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Jours tranquilles à Paris
11 novembre 2019

Rappel - Exposition

mourthe

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7 novembre 2019

Design : quand Cuba affichait ses couleurs pop

Par Anne-Lise Carlo

Tracts de soutien au Black Panther, posters à l’effigie du Che, affiches de cinéma... Dans les années 1960-70, les designers cubains érigent l’affiche en art décoratif et politique. Une école graphique à découvrir à travers deux expositions, à Paris et à Londres.

Il aura fallu attendre les soixante ans de la révolution cubaine pour exhumer ces trésors colorés des collections du Musée des arts décoratifs (MAD). Plus de 300 affiches cubaines stockées là depuis des années, grâce à une donation de 1979, que la conservatrice en chef Amélie Gastaut a fait resurgir pour raconter en images l’âge d’or graphique de l’île, des années 1960 et 1970. Intitulée sobrement « Affiches cubaines. Révolution et cinéma », l’exposition raconte une ébullition graphique haute en couleurs, qui va bien au-delà des seuls portraits des leaders révolutionnaires Che Guevara et Fidel Castro. « Longtemps méconnue en raison du blocus isolant l’île, cette école stylistique cubaine commence tout juste à sortir du huis clos dans lequel elle s’est pourtant construite », explique Amélie Gastaut.

Ainsi, en résonance avec le MAD, la Maison de l’illustration de Londres expose dans « Designed in Cuba : Cold War Graphics » la collection privée, patiemment amassée, de l’Anglais Mike Stanfield. Ce dernier se rend pour la première fois sur l’île en 1996 alors qu’il participe à une mission d’études sur les mammifères marins dans les Caraïbes. Dans une librairie située sur la Plaza de Armas à La Havane, il tombe sur une affiche de l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAAL). Fondée depuis La Havane en 1966 avec à sa tête Fidel Castro, l’organisation produit des centaines d’affiches et de magazines, exprimant la solidarité avec le mouvement Black Panther aux Etats-Unis, condamnant l’apartheid en Afrique du Sud et la guerre du Vietnam, et célébrant les icônes révolutionnaires de l’Amérique latine.

A l’origine distribuées gratuitement par milliers, les affiches de l’OSPAAAL sont aujourd’hui rares et recherchées. « La toute première sur laquelle tombe Mike Stanfield commémorait la résistance cubaine à l’invasion de la baie des Cochons par des opposants au régime de Castro, soutenus par les Etats-Unis », confie Olivia Ahmad, curatrice de l’exposition britannique. Plus de 170 productions graphiques, elles non plus jamais exposées jusque-là, sont ainsi présentées à Londres.

« Jusqu’en 1959, date de l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir, l’affiche cubaine était essentiellement commerciale, vantant la consommation de produits d’importation, avec comme modèle la publicité américaine. Mais pendant la période révolutionnaire, tout change. En 1961, sous l’impulsion de Che Guevara alors ministre de l’industrie qui interdit la publicité, l’affiche devient alors à visée politique, sociale et culturelle », explique Amélie Gastaut.

Ce qui frappe dans les deux expositions, c’est la variété des styles. On découvre ainsi le travail majeur du graphiste Alfredo Rostgaard, ancien directeur artistique de l’OSPAAAL et de ses publications, et ses célèbres affiches aux couleurs psychédéliques avec un Che iconique ou le président américain Nixon grimé en vampire. Beaucoup de graphistes cubains puiseront leur inspiration dans la tradition européenne de l’affiche illustrée ou dans le pop art. A la différence de nombreux pays communistes, où l’affiche ne doit obéir qu’au diktat esthétique du réalisme socialiste, Fidel Castro autorise une liberté créative sur le plan formel. Ce média de la rue, qui parle au plus grand nombre, plaît au dirigeant communiste. « Les graphistes ont témoigné qu’ils bénéficiaient à l’époque d’une “liberté totale” en termes de création et que l’expérimentation esthétique était même nourrie et encouragée », rapporte la curatrice anglaise Olivia Ahmad, qui a rencontré sur place les survivants de cette génération de designers.

La figure de Charlie Chaplin

Dans les années 1960 toujours, le graphiste cubain Felix Beltran, venu de la publicité et passé un temps par New York, casse les codes locaux avec une esthétique plus minimale et fonctionnaliste : deux couleurs, des formes géométriques simplifiées et une accroche très directe. Comme dans cette affiche destinée à une campagne pour l’économie d’énergie, comportant un seul mot, « CLIK », écrit en lettres capitales jaunes sur un fond uni bleu. Un style épuré assumé par Beltran mais lié aussi aux effets de la pénurie imposée par le blocus : le manque de matériel, d’encre et de papier oblige les graphistes cubains à redoubler d’imagination pour poursuivre leur travail. « Ces designers ont su transformer leurs restrictions matérielles en opportunités créatives. Ce sont des principes précieux qui continuent d’inspirer les designers contemporains travaillant à Cuba et ailleurs », estime Olivia Ahmad.

Au-delà des messages purement politiques, l’exposition du MAD accorde aussi une large place aux affiches de cinéma. Une fois au pouvoir, Fidel Castro désigne ainsi le 7e art comme l’un des principaux outils pour mener sa politique culturelle et éducative. Ce puissant vecteur populaire doit aussi lui servir à promouvoir et légitimer le régime dans les 600 salles que compte le territoire cubain, terre cinéphile. « Dès sa fondation en 1959 et jusqu’à la fin des années 1970, l’Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques (ICAIC) devient le plus important commanditaire d’affiches. S’échappant des affiches de cinéma traditionnelles qui représentent plutôt l’acteur principal ou une scène du film, le modèle cubain est une interprétation libre du film par le dessinateur », explique la conservatrice Amélie Gastaut.

Ainsi, le graphiste Eduardo Munoz Bachs fait du Charlot de Charlie Chaplin un personnage récurrent de ces affiches. Cette figure d’exilé pauvre et victime de la politique américaine inspire l’artiste autodidacte d’origine espagnole installé à Cuba pour fuir le fascisme. Reste que certains de ces affichistes seront eux aussi menacés par la politique menée par Fidel Castro. Ce fut le cas du graphiste Antonio Fernandez Reboiro qui, persécuté pour son homosexualité, s’exilera en Europe en 1982. Ses affiches de cinéma, qu’il transforme en énigmes visuelles, surréalistes et colorées, ont elles aussi marqué leur époque.

A Londres, les commissaires ont choisi de consacrer un éclairage particulier aux femmes graphistes qui ont œuvré pour l’OSPAAAL, telles Daisy Garcia, Helena Serrano et Gladys Acosta Avila. Moins identifiées que leurs alter ego masculins, avec des collaborations plus ponctuelles, elles ont pourtant produit des œuvres aussi connues. Comme ce portrait emblématique du Che Guevara qu’Helena Serrano réalise en 1968 : « Cette femme travaillait pour le comité de propagande du gouvernement cubain mais elle avait été plus spécialement invitée à concevoir un poster OSPAAAL pour marquer le “Jour de la guérilla héroïque” en 1968, le premier anniversaire de la mort du Che. Elle a utilisé une image polarisée de Guevara comme point central et l’a posée au-dessus de l’Amérique du Sud. Elle a ensuite créé une série de cadres pour arriver à un effet d’optique éblouissant. Elle a peint le motif à la main via plusieurs couches de gouache, puis l’a imprimé à La Havane sur une presse offset », explique Olivia Ahmad. Alors que cette affiche reste la seule conception d’Helena Serrano pour l’OSPAAAL, elle est sans doute la plus emblématique de l’organisation, bien au-delà des frontières cubaines.

« Affiches cubaines. Révolution et cinéma 1959-2019 », au Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris 1er. Jusqu’au 2 février 2020.

« Designed in Cuba : Cold War Graphics », House of Illustration, 2 Granary Square, King’s Cross, London. Jusqu’au 19 janvier 2020.

5 novembre 2019

Christophe Mourthé

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5 novembre 2019

Le Musée de l’Orangerie et Time Out vous plongent dans le Paris des anarchistes

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Après un passage remarqué au musée du Quai Branly, le sulfureux Félix Fénéon est aujourd’hui mis à l’honneur au musée de l’Orangerie pour l’expo Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse. Vous n’êtes pas encore familier de cet artiste inclassable, amoureux des arts lointains ? Pas de stress ! Time Out et l’Orangerie vous ont concocté une Curieuse Nocturne explosive le 7 novembre. Au programme : expo, speakeasy revisité, théâtre et DJ set venu d’ailleurs.

Le temps d’une soirée, le musée de l’Orangerie nous envoient en 1894, dans un Paname secoué par la vague anarchiste, où les artistes s’affranchissent et les langues des érudits se délient. La star de cette époque révolue est un certain Félix Fénéon, collectionneur, écrivain et anarchiste convaincu semblant tout droit sorti d’un film de Wes Anderson. Ayant largement contribué à importer en Europe les arts africains et océaniens, ce trublion fait escale au musée de l’Orangerie après avoir fait vibrer les galeries du Quai Branly et avant son étape finale au MoMA de New York.

Personnage fantasque à la plume aiguisée et à l’humour acéré, FF (pour les intimes) a su rassembler au fil des ans une collection éclectique contenant aussi bien des artefacts venus d’ailleurs que des œuvres d’avant-garde allant de Seurat à Modigliani en passant par Matisse et Degas. Et qui de mieux que des médiateurs de l’Ecole du Louvre pour présenter ce corpus aussi riche que singulier ? Vous pourrez ainsi profiter de visites guidées et détaillées jusqu’à 22h30 pour découvrir l’univers de ce voyageur invétéré et amoureux de l’art sous toutes ses formes.

Jouer avec la langue : le marteau et la plume

Doté d’un œil sûr, Fénéon nourrissait aussi une passion pour le verbe, qui sera mise à l’honneur dans un parcours croisant les arts. Première étape : une plongée dans le « Procès des trente » qui, en 1894, mettait les principaux chefs anarchistes français face à la justice. L’association de théâtre de Sciences Po, Rhinocéros, récrée spécialement pour nous cet épisode historique durant lequel Félix Fénéon se démarqua par son sens de la répartie aussi hilarant que cinglant. Mais attention, si vous pensiez qu’écouter les anarchistes serait une partie de plaisir, détrompez-vous. Antisocial, ne perds pas ton sang-froid et ouvre tes yeux et tes oreilles : c’est uniquement grâce à un système de mots de passe circulant pendant toute la soirée que les plus curieux pourront accéder au tribunal.

Et pour se la jouer comme Fénéon, le groupe littéraire Oulipo (fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais en 1960) propose un atelier d’écriture complètement fou dans la lignée du genre inventé par FF himself : « la nouvelle en trois lignes ». À vos crayons !

Let’s get the party started !

Auteur de l’article ultra-polémique « Seront-ils admis au Louvre ? » en 1920, Félix Fénéon s’est toujours placé en défenseur de ce que l’on appelait jadis « les arts lointains ». Et un siècle plus tard, ce n’est pas au Louvre mais bien sous la verrière du musée de l’Orangerie que le collectif Mawimbi vous fera bouger au rythme de leur pop africaine déjanté. Un DJ set qui fera taire tous ceux qui ont une image poussiéreuse des musées et qui offrira une nouvelle lecture à l’ensemble des œuvres. Et puisque chez Time Out, on ne fait pas la fête à moitié, une Curieuse Formule permettra aux danseurs fous de se désaltérer au Café du musée, entre deux chorégraphies endiablées. Arts visuels, théâtre, teuf et distorsion littéraire : on ne pouvait pas rêver d’une soirée plus complète !

Quoi ? Curieuse Nocturne au musée de l’Orangerie

Quand ? Jeudi 7 novembre, de 19h30 à 23h

Où ? Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries 75001 Paris

Combien ? Gratuit ! EVENT FACEBOOK

4 novembre 2019

Quoi de neuf, Matthias Harder? Interview par Nadine Dinter

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Le travail du photographe emblématique Helmut Newton est unique, de renommée mondiale et continue d’être très demandé sur le marché de l’art et dans le monde de l’édition. Pour ce qui est d’exposer et d’interpréter l’œuvre de Newton, personne n’est meilleur que Dr Matthias Harder, conservateur de la Fondation Helmut Newton et, depuis 2019, son directeur. C’est avec avec des anecdotes fascinantes qu’il explique l’approche distincte du photographe combinant nus, portrait et mode, révélant l’influence de l’amour de Newton pour l’art et le cinéma sur son travail, Harder sait comment éduquer et divertir son public.

Né à Kiel en 1965, Harder étudie l’histoire de l’art, l’archéologie classique et la philosophie à Kiel et à Berlin. Il est membre de la Société allemande de la photographie, membre du conseil d’administration du Mois européen de la photographie, collaborateur de magazines internationaux réputés, tels que Art in America, Foam, Aperture, Eikon et Photonews, et a rédigé de nombreux articles pour des livres et catalogues d’exposition.

Après avoir organisé en 2019 une deuxième reprise de la légendaire exposition SUMO (présentée pour la première fois en 2009), le dernier projet de Harder, «Body Performance», ouvrira ses portes à la Fondation Helmut Newton le 29 novembre 2019. Pour la première fois en Allemagne, cette exposition de groupe rassemble des séquences de photos dont les origines proviennent de la performance, de la danse et d’autres manifestations, complétées par une sélection de photographies de rue et de séries de photographies conceptuelles. Les œuvres de Vanessa Beecroft, Yang Fudong, Inez & Vinoodh, Jürgen Klauke, Robert Longo, Robert Mapplethorpe, Helmut Newton, Barbara Probst, Viviane Sassen, Cindy Sherman, Bernd Uhlig et Erwin Wurm seront au rendez-vous.

Entre les deux expositions, nous avons parlé à Harder de l’attrait incessant des photographies de Newton, des objectifs de la Fondation Helmut Newton, ainsi que des défis à relever pour présenter et défendre un travail aussi emblématique pendant plus de dix ans.

Nadine Dinter: Vous travaillez en tant que conservateur de la Fondation Helmut Newton de renommée internationale depuis sa fondation en 2004. Connaissiez-vous Helmut Newton personnellement et comment tout est-il né? Qui vous a présenté et comment avez-vous découvert ce travail de haut niveau?

Matthias Harder: Oui, j’ai rencontré Helmut Newton brièvement lors de l’ouverture de sa rétrospective à la Nouvelle Galerie nationale de Berlin en 2000, puis trois ans plus tard, pendant deux heures dans un hôtel de Berlin, où il m’a parlé de son désir d’établir sa fondation dans sa ville natale. À l’époque, je travaillais comme directeur d’une association artistique près de Hambourg et un de nos amis communs avait mentionné que Newton voulait me rencontrer. À la fin de cette belle rencontre, il m’a demandé si je voulais devenir le conservateur de sa fondation. Bien sûr, j’ai dit oui. Je n’ai pas postulé à une offre d’emploi, c’était le résultat de notre conversation sur la photographie en général.

ND: Comment fonctionne la HNF? Qui décide des expositions? pourquoi et quand une exposition voyage-t-elle et quand se transforme-t-elle en une exposition dite tournante, qui est montrée 10 ans après, comme l’actuelle «Helmut Newton. SUMO ”?

MH: Malheureusement, Helmut Newton est décédé quelques semaines seulement après notre rencontre, mais June, son épouse puis sa veuve, résidant à Monte-Carlo, est devenue le moteur de la création de la fondation à Berlin. Nous avons donc pu ouvrir comme prévu le 3 juin 2004, son anniversaire. Helmut nous avait laissé un petit mot sur ce qu’il voulait faire et montrer, et début juin, elle a décidé des expositions à présenter. Au fil des ans, nous sommes devenus des partenaires dans le processus de prise de décision et, ces dernières années, j’ai planifié seul la programmation. Après une dizaine d’années, certaines des expositions de Newton ont été montrées, renouvelées avec une sélection différente, alors que d’autres se rendent dans des lieux renommés du monde entier. C’est également une partie de mon travail d’escorter les expositions Newton à l’étranger, de décider du choix des œuvres, de l’installation, de rédiger les légendes et textes de présentations, de prendre la parole lors de conférences de presse et de donner des conférences sur Newton et sa fondation. C’est intéressant de voir comment la même exposition peut être complètement différente dans un autre lieu. Jusqu’à présent, nous avons expédié des œuvres de Newton de Berlin vers l’Italie, la Suède, la Hongrie, la Grèce, les Pays-Bas, la France et les États-Unis.

ND: Le 29 novembre, la nouvelle exposition «Body Performance» ouvrira ses portes au HNF. Cindy Sherman, Inez & Vinoodh, Viviane Sassen, Robert Mapplethorpe, Erwin Wurm et Vanessa Beecroft, pour n’en nommer que quelques-uns. Que pouvons-nous attendre de l’exposition et comment le sujet «Performance corporelle» rejoint-il les œuvres d’Helmut Newton, dont les œuvres font également partie de cette exposition de groupe?

MH: Je suis à peu près sûr que cette exposition sera spectaculaire. En organisant une telle exposition de groupe, je commence toujours par Newton et son travail. C’était déjà le cas avec l’énorme et étonnant spectacle des Paparazzi en 2008. En 1970, Newton engagea de vrais Paparazzi pour ses photographies de mode à Rome. Selon son autobiographie, il admirait leur rapidité et leur méchanceté pour saisir le bon moment en photographie. Pour le spectacle «Body Performance», nous avons une source complètement différente. L’une des œuvres relativement inconnues de Newton est sa série de photographies des danseurs du Ballet de Monte-Carlo. Prises pendant de nombreuses années, les photos étaient destinées à être imprimées dans les livrets de programme et les publications spéciales du théâtre, et seuls quelques-uns des motifs avaient été agrandis pour être intégrés à ses propres expositions. Cette série est étonnamment conceptuelle par rapport à ses photographies de chorégraphies de Jan Fabre et Pina Bausch, car ici, Newton a ainsi capturé des actions performatives inattendues en dehors du contexte scénique habituel. S’improvisant metteur en scène de théâtre, il accompagnait les danseurs dans les rues de Monaco, sur les marches derrière le célèbre casino, près d’une sortie de secours du théâtre ou nu chez lui. Cette série inhabituelle de Newton est maintenant complétée par des séquences de photos prises par d’autres grands photographes dont les origines se situent dans les arts de la scène, la danse et d’autres scènes, complétées par une sélection de séries de photographies de rue et de photographies conceptuelles. Focalisées sur le corps humain, les images documentent ou interprètent des performances qui, dans de nombreux cas, ont également été initiées par les photographes eux-mêmes.

ND: Newton est malheureusement décédé il y a 15 ans en 2004. Combien d’images constituent officiellement le «patrimoine de Newton», et comment réussissez-vous continuellement à présenter un nouvel aspect de son travail avec chaque exposition?

MH: Nous avons des milliers de tirages de Newton dans les archives de la fondation. Les unes après les autres, elles ont été entrées dans notre base de données avec toutes les informations sur les tirages, y compris les publications et les expositions. En plus des photographies anciennes et tardives que nous avons reçues de Helmut et June Newton ainsi que de ses galeries, nous avons, au nom du domaine Helmut Newton, imprimé à titre posthume des centaines de photographies pour diverses expositions (pas pour le marché de l’art, bien sûr), tels que Femmes blanches / Nuits blanches / Grands nus, Monde sans hommes, Polaroïds et Fired, pour n’en nommer que quelques-unes. Elles nous permettent de découvrir de nouveaux aspects de son travail extraordinaire et sans égal. Parfois, les expositions sont basés sur les propres publications de Newton et nous avons transféré les tirages sur les murs; parfois, ils abordent un certain sujet ou genre du travail de Newton. Il ya un an, toutes les feuilles de négatifs et de contacts de Helmut Newton et d’Alice Springs ont été transférées dans nos archives de Berlin. C’est une source incroyable pour les futures expositions. Mais nous n’imprimerons ni ne montrerons jamais quoi que ce soit qui n’ait été marqué sur les contacts par Newton ou publié dans un magazine ou ailleurs. En pensant à une nouvelle exposition, il faut d’abord réfléchir au contexte approprié.

 ND: Outre le siège de la fondation à Berlin, des expositions Newton se déplacent dans le monde entier. Quels sont les prochaines expositions présentées à l’étranger?

MH: La rétrospective Thierry Mugler vient d’ouvrir ses portes au Kunsthal de Rotterdam et comprend une salle spéciale Newton. Une petite exposition personnelle a débuté au Centre Modem pour les Arts Modernes et Contemporains à Debrecen, en Hongrie, le 26 octobre 2019. De plus, je prépare une exposition avec José Alvarez sur la collaboration très spéciale entre Yves Saint Laurent et Helmut Newton, qui ouvrira au musée YSL à Marrakech en 2022 et ensuite au musée YSL à Paris. Je travaille également sur une exposition plus grande de Newton sur tous ses genres photographiques à MALBA à Buenos Aires, qui ouvrira début juillet 2020.

ND: Sur le marché international de l’art, seules quelques galeries vendent des œuvres de Newton, telles que Hamiltons et Andrea Caratsch. La plupart de ses images sont en vente dans des maisons de ventes comme Christie’s. Dans le même temps, de fausses œuvres de Newton sont disponibles sur eBay et d’autres plateformes similaires. Comment ces problèmes sont-ils traités et par qui? La fondation a-t-elle une stratégie spécifique pour prévenir de telles falsifications?

 MH: June Newton, la présidente de notre fondation, a décidé il y a quelques années que tous les tirages originaux de Newton ainsi que les éditions signées devraient se trouver à la Fondation Helmut Newton à Berlin – et nous les avons enfin. Vous avez donc raison, il ne reste que quelques œuvres sur le marché de l’art primaire. Mais bientôt, il y aura une salle consacrée à Newton à la Hamiltons Gallery lors du prochain Paris Photo. Et vous pouvez parfois trouver des impressions originales de Newton sur le marché de l’art secondaire. D’autre part, il existe de nombreux contrefaçons, en effet. Juste des numérisations et des impressions médiocres, parfois découpées sur les bords, et avec de fausses signatures recto ou verso, ou seulement le prénom «Helmut» écrit au stylo-feutre. C’est ridicule que les gens paient de l’argent pour cela (même si ce n’est que peu d’argent). En 2007, nous avons envoyé une alerte de contrefaçon à toutes les grandes maisons de vente aux enchères indiquant ces contrefaçons et nous le ferons encore si nécessaire. La plupart des contrefaçons sont proposées lors d’enchères en ligne et il est difficile de suivre toutes les contrefaçons et violations de droits d’auteur. Il est impossible de les empêcher complètement. Mais Helmut Newton n’est pas le seul photographe ou artiste dont les œuvres ont été contrefaites.

ND: En 2020, Helmut Newton aurait eu 100 ans. Qu’est-ce qui est prévu pour célébrer cet anniversaire?

MH: Nous prévoyons d’ouvrir une nouvelle grande rétrospective le 31 octobre 2020 pour son anniversaire. Elle se rendra d’abord au Palazzo Reale de Milan en 2021, puis dans d’autres lieux formidables. L’exposition comprendra de nombreuses «nouvelles» œuvres publié soit dans des magazines tels que le Vogue britannique dans les années 1960 ou le Vogue français dans les années 1970, ainsi que des tirages argentiques ou des images sélectionnées par lui dans ses feuilles de contact. Nous suivons toujours son héritage. L’esposition sera naturellement accompagné d’un livre sur les œuvres. En outre, un film de 90 minutes sur Newton, réalisé par Gero von Boehm, sera diffusé en prime time pour son anniversaire.

ND: Quelle exposition HNF a été la plus réussie à ce jour et pourquoi?

MH: En fait, toutes les expositions que nous avons montées à Berlin et ailleurs ont été très bien reçues, à la fois en termes du nombre de visiteurs et de la couverture de presse. En tant que conservateur responsable, cela me fait plaisir, bien sûr. L’exposition en trois parties avec Mario Testino en 2017 était la plus visitée à Berlin et celle de Newton au Grand Palais en 2012 était la plus réussie à l’étranger, avec environ 3 000 visiteurs par jour.

ND: Quel conseil donneriez-vous à la nouvelle génération de photographes inspirés par le travail de Newton?

MH: C’est toujours bien d’être inspiré par un tel maître, mais en fin de compte, il faut faire ce qu’il faut. Trouvez votre propre style et votre façon de visualiser le monde. Sentir l’esprit du temps, et garder une ouverture d’esprit, travailler dur et étonner nous avec des images authentiques!

ND: Merci beaucoup, Matthias, d’avoir pris le temps de partager vos dernières pensées et nouvelles informations avec nos lecteurs!

Helmut Newton Foundation

Jebensstrasse 2

D – 10623 Berlin, Allemagne

https://helmut-newton-foundation.org/

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4 novembre 2019

Exposition : Marie-Antoinette, icône pop en plein revival artistique à la Conciergerie

Par Philippe-Jean Catinchi

La souveraine guillotinée connaît un regain de popularité auprès des artistes. Quelque 200 œuvres que la reine a inspirées sont exposées jusqu’en janvier 2020 à Paris, dans ce qui fut sa dernière demeure.

Il est peu de personnages historiques dont les légendes concurrentes, noire et dorée, accusent un contraste aussi fort que celles de Marie-Antoinette. Dernière reine de France, l’épouse de Louis XVI incarne à la fois la femme incarcérée au Temple, la mère outragée lors d’une parodie de procès, devenue par sa mort sur l’échafaud une figure de martyr, et la princesse dépensière qui joue à la bergère au Trianon, creuse le déficit des finances publiques et méconnaît la situation réelle du pays jusqu’à être surnommée « Madame Veto », le principal obstacle à la réforme de la monarchie absolue vers la voie constitutionnelle.

Bien avant 1789, Rousseau, dans ses Confessions (dont la première partie a été publiée à titre posthume en 1782) l’évoque sans la nommer : « Je me rappelai le pis-aller d’une grande princesse à qui l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain, et qui répondit : “Qu’ils mangent de la brioche”. » L’image terrible a aidé à en faire l’une des figures les plus caricaturées d’une époque où la férocité en politique ne connaissait pas de limites.

Deux siècles plus tard, la vision de la reine n’a plus guère de rapport avec celles livrées par la guerre, entre propagande monarchiste et stigmatisation révolutionnaire. Si le personnage n’a cessé d’alimenter le monde de l’édition – biographies plus ou moins romancées, portraits à charge ou, à l’inverse, hagiographies –, si, dès les débuts du cinéma, c’est l’une des héroïnes historiques le plus souvent transposées sur grand écran, aujourd’hui Marie-Antoinette semble réinventée depuis que le Japon en a fait une idole.

Variations sur la tête coupée

Et ce, grâce au succès planétaire du manga de la dessinatrice Ikeda Riyoko, La Rose de Versailles (1972), devenu une comédie musicale de la compagnie Takarazuka et adapté en 1979 en série animée sous le titre Lady Oscar (40 épisodes diffusés sur NTV) – l’année même où Jacques Demy en fait un long-métrage qui ne sera diffusé en France qu’après sa mort en février 1997 ! Le revival balaie dès lors les références scrupuleuses pour imposer une vision réinventée de la reine qui s’inspire de quelques images, coiffures extravagantes, toiles emblématiques d’Elisabeth Vigée Le Brun, variations sur la tête coupée, pour en renouveler l’approche sensible.

C’est cette métamorphose que présente, à travers 200 œuvres, l’exposition proposée par la Conciergerie à Paris. On peut s’étonner que le lieu, qui fut l’ultime demeure de Marie-Antoinette, pour les dix dernières semaines de sa vie, n’ait pas jusqu’ici profité de cette opportunité. Mais Antoine de Baecque, au commissariat de cette célébration, joue pleinement de l’endroit, ouvrant l’évocation par ce moment dramatique : l’emprisonnement et sa figuration, les reliques de l’enfermement – soulier, chemises, ceinture, billets et lettre tenue pour testamentaire –, les chefs d’inculpation, le verdict et la marche à la mort. Le crime appelant l’expiation, la victime étant promue au rang de martyre, une nouvelle légende se précise, déprise des fièvres révolutionnaires. La littérature va favoriser l’éclosion d’une perception moins publique, plus individuelle, voire psychologique, de la femme, plus que de la souveraine (des frères Goncourt, en 1858, à Stefan Zweig, en 1932).

Merchandising débridé

Dès lors, les images proposées en regard de la reproduction gigantesque de la Marie-Antoinette à la rose d’Elisabeth Vigée Le Brun (1783) offrent autant de pièces à conviction de ces procès joués dès la Révolution et qui se rejouent devant nous, les caricatures les plus violentes dialoguant avec les scènes édifiantes et les chromos les plus simplistes. Antoine de Baecque, historien du cinéma, a sans surprise privilégié les images animées, offrant un tour d’horizon passionnant des visages de la reine, chez Abel Gance, Jean Renoir, Jean Delannoy et Sacha Guitry, jusqu’à Robert Enrico, Sofia Coppola et Benoît Jacquot.

Le traitement que le merchandising le plus débridé fait aujourd’hui subir à l’image de la reine pourrait rendre futile l’icône réinventée, si ne venaient conjurer cette facilité d’authentiques créateurs, comme la Russe Asya Kozina, le Hollandais Erwin Olaf ou la Japonaise Kimiko Yoshida qui, en plaçant le visage blême de Marie-Antoinette au cœur d’une forêt, tout à la fois écrin et menace, rend la fascination double pour la reine et la victime.

D’une grande richesse, le catalogue de l’exposition propose un autre plan que celui du parcours du musée, partant de la tradition royale bousculée par la jeune reine, pour aborder la reine fantasmée des années révolutionnaires avant d’étudier le culte qui s’installe dès le XIXe siècle, jusqu’à disséquer les images les plus contemporaines qui imposent Marie-Antoinette en icône résolument pop.

« Marie-Antoinette. Métamorphoses d’une image », jusqu’au 26 janvier 2020. La Conciergerie, Paris 1er. Ouvert tous les jours de 9 h 30 à 18 heures, jusqu’à 20 h 30 le mercredi. De 7 à 9 €.

1 novembre 2019

Galerie GADCOLLECTION

vincent fournier

Jusqu’au 3 novembre 2019, la Galerie GADCOLLECTION consacre une exposition à un photographe français, de renommée internationale : Vincent FOURNIER.

Vincent Fournier est un artiste photographe français dont le travail explore les différentes mythologies du Futur : l’aventure spatiale, les architectures utopiques, l’intelligence artificielle, la transformation du vivant…

Vincent FOURNIER est né en 1970 à Ouagadougou au Burkina Faso. Il a d’abord étudié la sociologie et les arts visuels, avant d’être diplômé de l’École Nationale de la Photographie d’Arles en 1997. Ses premiers travaux sont réalisés dans le cadre de commandes pour le cinéma et la publicité.

« Mon travail s’inspire très librement de la part de rêve et de mystère que les utopies scientifiques et technologiques font résonner dans l’imaginaire collectif : les voyages dans l’espace, les architectures utopiques, les robots humanoïdes, la transformation du vivant… »

L’artiste joue avec les frontières entre le réel et l’imaginaire. Cet « entre-deux », qui garde toujours la tension en raison de leur caractère opposé, élargit notre point de vue de manière différente et laisse place à nouvelle interprétation. Nous constatons à travers ses oeuvres, des objets ou des récits qui vont bouleverser notre regard déjà établi et brouiller les frontières : réalité/fiction, science/croyance, passe/futur, visible/invisible, naturel/artificiel etc.

En explorant son « entre-deux », l’artiste présente plusieurs séries photographiques.

Sa série Space Project, débutée en 2007, navigue entre la réalité de la conquête spatiale et les rêves encore utopiques des projets de vols vers Mars. La série a permis à Vincent FOURNIER, d’une part, de traduire par ses photos toute la fascination pour l’espace lointain après avoir parcouru les projets spatiaux de différents pays : USA, Chine, Russie, Israël, Europe… et d’autre part, de visiter de nombreux centres spatiaux, notamment la Mars Society, établie dans le désert de l’Utah en 2000 pour simuler les conditions d’une exploration de Mars.

Plus récemment, Vincent FOURNIER parvient à lier l’artificiel et le naturel dans sa série Post Natural History. Des animaux de fictions y sont présentés à la manière des cabinets de curiosités, faisant dialoguer le passé avec un futur imaginaire qui, avec le recul, semble presque plausible.

Les oeuvres de Vincent Fournier font partie de plusieurs collections, dont le Metropolitan Museum of Art (MET) à New York, le Centre Pompidou à Paris, la Fondation Mast à Bologne, la Collection Dragonfly du Domaine des Etangs à Massignac, la Collection LVMH à Paris avec le Bon Marché, Baccarat Hotel Collection à New-York, Science Gallery à Dublin, le Musée des Ursulines de Mâcon, la Fondation Bullukian à Lyon.

DATES

Octobre 3 (Jeudi) 14 h 00 min - Novembre 3 (Dimanche) 19 h 30 min

LIEU

Galerie GADCOLLECTION

4 Rue du Pont Louis-Philippe 75004 Paris

29 octobre 2019

FIAC jardin des Tuileries

fiac outdoors

28 octobre 2019

Critique - Arts : Toulouse-Lautrec, l’irrévérencieux

lautrec22

Par Harry Bellet

Au Grand Palais, à Paris, une exposition passionnante montre l’inventivité formelle du peintre, indifférent aux conventions et aux classes sociales.

Pourquoi aller au Grand Palais voir ce qu’offre le magnifique Musée Toulouse-Lautrec d’Albi, la file d’attente en moins ? C’est la question qui se posait lors de la dernière rétrospective de l’artiste à Paris, en 1992. Elle n’a pas lieu d’être dans celle-ci. Certes, les prêts d’Albi sont nombreux et généreux. Mais Danièle Devynck et Stéphane Guégan, les commissaires de la présente exposition, en ont obtenu bien d’autres (200 œuvres en tout) et les toiles sont venues du monde entier constituer une exposition passionnante. On a jugé inutile cette fois de reconstituer les canapés du bordel de la rue des moulins… Ici, il s’agit de montrer l’artiste, et quel artiste ! On sort au moins convaincu d’une chose : sans Lautrec, le jeune Pablo Picasso aurait tâtonné bien plus longtemps, et beaucoup d’autres comme lui.

Lautrec est un aristocrate : la lignée des comtes de Toulouse remonte aux Carolingiens. Il peut avoir parfois l’autorité de sa caste, il en a aussi le dédain des conventions. Son ami Thadée Natanson – dont est réédité fort à propos le Un Henri de Toulouse-Lautrec [le 16 octobre aux éditions de la Réunion des musées nationaux] – raconte, dans ses souvenirs, l’anecdote du père d’Henri, assis à table à côté d’un archevêque, et regrettant à haute voix l’époque où un Toulouse-Lautrec pouvait, si tel était son bon plaisir, galipoter un moine et le faire pendre ensuite…

Lautrec est aussi à bonne école, pour ce qui concerne son éducation artistique. « Le milieu familial est féru d’art, explique Stéphane Guégan, mais d’art animalier. Le père est un cavalier accompli, ami du peintre René Princeteau qui représente les courses comme personne. Mais c’est aussi, et pour ces raisons, un homme qui s’intéresse à la chronophotographie telle que la pratique Muybridge, laquelle permet de fixer la décomposition des mouvements. »

Lautrec n’oubliera pas cette leçon-là, pas plus que celles reçues cinq ans durant dans l’atelier de Fernand Cormon, où il apprend le métier. Si Cormon est connu pour ses scènes historiques, et même préhistoriques grandiloquentes, ses élèves penchent nettement vers une forme de « naturalisme », au sens où l’entendait Emile Zola. Il s’agit de « faire vrai mais non pas idéal ».

Surnommé « l’éléphant »

C’est ce que retient Lautrec. « Le naturalisme, dit Stéphane Guégan, c’est alors la modernité. A 18 ans, il a déjà cette maîtrise, et cette capacité à rendre intense la vie, tout en portant sur ses sujets un regard sans préjugé. Il ne stigmatise pas, ne diabolise pas, il est dans le plaisir et la découverte des individus, et ne tient aucun compte des catégories sociales. »

Même s’il peut avoir la dent dure, comme en témoigne cette hilarante parodie de Puvis de Chavanne, un des héros de l’époque, en reprenant un de ses succès, Le Bois sacré cher aux arts et aux muses. A des corps éthérés, il redonne l’impudeur et, se représentant au milieu des personnages, mais seul de dos, reconnaissable à sa petite taille – il mesurait 1,52 mètre –, montre ses fesses.

LES FEMMES DE TOULOUSE-LAUTREC SONT DES FILLES DU PEUPLE, CELLES DES MAISONS CLOSES

Et puis, il y a les femmes, rousses de préférence. Il a toujours aimé leur compagnie. Elles l’ont élevé, depuis sa mère qui s’astreint à apprendre le latin pour pouvoir le lui enseigner, jusqu’aux prostituées, qui l’ont surnommé « l’éléphant »… Il fait d’ailleurs du pachyderme son totem : quelques dessins, peu connus, pour les décors d’une pièce de théâtre, en sont une double démonstration. L’éléphant est la base du dessin, et de surcroît c’est le portrait craché de Dumbo : Lautrec n’a pas seulement inspiré Picasso ou les Duchamp, mais aussi les dessinateurs de Walt Disney !

Les femmes de Toulouse-Lautrec sont des filles du peuple, celles des maisons closes. Dans un registre qui pourrait être de l’ordre du scabreux, du voyeurisme, il les montre dans leur intimité, pas au travail. Elles discutent entre elles, sont rêveuses, attendent la visite médicale ou le client, mangent à la cantine de la Maison, presque en famille comme dans un tableau rarement vu, prêté par le musée de Budapest… Il ne les blâme ni ne les méprise jamais.

« Au Cirque Fernando », son premier chef-d’œuvre

Toulouse-Lautrec tolère tout : l’homosexualité masculine, en peignant Oscar Wilde, alors poursuivi pour ce fait par la justice britannique. La féminine, en représentant des pensionnaires de bordel – mais peut-être aussi des clientes, elles sont autorisées à les fréquenter à partir de 1880 – tendrement mais chastement alanguies.

L’anarchisme lui plaît aussi, par l’absolue liberté, y compris de mœurs, revendiquée par les libertaires. Il a ainsi fréquenté l’écrivain anarchiste Georges Darien, représenté aussi souvent le journaliste Félix Fénéon – qui sent alors le souffre car accusé d’avoir caché des explosifs – par ailleurs défenseur de son œuvre. Tout cela sans sembler marquer le moindre intérêt pour la politique. Dans une lettre, il dit à un éditeur : « Je ne suis pas un de ces peintres qui répondent à l’actualité. » Dans l’air du temps, mais pas militant.

L’ANARCHISME LUI PLAÎT, PAR L’ABSOLUE LIBERTÉ, Y COMPRIS DE MŒURS, REVENDIQUÉE PAR LES LIBERTAIRES

On trouve le même éclectisme dans le choix de ses lieux d’exposition : il peut, en 1887, exposer avec des amis (dont Van Gogh) dans une gargote de Clichy, et l’année suivante au prestigieux Salon des XX, à Bruxelles. Et là, du haut de sa petite taille et de ses siècles de noblesse, provoquer en duel un plus grand que lui qui avait insulté Van Gogh.

Il y montre ce qui, pour les historiens d’art, est son premier chef-d’œuvre, Au Cirque Fernando. Il y parvient à traduire le mouvement, la dynamique du spectacle. Et n’hésite pas à représenter au premier plan les testicules et l’anus du cheval. Certains ont trouvé cela inconvenant. Mais ça, c’est Lautrec.

Surtout, il ne se contente pas des cimaises ordonnées des galeries et des salons : il va dans la presse, descend dans la rue. « Ce qui va propulser sa carrière, après le succès des “XX”, explique M. Guégan, c’est l’affiche du Moulin Rouge, que l’on va voir dans tout Paris. Il est certes très flatté d’avoir exposé à Bruxelles, mais au fond, peu lui importent les lieux. Il expose partout. » Il prend en main sa carrière, diffuse son art par l’affiche, par le dessin de presse, des albums illustrés comme la série « Elles », et jusqu’à un vitrail réalisé par Tiffany. Et ça paye ! A des clients qui lui demandent des tableaux, il répond n’avoir rien de disponible.

Puissance évocatrice

On comprend mal aujourd’hui ce que cette fameuse affiche avait de frappant, voire de scandaleux. Certes on en apprécie toujours la force plastique, même si l’exposition en montre une version tronquée, amputée du lé supérieur où étaient scandés les mots « Moulin Rouge » ! La Goulue y est représentée dans ce côté explosif de la danse, que John Huston a montré dans le film Moulin Rouge (1952), projeté à proximité, mais seuls les contemporains de Lautrec pouvaient en percevoir toute la puissance évocatrice : la culotte blanche, que la danseuse dévoile si généreusement, était, à l’époque de nos grands-mères (ou arrière grands-mères), fendue, pour permettre de satisfaire promptement les urgentes nécessitées humaines… Cela, Lautrec ne le montre pas, comprenant que l’imaginaire du spectateur complétera puissamment la force de son dessin.

Trop fort pour la chanteuse Yvette Guilbert, qui refuse le projet d’affiche fait à son intention, pour lui préférer un Steinlein plus flatteur. Mais idéal pour La Goulue, qui, sur le déclin, s’exhibait dans une baraque foraine. Elle lui commande deux grands panneaux qui alléchent le chaland. « Elle voulait que ce soit lui, affirme Stéphane Guégan car, disait-elle, son art attirait les yeux. Thadée Nathanson a dit du panneau de droite que c’est comme La Transfiguration de Raphaël. Le merveilleux forain devient une forme de sacré : l’apparition de quelque chose qui déborde de la condition humaine. »

Mais les abus ont raison de la vitalité de Toulouse-Lautrec. Les ultimes salles de l’exposition en témoignent, tristement. Les trois dernières années de sa vie (il meurt en 1901, à 36 ans), il fléchit, s’embourbe. Alcoolique, et pas qu’un peu : sa famille décide de le sevrer. Ou s’y essaye. On l’interne dans une clinique de Neuilly : il y dessine le monde du cirque, de mémoire. Autrefois grouillants de spectateurs, les gradins y sont désormais vides.

« Toulouse-Lautrec, résolument moderne ». Galeries nationales du Grand Palais, entrée square Jean-Perrin, Paris 8e. Jusqu’au 27 janvier 2020, lundi, jeudi et dimanche de 10 heures à 20 heures, mercredi, vendredi et samedi de 10 heures à 22 heures. Fermé le mardi. Entrée : 15 €. Catalogue : 352 p. 45 €.

27 octobre 2019

Exposition gratuite de Katinka Bock à Lafayette Anticipations

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Par Cécile D. 

L'artiste allemande Katinka Bock s'est inspirée de l'architecture de Lafayette Anticipations pour créer ses nouvelles sculptures. Ses oeuvres sont exposées dans le bâtiment du 9 octobre 2019 au 5 janvier 2020. Une expérience gratuite à ne pas manquer.

Phénomène rare : Katinka Bock expose de nouvelles sculptures à Paris. L'artiste s'est imprégnée de l'architecture du bâtiment de Lafayette Anticipations pour créer des œuvres adaptées aux formes et à l'ambiance du lieu. Son exposition gratuite, intitulée « Tumulte à Higienópolis », est à découvrir du mercredi 9 octobre 2019 au dimanche 5 janvier 2020.

Lafayette Anticipations est un lieu bien particulier de Paris. En plein cœur du Marais, un bâtiment industriel datant du XIXe siècle abrite la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette. Cet espace de 2 200 m² tourne autour de sa cour centrale, articulée autour d'une tour d'exposition d'acier et de verre. Dans cette architecture unique, les artistes amateurs ou confirmés disposent d'un espace de création dédié et d'ateliers de production.

Depuis 2013, Lafayette Anticipations permet au groupe Galeries Lafayette de promouvoir la création contemporaine. Pour ouvrir l'art contemporain au plus grand nombre, les expositions sont en entrée libre. Actuellement, c'est l'artiste allemande Katinka Bock qui est invitée à montrer ses sculptures pour la première fois en France.

Comme toujours, Katinka Bock organise ses performances, ses installations et ses sculptures autour du lieu où elle les présentent. Son exposition « Tumulte à Higienópolis » est inspirée à la fois de Lafayette Anticipations et du planétarium Anzeiger-Hochhaus de Hanovre, en Allemagne. Les deux institutions, qui collaborent sur ce projet, ont de nombreuses similitudes selon l'artiste.

La pièce maîtresse de cette exposition est Rauschen (Ressac), une sculpture de 9 mètres de haut, suspendue dans la tour d'exposition. On peut y voir un corps en mouvement ou un fruit fendu, une peau qui s'ouvre ou se rétracte. Ces œuvres inédites forment un dialogue avec l'architecture du lieu, créant une expérience unique.

Ce nouveau projet de Katinka Bock sonde les conditions physiques et matérielles du monde. Ses sculptures géantes évoquent des cocons qui s'ouvrent ou se ferment, des êtres en mutation, des objets en suspend. La sculptrice a choisi de travailler à partir de feuilles de cuivre. Son matériau conserve le passage du temps, on y distingue des impacts de bombes et des réparations, des griffures d'oiseaux, des dégradés de couleur causée par la météo et la pollution.

Découvrez la première exposition parisienne de Katinka Bock jusqu'au 5 janvier à Lafayette Anticipations.

INFORMATIONS PRATIQUES

Du 9 octobre 2019 au 5 janvier 2020

Lieu

Lafayette Anticipations

9 Rue du Plâtre

75004 Paris 4

Accès

Métro ligne 1 et 11 station "Hôtel de Ville", ligne 11 station "Rambuteau"

Tarifs

Gratuit

Site officiel

https://www.lafayetteanticipations.com/fr

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