’en finir avec un dossier qui lui empoisonne la vie depuis le début de l’été. Toute la semaine, les autorités ont tenté, en coulisses, de décapiter le mouvement et de décourager la mobilisation. L’armée avait été jusqu’à annoncer déployer aux abords de la manifestation des inspecteurs chargés de vérifier les exemptions de service militaire des jeunes hommes présents.

Plusieurs jours durant, les candidats refusés ont été la cible de différentes manœuvres d’intimidation, une dizaine d’entre eux ainsi que certains de leurs proches ayant fait l’objet de perquisitions mercredi dans la nuit, ce qui est contraire aux règles de la police. D’autres ont été convoqués à des interrogatoires ou font l’objet de poursuites pour « entrave au travail de la commission électorale » lors d’un précédent rassemblement pacifique.

Les services de sécurité (FSB) ont par ailleurs annoncé se joindre à l’enquête pour vérifier d’éventuels contacts entre les opposants et des « structures étrangères ».

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Inconfort des autorités

Samedi matin, d’autres perquisitions et interpellations avaient été menées de façon préventive, avant le début du rassemblement, particulièrement chez des partisans du dirigeant de l’opposition Alexeï Navalny.

M. Navalny lui-même, plutôt en retrait dans le dossier, a de son côté été condamné jeudi à trente jours de prison. L’une de ses adjointes, la juriste Lioubov Sobol, elle-même candidate, a déclaré débuter une grève de la faim dans les locaux de la Commission électorale locale.

Dès l’origine, le dossier des élections locales moscovites s’est imposé comme une épine dans le pied du Kremlin. Signe de l’inconfort des autorités, aucun candidat ne s’est enregistré sous l’étiquette du parti au pouvoir, Russie unie, devenue un repoussoir. Formellement indépendants, les candidats de la mairie ont bénéficié d’un soutien en sous-main.

De l’avis des observateurs, le pouvoir comptait tenir l’opposition à l’écart grâce à la nouvelle règle sur les signatures, qui exige que les candidats indépendants récoltent le soutien de 3 % des électeurs de la circonscription dans laquelle ils entendent se présenter. La réussite des candidats indépendants à réunir ces signatures a pris de court la mairie, qui n’a ensuite pas su comment gérer efficacement le dossier.

Selon le site d’information Meduza, les tergiversations du maire, Sergueï Sobianine, ont duré jusqu’à la semaine passée, avant que le Kremlin décide de prendre le relais et de tenter de clore le dossier par la manière forte. Entre-temps, une manifestation avait été autorisée le 20 juillet, qui a rassemblé plus de 20 000 personnes, soit la mobilisation politique la plus importante depuis le mouvement de protestations de 2011-2012 contre les fraudes aux élections et le retour de Vladimir Poutine à la présidence.

Un recul démocratique inédit

Reste que la décision de tenir ces élections dans la capitale à huis clos, sans préserver une compétition même de façade, émeut une partie des Russes. Nombre d’observateurs y voient un recul démocratique inédit, mais aussi un geste de faiblesse du pouvoir.

Ces derniers mois, plusieurs candidats pro-Poutine ont été désavoués lors d’élections régionales au profit des communistes et nationalistes, qui jouent le rôle d’une opposition acceptable, et chaque scrutin s’apparente de plus en plus à un mauvais moment à passer.

Plus grave, ce refus de laisser les candidats indépendants tenter de contester le monopole du pouvoir laisse entrevoir une radicalisation des deux côtés. « Il ne pourra désormais plus y avoir de leaders de l’opposition prêts à adopter une position conciliante vis-à-vis du pouvoir, à se mettre d’accord avec lui », écrivait jeudi matin, après une nouvelle nuit de perquisitions, le vieux routier de l’opposition libérale Leonid Gozman.

Comme en écho, un responsable de l’opposition, Dmitri Goudkov, vu précisément comme l’un de ces membres de la jeune garde prêts au compromis avec le pouvoir, écrivait de son côté : « Sous Poutine, les élections et les commissions électorales sont mortes comme institutions. La dernière possibilité qui restait de participer de manière légale à la vie politique a disparu. »

Benoît Vitkine (Moscou, correspondant)

28 juillet 2019

Fantasmes : et si on changeait de répertoire ?

Par Maïa Mazaurette

La chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette invite chacun à trouver l’imaginaire qui lui correspond le plus intimement et à éduquer ses préférences comme on éduque son palais.

LE SEXE SELON MAÏA

A quoi pensez-vous dans vos moments de rêverie érotique ? A quel imaginaire avez-vous recours pour déclencher vos orgasmes ? Peut-être invoquez-vous d’adorables nymphes sautillant dans un pré… peut-être s’y mêle-t-il des pratiques violentes, dégradantes, aliénantes. Ces catégories ne sont pas étanches : le répertoire fantasmatique occidental s’étend de la nuit de noces sur pétales de rose aux coups de cravache dans un donjon. A priori, vous avez hérité de cette amplitude.

Seulement, elle peut nous rendre mal à l’aise, voire nous placer dans des états de dissonance cognitive. Puis-je être un bon féministe quand j’entretiens des fantasmes de viol ? Puis-je être une bonne citoyenne quand je me masturbe sur des vidéos pornographiques piratées, tournées sans contrats, dans des circonstances douteuses ? C’est compliqué.

Si vous posez ces questions, on vous accusera d’être prude. Considérer ses fantasmes sous le prisme de l’éthique passe pour de la sensiblerie – exactement comme se préoccuper du sort des animaux. Pas envie de parler de cul, bite, chatte, pour désigner le désirable ? Vous voilà une oie blanche. Protester quand vous entendez un ami se vantant de « déglinguer » ses partenaires ? Vous voilà automatiquement relégué(e) du côté des censeurs (notons que dans ce paradigme, la censure vient en un bloc : on peut soit tout dire, soit ne rien dire).

En l’occurrence, se poser des questions ne produit pas un assèchement ou une moralisation de la fantasmatique. Personne ne va créer une police de la pensée (nous nous polissons très bien tout seuls). Il s’agit seulement de pouvoir aligner la théorie et les pratiques, ses valeurs et ses orgasmes : une reprise de puissance plutôt qu’une abdication (et s’il faut abdiquer, au moins aurons-nous opéré un choix conscient, et non un choix par défaut).

Les jeux ont des conséquences

Cependant, pour contrebalancer nos entre-deux fantasmatiques, notre culture a inventé un passe-droit formidable : cette idée que le sexe n’obéirait pas aux règles habituelles. Ah, bon. La chambre à coucher serait comme un autre monde, chimérique, où l’on grimpe aux rideaux pour monter au septième ciel tout en jouant la bête à deux dos, cul par-dessus tête. Il s’y jouerait un carnaval, un moment de suspension du réel – fondamentalement, ça ne serait pas la vraie vie, d’ailleurs on ferait ce qu’on veut, sans tabous, sans entraves, et ce serait beaucoup mieux comme ça. (Mieux pour qui ?).

Le problème, c’est que cette joyeuse optique a pour effet principal de nous faire serrer les dents. Nous sommes encouragés à accepter ce qui nous semblerait inacceptable : s’exaspérer des violences policières, conjugales ou parentales, mais se taper dessus à domicile. Oui, d’accord. Bien sûr qu’entre adultes consentants, on peut ritualiser, on peut contextualiser. Mais il s’agit quand même de se taper dessus. C’est pour de faux… avec de la vraie douleur. On peut se consoler en inventant une sexualité « par essence » transgressive mais, franchement, si vous avez besoin de transgresser pour maintenir la ligne de flottaison de votre libido, je vous adresse toutes mes condoléances.

Bien sûr, ce ne sont que des jeux – nous nous jouons des codes. Cependant, les jeux ont des conséquences. Ont des règles. Ont des cadres. Nous laissons advenir certains jeux et pas d’autres (preuve que tout de même, nous ne faisons pas n’importe quoi).

A l’arrivée, ce système nous enferme : parce que nous tolérons au lit des fantasmes et des pratiques qui nous répugneraient hors de la chambre à coucher, nous estimons que le sexe est répugnant (ce dont nous nous accommodons, parce que dans le monde inversé du sexe, la répugnance devient un mode de communication aussi valide que le désir). En retour, parce qu’on a dégradé notre sexualité, elle nous paraît moins importante à préserver : le cycle s’auto-entretient.

Changer de crémerie

Pourtant, nous pouvons changer de route – si nous sommes en souffrance, ou lassés, ou dégoûtés, ou que nous préférerions désirer autrement. Si vous vous êtes masturbé(e) toute votre vie sur des fantasmes qui, in fine, vous laissent une amertume en bouche, pourquoi ne pas essayer de changer de crémerie ? Ce discours, on l’entend peu. Nous nous pensons comme des victimes de nos fantasmes : « moi, mon truc, c’est la domination », « je suis ulcérée par les vulves, c’est comme ça ».

Cette rigidité d’esprit (sans mauvais jeu de mots), nous ne l’appliquons qu’à la sexualité. Vous avez certainement été un enfant fuyant les choux de Bruxelles, puis vous avez éduqué votre palais. Après avoir été jeune anarchiste, vous avez voté Macron. Vous avez détesté les polars scandinaves, avant de découvrir Jo Nesbø. Vos goûts évoluent parce que vous êtes en vie et que vous les questionnez de temps en temps – parfois, parce que vous êtes obligé(e) de les questionner.

En l’occurrence, vous pouvez changer de fantasmes, en vous exposant à d’autres imaginaires, qui vous correspondent plus intimement. On peut par exemple changer de regard sur des types physiques qui nous laissent indifférents (comme des types ethniques ou morphologiques), changer de média (laisser tomber le porno pour retourner au musée ou en librairie), changer de paradigme (laisser tomber le porno mainstream mais passer au porno féministe). On peut aussi découvrir de nouvelles niches : garder la même esthétique (celle des mangas hentaï) mais sans les pratiques potentiellement problématiques (hop, voici du wholesome hentaï).

Vous vous êtes habitué(e) à ce qui vous excite actuellement : vous pouvez donc vous déshabituer, et vous habituer à autre chose. Il suffit d’un peu de temps (et ce n’est pas grave si vous n’y arrivez pas systématiquement, les fantasmes ne font pas de victimes).

Réinvestir sereinement notre sexe et nos désirs

Deuxième possibilité : vous pouvez créer votre propre fantasmatique, précise et personnalisée. Si vous n’en avez pas le temps ou les moyens, pourquoi ne pas essayer les plates-formes collaboratives ? La sexualité est plus riche quand on est plusieurs : sur Wattpad comme sur Reddit, dans les multivers des fanfictions comme sur les sites vous mettant en relation directe avec des performeurs et performeuses, vous pouvez penser à des scénarios en commun… et les faire advenir.

Notre culture sexuelle nous fait croire que nous sommes impuissants face à elle. Ce n’est pas vrai. Nous ne sommes pas plus condamnés au malaise que nous ne sommes condamnés au capitalisme, à la pénétration ou aux fraises espagnoles. Nous pouvons nous extraire.

Nous pouvons aligner le cerveau et le clito, le pénis et l’oasis, la raison et la passion. Il ne s’agit pas de mettre nos désirs en ordre, mais de réinvestir sereinement notre sexe et nos désirs… en réservant l’art du grand écart aux positions du Kamasutra.

28 juillet 2019

Décryptages - La reconnaissance faciale pour s’identifier en ligne inquiète les défenseurs des libertés numériques

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Par Léa Sanchez

L’association La Quadrature du Net a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour faire annuler le décret autorisant l’application AliceM qui permet de s’authentifier sur les sites administratifs en prenant une vidéo de soi.

Scanner la puce de son passeport biométrique à l’aide de son téléphone et prendre une vidéo de soi pour créer son compte et pouvoir accéder à des services administratifs en ligne : c’est le principe de l’application « Authentification en ligne certifiée sur mobile », surnommée « AliceM ». Ce système, présenté comme très sécurisé par le ministère de l’intérieur et utilisable uniquement sur Android, devrait permettre de s’authentifier sur les sites liés au portail d’accès FranceConnect : celui des impôts, de la Sécurité sociale…

Mais AliceM, qui est encore en phase de test, suscite des interrogations et des inquiétudes, venant notamment des défenseurs des libertés numériques.

Le 15 juillet, l’association spécialisée La Quadrature du Net a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour annuler le décret du 13 mai autorisant le dispositif. Elle dénonce un traitement intrusif de données biométriques « ayant pour objectif avoué d’identifier chaque personne sur Internet pour ne plus laisser aucune place à l’anonymat ».

« Prémices » d’une politique publique de l’identité numérique

Le projet des pouvoirs publics de développer des solutions d’identité numérique n’est pas nouveau. Si, en 2012, le Conseil constitutionnel avait jugé inconstitutionnel la création d’une base de données biométriques, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et le ministère de l’intérieur travaillent depuis plusieurs années sur AliceM. En septembre 2017, la feuille de route du ministère de l’intérieur mentionnait sa volonté de se positionner « comme maître d’ouvrage et maître d’œuvre de l’élaboration de solutions d’identité numérique ».

En mai, à l’occasion de la publication du rapport « Etat de la menace liée au numérique en 2019 », le locataire de Beauvau, Christophe Castaner, affirmait vouloir que « chaque Français, dès 2020, puisse prouver son identité » en ligne pour, notamment, « bâtir la sécurité du XXIe siècle » et lutter contre les contenus haineux sur Internet. Il affirmait à cette occasion qu’AliceM constituait l’un des « prémices d’une politique publique de l’identité numérique ».

Dans le recours qu’elle a déposé, La Quadrature du Net centre son argumentaire sur le caractère obligatoire de la reconnaissance faciale dans le fonctionnement de l’application.

Dès octobre 2018, dans un avis portant sur le projet de décret visant à autoriser AliceM, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) émettait aussi des doutes sur ce point et proposait des alternatives, comme un face-à-face en préfecture. « En l’espèce, le refus du traitement des données biométriques fait obstacle à l’activation du compte, et prive de portée le consentement initial à la création du compte », écrivait-elle, rappelant les exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en la matière.

« Normaliser » la reconnaissance faciale

Pour La Quadrature du Net, maintenir ce système dans ces conditions renforce une « normalisation » de la reconnaissance faciale. « C’est un bras d’honneur à la CNIL », s’insurge Martin Drago, juriste pour l’association.

Le militant pointe les limites techniques de la reconnaissance faciale, mais surtout les conséquences sur la société liées à l’utilisation de ces données sensibles : « Le danger, c’est que notre visage ne devienne plus qu’un outil d’identification, un outil utilitaire. » Il regrette l’absence de débat public en France sur cette question, malgré les expérimentations ayant déjà eu lieu. A Nice, par exemple, la municipalité a décidé en février de tester un dispositif de reconnaissance faciale sur la voie publique.

En plus des informations biométriques, le décret autorisant AliceM indique que de nombreuses données à caractère personnel sont susceptibles d’être enregistrées : nom, prénom, adresse postale, sexe, informations relatives au titre d’identité utilisé…

Une partie d’entre elles seront uniquement stockées, de manière chiffrée, sur le téléphone de l’usager. D’autres, notamment celles liées à « l’historique des transactions associées au compte AliceM », seront également conservées dans un « traitement centralisé » mis en œuvre par l’ANTS et supprimées « à l’issue d’une période d’inactivité du compte de six ans ». Une durée supérieure à celle que préconisait la CNIL : dans son avis rendu en 2018, elle recommandait une conservation de ces données « pour une durée maximale de six mois ».

28 juillet 2019

Pourquoi la vente de sex-toys explose au Japon

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Au Japon, l’usage des sex-toys est en pleine expansion. S’il témoigne d’une reconnaissance du plaisir féminin, il est aussi l’indice d'une sexualité nipponne en berne. Rencontre à Tokyo avec des acteurs majeurs du secteur.

Dans les années 1980, le sex-toy japonais était ce drôle d'appareil de massage pour la nuque vendu au rayon électroménager des grands magasins, planqué entre les sèche-cheveux et les humidificateurs d'air. Officiellement, tout le monde connaissait son usage et savait qu'il n'était pas destiné à être manipulé sur le cou, mais les apparences étaient sauves, la discrétion assurée dans ce packaging qui ne laissait rien transparaître de sa fonction réelle. Le marché du sex-toy, c'était aussi quelques produits importés d'Europe ou des Etats-Unis, disponibles en magasins spécialisés. Mais là non plus, le succès n'était pas au rendez-vous. Qualifiés de grotesques, ces vibromasseurs venus d'ailleurs, surdimensionnés et aux couleurs flashy, avaient la réputation d'être peu confortables et désagréables, voire douloureux. Et puis, il y avait la honte de les acheter, la crainte de passer en caisse avec ça dans son panier. "A l'époque, c'était tabou. Les sex-toys représentaient un secteur de niche complètement underground", se souvient Sanae Takahashi, 57 ans, prêtresse du monde du jouet pour adultes au Japon.

Nous sommes à Akihabara, en plein cœur du "quartier électrique de Tokyo". Surnommé ainsi pour l'étourdissant choix de grands magasins dédiés au matériel électronique et informatique que l'on y trouve, c'est le lieu de la culture geek par excellence, avec des jeux vidéo à foison et des cafés où de jeunes femmes habillées en poupées mangas affirment être nées sur une autre planète. C'est au milieu de cette frénésie assourdissante, des enseignes clinquantes et des hordes de touristes surexcités que trône le Love Merci, un magasin de cinq étages exclusivement réservé aux sex-toys. Dans les rayons, plus de 10 000 références sont présentées. Tout est décliné, du vibromasseur aux vulves pénétrables, en passant par le cosplay, les poupées en silicone, les plaisirs fétiches, les coussins troués, les plugs anaux, les poitrines en latex.

Cette boutique est la vitrine de la célèbre marque fondée par Sanae Takahashi, et c'est ici que se trouvent les bureaux de l'entreprise. Son téléphone rose bonbon vissé à l'oreille, la patronne, toute de noir vêtue, entre dans son bureau d'un pas décidé. Du haut de sa tour, elle est incontestablement la maîtresse des lieux et le staff lui obéit au doigt et à l'œil. Elle court, Sanae Takahashi, sept jours sur sept. Le mot "vacances", elle ne connaît pas. Sitôt posé sur la table, le portable sonne à nouveau. En quelques minutes, elle valide la confection de plusieurs milliers de sex-toys pendant qu'un de ses employés pose un jus d'orange avec une paille devant elle. Sa force de caractère et son assurance apparentes n'ont d'égal que la gentillesse qui émane d'elle.

Un vibromasseur conçu à partir d'une étude pointue du corps des femmes

Sanae Takahashi est celle qui a inventé, entre autres, deux sex-toys féminins que l'on trouve aujourd'hui dans un nombre incalculable de magasins et de love hotels au Japon, le Fairy et l'Orgaster. Un stimulateur clitoridien et un vibromasseur conçus il y a une quinzaine d'années et qui ont révolutionné l'approche réservée au plaisir féminin au Japon. Ils sont aujourd'hui toujours aussi plébiscités.

"Quand je me suis lancée dans le sex-toy, il y a trente ans, il n'était pas aussi démocratisé. C'était un milieu dominé par les hommes, j'ai dû faire ma place et cela n'a pas été facile", sourit-elle. Alors salariée d'une entreprise qui conçoit des jouets pour enfants, elle perd son emploi, "délocalisé en Chine où les frais de production étaient moins élevés". Elle réfléchit à un "moyen de gagner de l'argent" avec son savoir-faire. Un soir, alors qu'elle boit des verres avec un ami gynécologue, elle imagine un vibromasseur conçu à partir d'une étude pointue du corps des femmes. Elle s'associe avec un ami et peaufine ses modèles. Faire accepter l'objet n'était pas gagné puisque l'on ne parlait pas de plaisir sexuel à l'époque, encore moins de celui des femmes. Il faut replacer l'objet dans son contexte : pour la gent féminine japonaise, faire l'amour, c'était avant tout satisfaire son partenaire.

sextoys au japon

"Il faut garder en tête qu'acheter des sex-toys reste une source de honte pour de nombreuses femmes"

Dans les derniers produits à l'étude dans le labo de Sanae Takahashi, "un vibromasseur qui sera fixé à une ceinture afin de pouvoir l'utiliser sans les mains" et un stimulateur clitoridien qu'elle promet "révolutionnaire". Son business n'oublie pas les hommes puisque la marque fut aussi pionnière dans le marché des vulves pénétrables. Malgré la notoriété de sa gamme pour femmes et la présence d'un staff à 50 % féminin dans le magasin, elle n'oublie pas que 80 % des clients du Love Merci restent des hommes, qui n'aiment pas être dérangés lorsqu'ils font leurs emplettes, "deux étages sont à la disposition des messieurs et interdits d'accès aux femmes".

La masturbation resterait malgré tout l'affaire des hommes dans ce pays classé 110e sur 149 par le Forum économique mondial en matière d'égalité des sexes. "Pour les femmes de ma génération, le plaisir sexuel reste un tabou insurmontable, assène Sanae Takahashi, devenue malgré elle une figure de cette révolution du sex-toy japonais. Mais pour les jeunes générations, les verrous sautent. Le fait de pouvoir acheter en ligne a modifié les comportements et changé les pratiques. On l'observe dans le magasin : les clients viennent majoritairement pour regarder. Ils jettent un œil, puis rentrent chez eux et commandent via internet." Elle ajoute : "Si les mentalités évoluent, il faut garder en tête qu'acheter des sex-toys reste une source de honte pour de nombreuses femmes, même aujourd'hui."

Un constat également dressé par Minori Kitahara, qui a ouvert le tout premier sex-shop du Japon en 1996. Un lieu qu'elle voulait conçu pour et par des filles, "le premier et seul sex-shop féministe du pays". Après des études supérieures où elle s'intéresse à l'éducation sexuelle, l'égalité des genres mais aussi à l'économie, elle s'interroge sur le rôle de la femme dans la société japonaise. Lorsqu'elle quitte l'université, elle se met à écrire pour un média et découvre "tout ce qui pouvait exister hors du Japon en matière de lutte pour les droits des femmes mais aussi d'épanouissement sexuel. Si le féminisme existe au Japon depuis plus de cent cinquante ans, il est différent de ce qui peut se faire hors de l'archipel."

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Le sex-toy comme symbole d'affirmation de soi

Elle lance son affaire "dans une démarche militante. J'ai vu ce type de sex-shops à New York, et je m'en suis inspirée." Avec Love Piece Club, elle offre un espace unique à de nombreuses clientes. Elle invente également quelques modèles de sex-toys plus adaptés "que les gros pénis ou les vibromasseurs en forme de dauphins. Il fallait de nouveaux produits, avec lesquels les femmes auraient du plaisir et se sentiraient bien et en sécurité en les utilisant. Aujourd'hui, on vend surtout des vibromasseurs, des lotions : on a aussi une réflexion plus poussée sur le corps et on parle un peu plus facilement d'orgasme par exemple."

Minori Kitahara est sans doute l'une des figures féministes majeures du pays aujourd'hui. Elle est l'une des instigatrices des Flower Demo, ces manifestations qui brisent le silence à propos des violences sexuelles et exigent une révision du Code pénal pour une meilleure reconnaissance des victimes. Pour elle, le sex-toy est un symbole d'affirmation de soi, mais son succès particulièrement écrasant est aussi révélateur d'un mal-être, "celui de l'écart qui ne cesse de se creuser entre les hommes et les femmes de ce pays. Il y a un véritable problème de communication entre les sexes : à Tokyo, les hommes passent l'essentiel de leur temps avec leurs collègues ou dans leurs entreprises, les femmes font leur vie de leur côté, ils ne partagent rien. C'est d'une tristesse…"

Sanae Takahashi partage ce point de vue alarmant : "La situation ne va faire qu'empirer. Les jeunes gens sont captifs de leurs écrans, ne se rencontrent plus, essaient de se satisfaire autrement. Nos ventes n'augmentent pas forcément mais il y a toujours de nouvelles variétés, des références inédites." La quête de plaisir se fait volontiers seul.

Les filles d'un côté, les garçons de l'autre. Des étages de magasins réservés aux hommes ou encore ce bar conçu uniquement pour les femmes, le Vibe Bar Wild One. Direction le quartier des oiseaux de nuit, Shibuya. Pensé comme un parc à thème du plaisir féminin, ce showroom est une sorte de galerie du sexe très kitsch où les hommes sont admis, à condition d'être accompagnés. Derrière la porte noire capitonnée, une installation en forme de vulve fait office d'entrée. Sur les murs de l'établissement, des reproductions de shunga, ces célèbres estampes érotiques.

Du mobilier jusqu'aux toilettes, des objets artistiques représentent le sexe, avec un goût plus ou moins sûr. Sur les étagères, 350 sex-toys sont disposés. Le bar est une sorte de sex-shop déguisé où l'on vient regarder, manipuler les objets (avec les mains) puis passer commande si on le souhaite. Le tout à l'abri des regards.

Petit à petit, le sex-toy est sorti des sex-shops

Le succès du sex-toy pose inévitablement la question de son influence sur la vie sexuelle des Japonais. Est-il révélateur d'une sexualité en berne ? Selon une enquête menée en 2005 par Durex, les Japonais font l'amour moins d'une fois par semaine, soit un peu moins de cinquante fois par an, ce qui correspond à la moitié de la moyenne annuelle réalisée sur un panel de vingt et un pays, et dévoilée par ce même sondage.

Une autre enquête indique que le recours à la masturbation dépasse désormais le nombre de rapports sexuels des Japonais, et ce à tous les âges de la vie. Les 20-29 ans ont par exemple recours à la masturbation à 100 % pour un peu moins de 60 % de rapports sexuels par an. Sur la même tranche d'âge, on recense deux rapports sexuels par mois pour dix recours à la masturbation. "La faible fréquence des rapports sexuels des Japonais a pour conséquence un plus grand recours à la masturbation, confirme Koichi Nagao, professeur d'urologie à la faculté de médecine de Toho. Les sex-toys sont utiles, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, s'ils concourent à une amélioration de la vie sexuelle."

Petit à petit, le sex-toy est sorti des sex-shops et a pris place dans les magasins généralistes. Supermarchés Don Quijote, boutiques de gadgets Village Vanguard, où même pharmacies, drug stores et librairies lui ont ouvert leurs rayonnages. L'été dernier, pour la première fois, un grand magasin annonçait la mise en place d'une large sélection de sex-toys féminins dans un corner temporaire. Derrière cette initiative, un paquebot du sex-toy nippon, Tenga, dont un produit se vend toutes les trois secondes dans le monde.

Tenga, c'est la Onacup, cette petite boîte rouge qui ressemble à une canette de soda et qui abrite une vulve pénétrable. Pour moins de 10 euros et à usage unique, elle promet aux hommes des sensations différentes selon le modèle. Le modèle original, en forme de sablier, procure une compression serrée au moment du passage du pénis au centre du sex-toy et donne une forte sensation d'aspiration. Parmi les quatre autres variantes, le Soft Tube qui permet de contrôler la pression et la force de la stimulation ou le Rolling Head qui possède une partie nervurée.

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"Comme si la masturbation était quelque chose de sale et d'obscène"

En 2018, une enquête révélait que 89 % des Japonais âgés de 20 à 40 ans connaissaient les sex-toys estampillés Tenga et 33,5 % en avaient déjà utilisé un. La marque plaît autant aux hommes qu'aux femmes puisqu'elle s'est également lancée, en 2013, à la conquête de ce marché avec sa collection Iroha. "Il y a encore dix ans, les magazines féminins japonais titraient : 'Comment plaire à un homme ?' Aujourd'hui, on lit : 'Comment vous sentir bien et vous faire plaisir ?' Il n'est plus question de plaire mais bien d'être soi-même", se félicite Koichi Matsumoto, pdg de Tenga.

L'histoire de cet homme est une véritable success story. A 30 ans, il est mécano dans le domaine des voitures vintage lorsqu'il ambitionne de changer de vie. Il raconte une période difficile de sa vie, qu'il qualifie volontiers de "déprimante". Il plaque tout et reprend à zéro. Un jour, alors qu'il se rend dans un magasin pour adultes, il constate que "des sex-toys étaient vendus entre deux DVD pornos". Pas d'identité, pas de marques. "C'était il y a vingt-cinq ans, on avait alors l'impression de devoir acheter cela sous le manteau : comme si la masturbation était quelque chose de sale et d'obscène." C'est là que Tenga naît.

"Avoir recours à la masturbation et aux sex-toys peut être une alternative aux comportements toxiques de certains"

Koichi Matsumoto explique alors sa vision : "Le sexe fait partie de nos besoins biologiques naturels et il est nécessaire de les assouvir au même titre que manger, boire ou dormir. Lorsque l'on est célibataire, la masturbation peut répondre à cela. Elle ne remplace ni le sexe ni la connexion profonde que l'on peut avoir avec un ou une partenaire, mais elle peut être pratiquée lorsqu'elle devient nécessaire et il n'y a pas de mal à cela." Il va plus loin : "Je vois parfois des comportements d'hommes qui me révoltent... Les femmes ne sont pas des objets et ne sont pas faites pour répondre aux besoins sexuels des hommes. Avoir recours à la masturbation et aux sex-toys peut aussi être une alternative aux comportements toxiques de certains." Un discours inattendu de la part de ce patron qui a fait fortune avec le plaisir solitaire masculin.

Avec Tenga (que l'on peut traduire par "correct" et "élégant"), Koichi Matsumoto avait envie de sortir le sex-toy de cette "sphère underground. L'idée était de lancer un nouveau genre de produit, de qualité supérieure, avec une identité, un design soigné, que l'on peut acheter n'importe où et sans complexe". Après trois ans d'essais et de prototypes, Koichi Matsumoto aboutit à la première Onacup, qui connaît dès sa première mise en vente, en 2005, un succès immédiat. Tous produits confondus, l'enseigne compte aujourd'hui 256 références et continue d'innover.

Fidèle à sa démarche – l'accès au plaisir pour tous –, Tenga a lancé un programme avec des maisons de retraite de jour. Il y a quelques années, les équipes se penchaient sur un sondage selon lequel 79 % des Japonais âgés de 60 à 69 ans et 81 % des 70 à 79 ans ont exprimé l'envie d'un rapport sexuel, au moins une fois par an. "Nous avons proposé aux vingt-neuf centres de la chaîne Iki-Iki Life Spa, que l'on trouve partout au Japon, une sélection de sex-toys à prix réduits pour leurs pensionnaires." Un projet sur lequel la marque ne fait quasiment pas de profit mais qui se heurte à un obstacle de taille. "Au Japon, beaucoup de personnes âgées vivent avec leurs enfants. Ils n'ont parfois pas de chambre à eux et souffrent d'un manque d'intimité." Certaines familles ont également confié ne pas comprendre cette initiative et nient par la même occasion les besoins sexuels de leurs aînés.

Le débat sur les sexualités envahit de plus en plus l’espace public nippon. Sanae Takahashi participe à des séminaires en ce sens. Tout comme Minori Kitahara qui, parmi ses actions, siège dans un groupe

de lutte contre la pornographie. Elle rappelle avec inquiétude que “les sex-toys qui se vendent le plus au Japon aujourd’hui, ce ne sont pas les Tenga mais les lolicon, pour les hommes”. “Lolicon”, raccourci de “Lolita complex”, soit des produits (porno, figurines, coussins troués, cosplay, etc.) à l’effigie d’adolescentes. L’image de la jeune fille en fleur fait vendre et inquiète également Human Rights Watch qui révèle dans une étude que le matériel pédopornographique serait toujours commercialisé, malgré la loi votée en 2015, qui criminalise l’acte.

Le sex-toy n’est pas toujours synonyme de positivité du corps, il est aussi objet de fantasme. Dans des pratiques extrêmes, il adopte des dimensions XXL, des formes surprenantes. Dans le Love Merci, on aperçoit aussi des appareils qui produisent des décharges électriques en tout genre, des coussins pénétrables sur lesquels sont imprimés des motifs d’héroïnes d’anime ou encore le fameux sex-toy moulé à partir de la main de Taka Kato, acteur porno surnommé Goldfinger, qui se vante d’avoir découvert huit zones érogènes dans le sexe féminin avec seulement deux doigts.

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28 juillet 2019

En 2050, la France pourrait compter 4 millions de personnes en perte d’autonomie, selon l’Insee

Par Béatrice Jérôme

Dans une étude publiée jeudi, l’institut statistique estime que le nombre de seniors dépendants va augmenter de plus de 60 % par rapport au dernier recensement de 2015.

Un chiffre qui agit comme un électrochoc. En 2050, la France comptera près de 4 millions de personnes de plus de 60 ans qui ne pourront plus se lever seules, faire leur toilette, préparer ou prendre un repas sans dépendre d’autrui, ou bien qui pour une part seront sujettes à des altérations de la mémoire. L’Insee, dans une étude publiée jeudi 25 juillet, établit que les seniors en perte d’autonomie, qui sont aujourd’hui près de 2,5 millions, vont augmenter de plus de 60 % par rapport au dernier recensement de 2015.

L’estimation frappe d’abord par l’ampleur de la hausse. Elle ébranle ensuite parce qu’elle est deux fois plus élevée que la statistique qui fait foi dans les rapports officiels et qui figure dans les documents du ministère de la santé et des solidarités. Les acteurs publics ont eu jusqu’ici pour seule référence la projection de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui prévoient que les personnes en perte d’autonomie seront 2,2 millions en 2050, contre 1, 4 million aujourd’hui.

L’étude de l’Insee, co-élaborée avec la Drees et rendue publique jeudi, laisse entrevoir un complet changement d’échelle. La part des seniors en perte de capacités physiques ou cognitives passerait ainsi de 3,7 % en 2015 à 5,4 % de la population totale en 2050. L’Institut statistique module cette explosion démographique par département. Leur proportion augmenterait le plus sensiblement dans le Gard, les Hautes-Alpes, l’Ardèche. En revanche, elle resterait stable dans les Hauts-de-Seine. La croissance des plus dépendants serait globalement plus manifeste à partir de 2027, quand la génération des baby-boomers nés dans les années 1950 passera le cap des 75 ans.

Dans son rapport rendu en mars à Agnès Buzyn après la concertation nationale « grand âge et autonomie » orchestrée par la ministre de la santé, Dominique Libault, président du Haut-conseil du financement de la protection sociale a intégré les données de la Drees et non pas celles récentes de l’Insee. Le rapport indique que « la hausse annuelle du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie devrait doubler entre aujourd’hui et 2030, passant de 20 000 à 40 000 par an. Leur nombre s’élèverait à 2 235 000 en 2050, contre 1 265 000 en 2015 ».

L’écart varie du simple au double entre l’étude de l’Insee et le rapport Libault. Difficile de conclure, pour autant, que les deux chiffres se contredisent.

Des critères administratifs

L’étude de la Drees à laquelle se réfère le rapport Libault prend pour base de référence le nombre des bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Un point de départ restrictif, car toutes les personnes âgées dépendantes ne bénéficient pas de cette aide. Les raisons de ce non-recours sont multiples : elles ne connaissent pas l’existence de l’APA ; elles y renoncent parce que leurs revenus élevés ne leur donnent droit qu’à un niveau d’allocation modique ou bien parce que leur entourage familial les aide. Enfin à domicile, l’APA est allouée après une visite des équipes médico-sociales des départements qui décident ou non de l’attribuer en fonction de plusieurs critères dont l’état de santé de la personne. La projection de la Drees retient donc des critères administratifs.

L’Insee a travaillé sur une autre base. Elle s’est fondée sur deux enquêtes épidémiologiques réalisées sur la base de questionnaires établis en 2014 et 2015 par les plus de 60 ans interrogés sur leur autonomie dans les actions du quotidien. « Quand le rapport Libault a été élaboré, l’Insee n’avait pas réalisé les projections pour 2050 à partir de ces données déclaratives », explique Delphine Roy, cheffe du bureau « handicap, dépendance » à la Drees.

L’étude de l’Insee met pour la première fois en évidence une réalité jamais démontrée jusqu’ici : un senior sur deux en perte d’autonomie ne serait pas attributaire de l’APA.

Pour autant rien ne permet de dire à ce stade que le petit pavé dans la mare statistique que constitue l’étude de l’Insee ébranle l’échafaudage financier que le gouvernement cherche à assembler à partir du schéma livré par le rapport Libault. « Cela ne changera rien aux projections financières si le ratio entre bénéficiaires de l’APA et population totale des seniors en perte d’autonomie reste le même entre aujourd’hui et 2030, voire 2050 », réfute Delphine Roy, coauteure de l’étude.

« Les besoins sont considérables »

Le rapport Libault préconise 175 mesures dont il évalue le coût à 9,2 milliards d’euros entre 2018 et 2030. or, dans ce total, figurent 4,3 milliards au titre de l’évolution démographique fondée sur la seule évolution du nombre d’allocataires de l’APA. Faudra-t-il revoir à la hausse l’évolution naturelle des dépenses à la lumière des projections de l’Insee ?

Déjà les langues des acteurs du secteur qui jusqu’à présent s’étaient gardés de remettre en cause la trajectoire financière du rapport Libault se délient. « On a applaudi le rapport Libault parce qu’il a eu le premier le courage de reconnaître l’ampleur des besoins, confie Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat National des Etablissements et Résidences Privés pour Personnes Agées (Synerpa). Mais on savait, avant même la publication de l’étude de l’Insee, que les besoins estimés par le rapport étaient sous-côtés. C’est une évidence pour les professionnels que nous sommes ! ». Aujourd’hui l’APA coûte près de 6 milliards d’euros, ne serait-ce qu’un doublement des bénéficiaires en 2050 comme le prévoit le rapport Libault entraînera une hausse supérieure à 9,2 milliards d’euros, explique-t-elle.

Le rapport Libault préconise un soutien financier de 550 millions d’euros pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile afin de revaloriser les salaires des professionnels. « C’est notoirement insuffisant, assène Mme Arnaiz-Maumé pour un secteur aussi sinistré ». L’Insee tire aussi la sonnette d’alarme sur la nécessité de promouvoir la prise en charge à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie. « Si rien n’est fait », la France devra « ouvrir massivement des places » en Ehpad, prévient l’institut de statistique. « A politique publique de maintien à domicile inchangée », il faudra augmenter de « 50 % entre 2015 et 2045 le nombre de lits » pour atteindre 900 000 places.

« Les besoins sont considérables. Ce qu’il faut désormais c’est s’atteler au financement de ces mesures, un financement progressif mais d’ampleur inédite », tempère Olivier Véran, député La République en marche de l’Isère et rapporteur de la commission des affaires sociales.

Avec d’autres députés macronistes, il tente d’obtenir de Bercy que le gouvernement « réduise le rythme du remboursement de la dette sociale [le « trou » de la Sécurité sociale] actuellement plus rapide que nécessaire au vu de nos engagements », assure M. Véran. Il en va de la capacité de dégager « des marges pour financer au premier chef la dépendance », argue-t-il. Mais s’agissant des arbitrages financiers en cours en vue du projet de loi de financement de la sécurité sociale, on se montre plus que prudent au cabinet d’Agnès Buzyn. « Réponse fin août, pas avant », temporise l’entourage de la ministre.

22 juillet 2019

Le consentement masculin : on en parle (enfin) ?

Par Maïa Mazaurette

C’est bien connu, les hommes ne pensent qu’à ça… Rien de moins juste, argumente la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette, qui rappelle que le manque de libido concerne aussi la gent masculine.

LE SEXE SELON MAÏA

C’est un cliché constamment rabâché : les hommes auraient envie de rapports sexuels tout le temps, n’importe comment, avec n’importe qui. Cet état d’excitation serait aussi spontané que la respiration : une exigence physique, hormonale, entretenue par des stimulations pornographiques, boostée par la chaleur, exacerbée par le football… bref, il y aurait toujours une raison (lire notre chronique sur les pulsions).

Bien sûr, nous admettons qu’exceptionnellement, le stress, la fatigue ou des problèmes médicaux perturbent la libido – mais dans tous les cas, nous partons du principe qu’il y a une envie, au moins minimale, simplement contrariée ou reportée à plus tard.

Cette conception du mâle « toujours prêt » entraîne des conséquences extrêmement désagréables : si les hommes veulent tout le temps, alors leurs partenaires ne leur donneront jamais suffisamment, et porteront cette culpabilité. Si les hommes sont constamment frustrés, alors il devient « normal » que de temps en temps, ils prennent de force (nous avons toutes et tous entendu le viol ou la prostitution être justifiés par le manque de disponibilité féminine – sous-entendu : c’est de la faute de toutes les femmes si certaines sont violées, d’ailleurs, si elles avaient respecté la nature des hommes, on n’en serait pas là).

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Et pourtant, selon une étude publiée cette année (Charles.co/IFOP), 47 % des hommes ont déjà manqué de désir sexuel, dont 18 % dans l’année écoulée ; 57 % ont déjà connu des érections manquant de fermeté, 29 % n’ont pas réussi à avoir d’érection du tout. Presque un homme sur dix a des complexes à ce sujet.

Recréer une distance propice au désir

L’inépuisable libido masculine constitue donc un mythe, entretenu par les hommes eux-mêmes : la vantardise concernant ses prouesses sexuelles, la taille de son pénis ou son désir font partie des codes de la masculinité. D’où des plaisanteries répétées, quand bien même elles humilieraient ceux qui les propagent : quand on a envie tout le temps, ça s’appelle du priapisme, et c’est une maladie – et si on ne « pense qu’à ça », alors il est peut-être temps d’aller voir un film sympa au cinéma ou de s’intéresser à la politique.

Nous voici donc face à un problème : on sait que la chute de désir est courante dans la réalité, mais on continue malgré tout de perpétrer l’idée qu’un homme, ça veut du sexe, ça consent, tout le temps. Cette norme du « vrai mâle » conduit à des comportements pas terribles pour la santé : 21 % des hommes ont déjà suppléé à leurs « manquements » par des médicaments, 16 % par de l’alcool, 9 % par de la drogue. Moins extrême : 43 % ont consommé de la pornographie pour se motiver (Charles.co/IFOP, 2019).

Ces mécanismes de compensation s’opèrent souvent au détriment de l’écoute de notre intériorité qu’il faudrait mieux cultiver, ne serait-ce que pour mieux se connaître soi-même – ou pour devenir un meilleur amant. Si on peut se poser les questions simples (« ai-je vraiment envie, avec qui, pourquoi, dans quelles circonstances ? »), alors on peut comprendre quelles conditions sont propices à une libido enflammée… tout en récupérant au passage un peu de dignité (« je ne suis pas un homme facile, et non, on ne dispose pas de moi comme d’un objet »).

Les bénéfices s’étendent au couple : en se refusant de temps à l’autre (tout en communiquant), on recrée une distance propice au désir : plutôt que de s’offrir en surabondance, on peut même organiser le manque.

L’érection n’est pas un marqueur de consentement

D’autant que dans ce paradigme, les femmes ne sont pas toujours les plus délicates, sur un continuum qui va des remarques méprisantes (des hommes « en chien », « morts de faim », « comme des bêtes ») à l’agression. En France, un homme sur vingt a subi un viol ou une tentative, la moitié avant leurs 11 ans (enquête CSF, 2006). Leurs agresseurs sont parfois des femmes, qui ont exercé des pressions psychologiques ou physiques, en profitant par exemple d’états d’ivresse.

Malgré la difficulté inhérente au dépôt de plainte (quel que soit le cas de figure), rappelons que la loi votée le 1er août 2018 à l’initiative de la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, permet de qualifier en viol des fellations forcées (reçues) et des pénétrations forcées (quand on est contraint à pénétrer une autre personne).

L’érection n’est pas un marqueur de consentement, l’éjaculation non plus (de même que la lubrification ou l’orgasme féminins ne sont pas des preuves qu’en fait, la victime était d’accord).

Mais même sans en arriver là, la perte de libido d’un amant se traduit souvent par une incompréhension de la part des partenaires. Les femmes, notamment, ne sont pas éduquées au consentement masculin : elles ne demandent pas parce que, par défaut, elles considèrent que l’homme consent (les vantardises masculines ne tombent pas dans l’oreille de sourdes). Cela signifie aussi que les femmes peuvent rater des signes « évidents » de désintérêt ou d’évitement – ou passer outre un rejet verbalisé et répété. Elles mettent alors leur amant dans une situation bien connue : quand on dit non une fois, il faut souvent dire non cinq, dix, quarante fois. Il devient alors plus simple, et plus rapide, de céder que de résister – quitte à se réveiller le lendemain avec la boule au ventre.

Un ego masculin fragilisé

En l’occurrence, l’incompréhension des femmes devant un cas de figure socialement invisible est parfois intériorisée, sur le mode de la déception (« s’il n’a pas envie, c’est vraiment que je suis indésirable »), parfois extériorisée avec agressivité (« tu ne m’aimes plus, je suis sûre que tu vas voir ailleurs, tu pourrais faire un effort »). Dans tous les cas, les enjeux perçus dépassent de loin la réalité du problème : c’est une chute de libido (ou un rendez-vous amoureux raté), pas une explosion nucléaire.

Outre les problèmes d’ego féminins, il faut en outre se pencher sur un ego masculin fragilisé. Culturellement, la virilité d’un homme est encore indexée sur sa libido : un homme qui n’a pas envie, ou pas vraiment envie, n’est plus un homme – et s’il n’est plus un homme, alors il n’est plus le patron. Si ces codes relevaient d’autre chose que du fantasme, vous pensez bien que Rocco Siffredi serait président du Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette réduction du masculin à sa seule force désirante pose une pression supplémentaire sur les épaules (ou le pénis) des hommes : quand cette partie-là du corps ne fonctionne pas, alors rien d’autre n’existe, peu importe qu’on soit joli garçon, en pleine santé, souriant, on a « un gros problème ». Si vous cherchez la recette magique pour bloquer une libido, vous venez de la trouver…

Parce que les hommes concernés n’en parlent souvent ni à leurs partenaires ni à leurs amis, et n’ont parfois même pas conscience de n’avoir pas envie, il est temps d’en parler culturellement.

Tout simplement en rappelant que non, les hommes n’ont pas toujours envie, non, ils ne sont pas disponibles pour n’importe quel fantasme à n’importe quelle heure, et non, le manque de libido ne les remet pas en question en tant qu’humains. C’est dit !

18 juillet 2019

La célèbre enseigne Tati va quasiment disparaître

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Par Juliette Garnier

Seul le magasin de Paris, boulevard de Rochechouart, sera conservé. Les 92 autres seront fermés ou basculés sous l’enseigne Gifi.

Philippe Ginestet siffle la fin de Tati. Le fondateur du groupe GPG, qui exploite les magasins Gifi, a annoncé mardi 16 juillet la quasi-disparition de l’enseigne Tati qu’il avait reprise en juin 2017 à la barre du tribunal de commerce de Bobigny. Il avait alors promis aux salariés de tout conserver pendant deux ans sans procéder à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « Au jour près, il a attendu la fin de ce délai de vingt-quatre mois » pour agir, s’étrangle Céline Carlen, représentante de la CGT Commerces Paris.

Le groupe GPG qui revendique 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires projette de fermer treize magasins Tati, d’en transformer une trentaine pour lancer une enseigne de déstockage et d’en basculer quarante-neuf sous sa propre enseigne, Gifi. L’enseigne Tati, fondée en 1948 par Jules Ouaki, ne flottera plus que sur son adresse historique, dans le 18e arrondissement de Paris, boulevard de Rochechouart.

Ces mesures entraîneront 189 suppressions d’emplois lors d’un PSE, précise le groupe aux 9 500 employés ; GPG promet d’en reclasser au sein de ses 845 Gifi.

« Procédé déloyal », selon la CGT

Ce projet de PSE a été dévoilé lors d’un comité social économique (CSE) convoqué mardi 16 juillet à La Plaine-Saint-Denis sur un ordre du jour consacré à la seule réorganisation des magasins Tati. En fait, le plan concerne aussi les effectifs des entrepôts et du siège social de Tati – situé à Saint-Denis.

« Ce procédé déloyal », selon la CGT, a cueilli à froid les représentants du personnel. D’autant qu’au printemps 2017, M. Ginestet avait précisément obtenu le soutien de la majorité des 1 700 salariés Tati en promettant de « conserver l’enseigne » et d’investir pour « retrouver l’ADN » de ce bazar au plus bas prix. Son discours avait fait mouche, car, rappelle Céline Carlen, « les salariés sont très attachés à l’enseigne Tati », une success story développée par la famille Ouaki dans la France florissante des années 1970.

En pleine campagne pour les élections présidentielles, la promesse de conserver l’enseigne Tati et de poursuivre l’exploitation des magasins historiques du 18e arrondissement de Paris avait aussi séduit la conseillère de Paris, Myriam El Khomri, élue (PS) de l’arrondissement. Celle qui était alors ministre du travail au sein du gouvernement de Manuel Valls avait reçu les délégués syndicaux, en mars 2017, rue de Grenelle, peu après l’annonce de la mise en vente de l’enseigne déficitaire par le groupe Eram.

L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire en mai 2017, quelques jours avant le scrutin présidentiel, avait aussi obligé Bercy à se pencher sur le sort de ses 1 700 salariés et à soutenir le candidat prêt à une reprise globale de l’enseigne. « Gifi et uniquement Gifi », s’étonne encore un proche du dossier.

Le marché s’est durci

Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, Tati a été aussi le premier dossier posé sur le bureau de Muriel Pénicaud, nouvelle ministre du travail, depuis le 17 mai 2017. Bercy ne prêtait alors pas plus d’attention aux autres candidats à la reprise de Tati, toujours selon un proche du dossier.

A l’offre de Gifi, présentée in extremis, à minuit le 15 juin 2017, pour reprendre 1 428 emplois, les élus de la CGT avaient pourtant préféré celle conjointement portée par Stokomani, Centrakor, Maxibazar et Foir’Fouille. Les élus syndicaux en avaient alors souligné les « garanties en matière sociale » et le « sérieux économique ». En vain.

Conformément aux usages, le tribunal a préféré l’offre la mieux-disante socialement. A savoir : celle de M. Ginestet qui portait sur davantage de postes que les 1 336 (1 295 emplois repris et 41 offres de reclassement) que ces distributeurs méconnus proposaient de sauver. Deux ans plus tard, en magasin, la situation est « pire », assure Céline Carlen. Malgré « les 150 millions d’euros » que sa maison mère prétend avoir investis depuis, les pertes de Tati s’élèvent à 28 millions d’euros.

Le marché s’est aussi durci. Les locaux vacants se multiplient, puisque plusieurs enseignes ont tiré le rideau, dont Fly, ou fermé des magasins, dont C & A. « Cela va compliquer la reprise des Tati promis à la fermeture », note un rival.

D’ici là, grâce aux Tati, GPG aura « grandement » valorisé les actifs immobiliers de Gifi, note un rival. Les salariés Tati se retrouvent eux « à nouveau » dans le désarroi, regrette une élue CFDT. Le PSE devrait être détaillé le 25 juillet.

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17 juillet 2019

Disparition de Steve à Nantes

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Disparition de Steve à Nantes : la justice ouvre une enquête pour "mise en danger de la vie d'autrui" et "violences volontaires" après l'intervention des policiers

Cette enquête découle d'une plainte collective de 85 participants à la Fête de la musique. Une autre enquête judiciaire a été ouverte au sujet de violences contre les policiers.

Une affiche dénonçant la disparition de Steve Maia Caniço à Nantes, le 15 juillet 2019.Une affiche dénonçant la disparition de Steve Maia Caniço à Nantes, le 15 juillet 2019. (LOIC VENANCE / AFP)

Presque un mois après la disparition de Steve Maia Caniço lors d'une intervention de policiers contre des participants à la Fête de la musique à Nantes, le procureur a annoncé mardi 16 juillet l'ouverture de deux nouvelles enquêtes.

L'une d'elles, ouverte pour "mise en danger de la vie d'autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique", vise l'action des policiers dans la nuit du 21 au 22 juin. Quatre-vingt-cinq participants à la soirée de la Fête de la musique avaient déposé une plainte collective auprès du parquet le 3 juillet. Cette enquête judiciaire a été confiée par le procureur à l'IGPN, la police des polices.

La seconde enquête a été ouverte pour "violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique". "J'ai reçu dix plaintes de policiers qui ont été blessés lors des événements de la Fête de la musique", a expliqué le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès. C'est la police judiciaire qui se chargera de cette enquête.

Les recherches se poursuivent

Steve Maia Caniço, 24 ans, n'a pas été vu depuis une intervention de la police, dans la nuit du 21 au 22 juin, vers 4h30 du matin, pour disperser les participants à une fête sur l'île de Nantes, sur un quai sans parapet donnant sur la Loire.

De nombreux participants ont dénoncé une intervention disproportionnée, indiquant avoir été aveuglés par un nuage de gaz lacrymogène et pris de panique. Quatorze personnes tombées dans le fleuve avaient été repêchées cette nuit-là. La police, de son côté, a dénoncé des jets de projectiles contre les forces de l'ordre.

La disparition de Steve Maia Caniço fait l'objet d'une information judiciaire confiée à un juge d'instruction et les recherches dans la Loire se poursuivent. Deux autres enquêtes sont déjà en cours : une enquête administrative de l'IGPN et une du Défenseur des droits.

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15 juillet 2019

Reportage - Longue journée sur les Champs-Elysées, des « gilets jaunes » aux supporteurs de l’Algérie

Par Cédric Pietralunga, Léa Sanchez, Christophe Ayad

A Paris, plus de 170 personnes ont été interpellées en marge du défilé du 14-Juillet, avant que l’avenue ne soit envahie dans la soirée par les fans des Fennecs.

A la veille du dimanche 14 juillet, les forces de l’ordre redoutaient surtout les suites d’une éventuelle victoire de l’Algérie en demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) le soir, mais ce sont les « gilets jaunes » qui ont créé la surprise dès le début de la journée.

Plusieurs dizaines d’entre eux ont tenté de profiter du défilé militaire pour conspuer Emmanuel Macron qui a présidé la cérémonie après avoir remonté la célèbre avenue à bord d’un « command car ». Fait inédit, des sifflets nourris ont été entendus au passage de son véhicule, mêlés aux applaudissements.

Les forces de l’ordre, présentes en masse, ont rapidement interpellé plusieurs figures du mouvement présentes dans la foule : Maxime Nicolle (alias Fly Rider), Jérôme Rodrigues et Eric Drouet. Tous trois ont passé plusieurs heures en garde à vue avant d’être relâchés, les deux premiers pour « organisation d’une manifestation illicite », le troisième pour « rébellion ».

Le restaurant Le Fouquet’s, qui avait ouvert le jour même pour la première fois depuis son incendie partiel et son saccage, le 16 mars, date de la dernière incursion des « gilets jaunes » sur les Champs-Elysées, a vite mis en place un important dispositif de protection peu après le défilé militaire, dont le clou a été la démonstration d’un « homme volant » sur une planche turbo propulsée.

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Barricades et gaz lacrymogènes

Peu après la fin du défilé, plusieurs petits groupes de « gilets jaunes » et de black blocs ont investi le haut de l’avenue et les rues adjacentes, dressant des barricades avec des barrières métalliques et incendiant des poubelles.

Quelques vitrines et un abribus ont été endommagés. En fin d’après-midi, les forces de l’ordre étaient venues à bout des troubles en dispersant les manifestants à coups de gaz lacrymogènes et en procédant à 175 interpellations.

« On s’attendait à quelques manifestations », reconnaît un proche du premier ministre Edouard Philippe. Mais pas question de donner de l’importance à l’événement. « Les manifestants n’étaient pas nombreux, même s’ils ont fait beaucoup de bruit », assure-t-on à l’Elysée. « Ce que veulent ces gens, c’est qu’on parle d’eux, ils en ont perdu le sens même de la fête nationale », a encore réagi Matignon. « Ceux qui voulaient empêcher ce défilé devraient avoir un peu honte (…) la nation, il faut la respecter », a renchéri Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur.

Quelques heures plus tard, un peu avant 23 heures, les Champs-Elysées étaient à nouveau envahis par les nombreux supporteurs de l’équipe d’Algérie venus fêter la qualification des Fennecs en finale de la CAN.

Des « gilets jaunes » se joignent à la liesse

Pendant que le traditionnel feu d’artifice du 14-Juillet était tiré au-dessus du Champ-de-Mars, de l’autre côté de la Seine, un nouveau défilé, mais cette fois-ci composé de voitures et de scooters pavoisés aux couleurs de l’Algérie, empruntait la célèbre avenue. La place de l’Etoile, théâtre de nombreux tirs de feux d’artifice artisanaux et de pétards, était moins fréquentée par les supporteurs venus en famille. Des « gilets jaunes » restés sur place se sont joints à la liesse, même si un fan des Fennecs tenait à préciser : « Eux et nous, on vient pas pour la même chose. »

Même ambiance festive et assourdissante au carrefour Barbès-Rochechouart, où les supporteurs ont afflué dès le coup de sifflet final et le coup franc miraculeux de Riyad Mahrez qui a envoyé l’Algérie en finale de la CAN.

Ali en a presque les larmes aux yeux : « La dernière fois qu’on était en finale, c’était en 1990, j’avais 2 ans. Après, tout s’est gâté au pays. J’espère que ça ne va pas recommencer avec cette belle révolution qu’on est en train de faire. »

Comme la plupart des jeunes hommes hurlant leur joie, torse nu, enveloppés dans des drapeaux algériens, il est un « blédard » parlant à peine français : il travaille au noir et vit sans papiers. Peu à peu, les familles, des bébés aux grands-parents, rejoignent la gigantesque fiesta. La police se tient à distance et ne s’approche que lorsque les pétards sont trop forts.

Klaxon enfoncé sans discontinuer

Inès est venue de Boulogne : « D’habitude, les blédards nous regardent de travers, nous les “beurs”, parce qu’ils nous trouvent trop Français et nous, on les trouve mal éduqués, rigole-t-elle. Mais c’est pas grave, tout ce qui nous permet de fêter et de nous rassembler est bon à prendre. » Pour sa sœur Saliha, « la violence de la joie de la jeunesse est à la mesure de la force de son désespoir. Ces jeunes mettent dans le foot toutes leurs frustrations. Leur vie est violente et ils célèbrent violemment. C’est ça que les Français ne peuvent pas comprendre. »

Des drapeaux tunisiens, marocains, soudanais et même égyptiens se joignent à la liesse. Trois jeunes tiennent en équilibre sur un feu tricolore. Tous les automobilistes sont là pour célébrer, klaxon enfoncé sans discontinuer. Les filles sont en amazone à la portière des voitures. Un jeune assis sur le toit d’une voiture crie « Vive la France ! » en direction des gendarmes. Le conducteur passe la tête par la fenêtre : « Mais qu’est-ce que tu racontes ? » « T’inquiète, je dis ça pour les racistes ! », rigole l’autre.

Une femme en niqab filme par la fenêtre entrouverte de sa voiture pendant que son mari salafiste slalome entre les piétons. Astou, une jeune Sénégalaise venue fêter la qualification de son équipe en finale aussi, décide de rentrer : « Le problème des Algériens, c’est qu’ils n’ont pas de limites. »

Un bus veut passer pour rentrer au dépôt, coincé par la foule. Rapidement, un petit groupe lui dégage la voie et finir par faire la circulation sous l’œil goguenard des gendarmes. Sur les Champs-Elysées, la liesse s’est terminée à 3 heures du matin, lorsque la police a dispersé les derniers fêtards qui incendiaient deux poubelles et ont endommagé une voiture. Pas de quoi impressionner les « gilets jaunes ».

Christophe Ayad, Cédric Pietralunga et Léa Sanchez

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Des scènes de liesse et des échauffourées à Lyon et à Marseille. Des milliers de supporteurs de l’équipe de football d’Algérie ont explosé de joie dimanche 14 juillet au soir à Lyon et à Marseille. Des scènes de liesse ont parfois laissé la place à des tensions ou à des incidents. Dans la cité phocéenne, des jeunes ont entrepris de démolir méthodiquement des abribus. Alors que plusieurs feux de poubelles étaient pris en charge par les marins-pompiers de Marseille, les forces de l’ordre ont été bombardées de projectiles, des bouteilles et des pierres notamment, à proximité du bâtiment du conseil régional. Plusieurs personnes ont été interpellées. Pour se fournir en munitions, de jeunes manifestants ont été vus brisant des blocs en béton utilisés pour tenir les barrières des chantiers. A Lyon, les scènes de joie des fans des Fennecs ont été suivies par des heurts avec les forces de l’ordre. Selon la préfecture et les pompiers, de nombreux véhicules ont été incendiés, dans le centre de Lyon mais aussi dans les villes voisines de Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Bron ou Villeurbanne.

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