Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
7 février 2019

Le Grand Débat

Publicité
7 février 2019

Perquisition à « Mediapart » : Matignon reconnaît avoir transmis des informations au parquet

Par Simon Piel, Olivier Faye, Alexandre Piquard

Selon les informations du « Monde », le directeur du cabinet du premier ministre Edouard Philippe a communiqué à la justice des éléments émanant de journalistes.

L’Elysée n’est plus seule au cœur du cyclone. Pour la première fois depuis le déclenchement de l’affaire Benalla, en juillet 2018, c’est au tour de Matignon de se retrouver percuté par ce feuilleton à multiples rebondissements.

Mercredi 6 février, le site d’information Mediapart a révélé que la perquisition avortée de ses locaux, deux jours plus tôt, dans le cadre d’une enquête préliminaire pour « atteinte à la vie privée » et « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations » est une conséquence directe d’un signalement des services du chef du gouvernement, Edouard Philippe, auprès du parquet.

Selon nos informations, c’est même sur la base d’un courrier de Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet de M. Philippe, que le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, a décidé d’ouvrir cette enquête.

Publication d’enregistrements gênants

Tout commence le 31 janvier avec la publication par Mediapart d’enregistrements gênants pour M. Benalla, l’ex-chef de cabinet adjoint d’Emmanuel Macron, mis en cause pour des violences contre des manifestants, le 1er mai 2018, place de la Contrescarpe, à Paris. Le site met en ligne des extraits de conversations entre M. Benalla et son ami Vincent Crase, ancien responsable de la sécurité de la République en marche (LRM), inquiété pour les mêmes faits.

Cette bande audio permet d’entendre distinctement les deux hommes échanger, le 26 juillet 2018, en violation de leur contrôle judiciaire, à propos d’un contrat noué par M. Crase avec un homme d’affaires russe, Iskander Makhmudov. Ce dernier est soupçonné d’être lié à la criminalité organisée. Le contrat prévoyait notamment la protection des biens immobiliers en France de l’oligarque, et de sa famille à Monaco.

Selon Mediapart, M. Benalla serait « personnellement impliqué dans ce contrat, y compris dans ses montages financiers ». Dans cet enregistrement, M. Benalla se prévaut par ailleurs du soutien personnel du chef de l’Etat suite aux faits du 1er mai.

Dans la foulée de la publication de cet article, un rédacteur de l’hebdomadaire Valeurs actuelles appelle les services du premier ministre pour les interroger. Le journaliste en question, Louis de Raguenel, ancien membre du cabinet du ministre de l’intérieur Claude Guéant (2011-2012) et auteur, en octobre 2018, d’un entretien avec M. Benalla dans Valeurs actuelles, précise au Monde qu’il voulait notamment « savoir dans quelles circonstances l’enregistrement de Benalla et de Crase avait été fait ».

Un souci de « transparence »

Il souhaitait en particulier connaître le rôle des services de renseignement dans cette affaire ainsi que déterminer si la rencontre entre MM. Benalla et Crase a bien eu lieu au domicile de Marie-Elodie Poitout, cheffe du groupe de sécurité du premier ministre (GSPM). « Je voulais savoir si des services étatiques avaient été mobilisés, explique M. de Raguenel. La bande provient-elle d’une écoute ou d’une sonorisation clandestine ? L’idée n’était aucunement d’enquêter sur les sources de Mediapart, ni de savoir comment le site a eu accès à l’enregistrement. »

Après cet appel de M. de Raguenel, mais aussi d’autres médias, un courrier est adressé par le directeur de cabinet d’Edouard Philippe au procureur de Paris, dans un souci de « transparence », selon l’entourage du premier ministre.

« Plusieurs journalistes nous ont contactés, jeudi et vendredi, pour tenter d’établir un lien entre la cheffe du GSPM, son conjoint, et la rupture du contrôle judiciaire de MM. Benalla et Crase. Matignon a donc procédé à de premières vérifications », écrit M. Ribadeau-Dumas dans ce courrier en date du 1er février, que Le Monde a pu consulter.

Le bras droit de M. Philippe explique avoir « convoqué sans attendre » Marie-Elodie Poitout, cheffe du GSPM. Elle lui aurait alors expliqué avoir « reçu M. Benalla, qu’elle dit connaître depuis 2017, à son domicile, fin juillet, avec un ami commun », Chokri Wakrim, mais assure que M. Crase n’était pas présent. Enfin, M. Ribadeau-Dumas affirme dans cette lettre qu’aucun des protagonistes n’a fait l’objet « d’autorisation de techniques de renseignement », réfutant ainsi l’idée selon laquelle l’enregistrement aurait été réalisé par un service de renseignement.

La brigade criminelle saisie du dossier

Selon Le Parisien, la brigade criminelle, saisie du dossier, a procédé en début de semaine aux premières auditions. Marie-Elodie Poitout a été entendue mardi. Elle aurait confirmé avoir reçu M. Benalla à son domicile à la période indiquée, sans pouvoir préciser le jour, pour lui témoigner son soutien, tout en assurant ne pas avoir réalisé les fameux enregistrements.

Elle aurait en outre affirmé ne pas se souvenir de la présence de M. Crase lors de cette rencontre mais a indiqué que son compagnon était présent. D’après Valeurs actuelles, ce dernier, militaire en activité, aurait été entendu par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense pour son éventuelle implication dans le contrat de protection de l’oligarque russe Iskander Makhmudov que M. Benalla est soupçonné d’avoir négocié alors qu’il était encore en poste à l’Elysée.

Selon Libération, Chokri Wakrim, présent au domicile de Mme Poitout, serait impliqué dans l’exécution de ce contrat. Le quotidien assure que M. Wakrim « a été sollicité quelques mois plus tôt par M. Benalla pour travailler sur le fameux contrat russe » puis « était notamment chargé, à Monaco, de la sécurité de la famille de M. Makhmudov ». Contactés, ni Alexandre Benalla, ni Vincent Crase n’ont donné suite aux sollicitations du Monde. M. Wakrim et Mme Poitout n’ont pu être joints.

Reste à savoir pourquoi Matignon a alerté le parquet de la sorte, alors qu’aucune procédure judiciaire n’était ouverte. L’entourage de M. Philippe précise au Monde qu’« il ne s’agit en aucun cas d’un signalement ou d’un article 40 [du code pénal, qui impose aux agents publics le signalement des crimes ou délits dont ils ont connaissance]. Il s’agit simplement de partager en toute transparence avec la justice des éléments de réponse transmis à la presse et qui sont susceptibles de concerner une affaire judiciaire en cours. Qui comprendrait que Matignon réserve à la presse des informations que la justice pourrait estimer utiles ? »

Une célérité qui interroge

Toujours est-il que le parquet de Paris a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire – dont les bases judiciaires font débat, celle-ci ayant été lancée sans qu’aucune plainte ne soit déposée – dans la foulée de l’envoi de ce courrier et de diligenter les premiers actes avec une célérité qui interroge.

Pour la première fois de son histoire, Mediapart a fait face à une tentative de perquisition. Comme il en avait la possibilité, le journal en ligne a refusé cet acte judiciaire. Depuis lundi, une trentaine de sociétés de journalistes ont apporté leur soutien à Mediapart en déclarant notamment que la perquisition qui avait visé le site fondé par Edwy Plenel « constitue une tentative particulièrement inquiétante d’attenter au secret de leurs sources. »

5 février 2019

Emmanuel Macron retrouve le charme des pratiques de l’« ancien monde »

macron21

Par Olivier Faye

Le chef de l’Etat renoue avec le terrain, mais aussi avec le contact direct avec les journalistes, qu’il avait jusqu’ici maintenus à distance. Et n’exclut pas de toucher au non-cumul des mandats.

En astronomie, le propre d’une révolution pour un corps céleste est de repasser à son point de départ. Il peut en être de même en politique. Pendant sa campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron, auteur du livre Révolution (XO, 2016), se campait ainsi en « outsider » du « système » politique, qui allait impulser un « renouvellement des pratiques ».

Fini le « président de l’anecdote » que représentait à ses yeux François Hollande, place au « président du temps long », comme il le promettait dans un entretien au Monde, le 4 avril 2017. Finis, aussi, ces échanges informels à tout bout de champ avec les journalistes qu’affectionnait son ancien mentor, devenu contre-modèle.

« Je veux tourner deux pages. La page des cinq dernières années et la page des vingt dernières années », ambitionnait alors l’ancien ministre de l’économie. Las, son impopularité tenace et la crise des « gilets jaunes » le contraignent, presque deux ans plus tard, à revoir certaines de ces aspirations pour revenir à des méthodes plus « classiques ».

Exercice inédit

Jeudi 31 janvier, le président de la République a reçu à l’Elysée, pendant près de deux heures trente, six journalistes de différents médias nationaux pour leur exposer sa vision des choses. L’exercice, courant chez la plupart de ses prédécesseurs, était inédit pour celui qui a longtemps revendiqué tenir la presse à distance. « J’étais halluciné de le voir recevoir les éditorialistes, souffle un poids lourd de la majorité. Lui qui a passé son temps à taper sur François Hollande car il parlait trop aux journalistes… »

Le 27 janvier, déjà, M. Macron avait longuement évoqué les sujets de politique nationale avec la presse en marge de son déplacement officiel au Caire. Depuis le début de son quinquennat, pourtant, le chef de l’Etat s’était fixé comme règle de ne jamais parler de politique intérieure depuis l’étranger. « Le président s’exprime dès lors que sa parole est utile », justifie-t-on aujourd’hui à l’Elysée.

Au-delà de la forme, ce rendez-vous du 31 janvier avec la presse a été l’occasion de passer plusieurs messages, notamment sur le fonctionnement des médias en France. « Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’Etat doit financer, a estimé le locataire de l’Elysée. Il faut financer des structures qui assurent la neutralité. » Face à la propagation des « fake news », il a évoqué la possibilité que « la vérification de l’information » soit soutenue par « une forme de subvention publique assumée ».

Soucieux de la vie des rédactions, donc, le président de la République s’est aussi montré attentif à « la vie des gens ». « C’est un sujet présidentiel », a-t-il estimé, citant l’exemple de la réforme de l’Etat avec ces fonctionnaires trop affairés à leurs bureaux et « pas assez au guichet ». Une implication de tous les instants rendue nécessaire par le rythme effréné du quinquennat – Nicolas Sarkozy et François Hollande l’ont éprouvé en leur temps –, mais qui va à rebours de la manière dont le candidat Macron imaginait la fonction. « A partir du moment où le président devient le débiteur des actions du quotidien, d’ajustements, comme cela s’est passé sous les précédents quinquennats, il s’affaiblit. De manière colossale », estimait-il auprès du Monde, le 4 avril 2017.

Reprendre la main

« C’est une période de transition car la cellule de communication de l’Elysée est en train d’être réorganisée, note le communicant Robert Zarader, qui a conseillé François Hollande avant de soutenir M. Macron. Il a décidé de reprendre la main en direct sur un certain nombre de sujets : les élus locaux, les médias, pour préparer la sortie du grand débat national. » En parallèle de ses rencontres avec les maires, le chef de l’Etat doit en effet recevoir tout au long de la semaine l’ensemble des présidents de groupes parlementaires dans le cadre de consultations menées sur le grand débat.

Le premier ministre, Edouard Philippe, doit pour sa part s’entretenir avec syndicats et associations. Des acteurs qui ont souvent regretté depuis le début du quinquennat de ne pas être assez consultés. « Emmanuel Macron est en campagne, dénonce Boris Vallaud, député PS des Landes et ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée durant le quinquennat de M. Hollande. Il parle à la presse, aux maires, mais si ce débat finit simplement en grand monologue du président de la République face à différents interlocuteurs, ce ne sera qu’une tentative de remise en selle sans rien changer au fond de sa politique. »

Il est un point sur lequel une marche arrière semble en tout cas possible : le cumul des mandats, que François Hollande avait strictement limité. Sur France Inter, le 30 janvier, Edouard Philippe a jugé pas « incompatible » le cumul éventuel entre un mandat de maire d’une petite commune et celui de parlementaire. « Si le maire d’un village était sénateur, je ne vois pas où serait le problème, explique un proche du premier ministre. D’ailleurs, je le pense aussi pour le maire de Marseille. Mais c’est une question posée seulement par les élus ou les parlementaires, je ne crois pas que ce soit une priorité. »

La porte semble néanmoins ouverte à des aménagements à la suite du grand débat. « Le Sénat est par nature une chambre de représentations des territoires, mais la question se pose pour les députés », précise-t-on à l’Elysée. Dans l’entourage de M. Macron, on plaide en faveur d’une double « réflexion ». « Sur l’organisation du temps parlementaire », d’un côté, « de manière à libérer du temps pour être en circonscription », et de l’autre « sur le cumul des mandats, en respectant l’esprit de la loi, qui est de considérer qu’on ne peut pas être maire d’une grande ville et parlementaire ». Le temps où certains députés marcheurs se voyaient comme des législateurs qui n’ont pas vocation à s’investir sur le terrain local semble révolu.

Un visiteur du soir de l’Elysée, qui a connu plusieurs présidents, raillait ces dernières semaines la prétention de la macronie à inventer un « nouveau monde » politique : « Depuis Aristote, Cicéron, Machiavel, tout a été écrit sur l’exercice du pouvoir. Si Emmanuel Macron croit encore à sa théorie du nouveau monde, il devrait les lire. » En somme, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

4 février 2019

Affaire Benalla - MEDIAPART

4 février 2019

Mon idée pour la France : « Un “préférendum” plutôt qu’un référendum »

Par Collectif

« Le Monde » a demandé à des contributeurs de tous horizons de proposer, chaque jour, une idée pour changer la France. Les membres de l’association « Mieux voter » expliquent l’importance de la préparation en amont des questions posées pour un véritable référendum.

La création d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) a émergé comme une revendication phare des « gilets jaunes » pour permettre de révoquer des élus, de proposer et d’abroger une loi, ou de modifier la Constitution. Passionnément commenté dans le débat public, le RIC dérange et ravive la tension entre la démocratie représentative et la démocratie directe. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent des risques de dérive autoritaire d’un instrument de consultation populaire hautement manipulable et otage de l’affect des « foules ».

Les reproches faits au référendum sont en partie fondés. Sa logique binaire, « oui » ou « non », peut engendrer une polarisation excessive et nocive de l’électorat. A l’heure des « fake news » et des réseaux sociaux, elle rend aussi les campagnes référendaires plus vulnérables vis-à-vis des manipulations massives. D’autre part, s’il a le mérite de clore la discussion, le référendum peut paradoxalement devenir embarrassant pour la démocratie quand, par sa tournure définitive et tranchante, il gêne la suite du débat public. Si le référendum n’est pas l’outil miracle pour refonder la démocratie, alors que faire ?

Un usage encadré

Quels que soient les risques associés au référendum, aucun d’entre eux n’est insurmontable si son usage est encadré. Et si beaucoup a été dit sur la nécessité d’organiser la délibération collective autour du référendum, rien n’a été imaginé quant aux modalités du vote lui-même. Or, ce point est capital. Le référendum, des citoyens ou des élus, pourrait prendre une tout autre tournure et devenir un outil de pacification et de construction du consensus, s’il pouvait être pratiqué avec « le jugement majoritaire », une méthode qui permet aux électeurs d’évaluer les différentes options soumises au vote plutôt que de dire « oui » ou « non ».

Plus question de logique binaire et réductrice : il s’agirait d’évaluer un ensemble d’options alternatives soumises au référendum, à l’aide des fameuses mentions prévues par le jugement majoritaire (« excellent », « bien », « passable », « insuffisant », « à rejeter »). La délibération en amont du référendum en serait profondément transformée et moins sujette aux phénomènes de polarisation excessive de l’opinion et de manipulation. La votation référendaire donnerait une image claire de l’état de l’opinion sur une question donnée, dans toutes ses nuances.

Concrètement, plutôt que de demander à la population si elle est « pour » ou « contre » une taxe sur les carburants, on lui demanderait d’exprimer son opinion sur plusieurs manières de taxer le carburant et l’énergie, qu’elle devrait chacune évaluer (« Que pensez-vous d’une taxe sur le carburant des seules voitures ? » « D’une taxe sur le kérosène des avions ? » « D’une redistribution intégrale des recettes aux ménages ou d’un investissement dans la transition écologique ? » etc.). Avec le jugement majoritaire, le référendum se transforme en « préférendum ».

Mieux associer les citoyens

À l’échelle locale, les votes citoyens au jugement majoritaire trouveraient également toute leur place, pour réaliser des consultations citoyennes, des référendums locaux ou des budgets participatifs. Pour l’aménagement du territoire aussi, la possibilité d’organiser des RIC au jugement majoritaire améliorerait radicalement le processus de réflexion et de concertation en amont alors que, partout en France, des projets d’aménagements soulèvent des oppositions farouches dont certaines basculent en conflits ouverts, comme à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou Sivens (Tarn), bientôt à la Montagne d’or en Guyane ou à Europacity dans le Val-d’Oise.

Il y a fort à parier que, si les citoyens étaient plus et mieux associés à l’aménagement de leur espace de vie, l’intelligence collective et la rigueur démocratique permettraient de parvenir à des projets acceptés par tous. A l’échelle communale, régionale et nationale, des pratiques de démocratie participative et directe doivent être inventées pour recréer du commun et mettre un terme à la verticalité de nos institutions. Un référendum amélioré, s’il venait à être appliqué, pourrait ouvrir la voie vers une démocratie en phase avec notre société et ses aspirations, une démocratie à la hauteur des enjeux du XXIe siècle.

Chloé Ridel, Rida Laraki, Paloma Moritz et les membres du collectif « Mieux voter ».
« Votre idée pour la France » : pour nous adresser une contribution, écrivez-nous à opinions@lemonde.fr. Votre texte ne doit pas dépasser 4 000 signes et être centré sur une proposition concrète. Notre équipe « Débats » publiera une sélection de ces contributions.

Agathe Dahyot / Le Monde

Publicité
3 février 2019

Les « premiers de cordée » à l’heure des « gilets jaunes »

gj22

Texte de Louise Couvelaire

« Le Monde » a rencontré une catégorie de la population discrète en temps de crise sociale : les très riches

TÉMOIGNAGES

Ils sont l’objet de toutes les colères, de toutes les indignations, de toutes les revendications. Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », sur les ronds-points, « les riches » sont au cœur du débat. « Macron, le président des riches », « les cadeaux fiscaux faits aux riches », « Rends l’ISF » (impôt de solidarité sur la fortune)… Si les entreprises et leurs dirigeants ne sont pas la cible première des manifestants – seules les banques se sont parfois retrouvées en ligne de mire –, les plus nantis, individuellement, incarnent les dysfonctionnements d’une politique jugée injuste et d’un système de plus en plus inégalitaire.

Entrepreneur, gestionnaire d’un fonds d’investissement, grand patron, chef d’entreprise, important propriétaire immobilier, rentier… Ils ont entre 45 ans et 80 ans, et se savent peu audibles en période de crise sociale. Ils ont cependant accepté de s’exprimer en requérant l’anonymat. Quel regard portent-ils sur les « gilets jaunes » ? Comment jugent-ils la politique fiscale d’Emmanuel Macron ? A-t-elle modifié leurs comportements financiers ?

« Les riches aussi “déconnent” »

Ce petit échantillon de « premiers de cordée » a en commun d’avoir une fortune conséquente (plusieurs dizaines de millions d’euros pour certains) et d’être de fervents partisans du chef de l’Etat, même s’il leur arrive d’être critiques. De ce président « à l’évidence inexpérimenté », ils disent qu’il « va dans le bon sens » et que « ce qu’il veut faire est exceptionnel », malgré les « faux pas ». « Il exerce mal le pouvoir, dit l’un, grand patron à la tête d’un groupe qui compte 100 000 salariés et réalise un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros. Quelle maladresse politique de parler de suppression de l’ISF ! Il fallait parler de réaménagement. »

« En s’attaquant aux automobilistes et donc aux moins favorisés, il a fait une sacrée connerie », lance un autre, important propriétaire immobilier dont le patrimoine s’élève à 20 millions d’euros. « Il manque cruellement de pédagogie », regrette un troisième, aux commandes d’un fonds d’investissement de « private equity » (développement et rachats de sociétés non cotées). Et d’ajouter : « Exil fiscal, optimisations fiscales… Les riches aussi “déconnent”, il aurait pu le dire ! » Tous jugent la politique fiscale du président « indiscutablement très favorable aux gens riches », mais pas forcément aussi efficace qu’elle pourrait l’être.

Les « gilets jaunes » ? Des « victimes de la mondialisation » avant d’être des « victimes » d’Emmanuel Macron, estime cette poignée de vainqueurs de l’économie mondiale. Un mouvement social « légitime » aussi, auquel ils apportent « tout leur soutien », répondent-ils comme un seul homme. Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, ils portent un regard plutôt bienveillant à leur égard. Du moins jusqu’à un certain point, précisent-ils. « Autant leurs revendications de départ étaient pleinement justifiées, autant la violence et le noyautage par les extrêmes ne sont pas acceptables », résume l’un d’eux.

S’ils partagent avec les manifestants la conviction que l’Etat doit réduire sensiblement son train de vie (à propos d’une meilleure maîtrise des dépenses budgétaires), la plupart tiennent à souligner les « solidarités françaises exceptionnelles ». Et de citer l’étude publiée par l’OCDE le 23 janvier qui place la France en tête des pays riches les plus généreux en matière de dépenses sociales (31,2 % du produit intérieur brut, PIB). Aucun, en revanche, ne mentionne les rapports faisant état des inégalités de richesse qui se creusent.

Emmanuel Macron n’a cessé de le marteler : l’ISF a été supprimé pour être transformé en « impôt sur la fortune immobilière » (IFI), un impôt axé sur les seuls patrimoines immobiliers nets taxables de plus de 1,3 million d’euros, afin de relancer l’investissement dans les entreprises françaises et de favoriser ainsi la création d’emplois. Même objectif avec l’instauration de la « flat tax » de 30 % sur les revenus du capital (dividendes, intérêts, plus-values mobilières).

« Dans les faits, ça n’est pas tout à fait comme ça que ça se passe… En tout cas, pas d’après ce que je peux voir », constate Edouard, 51 ans, à la tête du fonds d’investissement. Il ne s’en cache pas : il n’a « rien réinvesti ni embauché personne grâce à l’argent conservé ». « Macron nous a simplement rendu du pouvoir d’achat, dit-il. Cet argent, j’en profite, je le dépense. »« Grâce à la somme préservée – environ 50 000 euros –, je me suis offert plus de voyages en famille », abonde Grégoire, entrepreneur à succès de 45 ans.

Pour Patrick, aux manettes de la société transmise par son père, forte de 1 600 salariés et de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, la suppression de l’ISF profite à son entreprise plutôt qu’à lui-même : « Auparavant, il nous arrivait de verser des dividendes aux actionnaires juste pour qu’ils puissent payer leur ISF, et ce, même lorsque l’entreprise allait mal. » Il se félicite désormais de réinvestir cet argent dans l’entreprise familiale au lieu de le distribuer. « Macron n’est pas pro-riches, il est pro-business, poursuit-il. Avec l’ISF, en pensant taper sur les riches, on tape en réalité sur les entreprises. » « Mieux vaut taxer davantage les hauts revenus ! », suggère-t-il.

Cette rétribution des fonds ne change cependant rien à l’équation finale, selon le grand patron aux 100 000 salariés. « Ce qui est laissé à la main des riches ne sera réinvesti qu’à la marge », assure-t-il. A ses yeux, l’essentiel de cette mesure est ailleurs, dans l’opinion des milieux économiques mondiaux. « Ce qui est en jeu, c’est l’attractivité de la France, assure-t-il. L’ISF est mondialement perçu comme une mesure hostile à l’idée même de la réussite. Il s’agit donc avant tout d’envoyer un signal fort aux investisseurs étrangers. »

« On est peut-être trop gâtés »

Avec l’IFI, l’exécutif a choisi de maintenir l’imposition sur le « capitalisme dormant ». Un parti pris que les premiers concernés semblent avoir accepté. Comme en témoigne la réaction de l’important propriétaire immobilier, qui n’a donc pas été exonéré : « Je suis fondamentalement opposé à l’ISF et ça ne me fait pas plaisir de le dire, mais je comprends pourquoi je reste soumis à cet impôt exceptionnel : je ne crée pas d’emplois. Le revers de la médaille de cette distinction entre un capital productif et un autre qui ne le serait pas est que cela profite aussi aux éléments les moins “vertueux” de l’économie. »

Cela fait sept ans que Christophe, 49 ans, habite à l’étranger, avec sa femme et ses trois enfants, dans un pays où l’impôt est quasi inexistant. De son propre aveu, il répond à la définition du rentier : il vit des revenus de son capital (en grande partie hérité de sa famille), sans travailler. La suppression de l’ISF et l’instauration de la « flat tax » ? « Des mesures bien trop timides pour me faire rentrer », assure-t-il.

C’était pourtant l’un des objectifs de cette politique : encourager le retour des exilés fiscaux. « Je ne suis pas parti pour des raisons fiscales mais pour monter un business, explique-t-il. En revanche, je ne reviens pas en grande partie à cause de la fiscalité française, beaucoup trop aléatoire. Le mouvement des “gilets jaunes” ne fait que renforcer le sentiment d’instabilité fiscale que les Français exilés autour de moi redoutent. » Un constat que partage le grand patron. Il affirme que « tous ceuxqui s’emmerdent sur leur tas d’or à Uccle [commune belge de la région de Bruxelles-Capitale connue pour accueillir de nombreux exilés fiscaux]» ont mis en attente leur projet de retour. En revanche, assurent les deux hommes, ces mesures ont empêché certains candidats au départ de passer à l’acte.

Avec six créations d’entreprises à son actif, Grégoire est l’image de la « start-up nation » que le chef de l’Etat appelle de ses vœux. Ce qui le préoccupe aujourd’hui, ce sont « les cadeaux accordés aux entreprises sans contrepartie ». « Là, on est peut-être un peu trop gâtés », concède-t-il. Il fait référence à l’une des mesures-phares du programme d’Emmanuel Macron : la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33,3 % à 25 % en 2022.

« Les dés sont pipés »

« S’il compte sur la seule bonne volonté des dirigeants, il ne va pas aller loin, prédit-il. Rien ne garantit que je ne vais pas mettre cet argent dans ma poche. L’Etat aurait pu indexer ces baisses à l’utilisation que je fais de cet argent préservé. Si j’embauche, si j’augmente mes salariés, si je distribue des primes ou si je réinvestis dans ma société, alors mes impôts baissent. Sinon, ils ne baissent pas. » Une vision que partage cet autre homme d’affaires international, qui reste persuadé que la « sortie de crise » « ne pourra se faire sans l’entreprise » : «Seul, le gouvernement n’y arrivera pas. En France, il existe une solidarité d’Etat, mais pas assez de solidarité d’entreprise ».

Le jeune homme a par ailleurs décidé de donner « quasiment tout » de son vivant à des œuvres. S’il est le seul de l’échantillon à aller aussi loin, la plupart ont exprimé la volonté d’éviter de faire de leurs enfants des « branleurs », des « tocards », des « fainéants » ou des « débiles qui vont tout cramer sans jamais créer de valeur ». La façon d’y parvenir n’est pas toujours très aboutie, mais ils se montrent unanimement favorables à des « droits de succession forts passé certains montants ». « Qu’on vous pique plus quand vous êtes très riche, ça n’est pas choquant », dit le grand patron. « Avec leur éducation, leur statut social, leurs acquis… Mes enfants ont déjà des dizaines de longueurs d’avance sur les autres, dit Grégoire. Les dés sont pipés dès le départ, inutile de creuser encore davantage ces inégalités en leur laissant des fortunes. »

Cet impôt est pourtant le plus impopulaire de France, avec 82 % des Français qui le jugent illégitime, selon un sondage de l’Ifop paru en octobre 2018. « Quand on a trimé toute sa vie pour s’offrir un pavillon que l’on veut transmettre à ses enfants, c’est normal qu’on puisse le faire, estime le propriétaire immobilier. En revanche, pour les tranches très hautes, s’il faut vendre un bien parmi d’autres pour payer les droits de succession, ça me paraît justifié. »

2 février 2019

Alexandre Benalla a "un sentiment d'impunité hallucinant", estime le journaliste Fabrice Arfi

Le journaliste, coauteur d'une nouvelle enquête sur l'ex-chargé de mission à l'Elysée publiée sur Mediapart, était l'invité de "C à vous", jeudi sur France 5.

Il évoque des enregistrements qui sont "le substrat même du sentiment d’impunité". Le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi était l'invité de l'émission "C à vous", sur France 5, jeudi 31 janvier. L'occasion, pour le reporter, de revenir sur une nouvelle enquête qu'il a cosignée pour le site, au sujet de l'ancien chargé de mission à l'Elysée Alexandre Benalla.

Dans cette longue enquête, Mediapart révèle des enregistrements sonores d'une rencontre entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, l'ancien chargé de sécurité de La République en marche. Les deux hommes se sont rencontrés le 26 juillet 2018, soit quatre jours après leur mise en examen entre autres pour "violences en réunion". Alexandre Benalla et Vincent Crase ont été filmés en train d'interpeller violemment un couple de manifestants, le 1er mai à Paris. Leur rencontre du 26 juillet est ainsi illégale, car elle enfreint leur contrôle judiciaire.

"Il prend avec légèreté les faits qui lui sont reprochés"

Pour Fabrice Arfi, ces enregistrements sont avant tout révélateurs d'"un sentiment d’impunité hallucinant d’Alexandre Benalla". Ce dernier, selon le journaliste, "prend avec une légèreté confondante les faits qui lui sont reprochés pour le 1er mai". "Les deux hommes vont quand même discuter d’aller discrètement dans les locaux de la République en marche pour faire le ménage, s’il devait y avoir une perquisition de la police", évoque ainsi Fabrice Arfi.

Dans cette discussion avec Vincent Crase, Alexandre Benalla affirme également qu'il a tout le soutien du chef de l'Etat, Emmanuel Macron. Il cite ainsi un texto du président, qui lui aurait écrit : "Tu vas les bouffer. Tu es plus fort qu'eux, c’est pour ça que je t'avais auprès de moi." Interrogé sur ces enregistrements, Fabrice Arfi assure qu'ils remettent clairement en cause la position de l'Elysée. "Le président de la République a dit qu’il n’avait plus eu de relations (avec Alexandre Benalla)", rappelle-t-il. "On voit bien, à la faveur de ce qui est dit là (...) que ce qui en ressort vient percuter les déclarations de l’Elysée."

1 février 2019

Le sparadrap Benalla

benalla382

Voilà un feuilleton dont Emmanuel Macron se serait volontiers passé. Alors que le chef de l’Etat a plutôt réussi le lancement du Grand débat (dans lequel il mouille vraiment sa chemise) et, même si la crise des Gilets jaunes n’est pas terminée, qu’il retrouve un peu d’oxygène dans les sondages, les nouvelles révélations sur Alexandre Benalla viennent tout gâcher (ou presque). Les enregistrements dévoilés par Mediapart confirment que l’ancien conseiller de Macron est complètement irresponsable. Et visiblement, il ne se gêne pas pour charger son ancien « patron » qui, tout au moins à le croire, lui aurait même envoyé ce SMS : « Tu vas les bouffer. T’es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’avais auprès de moi ». Véridique, ou juste de l’esbroufe ? Peu importe, au fond, mais l’effet est forcément ravageur. Macron promet désormais de surveiller ses « petites phrases ». Ce serait effectivement préférable, mais même si c’est bien le cas - et cela reste à prouver -, il devra encore gérer celles qu’il a déjà prononcées et les textos déjà envoyés, connus ou encore à découvrir. Pour reprendre le titre d’un livre devenu fameux, et qui a coûté très cher à François Hollande : « Un président ne devrait pas dire ça »… ni le « textoter ».   Le Parisien        

1 février 2019

«Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre»...

gilets foulards

«Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre»... Emmanuel Macron ironise sur la place accordée aux «gilets jaunes»

Le chef de l’Etat a également promis qu’il ferait désormais « très attention » à ses « petits phrases », qui ont, selon lui, nourri « un procès en humiliation »

Emmanuel Macron n’est pas un grand fan des chaînes d’information en continue et l’a fait savoir. Lors d’une rencontre à l’Elysée avec une poignée de journaliste, le chef de l’Etat a critiqué ces médias, où « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député ! », ont rapporté plusieurs médias, ce jeudi.

A sa manière, il a évoqué la représentation et le statut accordé, par les chaînes d'information en continu, à certains « gilets jaunes ». « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député », a-t-il déploré, en faisant référence aux figures du mouvement, comme Eric Drouet, Priscillia Ludosky ou Jacline Mouraud, entre autres, invités des dizaines de fois sur les plateaux depuis le début de la mobilisation des « gilets jaunes ». Et pour le président de la République, l’autre problème des chaînes d’information, ce sont « leurs commentaires continus ».

« J’ai beaucoup appris de ces vingt mois. Ça m’a scarifié »

Si cette nouvelle déclaration risque de susciter son lot de réactions, le chef de l’Etat a également déclaré aux journalistes qu’il ferait désormais « très attention » à ses « petits phrases », qui ont, selon lui, nourri « un procès en humiliation ». Les « Gaulois réfractaires », les « gens qui ne sont rien », le « pognon de dingue », et d'autres… Depuis son élection, Emmanuel Macron a dû s’expliquer plusieurs fois sur certaines de ses déclarations.

 « Cela suppose une conversion personnelle », a-t-il dit, jugeant que « dans le système où nous vivons, cette franchise n’est peut-être plus possible ». Et même si son intention était de faire preuve de sincérité, son « statut de président rend sans doute cette parole asymétrique », a-t-il reconnu. « J’ai beaucoup appris de ces vingt mois. Ça m’a scarifié », a-t-il déclaré. 

1 février 2019

Affaire Benalla

Publicité
Publicité