Par Louis Imbert - Le Monde
La République islamique d’Iran manque d’options face au retrait américain, et n’a pas d’illusion sur la capacité des Européens à sauver l’accord. Et les difficultés économiques pourraient s’aggraver.
L’Europe, étroite planche de salut. Les élites iraniennes qui défendent jusqu’ici l’accord sur le nucléaire et une forme d’apaisement avec l’Occident ont mal masqué, mardi 8 mai, leur désarroi après l’annonce par le président américain, Donald Trump, du retrait des Etats-Unis.
Le coup est dur, injuste, répète-t-on à Téhéran, puisque le pays respecte ses obligations, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais l’Iran, englué dans la crise économique et dans des luttes politiques toxiques, manque cruellement d’options pour réagir, sauf à violer à son tour l’accord, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour. Reste donc à compter sur les autres signataires : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie et la Chine, sans grande illusion.
Dans un discours retransmis en direct à la télévision d’Etat – contrairement à celui de M. Trump –, le président Hassan Rohani est apparu déjà démonétisé, vide, aux côtés des principaux membres de son gouvernement qui se balançaient sur leurs pieds en rang, gênés.
M. Rohani a annoncé que le pays ne relancerait pas immédiatement l’enrichissement de l’uranium et mènerait des consultations durant « une courte période de quelques semaines » avec les autres signataires. « Et si l’accord n’est finalement qu’une feuille de papier, alors notre prochain mouvement sera clair », a-t-il dit. La parenthèse d’ouverture prendrait fin. M. Rohani a joué sur elle sa vie politique face à ses rivaux conservateurs, qui se nourrissent de l’opposition à l’ennemi américain.
Le risque d’une escalade militaire
Des figures d’ordinaire critiques de l’accord se sont alignées sur cette voie médiane : la République islamique serre les rangs face au danger. Cependant, l’appareil iranien se fait de longue date peu d’illusions sur la capacité de l’Europe à résister aux pressions américaines sur ses banques et ses entreprises, si celles-ci s’exercent avec suffisamment de force.
« Ceux qui militent pour continuer à appliquer l’accord et à séparer les Etats-Unis de l’Europe se réduisent à un cercle de plus en plus étroit autour du président Rohani », constate Ali Vaez, de l’ONG International Crisis Group, dans un récent rapport.
Quel intérêt l’Iran a-t-il à maintenir sa position de hauteur morale, quand les bénéfices qu’il en tire ne cessent de se réduire, et au risque de projeter une dangereuse image de faiblesse ? L’intérêt de l’accord n’est pourtant pas qu’économique, « c’est une garantie de sécurité pour la région », rappelle l’analyste conservateur Foad Izadi. Sans lui, le risque d’une escalade militaire avec Israël en Syrie, ou d’une confrontation avec le grand rival régional saoudien s’accroît dangereusement.
Mais la perspective d’amélioration de la situation économique désastreuse de l’Iran que l’accord devait garantir est également un gage de sécurité intérieure, pour l’Etat dans son ensemble – et non pour le seul Hassan Rohani, que des internautes vilipendent en « traître » sur Twitter, tandis qu’une manifestation largement relayée sur les réseaux sociaux appelait à « brûler » symboliquement l’accord, mardi soir à Machhad, grande ville conservatrice située dans le nord-est du pays.
Système bancaire au bord de l’implosion
Des syndicalistes sont emprisonnés, intimidés en nombre et pourtant les grèves perdurent aux quatre coins du pays. Le système bancaire est au bord de l’implosion, le pays fait face à une importante fuite de capitaux, les prix grimpent en ville.
La sécheresse dévaste le centre et le sud du pays depuis cinq ans et des manifestations disparates ont toujours lieu dans les petites villes depuis la vague de protestation du tournant de l’année, dont la répression a fait plus de vingt-cinq morts.
La majorité de l’appareil politico-sécuritaire parait aujourd’hui estimer qu’en cas d’échec des consultations, l’Iran devrait répliquer en violant à son tour l’accord. Il pourrait remettre sur pied son programme de recherche et de développement, relancer l’enrichissement de l’uranium à 20 % sur le site militaire souterrain de Fordow ou cesser de collaborer avec l’AIEA. Téhéran peut également orchestrer des attaques de ses alliés miliciens en Syrie et en Irak contre les forces américaines, au risque d’une riposte.
Enfin, une minorité milite pour une sortie du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), auquel l’Iran a adhéré en 1970. Le souriant ministre des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a lui-même brandi cette menace ces derniers mois.
Bruits de bottes
Elle pourrait ouvrir la voie à la recherche d’une bombe atomique. Des militaires estiment qu’à l’image de la Corée du Nord, le seul moyen d’engager un dialogue avec les Etats-Unis, direct et en position de force, serait d’avoir la bombe.
Ces bruits de bottes, la rue iranienne les percevait déjà nettement, mardi soir, dans l’annonce de M. Trump. A Téhéran, Nassim, photographe de 34 ans, avait peine à se souvenir de cette nuit du 14 juillet 2015, où elle était descendue sur une avenue de la capitale pour célébrer, dans un concert de klaxons et de sifflets, la signature de l’accord avec la communauté internationale.
« Nous pensions que la vie serait meilleure, résume-t-elle. Tout ça, c’est du passé. Je pense de nouveau qu’une guerre peut nous tomber dessus. Je regrette de n’avoir pas écouté ma sœur, à Londres, qui m’incitait à émigrer et à vivre avec elle. Si je l’avais écoutée, j’aurais déjà construit une vie là-bas. Mais ces jours-ci, je ne fais plus que m’accrocher aux informations. »