Plus de mille personnes demandant la tenue d’élections libres dans la capitale ont été arrêtées samedi par la police.
Une semaine après avoir laissé plus de 20 000 personnes manifester dans le centre de Moscou, les autorités russes ont haussé le ton face à la contestation qui touche la capitale, samedi 27 juillet, en arrêtant plus d’un millier de manifestants.
La police avait été déployée dans des proportions rarement observées pour empêcher la tenue d’un rassemblement non autorisé en faveur d’« élections libres », sans parvenir à empêcher une foule compacte de plusieurs centaines de personnes de se retrouver devant la mairie, sur la rue Tverskaïa. Après de premières arrestations, les forces de l’ordre ont rapidement dispersé les manifestants pacifiques dans les rues adjacentes.
Plusieurs défilés improvisés se sont alors formés, réunissant, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, plus de 3 500 personnes. Aux cris de « Liberté » ou « C’est notre ville », la foule a refusé de se disperser, se contentant de reculer face aux charges des forces antiémeutes. Fait rare en Russie, où le moindre geste de résistance peut avoir des conséquences lourdes, des heurts isolés ont opposé les manifestants aux policiers. Ceux-ci ont largement fait usage de leurs matraques sur des protestataires pacifiques, parfois simplement assis sur des bancs.
En fin de soirée, plus de mille arrestations ont été annoncées par la police (1 074 personnes selon les autorités, 1 373 selon l’ONG spécialisée OVD-Info, qui a recensé 77 cas de personnes battues), soit un chiffre rarement atteint qui comprend de nombreux passants ou encore des retraités participant à cette mobilisation qui aura donc duré presque toute une journée.
Le calme n’est revenu que dans la soirée quand les derniers manifestants, rassemblés sur une place du centre-ville, se sont dispersés ou se sont laissé arrêter sans résister.
L’ambassade des Etats-Unis en Russie a dénoncé l’usage « disproportionné de la force policière ». L’Union européenne a elle aussi fustigé cette vague d’arrestations. « Ces détentions et le recours disproportionné à la force contre des manifestants pacifiques (…) portent une fois de plus gravement atteinte aux libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion », selon un communiqué dimanche citant la porte-parole de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
L’ONG Amnesty International a dénoncé samedi soir un « recours à la force excessif » de la police russe, appelant à une « libération immédiate des protestataires pacifiques ».
Des candidats interdits de scrutin
Cette nouvelle manifestation, dont l’ampleur semble avoir pris de court les autorités, concernait ce qui s’est imposé comme le feuilleton politique de l’été en Russie, à savoir les élections à venir pour le Parlement de la ville de Moscou. Mi-juillet, au terme d’une procédure de vérification opaque, la commission électorale de Moscou a exclu de ce scrutin pourtant mineur une soixantaine de candidats, dont la quasi-totalité des opposants indépendants, pour des vices de forme ou des irrégularités.
Malgré les nombreux éléments apportés par ces candidats montrant la régularité de leur dossier, y compris des témoignages de citoyens certifiant avoir bel et bien déposé des signatures de soutien jugées fausses par la mairie, les procédures d’appel ont été expédiées en quelques heures ces derniers jours. A travers tout le pays, ce sont des centaines de candidats qui ont été interdits de s’enregistrer à ce scrutin du 8 septembre, dont l’opposition, qui ne peut participer aux élections plus importantes, a fait une cible prioritaire.
Cette réaction brutale des autorités montre la volonté du pouvoir russe d’en finir avec un dossier qui lui empoisonne la vie depuis le début de l’été. Toute la semaine, les autorités ont tenté, en coulisses, de décapiter le mouvement et de décourager la mobilisation. L’armée avait été jusqu’à annoncer déployer aux abords de la manifestation des inspecteurs chargés de vérifier les exemptions de service militaire des jeunes hommes présents.
Plusieurs jours durant, les candidats refusés ont été la cible de différentes manœuvres d’intimidation, une dizaine d’entre eux ainsi que certains de leurs proches ayant fait l’objet de perquisitions mercredi dans la nuit, ce qui est contraire aux règles de la police. D’autres ont été convoqués à des interrogatoires ou font l’objet de poursuites pour « entrave au travail de la commission électorale » lors d’un précédent rassemblement pacifique.
Les services de sécurité (FSB) ont par ailleurs annoncé se joindre à l’enquête pour vérifier d’éventuels contacts entre les opposants et des « structures étrangères ».
Inconfort des autorités
Samedi matin, d’autres perquisitions et interpellations avaient été menées de façon préventive, avant le début du rassemblement, particulièrement chez des partisans du dirigeant de l’opposition Alexeï Navalny.
M. Navalny lui-même, plutôt en retrait dans le dossier, a de son côté été condamné jeudi à trente jours de prison. L’une de ses adjointes, la juriste Lioubov Sobol, elle-même candidate, a déclaré débuter une grève de la faim dans les locaux de la Commission électorale locale.
Dès l’origine, le dossier des élections locales moscovites s’est imposé comme une épine dans le pied du Kremlin. Signe de l’inconfort des autorités, aucun candidat ne s’est enregistré sous l’étiquette du parti au pouvoir, Russie unie, devenue un repoussoir. Formellement indépendants, les candidats de la mairie ont bénéficié d’un soutien en sous-main.
De l’avis des observateurs, le pouvoir comptait tenir l’opposition à l’écart grâce à la nouvelle règle sur les signatures, qui exige que les candidats indépendants récoltent le soutien de 3 % des électeurs de la circonscription dans laquelle ils entendent se présenter. La réussite des candidats indépendants à réunir ces signatures a pris de court la mairie, qui n’a ensuite pas su comment gérer efficacement le dossier.
Selon le site d’information Meduza, les tergiversations du maire, Sergueï Sobianine, ont duré jusqu’à la semaine passée, avant que le Kremlin décide de prendre le relais et de tenter de clore le dossier par la manière forte. Entre-temps, une manifestation avait été autorisée le 20 juillet, qui a rassemblé plus de 20 000 personnes, soit la mobilisation politique la plus importante depuis le mouvement de protestations de 2011-2012 contre les fraudes aux élections et le retour de Vladimir Poutine à la présidence.
Un recul démocratique inédit
Reste que la décision de tenir ces élections dans la capitale à huis clos, sans préserver une compétition même de façade, émeut une partie des Russes. Nombre d’observateurs y voient un recul démocratique inédit, mais aussi un geste de faiblesse du pouvoir.
Ces derniers mois, plusieurs candidats pro-Poutine ont été désavoués lors d’élections régionales au profit des communistes et nationalistes, qui jouent le rôle d’une opposition acceptable, et chaque scrutin s’apparente de plus en plus à un mauvais moment à passer.
Plus grave, ce refus de laisser les candidats indépendants tenter de contester le monopole du pouvoir laisse entrevoir une radicalisation des deux côtés. « Il ne pourra désormais plus y avoir de leaders de l’opposition prêts à adopter une position conciliante vis-à-vis du pouvoir, à se mettre d’accord avec lui », écrivait jeudi matin, après une nouvelle nuit de perquisitions, le vieux routier de l’opposition libérale Leonid Gozman.
Comme en écho, un responsable de l’opposition, Dmitri Goudkov, vu précisément comme l’un de ces membres de la jeune garde prêts au compromis avec le pouvoir, écrivait de son côté : « Sous Poutine, les élections et les commissions électorales sont mortes comme institutions. La dernière possibilité qui restait de participer de manière légale à la vie politique a disparu. »
Benoît Vitkine (Moscou, correspondant)