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Jours tranquilles à Paris
19 novembre 2019

Accusé de viol, Roman Polanski visé par de premières sanctions de ses pairs

La Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs a voté lundi « la mise en place de nouvelles procédures de suspension pour tout membre mis en examen par la justice ».

Le cinéma français commence à bouger. Confrontée à la polémique autour de Roman Polanski, une importante organisation de cinéastes a proposé de nouvelles règles pour ses membres condamnés ou poursuivis pour des violences sexuelles, qui conduiront à suspendre le réalisateur.

« Quarante ans se sont passés entre la première affaire qui concerne Roman Polanski et aujourd’hui. Je pense que le monde a beaucoup changé en quarante ans. Les crimes sont les mêmes mais la façon dont ils sont perçus a énormément changé », a déclaré, lundi 18 novembre dans la soirée, le président de la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP), Pierre Jolivet, à l’issue d’une réunion du conseil d’administration de cette association, qui regroupe près de 200 cinéastes. « On peut se mettre la tête dans le trou et se dire le monde n’a pas changé. Il a changé, on le prend en compte et c’est le résultat de cette décision », a-t-il ajouté.

« Cette suspension concernerait Roman Polanski »

Le conseil d’administration de l’ARP a voté lundi soir « la mise en place de nouvelles procédures de suspension pour tout membre mis en examen par la justice, et d’exclusion pour tout membre condamné, notamment pour des infractions de nature sexuelle », a indiqué Pierre Jolivet en lisant une courte déclaration.

« Cette suspension concernerait Roman Polanski, dont l’information judiciaire est toujours ouverte aux Etats-Unis et pour laquelle il a fait l’objet d’une mise en examen », a-t-il poursuivi, alors que le réalisateur, qui a fui les Etats-Unis en 1978, est sous le coup de poursuites dans ce pays pour relations sexuelles illégales avec une mineure en 1977. Le milieu du cinéma français est régulièrement soupçonné de protéger Roman Polanski, alors qu’aux Etats-Unis, l’Académie des Oscars a décidé de l’exclure.

Ce changement de statut « sera proposé aux membres et définitivement voté lors de la prochaine assemblée générale », a expliqué Pierre Jolivet. L’assemblée générale de l’association « aura lieu au printemps », mais une assemblée extraordinaire devra être « convoquée pour pouvoir changer les statuts », a-t-il ajouté. La date de celle-ci « n’est pas arrêtée » à ce stade, a précisé l’organisation.

Dans un témoignage publié par le quotidien Le Parisien, la photographe Valentine Monnier a accusé Roman Polanski de l’avoir frappée et violée en 1975 en Suisse alors qu’elle avait 18 ans, ravivant la colère des féministes à l’égard du réalisateur.

Cette accusation de viol, que le réalisateur franco-polonais de 86 ans conteste, est intervenue à quelques jours de la sortie mercredi dernier en France du dernier film de Polanski J’accuse sur l’affaire Dreyfus. Elle s’ajoute à celles formulées par d’autres femmes ces dernières années, pour des faits prescrits. Cette décision de l’ARP intervient alors que le 7e Art hexagonal a été également secoué ces dernières semaines par les accusations d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » de l’actrice Adèle Haenel à l’encontre du réalisateur Christophe Ruggia, concernant des faits survenus alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans.

Sortie mouvementée de « J’accuse » en France

A la suite de sa prise de parole, la Société des réalisateurs de films (SRF), autre organisation importante de cinéastes, avait annoncé le 4 novembre avoir lancé une « procédure de radiation » à l’encontre de Christophe Ruggia.

Le ministre français de la culture, Franck Riester, a annoncé la semaine dernière des mesures pour lutter contre le harcèlement sexuel dans le cinéma français, pour que les prises de parole « ne soient pas vaines ». Sans jamais nommer Polanski, il a estimé que « le génie [n’est] pas une garantie d’impunité ».

J’accuse a connu une sortie mouvementée en France, avec des séances annulées à Paris et à Rennes suite à des blocages par des féministes. Cela n’a cependant pas empêché le film d’arriver en tête du box-office hexagonal sur cinq jours, à l’issue du week-end. Il a réalisé le septième meilleur démarrage de l’année pour un film français, avec 386 720 entrées dans 545 salles.

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19 novembre 2019

Comment le vieillissement de la population va bouleverser nos sociétés

Par Marie Charrel

Planète grise 1/6. Si la population mondiale continue de croître, elle vieillit à toute allure, en particulier en Europe et au Japon. Emploi, santé, inégalités… Une mutation sur le point de transformer nos sociétés en profondeur.

Tourniquets, machines multicolores, échelles : de loin, ce parc de Nanchang, à l’est de la Chine, a tout d’une aire de jeux classique, prisée des jeunes parents et enfants en bas âge. En fin d’après-midi, pourtant, nulle trace de poussette ou de bambin. A la place, une joyeuse cohorte de têtes grisonnantes, équipées de baskets et de joggings, s’installent tranquillement sur les appareils permettant de travailler les articulations en douceur. « Cette gymnastique quotidienne est très utile pour vieillir en bonne forme, nous gagnerions à nous en inspirer », s’enthousiasme Jason Maddock, spécialiste de la santé à l’université A & M du Texas, aux Etats-Unis. Depuis qu’il a découvert l’endroit, il y a cinq ans, il ne cesse d’en vanter les vertus.

Des terrains de sport pour seniors à la place des parcs pour enfants ? L’expérience pourrait faire sourire si elle ne présageait pas le futur visage de nos capitales. Car, depuis quelques années, elle fait des émules. Soucieuses de la santé de ses aînés, plusieurs villes d’Espagne, d’Allemagne, du Royaume-Uni ou encore du Canada la testent elles aussi. Et ses promoteurs sont convaincus que d’autres métropoles vont leur emboîter le pas.

Un coup d’œil aux projections démographiques des Nations unies permet de comprendre pourquoi : si, dans l’ensemble, la population mondiale va continuer de croître ces prochaines décennies, elle va également vieillir à toute allure, sous l’effet de l’allongement généralisé de l’espérance de vie et de la baisse de la natalité. D’ici à 2050, la part des plus de 65 ans dans le monde devrait passer de 9,3 % à 15,9 % de la population, selon le scénario central de l’institution. Aucune région n’échappera au phénomène, qui sera particulièrement marqué dans certaines nations d’Asie et dans les pays à hauts revenus, où le poids des plus de 65 ans pourrait grimper de 18,4 % à 26,9 % d’ici trente ans, contre 8,2 % à 16,1 % dans les pays à revenus intermédiaires.

« Suicide démographique »

Et cela va bouleverser l’équilibre des forces économiques entre les continents. La population d’Afrique devrait presque doubler (de 1,3 milliard à 2,5 milliards d’habitants) d’ici à 2050, tandis que celle de l’Inde (de 1,38 milliard à 1,64 milliard) dépassera celle de la Chine (de 1,44 milliard à 1,40 milliard), qui vieillit plus rapidement. Les Etats-Unis croîtront encore (de 331 millions à 379 millions), mais le Japon perdra de 15 à 20 millions d’âmes, comme la Russie.

L’Union européenne, elle, devrait stagner autour de 500 millions d’habitants, mais sa population en âge de travailler – les 15-64 ans sont 223 millions aujourd’hui – fondra de 49 millions d’individus d’ici à 2050, notamment en Allemagne (11 millions), selon la Fondation Robert-Schuman. « Outre les bouleversements liés aux nouvelles technologiques et au changement climatique, nos sociétés seront également transformées par le vieillissement », résume Gregory Thwaites, de l’Ecole d’économie de Londres (LSE). Comment financer la hausse des dépenses liées à l’âge ? Comment préparer l’avenir des plus jeunes lorsque les seniors domineront ? De quelle façon les relations entre les générations se réécriront-elles ? M. Thwaites ajoute : « Beaucoup de gouvernements n’ont pas encore pris la mesure de ce que ces mutations impliquent ».

Il faut dire que, lorsqu’il n’est pas occulté par le culte omniprésent du corps jeune, ou par la quête obsessive de technologies repoussant la mort dans la Silicon Valley, le sujet fait peur. En 2004, déjà, l’hebdomadaire Der Spiegel frappait les esprits outre-Rhin avec sa « une » anxiogène consacrée au « dernier Allemand » : un bébé portant à lui seul une ribambelle de vieillards. Des rapports catastrophistes s’alarment régulièrement du « suicide démographique » de l’Europe et de la bombe à venir pour les finances publiques.

Angoisse et malentendu

Parfois, aussi, le vieillissement est glorifié comme un nouvel eldorado économique, où le pouvoir d’achat des seniors serait le Graal à conquérir. « Nous balançons entre les visions positives ou négatives de l’âge, mais, ces derniers temps, le récit négatif tend à l’emporter, constate Andrew Scott, économiste à la London Business School, coauteur d’un ouvrage sur la longévité (The 100 Years Life, Ed. Bloomsbury, 2017, non traduit). Vivre plus longtemps en bonne santé est pourtant une excellente nouvelle à tout point de vue : pourquoi est-ce si dur de s’en réjouir ? »

Probablement parce que plus d’une angoisse et d’un malentendu entourent le sujet. A commencer par celui-ci : le « vieux » de 2019 n’a pas grand-chose à voir avec celui de l’après-guerre ! A l’époque, l’espérance de vie en France frôlait à peine 60 ans. Elle est aujourd’hui de 79,5 ans pour les hommes (dont 63,4 ans en bonne santé), et de 85,4 ans pour les femmes (64,5 ans). « Chose inenvisageable il y a un demi-siècle, on peut aujourd’hui refaire sa vie de couple ou changer de métier après 50 ans », résume le sociologue Serge Guérin, spécialiste du sujet. Lui parle même d’une nouvelle classe d’âge : celle des « quincados », de 45 à 65 ans, encore en pleine forme, précédant celle des retraités (65-80 ans), puis des aînés, au-delà de 80 ans. De son côté, le professeur de gérontologie japonais Takao Suzuki qualifie de « jeunes-vieux » les 60-75 ans. Dans son pays, beaucoup d’entre eux occupent encore un emploi…

« NOUS N’AURONS PAS LE CHOIX, MAIS CELA PEUT SE FAIRE INTELLIGEMMENT MAIS CELA PEUT SE FAIRE INTELLIGEMMENT » AXEL BÖRSCH-SUPAN, DIRECTEUR DU CENTRE DE MUNICH SUR L’ÉCONOMIE DU VIEILLISSEMENT

« Nous n’aurons pas le choix, mais cela peut se faire intelligemment, en modulant l’âge de départ selon la pénibilité des emplois », souligne Axel Börsch-Supan, directeur du centre de Munich sur l’économie du vieillissement. Un équilibre loin d’être facile à trouver – en témoignent les inquiétudes soulevées par la réforme des retraites en France. D’autant que cela ne fonctionnera que si les entreprises, dans lesquelles les clichés ont la vie dure, cessent de chasser les seniors trop vite et modifient leurs pratiques. Notamment en adaptant postes et temps de travail pour leur permettre de rester plus longtemps.

Les gouvernements et partenaires sociaux, eux, devront muscler la formation tout au long de la vie, afin que les salariés tiennent leurs compétences à jour – sans parler des mesures à mettre en œuvre pour contenir les dépenses de santé. Sous l’effet du vieillissement, celles-ci progresseront plus vite que la croissance ces quinze prochaines années dans les économies industrialisées, prévient l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Si l’on ajoute à cela l’envolée des dépenses de retraite et du financement de la dépendance, la dette publique moyenne y gonflera de 110 à 240 % du PIB d’ici à 2050 si l’on ne fait rien. « Mais on peut limiter ces coûts en repensant nos politiques de santé », assure Martin McKee, professeur de santé publique à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.

Par exemple, en développant la prévention dès le plus jeune âge, pour favoriser le vieillissement en bonne santé. Et en déployant une approche de la médecine gériatrique plus raisonnée, souligne Alain Franco, président de l’Université inter-âges du Dauphiné. « Les très âgés cumulent parfois quatre ou cinq maladies liées à la vieillesse : multiplier les traitements pour chacune d’entre elles est souvent moins efficace que s’attacher à améliorer l’état de santé général », explique-t-il. Un changement de paradigme moins simple qu’il n’y paraît pour la médecine occidentale hyperspécialisée.

Un poids sur la croissance

Financer ces besoins croissants sera d’autant plus délicat que le vieillissement va mécaniquement peser sur la croissance future, du fait de la baisse de la population active. Là encore, les rapports alarmistes ne manquent pas. Citant l’exemple du Japon, dont l’économie est au point mort depuis deux décennies, nombre d’économistes désignent le basculement démographique comme l’un des grands coupables de la « stagnation séculaire » dont souffre l’Europe, ce cocktail de taux bas, croissance molle et gains de productivité anémiques. « Mais cette vision très négative sous-estime le fait que la population est de plus en plus diplômée, et cela peut contribuer à regonfler la productivité », nuance Nicholas Gailey, coauteur d’un rapport sur le sujet pour la Commission européenne.

Ses travaux, comme ceux d’Axel Börsch-Supan, soulignent qu’en augmentant un peu le taux d’emploi des femmes et des seniors, il sera possible de maintenir un niveau de croissance correct. A condition de renforcer dans le même temps la lutte contre les inégalités… Car le vieillissement a aussi pour effet de les accentuer. Au sein des générations, d’abord : un jeune européen diplômé de l’enseignement supérieur vivra en moyenne 7,5 ans de plus qu’un ouvrier du même âge, et leurs écarts de revenus seront exacerbés à la retraite.

« Conflit intergénérationnel »

Les inégalités entre générations ont également tendance à se creuser : dans l’OCDE, les revenus des 60-64 ans ont augmenté de 13 % de plus que ceux des 30-34 ans depuis 1980, tandis que les moins de 30 ans, arrivant aujourd’hui sur un marché du travail plus précaire, toucheront des retraites moindres que celles de leurs aînés.

« En France, le patrimoine est de plus en plus concentré dans les mains des seniors, qui transmettent leur héritage à leurs enfants de plus en plus tard, lorsque ces derniers approchent les 60 ans », ajoute Vincent Touzé, de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).

Ce n’est pas sans conséquences politiques. Plus l’électeur moyen vieillit, plus il privilégie les mesures conservatrices, soulignent plusieurs études. « Cela risque d’alimenter un conflit intergénérationnel sur l’utilisation des ressources publiques, à l’heure où les plus jeunes réclament que celles-ci soient plus largement consacrées à la lutte contre le réchauffement climatique », conclut Hannes Zacher, spécialiste de l’âge à l’université de Leipzig. Avant de souligner que certains responsables politiques sont déjà tentés d’instrumentaliser ce conflit pour des raisons électorales. Ce n’est pas un hasard si les attaques les plus virulentes contre la jeune écologiste suédoise, Greta Thunberg, émanent d’une partie de la vieille garde politique…

17 novembre 2019

La masturbation ne rend plus sourd (mais elle nous rend toujours muets)

Par Maïa Mazaurette

Si l’autoérotisme est plus largement pratiqué, il n’en est pas plus accepté socialement. Et pourtant, il est aussi légitime, jubilatoire et riche de découvertes qu’un rapport « normal », insiste la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette.

LE SEXE SELON MAÏA

Banale, la masturbation ? On pourrait le penser : 85 % des Français l’ont déjà pratiquée. Plus précisément, 76 % des femmes et 95 % des hommes (chiffres Ifop/Elle, 2019). Pourtant, quand on commence à décortiquer les chiffres, c’est plus compliqué. Par exemple, la moitié des femmes se masturbent rarement ou jamais : cette « formidable » banalisation reste timide.

hegre masturbation

Photos : Petter Hegre

Et quand on décortique les discours, c’est carrément la cour des miracles. Une petite escapade du côté des recherches associées dans Google, peut-être ? A vos risques et périls, alors : les internautes se demandent si l’autoérotisme aura des effets secondaires sur leur cerveau, leurs reins, leur calvitie, leur acné, si c’est un péché (selon la Bible, dans l’hindouisme), s’ils vont devenir dépendants, et même s’ils vont grossir. Les vingt-cinq premiers résultats sont presque unanimement négatifs. En France spécifiquement, les curieux recherchent la masturbation… intellectuelle. Ça ne s’invente pas.

Pour se débarrasser du stress, mieux dormir

La masturbation n’est plus passible des cercles de l’enfer, d’accord. Mais elle reste déconsidérée. On la considère comme un pis-aller destiné à se soulager, soit entre deux partenaires, soit entre deux relations sexuelles. Pourtant, selon une étude Tenga/PSB parue cette année, à peine 2 % d’entre nous se masturbent parce qu’ils ne peuvent pas trouver de partenaire. Et seulement 3 % parce que le ou la partenaire en question préfère le Scrabble.

Nos motivations réelles sont bien plus positives : les Français se touchent essentiellement pour se donner du plaisir (30 %), pour se soulager (26 %) ou pour se débarrasser du stress (19 %). Si vous ajoutez à cela l’aide à l’endormissement (6 %), le côté feel-good (4 %) ou l’amélioration des performances (2 %), vous obtenez une vision quasiment thérapeutique de la masturbation. 64 % d’entre nous adhèrent d’ailleurs à cette idée : se caresser, c’est prendre soin de soi.

L’idée que cette pratique « remplace » le rapport interpersonnel, à première vue, n’est pas complètement fausse : les deux tiers des personnes en couple se masturbent moins que quand elles étaient célibataires. Et pourtant… 65 % des Français en couple le font quand même – et les femmes, plus souvent que les hommes !

C’est là que commencent à apparaître des divisions selon le genre, le sexe ou l’orientation. Par exemple, 42 % des femmes ont autant de plaisir en se masturbant qu’en faisant l’amour (23 % préfèrent la masturbation). Contrairement à ce que notre imaginaire indique, ce sont les hommes – ces grands romantiques – qui préfèrent le sexe interrelationnel (52 % contre 36 % des femmes).

gode

Un sujet tabou

La masturbation et le couple sont perméables, d’accord. On pourrait penser que cette coexistence des plaisirs privés et partagés démontre une forte acceptabilité. Cependant, on ne peut pas toujours en parler librement. 48 % des hommes et 43 % des femmes avouent ainsi avoir déjà menti concernant leurs pratiques masturbatoires.

Ce sont les jeunes qui sont les plus enclins aux confidences : 77 % des moins de 23 ans en parlent (seulement 53 % des plus de 40 ans), et 66 % voudraient qu’on en discute encore plus ouvertement (41 % des plus de 40 ans) – notamment pendant les cours d’éducation sexuelle (70 % des jeunes y sont favorables, et 78 % des LGBT+).

Une meilleure transmission des connaissances serait d’ailleurs bien utile : si les hommes disent commencer à expérimenter à 14 ans, et les femmes presque à 17 ans, la moitié d’entre eux et les deux tiers d’entre elles ont en effet dû apprendre toutes seules comment faire – ce qui consiste à réinventer la roue (alors qu’on pourrait envoyer des satellites sur Vénus).

Mais au fait, pourquoi ne pas en parler ? Chez les grands discrets, 58 % considèrent qu’il s’agit d’une chose qui ne se discute pas, 25 % ont honte de leurs pratiques (on retrouve plus souvent des hommes que des femmes dans cette catégorie), 15 % ne veulent pas que leur partenaire soit au courant. 40 % préfèrent ne pas imaginer que l’autre se masturbe, pour des raisons un peu différentes selon le genre : les hommes n’aiment pas que leur partenaire se touche en leur absence (36 %), les femmes n’aiment pas que leur partenaire regarde du porno (27 %) – en extrapolant sauvagement, on pourrait avancer que les hommes se situent dans une logique de possession physique, et les femmes dans une envie de contrôle mental.

Une pratique à partager

Les timides ont-ils tort ? Question de point de vue ! La masturbation n’est privée que si on le décide : elle peut parfaitement s’intégrer dans le répertoire du couple. Les plaisirs solitaires ne sont nullement condamnés à l’être, et jusqu’à preuve du contraire, les sextoys ne tombent pas en panne quand un partenaire entre dans la chambre. Il existe même quantité de pratiques consistant à partager et guider la masturbation – quelle extraordinaire occasion de relire notre chronique sur la question, n’est-ce pas ?

Se masturber ensemble : cette idée autrefois inimaginable commence à faire son chemin. 44 % des Français disent s’être déjà masturbés de concert. 15 % l’ont fait pendant que l’autre regardait (ou regardait pendant que l’autre agissait), presque 20 % l’ont fait par téléphone ou autre technologie. Chez celles et ceux-là, aucun problème métaphysique : 39 % estiment que la masturbation est naturelle, 23 % veulent que leurs partenaires fassent ce qui les rend heureux.

Fantasmes honteux

Assiste-t-on à la fin d’un tabou ? A voir. Car si la masturbation peut être tenue pour thérapeutique, si elle est sans rapport avec l’absence de partenaire ou un quelconque échec du désir, comment se fait-il qu’une majorité de Français ne la partagent pas, et que parmi les plus de 40 ans, presque la moitié n’en parlent jamais ?

Il est possible que la masturbation reste perçue comme sale et embarrassante, encore aujourd’hui… parce qu’on y associe des choses problématiques, comme des fantasmes honteux, l’embarras des premiers émois, ou les images que nous consommons. Notamment dans le cas des hommes, qui sont 71 % à regarder du porno (deux fois plus que les femmes). Les femmes, en revanche, ont beaucoup plus souvent tendance à utiliser leur imagination (la moitié d’entre elles). Elles recourent aussi à des histoires (10 %) ou de la musique (7 %).

Qu’en conclure ? Que notre culture change, doucement mais sûrement. Aujourd’hui, plus personne n’affirmerait que la masturbation envoie en enfer, donne des gastro-entérites ou provoque des contrôles fiscaux. En revanche, on continue de la ridiculiser, de la désinvestir, de la reléguer à une note de bas de page. La masturbation est pourtant aussi légitime, jubilatoire et riche de découvertes qu’un rapport « normal ».

Peut-être faudrait-il, pour changer la donne, commencer par changer de vocabulaire : le mot « masturbation » est aussi excitant qu’un gant de nouilles tièdes. Exit les plaisirs solitaires ou égoïstes (on peut partager), adieu la branlette (qui évoque la précipitation)… et bienvenue à l’autoérotisme ?

17 novembre 2019

« Si je suis venu, c’est parce que rien n’a changé » : GILETS JAUNES

« Si je suis venu, c’est parce que rien n’a changé » : 28 000 personnes ont manifesté en France pour l’anniversaire des « gilets jaunes »

Par Aline Leclerc, Pierre Bouvier, Cécile Bouanchaud

La journée a été marquée par des violences à Paris et dans certaines grandes villes. A 20 heures, le préfet de police de la capitale faisait état de 147 interpellations.

Des violences à Paris et un retour sur les ronds-points de France : le premier anniversaire des « gilets jaunes », qui ambitionnaient de donner un second souffle à leur mouvement de contestation sociale inédit lancé il y a un an, a été marqué, samedi 16 novembre, par le retour du chaos à certains endroits de la capitale.

Pour cet « acte LIII » (53), les « gilets jaunes » – qui avaient rassemblé 282 000 manifestants lors du samedi inaugural, le 17 novembre 2018 –, cherchaient à faire renaître la « révolte des ronds-points » qui avait ébranlé le mandat d’Emmanuel Macron mais ne rassemblait plus que quelques milliers de personnes ces derniers mois.

Plusieurs milliers de personnes étaient attendues dans la capitale, où les autorités redoutaient l’intervention de « 200 à 300 “ultrajaunes” et de 100 à 200 militants d’ultragauche ». Epicentre de plusieurs samedis violents, les Champs-Elysées, interdits à toute manifestation, ont été épargnés.

Le ministère de l’intérieur a recensé 28 000 manifestants en France, dont 4 700 à Paris. Le mouvement a, de son côté, estimé la participation à 39 530 personnes dans l’Hexagone, selon le décompte du « Nombre jaune ». De son côté, à 20 heures, la Préfecture de police de Paris faisait état de 147 personnes interpellées. Le parquet de Paris a annoncé 129 gardes à vue. Retour sur une journée d’actions dans toute la France.

A Paris, la préfecture annule une manifestation déclarée

Voitures retournées, jets de pavés et feux de poubelles : la situation s’est dégradée dès la fin de la matinée place d’Italie, où environ 3 000 personnes étaient rassemblées, selon notre journaliste sur place. Du matériel de chantier a été saisi par des manifestants et du mobilier urbain abîmé, entraînant une intervention des forces de l’ordre à grand renfort de lacrymogènes.

Le centre commercial Italie 2 a fermé ses portes dès les premières violences. Vers 13 heures, ses portes d’entrée et les vitrines d’une résidence hôtelière voisine ont été attaquées à coups de pavés par plusieurs dizaines de personnes encagoulées et vêtues de noir. Régulièrement, des petits groupes revenaient à la charge et étaient provisoirement repoussés ou dispersés par les forces de l’ordre qui utilisaient aussi un canon à eau. Les pompiers sont intervenus à plusieurs reprises pour éteindre des feux de palettes ou de poubelles et d’un engin de chantier sur le rond-point central.

« La tournure des événements m’a conduit à interdire cette manifestation » et à la « fixer » sur la place, a expliqué Didier Lallement, préfet de police de Paris, lors d’une conférence de presse dans l’après-midi, faisant état de « destructions scandaleuses » et d’un « certain nombre de policiers blessés ». Il a encouragé les personnes pacifiques à emprunter le « couloir de sortie » sur une des avenues qui mène à la place et a assuré que « nos réponses seront fermes vis-à-vis des casseurs » : « Ils ne partiront pas en toute impunité. » « Les images sont spectaculaires, mais le reste de la capitale vit normalement », a-t-il ajouté.

Un cortège tendu porte de Champerret

La tension est montée dès le matin porte de Champerret, où rendez-vous était donné pour une autre manifestation déclarée. Plusieurs dizaines de « gilets jaunes » ont réussi à descendre sur le périphérique, entravant la circulation quelques instants avant l’intervention des forces de l’ordre.

Les tensions se reportaient aux abords du métro, avec les policiers ayant recours à un usage massif de gaz lacrymogènes et de grenades. Plusieurs charges dispersaient les manifestants dans le quartier, avant qu’ils se retrouvent dans un cortège sur un itinéraire autorisé sur le boulevard.

On croisait une grande majorité de quadras, quinquas et sexagénaires, pacifiques, pour beaucoup venus de province pour cet anniversaire. Et des grappes d’hommes plus jeunes, en noir ou pas, très excités, faisant tomber des barrières de chantier, essayant d’incendier des poubelles, provoquant à chaque fois des tirs massifs de lacrymogènes.

Les pacifiques n’étaient pas tous pacifistes : plusieurs, sans prendre part aux tensions, les appelaient de leurs vœux. Des propos évoquant la violence comme un mal nécessaire entendus à de nombreuses reprises cette année, après que les violences de décembre 2018 ont seules paru à même de faire plier le gouvernement. « La manif déclarée d’un point A à un point B, ça ne sert à rien. Y a que quand ça chauffe que le gouvernement bouge », confiait ainsi Louise, 35 ans professeur des écoles dans le Val-d’Oise, qui estime que les « gilets jaunes » n’ont « pas été entendus sur le cœur de [leurs] revendications qui est la justice fiscale ».

Plusieurs manifestants évoquaient aussi le contexte international et les révoltes qui ont vu le jour dans le monde entier depuis un an. « La colère devient mondiale, partout sur la planète, l’ouvrier devient esclave », lance Hervé, adjudant-chef à la retraite venu de la Nièvre. Acquiesçant, un homme à ses côtés hurle : « Il faut mettre fin au capitalisme ! »

La tension gagnait peu à peu en intensité, les commerçants de l’avenue de Clichy puis du boulevard Magenta regardant cette foule de plusieurs milliers de personnes avec inquiétude, aucun n’ayant fermé boutique. Le pic de tension a été atteint lorsque boulevard Beaumarchais, deux membres des CRS (compagnie républicaine de sécurité) ont été obligés de se réfugier dans une laverie, sous les jets de projectiles de manifestants et les invectives de la foule. Une charge massive de leurs collègues a permis de les en libérer. La manifestation a trouvé son but place de la Bastille, où protestataires et forces de l’ordre s’observaient sans savoir l’issue.

Un rassemblement pacifique à Montmartre

Un autre cortège déclaré, soutenu par l’intermittente Sophie Tissier et le collectif des Policiers en colère, devait, lui, partir de Montmartre vers 13 heures pour rallier Bastille. Au total, 35 délégations de « gilets jaunes » étaient attendues pour remplir ce cortège pacifique. Mais celui-ci n’a pas rassemblé suffisamment de participants.

Parmi eux, Daniel, retraité de 62 ans, mobilisé depuis le 11 novembre 2018 sur les ronds-points vendéens : « Nous, on n’est pas là pour casser, ça ne sert à rien. Ça fait plus d’un an que je me mobilise. J’aimerais ne pas être là aujourd’hui, mais si je suis venu, c’est parce que rien n’a changé », dit cet ancien employé dans le logement social, qui sera de retour dimanche sur « [s]on rond-point », où il organise encore des barbecues tous les mercredis. « La situation est même pire, on le voit avec tous les corps de métier qui descendent dans la rue, comme les personnels soignants », poursuit Sybille, 33 ans, venue de Meurthe-et-Moselle pour participer à sa première manifestation parisienne. « On ne lâche rien tant que Macron ne fera rien », insiste cette employée dans l’hôtellerie.

La Flèche d’or investie en « maison du peuple »

Pour marquer ces un an, les « gilets jaunes » avaient annoncé leur volonté d’innover dans les modes d’actions. En fin de journée, plusieurs centaines de personnes ont investi l’ancienne salle de concert La Flèche d’or, dans le 20e arrondissement de Paris, fermée depuis trois ans. Une occupation illégale préparée par une vingtaine de collectifs d’horizons divers : des « gilets jaunes » d’Ile-de-France, des militants d’Extinction rebellion (XR), d’autres de défense des sans-papiers, de mal-logés ou encore des membres du Comité de lutte et d’action queer (CLAQ), entre autres. Ils ont aussitôt rebaptisé le lieu « maison des peuples », dans l’esprit de celles que d’autres « gilets jaunes » ont ouvertes temporairement ailleurs en France cette année, notamment à Saint-Nazaire, avant d’être expulsées.

« L’idée, c’est d’avoir un lieu de croisement des luttes, explique Sacha, « gilet jaune » de La Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Un outil pour réfléchir, parler, élaborer ensemble. » Elle se veut aussi un lieu pour « préparer la mobilisation du 5 décembre », a expliqué au micro Valérie, de XR. « C’est une façon de continuer le mouvement jusqu’à cette journée de grève et se donner la possibilité d’une suite », a ajouté Camille, du CLAQ. Les manifestants ont été invités à l’occuper jour et nuit.

Bref rassemblement au Forum des Halles

Au Forum des Halles, à Paris, quelque 200 personnes se sont rassemblées en début de soirée en scandant des slogans anticapitalistes : « Travaille, consomme et ferme ta gueule ». Quelques vitres ont été brisées. Mais les manifestants ont été rapidement dispersés par une charge des forces de l’ordre.

Devant une entrée de la Préfecture de police, une voiture siglée police a été retournée sur le toit au milieu de la chaussée, et une autre des douanes a eu le pare-brise détruit. Il n’y a pas eu de blessé selon la Préfecture de police.

Des rassemblements à Toulouse, Bordeaux, Lyon, Nantes ou Marseille

A Nantes, près d’un millier de manifestants, selon la préfecture, ont défilé dans le centre historique dénonçant « la fracture sociale ». Une fanfare a joué l’air de « Joyeux anniversaire » quand le cortège s’est élancé, mais l’ambiance s’est rapidement dégradée quand des heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre. Le centre a été envahi par les gaz lacrymogènes. Une barricade de panneaux de chantier a été érigée près du château. « Moins de chaînes, plus de chênes », pouvait-on lire, tagué, sur les murs de la préfecture ou encore « Plutôt vandales que vendus ».

Serge, 58 ans, « gilet jaune » de la première heure, est venu d’Ancenis. Il dit avoir « de l’espoir » dans les municipales. « On veut mettre la pression sur les futurs élus ; on peut faire bouger les choses localement », a-t-il déclaré. « Je suis là parce que je ne veux pas que ma fille s’immole devant un Crous ou qu’elle soit de la chair à travailler, a confié de son côté Vanessa, 47 ans. Si le mouvement disparaît, j’ai peur que la société se déshumanise. Ce sera la fin du service public et le règne de l’argent roi. »

L’ambiance s’est également peu à peu tendue à Marseille, où un millier de manifestants sont venus de l’ensemble du département des Bouches-du-Rhône. Partis du Vieux-Port le long de la corniche, les manifestants ont ensuite tenté de forcer un barrage des forces de l’ordre pour rentrer au cœur de la ville. C’est alors qu’ils ont rencontré la résistance des policiers et gendarmes qui ont réagi avec des grenades lacrymogènes pour disperser la foule. Le cortège s’est ensuite scindé en plusieurs groupes.

A Montpellier, la permanence du député La République en marche Patrick Vignal a été la cible de manifestants, avec une vitre cassée et plusieurs inscriptions anarchistes taguées sur le bâtiment, a constaté l’Agence France-Presse (AFP) sur place. A Lyon, un millier de manifestants s’était rassemblé en plein cœur de la ville dans une ambiance qui s’est là aussi rapidement tendue avec des tirs de lacrymogène, a constaté un journaliste de l’AFP.

Quelques heurts sporadiques, avec échanges de gaz lacrymogènes et jets de projectiles, ont marqué le premier anniversaire du mouvement à Bordeaux où ils étaient 1 800 « gilets jaunes » à défiler, selon la préfecture. Cette dernière fait état de « très peu de dégradations », un abribus détérioré et quelques tags. Huit personnes ont été interpellées, deux pour outrages et six pour jets de projectiles.

16 novembre 2019

Pour le premier anniversaire du mouvement, les « gilets jaunes » espèrent remobiliser

Le 17 novembre 2018, 282 000 personnes s’étaient mobilisées en France. Alors que le mouvement s’épuise, les manifestants comptent sur ce week-end pour se faire entendre à nouveau.

Les « gilets jaunes », qui peinent à mobiliser ces derniers mois, ont battu le rappel des troupes pour le premier anniversaire du mouvement social ce week-end, notamment à Paris, où les autorités s’attendent samedi à l’afflux de « plusieurs milliers » de personnes, dont des manifestants radicaux. Il y a longtemps qu’un week-end de « gilets jaunes » n’avait pas connu autant d’effervescence : plus de 200 actions (tractages, manifestations, occupations de ronds-points) ont été programmées, selon une liste publiée sur Facebook.

Dès vendredi 15 novembre au matin, une centaine de « gilets jaunes » ont bloqué une usine chimique classée Seveso à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), près de Saint-Nazaire, avant d’être délogés par la police.

Si l’incertitude demeure sur l’ampleur de la mobilisation, le secrétaire d’Etat à l’intérieur, Laurent Nunez, a reconnu, vendredi sur France 2, « un intérêt un peu plus marqué » et évoqué « un dispositif adapté » côté forces de l’ordre, pour l’anniversaire de ce mouvement inédit qui a ébranlé le pouvoir.

« Perte d’énergie »

Les derniers « actes » des « gilets jaunes » n’ont jamais rassemblé plus de quelques milliers de personnes, loin des 282 000 manifestants comptabilisés par les autorités le 17 novembre 2018, lors du samedi inaugural d’un mouvement rapidement marqué par des scènes de violence inédites à Paris et en régions, et par la dénonciation de « violences policières ». Selon un sondage Elabe diffusé mercredi, 55 % des Français soutiennent ou ont de la sympathie pour la mobilisation, mais 63 % ne souhaitent pas qu’elle reprenne.

« Ça n’est pas normal qu’on soit encore dans la rue au bout d’un an », a jugé Priscillia Ludosky, l’une des figures du mouvement, sur le site Regards. « C’est compliqué de se dire qu’il n’y a pas de réponse politique en face et d’être un petit peu en perte d’énergie sur la mobilisation. »

« Il y aura une mobilisation importante mais pas comme celles que nous avons pu enregistrer en décembre ou janvier au niveau national », estime une source sécuritaire, qui attend « plusieurs milliers de personnes » à Paris, dont « 200 à 300 ultra-jaunes et 100 à 200 militants d’ultragauche ». La préfecture de police de Paris a invité les manifestants « à se désolidariser des groupes de personnes se masquant et s’apprêtant à commettre ou commettant des violences et/ou des dégradations ».

L’avenue des Champs-Elysées, interdite

Sur les événements Facebook, pas de mot d’ordre ni de revendications précises, mais des références à « la fête » et à « l’anniversaire » du mouvement, né il y a un an d’une colère contre une taxe sur le carburant avant d’adopter de multiples autres revendications comme la démission d’Emmanuel Macron ou plus de démocratie directe.

L’événement le plus populaire, baptisé « Acte 53 Gilets Jaunes l’anniversaire sur les Champs-Elysées », réunit plus de 5 000 participants et plus de 6 700 personnes intéressées. La célèbre avenue sera cependant interdite, comme chaque samedi depuis les violences survenues le 16 mars. Le collectif des « gilets jaunes citoyens », à l’initiative du rassemblement, « maintient l’appel » malgré le refus de la préfecture de police et conseille aux manifestants de « retirer » leurs gilets.

Opposé aux manifestations déclarées, Eric Drouet, figure du mouvement, a appelé dans une vidéo en ligne à une « opération escargot » sur le périphérique à partir de 10 heures, puis sur les Champs-Elysées à partir de 14 heures. Le chauffeur routier, qui refuse d’endosser le rôle d’organisateur, a également évoqué l’idée d’un rassemblement à pied « hors de la zone interdite », dans un lieu encore non déterminé, puis de rejoindre l’avenue « sans signes distinctifs, ni gilets jaunes ».

Manifestations dans toute la France

Priscillia Ludosky sera, elle, à la tête d’une manifestation déclarée qui partira à 14 heures de la place d’Italie pour rejoindre la place Franz-Liszt, dans le 10e arrondissement de Paris.

Ailleurs, des rassemblements sont programmés dans plusieurs grandes villes dont Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Toulouse. Des appels à réinvestir les ronds-points, avec ou sans blocages, ont également été lancés à Besançon, Calais, Colmar, Dole, Dunkerque ou Montpellier.

Enfin, des barrages au péage de Virsac (Gironde) sur l’A10, saccagé fin novembre 2018, et au niveau de sorties d’autoroutes sur l’A7 dans le Vaucluse ou sur l’A47 dans la Loire sont également prévus.

Dimanche, des rassemblements sont aussi annoncés à Paris et en province. Un hommage sera notamment organisé au Pont-de-Beauvoisin (Isère) en mémoire d’une manifestante de 63 ans tuée au premier jour des manifestations, après avoir été percutée par une voiture sur un rond-point.

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16 novembre 2019

Entretien - Pour Philippe Le Gal, organisateur de la Nuit du cirque, « les femmes pensent le cirque de demain »

Par Rosita Boisseau

Le président de l’association Territoires de cirque, qui regroupe un grand nombre de compagnies, réclame davantage de moyens pour la création.

Pour sa première édition, vendredi 15 novembre, La Nuit du cirque met à l’affiche plus de soixante compagnies dans soixante lieux disséminés dans toute la France. Pilotée par l’association Territoires de cirque, créée en 2004 et qui rassemble aujourd’hui près de cinquante structures, cette opération fête les arts de la piste en tapant aussi du poing sur la table. Entretien avec Philippe Le Gal, président de l’association Territoires de cirque, directeur du Carré Magique, à Lannion (Côtes-d’Armor).

Quels sont les enjeux de cette Nuit du cirque, treize ans après le cri d’alarme « Le cirque est en danger » lancé en 2006 par Territoires de cirque ?

Depuis une dizaine d’années, il y a une montée en puissance du cirque de création, tous formats et genres confondus, que ce soit dans les théâtres, sous chapiteau, et de plus en plus dans l’espace public, mais les soutiens financiers ne suivent pas. Le dynamisme que tout le monde souligne ne va pas avec une augmentation des crédits. Il nous a donc paru important de proposer, avec cette Nuit du cirque, un état des lieux pour rappeler au public, aux professionnels et aux pouvoirs publics que le cirque continue de se battre pour exister. Oui, il reste l’aventure jeune, furieuse, de ses débuts dans les années 1980, mais il a aussi muté. En 2019, quatre générations d’artistes cohabitent sur scène.

Pour quelles raisons les artistes se déploient-ils de plus en plus dans les espaces publics ?

Les jeunes artistes sont de plus en plus nombreux et cherchent des espaces pour présenter leur travail. En 1990, on dénombrait 93 troupes de cirque de création, puis 404 en 2006 et actuellement, on en compte près de 800. Lorsque les scènes ne sont pas accessibles, que les programmateurs ne le sont pas non plus, la rue l’est, comme la campagne, d’ailleurs. Ce sont des espaces de liberté lorsque l’on démarre. Et la nature, conscience environnementale oblige, devient de plus en plus une source d’inspiration pour l’écriture de pièces in situ. Mais la composante économique n’est pas la seule clé de lecture. Il faut voir dans le développement du cirque dans l’espace public un appétit d’expérimentation grandissant. L’artiste de cirque aime à se confronter avec le public, en se rapprochant du théâtre de rue.

Qu’en est-il de la diffusion des spectacles qui tournent généralement quatre à cinq ans si tout va bien ?

Tout s’accélère. Il y a encore quelques années, une production de cirque, qui exige entre une et deux années de répétition, ce qui est spécifique au genre, tournait au moins quatre ans. Aujourd’hui, cette temporalité se réduit à un an ou deux. Certains spectacles ne décrochent qu’une vingtaine de dates sur une saison, ce qui est terrible compte tenu de l’énergie que demande une création. La fragilisation vient aussi du fait que les interprètes n’ont plus envie de consacrer cinq ans de leur vie à une même pièce. Les mentalités changent. Les carrières sont courtes. Les artistes ont envie de monter leurs propres projets et endossent parallèlement les statuts d’interprète et d’auteur. De nombreux circassiens jouent parfois deux ou trois spectacles en même temps.

Qu’en est-il de la diffusion dans les réseaux généralistes ?

Elle est difficile. Si l’on parle de cirque familial, de cirque de divertissement, alors oui, il est présent dans tous les réseaux de diffusion car il remplit les salles, mais il y a aussi un cirque plus expérimental qui doit être davantage soutenu. Et dans le contexte de stagnation des crédits, la tentation du repli de chaque secteur – théâtre, musique, danse – sur son cœur de métier est grande, au risque de laisser de côté ce cirque.

Qu’attendez-vous de l’Etat ?

Nous voulons rappeler que le cirque de création est un formidable outil de promotion d’une politique culturelle ambitieuse. Le cirque touche tous les publics, il est intergénérationnel, il est liberté et refus de l’enfermement. Alors qu’on parle de plus en plus d’éducation artistique, le cirque peut participer à ce mouvement. C’est un art inclusif, de proximité, mobile dès lors que le chapiteau l’abrite, en rien intimidant. Financièrement, nous sommes largement en dessous des autres institutions comme les Centres dramatiques nationaux ou les Centres chorégraphiques nationaux. Les douze Pôles nationaux cirque bénéficient d’un plancher de financement de l’Etat de 250 000 euros quand les Scènes nationales perçoivent quelque 500 000 euros.

Que devient le chapiteau dans ce contexte ?

Il y a trois ou quatre ans, on a craint que la diminution des projets de création sous chapiteau entraîne leur disparition. Les grands noms comme le Cirque Plume, par exemple, disparaissent. Mais la toile résiste. Une quinzaine de spectacles sont aujourd’hui en cours d’exploitation, et ce nombre remonte peu à peu. Les difficultés sont multiples : le montage financier d’un spectacle sous chapiteau est lourd et complexe ; le chapiteau lui-même est un investissement qui pèse dans les budgets ; les lieux d’implantation dans les villes sont de plus en plus difficiles à trouver en raison de l’expansion immobilière ; les municipalités sont de moins en moins enclines à accueillir les toiles ; quant aux Scènes nationales et autres, elles resserrent les budgets… Cette conjonction de paramètres explique le problème. Mais les jeunes artistes semblent y revenir. D’ici à 2022, trente projets sous chapiteau vont se créer.

Quelles sont les lignes de force du cirque actuel ?

Nous avons eu beaucoup de spectacles récemment avec du mât chinois et de la roue Cyr. On voit apparaître des tentatives de théâtralité, mais encore discrètes. Le cirque de création se décline de plus en plus au féminin. Les femmes s’emparent de tous les agrès, s’imposent au mât chinois ou sur le fil pour des traversées à très grande hauteur comme Tatiana Mosio-Bongonga ou Johanna Gallard. L’art clownesque ne leur échappe pas non plus avec des personnalités comme Proserpine ou Kati Pikkarainen. Elles sont également présentes lorsqu’il s’agit de poursuivre l’histoire et non de l’effacer, comme Marie Molliens du Cirque Rasposo, Pascaline Hervé du Cirque du Docteur Paradi. Elles pensent le cirque de demain et osent l’autodérision. Jeunes ou confirmées, elles placent la barre très haut.

Quelles sont les relations du cirque de création avec les enseignes traditionnelles ?

Au-delà de la question très sensible de la présence de l’animal sauvage, les cirques traditionnels traversent une crise profonde. Ils ont le droit d’exister car ils font partie intégrante de l’histoire, nous ne le contestons pas. S’il y a nécessité à leur venir en aide, ce qui vaut pour les entreprises de tel ou tel secteur économique en grande difficulté doit aussi être vrai pour le cirque traditionnel : il y a des instances publiques et économiques prévues à cet effet. Mais ce n’est pas du ressort du ministère de la culture dont les missions fondamentales sont d’accompagner la création artistique. Notre actuel ministre de la culture entend placer l’artiste au centre de son action. Il s’agit bien d’une politique publique de l’art et de la culture et nous travaillons dans ce cadre qui, à ma connaissance, n’est pas celui des enseignes de cirque traditionnel.

Vendredi 15 novembre en France, le cirque se déploiera dans toute sa diversité. Soixante spectacles seront proposés au public pour la première édition de cette initiative, pilotée par l’association Territoires du cirque, qui œuvre pour la diffusion de ce courant artistique et son renouveau. De La Chute des Anges, présenté par Raphaëlle Boitel et la Compagnie L’Oubliée à Bourg-en-Bresse au Bestiaire D’Hichem, proposé par Jeanne Mordoj et la compagnie BAL à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) en passant par le Nouveau Cirque du Vietnam de Teh Dar à La Villette et Reflets dans un œil d’homme de la Compagnie Diable au corps au Montfort théâtre à Paris, le public pourra prendre la mesure de l’évolution d’un genre encore trop cantonné, dans l’esprit de beaucoup de gens, à la triade clowns-acrobates-dresseurs. Carte des spectacles, horaires et tarifs sur lanuitducirque.com.

15 novembre 2019

Enquête sur le cinéma français après les mots d’Adèle Haenel

inrock55

PAR Marilou Duponchel, Olivier Joyard

La prise de parole puissante d’Adèle Haenel va-t-elle entraîner un MeToo à la française ? Actrices, réalistarices, producteur.trice s’expriment dans notre enquête sur un milieu du cinéma jusqu’ici plus tenté par l'omerta et les rapports de domination.

Adèle H. est bien le nom des grandes héroïnes du cinéma français. Il y eut la première, fictionnelle et tragique dans le film de François Truffaut (L’Histoire d’Adèle H., 1975). Il y a désormais la seconde, réelle et lumineuse, Adèle Haenel. Celle qui a fracassé dix-huit ans de silence en révélant via l’enquête menée par Mediapart le harcèlement, les agressions sexuelles et l’emprise qu’elle aurait subies de la part du réalisateur de son premier film Les Diables (2002), alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. Christophe Ruggia est désormais sous le coup d’une enquête d’initiative – c’est-à-dire sans dépôt de plainte – ouverte par le parquet de Paris.

Mais Adèle H. est bien le sujet, dont la colère, l’intelligence et la probité morale ont saisi les spectateur.trice.s lors de son intervention filmée dans les locaux du média en ligne, lundi 4 novembre, où elle expliquait notamment ceci : “La question, ce n’est pas tant moi. (…) Je voudrais renvoyer ce qui m’est arrivé dans l’espace public parce que je pense que cela peut vraiment libérer d’autres paroles. Et quand on parle de paroles, on ne parle pas juste des mots, on parle de la vie des gens. (…) Aujourd’hui, c’est une responsabilité. Je suis en mesure de le faire, j’ai un confort matériel, des alliances, qui font que je ne suis pas dans la même précarité que la plupart des gens à qui cela arrive. (…) Je veux leur dire qu’ils et elles ne sont pas seul.e.s.”

“Je pense que le moment est historique”

Dans les jours qui ont suivi, le souffle puissant de la comédienne doublement césarisée – pour Suzanne en 2014 puis pour Les Combattants en 2015 – a provoqué une onde de choc que les personnes de l’industrie que nous avons interrogées ont ressentie dans leur chair, comme si le cinéma, à travers la parole d’une grande actrice, avait retrouvé subitement sa pertinence majoritaire, sa capacité d’action sur la société. Encore à l’affiche de Chambre 212 de Christophe Honoré, Camille Cottin témoigne en ce sens : “Je pense que le moment est historique, car nous sommes face à une démarche personnelle et politique, qui pose aussi des questions artistiques. J’ai été très sensible à la construction de la pensée d’Adèle Haenel qui a fait de son témoignage un acte militant, en plus de son courage de dévoiler quelque chose d’aussi intime. Tout ce qu’elle dit est au service d’une pensée collective, dans l’envie de faire évoluer la société.” Productrice de 120 battements par minute, Marie-Ange Luciani affirme sa “conviction d’assister à un moment important, l’engagement de tout un corps au service d’une pensée, et pas n’importe laquelle”.

Lætitia Dosch – vue notamment dans Jeune Femme de Léonor Serraille – raconte les heures qui ont suivi cette soirée. “A la suite de ce témoignage très fort, j’ai reçu des coups de fil d’actrices, de différentes femmes chez qui ces déclarations ont joué le rôle d’un révélateur. Elles se demandaient tout à coup : ‘‘Mais moi, tu crois que ce qui m’est arrivé, c’était quoi ?’ Adèle appelle à la complexité, demande à ne pas juger son agresseur comme un monstre mais comme un produit malade de notre société. C’est donc la société qui doit changer.” Cofondatrice du collectif 50/50 et exportatrice chez Totem Films, Bérénice Vincent souligne, elle aussi, la longue portée des mots choisis par Adèle Haenel. “Son intervention a été déterminante, car elle a parlé clairement, sans langue de bois. Elle explique de manière fine le temps que cela a pris pour qu’elle puisse arriver à une prise de parole ; la honte, l’omerta, la double violence subie : une première violence d’agression et une deuxième violence liée au silence et à la négation de cette agression. Ce qu’elle a dit dans la lettre adressée à son père est aussi très puissant. Il y a ces parents aimants qui entretiennent un système car ils ne voudraient pas que leur enfant souffre à cause de révélations. J’ai eu des histoires comme cela autour de moi, je l’ai vécu moi-même. Cela concerne une autre génération d’hommes, mais je m’interroge sur celle qui vient, car j’entends encore des discours très genrés.”

“Les choses vont bouger grâce à son discours”

Saluée par des personnalités du cinéma – notamment Isabelle Adjani qui s’exprime dans ce journal (lire en page 12), ou encore Marion Cotillard, qui écrivait sur son compte Instagram, le mardi 5 novembre, sa “gratitude infinie” envers l’actrice –, la prise de parole d’Adèle Haenel pose la question de l’éventualité jusqu’ici toujours retardée d’un véritable #MeToo français. Garance Marillier, l’héroïne de Grave, veut y croire : “Ce n’est pas un témoignage de plus. Pour moi, les choses vont bouger grâce à son discours.” Il est trop tôt pour juger si une digue s’est fissurée – les digues made in France sont parfois très résistantes – mais si l’actrice de Naissance des Pieuvres (de Céline Sciamma, en 2007) restera comme la première de son envergure à témoigner, elle s’appuie aussi sur quelques timides évolutions et prises de conscience qui ont eu lieu dans le cinéma français depuis le début de l’affaire Weinstein.

A l’initiative du collectif 50/50, une montée des marches spéciale avait rassemblé 82 femmes – de Cate Blanchett à Agnès Varda – lors du Festival de Cannes l’année dernière, avant que les délégués généraux de plusieurs festivals internationaux, comme le boss de la Croisette Thierry Frémaux, ne signent une charte en faveur de la parité. Rassemblant notamment Rebecca Zlotowski et Céline Sciamma, deux cinéastes proches d’Adèle Haenel, le Collectif 50/50 – qui tient ses deuxièmes Assises pour la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel ce jeudi 14 novembre à Paris – est parvenu à introduire des notions féministes dans les débats professionnels et les institutions, créant un écho médiatique autour du sujet.

Mais le travail semble encore immense. Parmi les hommes puissants de cette industrie, seul Luc Besson se trouve aujourd’hui potentiellement inquiété par la justice. Après une première plainte classée sans suite, une nouvelle plainte pour viol a été déposée par la comédienne Sand Van Roy le 4 octobre dernier, provoquant l’ouverture d’une information judiciaire. Patrick Bruel se trouve sous le coup de cinq plaintes pour harcèlement sexuel, pour des faits qui ne concernent pas ses activités de comédien, tandis que de nombreux indices et témoignages évoquent un sexisme endémique dans le cinéma français. Dans une enquête menée en 2017 par Les Inrocks, trois actrices racontaient les abus de pouvoir et les propositions sexuelles d’un grand producteur français très actif des années 1980 aux années 2000, et les comportements inadéquats de réalisateurs installés. Dans son enquête attenante au témoignage d’Adèle Haenel, la journaliste de Mediapart, Marine Turchi, cite notamment l’actrice Alysse Hallali, qui raconte l’agression sexuelle qu'elle a subie sur un tournage de la part d'un “comédien de renommée internationale” alors qu’elle avait 17 ans. Le tumblr Paye ton tournage recense quant à lui les remarques sexistes (et effarantes) entendues ou endurées sur les plateaux par des femmes.

“On demande aux femmes d’être disponibles pour les hommes”

Les institutions du cinéma français semblent pour l’instant incapables de mettre un terme à cette culture sexiste dont parle l’actrice et réalisatrice Blandine Lenoir (Zouzou, Aurore). “Les violences, le harcèlement, les remarques sexistes sont récurrentes sur les tournages, tout cela dans une impunité qui, dans notre société française, est complètement liée à la culture du viol. On demande aux femmes d’être disponibles pour les hommes. Toutes les avancées féministes se sont faites dans une lutte collective. Si on se souvient des années 1970, elles étaient 343 à signer le manifeste pour l’avortement. Ce que j’aimerais, c’est qu’il y ait un mouvement général et surtout que ces attitudes, ces corollaires de la domination patriarcale se ringardisent, qu’on ne les supporte plus, que cela devienne inadmissible.” Garance Marillier abonde dans ce sens : “Certaines petites phrases entendues récemment dans les médias montrent qu’on ne prend pas en compte la gravité de la situation. Je n’ai jamais subi de harcèlement ou d’agressions graves comme ce qu’a vécu Adèle Haenel, mais des remarques sexistes, oui. Dans ce milieu, elles sont banales. Briser l’omerta, c’est aussi arrêter de donner la permission aux gens de dire des choses aberrantes comme de trouver #MeToo ‘fatigant’. C’est seulement après que la parole pourra vraiment se libérer.”

 “Il y a tout un travail à faire pour définir le consentement, que ce soit dans le cinéma ou dans la rue…” – Lætitia Dosch

Comment, également, changer en profondeur une manière de concevoir les rapports de pouvoir sur les plateaux hérités de la seconde moitié du XXe siècle ? La solution paraît encore tortueuse, comme s’il fallait faire virer de cap un paquebot en pleine tempête. Christophe Ruggia était très actif au sein de la SRF (Société des réalisateurs de films), puissante organisation qui chapeaute notamment la Quinzaine des réalisateurs, section off majeure du Festival de Cannes et refuge du cinéma d’auteur. Dans un communiqué, son conseil d’administration – composé notamment de Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Jacques Audiard ou encore Bertrand Bonello – a annoncé la radiation du cinéaste et son “soutien total” à Adèle Haenel, tout en précisant : “En tant que cinéastes, nous devons questionner nos pouvoirs et nos pratiques, sur les plateaux et comme collectif.” Une dernière phrase qui fait réagir Lætitia Dosch : “On est donc au-delà de la problématique de l’abus sexuel, explique la comédienne. C’est la relation réalisateur-acteur qui est en jeu. Il y a tout un travail à faire pour définir le consentement, que ce soit dans le cinéma ou dans la rue…”

Egalement membre du conseil d’administration de la SRF, Lucie Borleteau (qui vient de réaliser l’adaptation du prix Goncourt de Leïla Slimani, Chanson douce, en salles le 27 novembre) admet un choc : “Ce témoignage est une remise en question du système. La façon dont il interroge la place que l’on donne aux cinéastes me touche beaucoup. Je ne pense pas que l’on fait un meilleur film parce qu’on est dans des mécaniques de domination, de pouvoir et d’emprise. Ça m’a beaucoup secouée. C’est très positif, le fait de parler. Ce qui est mortifère ce sont toutes ces choses bizarres qui peuvent arriver sur un tournage et qu’on préfère garder à huis clos.”

La s"incérité” d’Adèle Haenel et l’immobilisme des institutions

Charles Gillibert (producteur des films de Mia Hansen-Løve, Olivier Assayas, Vincent Macaigne) est l’un des rares hommes parmi ceux que nous avons sollicités ayant accepté de répondre à nos questions. Depuis le tournage allemand du prochain long métrage de Leos Carax, il note “la sincérité” d’Adèle Haenel et l’immobilisme des institutions. “On peut penser que les institutions du cinéma doivent intégrer dans leur fonctionnement une manière d’accueillir ces paroles. Pour l’instant, c’est une cata. Il y a eu un coup de semonce assez lourd avec l’affaire Weinstein. Aujourd’hui, si une histoire comme celle d’Adèle Haenel se reproduisait, on peut espérer que cela réagirait très fort. Les choses ont bougé. Mais même si l’industrie du cinéma reste relativement progressiste et consciente, des angles morts et des zones grises existent. Une victime ou des témoins devraient être capables de se tourner vers des organisations. Les organisations professionnelles ont une responsabilité.” Pour Blandine Lenoir, “le cinéma fonctionne par cooptation, les gens ont peur de ne plus travailler, ils ne veulent pas être rejetés. Alors on se tait. Et les agresseurs poursuivent leur chemin, tranquilles, comme c’est le cas dans tous les milieux d’influence et de pouvoir.”

“Ces modèles de fonctionnement sur un tournage, ces histoires d'emprises, de relation trouble entre actrice et cinéaste, de violences, ce sont des récits qui ont été très majoritaires dans notre éducation au cinéma, durant nos études, raconte la réalisatrice Léa Fehner, qui a travaillé avec Adèle Haenel sur Les Ogres (2015). Ces exemples ont toujours été valorisés et non disséqués et interrogés, ce qui entraîne une banalisation. Il y a un énorme effort à faire dans la formation des futurs professionnels du cinéma.” Nathalie Coste-Cerdan, la directrice générale de la Fémis (Ecole nationale supérieure des métiers de l'image et du son) a rendu hommage à Adèle Haenel sur le compte Facebook de l'école, tout en expliquant : “C’est maintenant aux institutions de rentrer en action. (…) L’éducation doit également s'emparer de ces sujets pour qu'il n'y ait plus de petites Adèle. Mettre en place dans les établissements d'enseignement des outils et des référents ‘sentinelles’ pour prévenir les situations de harcèlement, mais aussi sensibiliser les générations futures.”

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“C’est tout un système qui doit être analysé, de l’oppression financière des femmes à la question des regards portés à l’écran, en passant par la violence opérée et sa négation” – Bérénice Vincent

Cette sensibilisation passera par un changement de regard et d’approche, alors que les fractures sont réelles dans la “grande famille” du cinéma français. “Il y a un décalage de génération hallucinant, note Charles Gillibert. A partir de mon âge (42 ans – ndlr) et au-dessus, cela met un temps fou à comprendre le problème. Je discute avec des gens âgés qui ont des responsabilités dans l’industrie depuis longtemps et qui relativisent énormément. Il y a eu des comportements dans les années 1980 et 1990 que des personnes qui en ont été témoins justifient à demi-mot. On parle d’une époque où la relation à l’autorité et à la notoriété était différente d’aujourd’hui. Il y a peut-être un devoir d’aller chercher ce qui s’est passé. Les affaires sorties sont celles de journalistes qui ont fait un gros travail. C’est la meilleure façon d’aborder ces sujets-là. Cela empêche de relativiser.” Bérénice Vincent constate, elle aussi, l’existence d’un fossé. “Quand je discute avec des professionnels – distributeurs, festivals ou producteurs –, je me rends compte que beaucoup n’ont pas amorcé leur déconstruction. Tout de suite, ils cherchent des excuses où évoquent la censure. Même chez les jeunes, il y a ce sentiment qu’on les attaque. C’est tout un système qui doit être analysé, de l’oppression financière des femmes à la question des regards portés à l’écran, en passant par la violence opérée et sa négation.”

Pour l’instant, des solutions sporadiques sont trouvées. Charles Gillibert inclut dans les contrats une obligation de témoigner pour celles ou ceux qui assisteraient à des situations de harcèlement. Certains réflexes nouveaux apparaissent, comme l’explique l’intéressé : “J’ai produit un film sur lequel l’acteur et l’actrice tenaient à ne pas dîner ensemble avant une scène de sexe, pour qu’ils la vivent de façon certaine comme purement professionnelle. C’est puisé dans la culture anglo-saxonne.” Hollywood a déjà pris des mesures post MeToo entrées dans les mœurs. Cet été, sur le tournage du prochain Tom McCarthy, où elle tient le premier rôle féminin face à Matt Damon, Camille Cottin a eu vent d’une “réunion de deux heures anti-harcèlement pour l’équipe technique au début du tournage, avec une avocate, où il a été question notamment des sanctions concernant les gestes inappropriés”.

“Ce témoignage rend désormais les actions indispensables”

L’introspection du cinéma français ne fait que commencer car la parole puissante d’Adèle Haenel interdit de garder les yeux fermés, comme le souligne le délégué général de la Quinzaine des réalisateurs Paolo Moretti. “Ce témoignage rend désormais les actions indispensables. Ce n’est plus de l’ordre de l’arbitraire ou de la discussion. Impossible de faire semblant.” Quelles solutions concrètes ? “Il faut instaurer des limites en lien avec le consentement, estime Lætitia Dosch. Cela peut passer par des lois, des chartes peut-être, mais je crois que ça demande surtout d’affiner notre regard. Il faut changer l’image de la femme à l’écran, c’est sûr.” Et peut-être, aussi, transformer une certaine vision du “grand cinéaste” dans l’imaginaire collectif. Dans sa réponse aux accusations d’Adèle Haenel, Christophe Ruggia – qui reconnaît une emprise mais pas des attouchements – a employé le terme “pygmalion” pour qualifier son rapport à la jeune actrice, signe que la mythologie de l’artiste amoureux de sa muse peut favoriser, voire provoquer d’immenses souffrances.

“Il faut aussi en finir avec l'image – valorisée – du réalisateur tyran, assène Léa Fehner. Apprendre, par l’éducation, par ces formes de questionnements collectifs qu'Adèle nous propose, apprendre à respecter ceux qui travaillent à nos côtés, à arrêter de croire que de la violence émerge de la beauté. Comment faire de notre posture d’autorité une posture de réciprocité ? Le fait que les femmes œuvrent à prendre une place financière, structurelle, sociale dans ce milieu me semble primordial pour que ces situations, ces crimes, ces vies détruites, abîmées par cette emprise (et elles sont nombreuses) ne se reproduisent plus. Il faut aussi faire exister, se donner cette responsabilité en tant que réalisatrice, d’autres récits, d’autres regards, d’autres fictions. Lutter contre cette prédominance qui ferait croire que le regard masculin est le regard neutre, le regard de l’humain.”

A 21 ans, Garance Marillier lance un appel clair : “Maintenant. Il faut que ça suive, que les comportements changent de tous les côtés. Il faut parler.” Alice Winocour, réalisatrice de Proxima (en salles le 27 novembre), voit le verrou sauter : “Il y a dans le témoignage d’Adèle Haenel un appel au changement, collectivement. Ceux qui se taisent peuvent parler. En nommant les choses, on change d’état. Cela me donne personnellement beaucoup de courage. Et j’imagine à d’autres aussi, hommes et femmes.” La productrice Marie-Ange Luciani invite à saisir la profondeur du moment. “C’est une prise de parole citoyenne, une invitation à changer un certain ordre du monde.” Léa Fehner capte elle aussi le vent qui se lève : “Un événement politique majeur est passé par le cinéma, avec sa puissance de pensée et son exigence de complexité. Cela va bien plus loin que notre milieu, évidemment. Adèle explose les silences toxiques.”

15 novembre 2019

Enquête ouverte contre l’ancien ministre Pierre Joxe après une plainte pour agressions et harcèlement sexuels

joxe

Par Yann Bouchez, Simon Piel

La femme à l’origine de la plainte a occupé le poste d’assistante de vie de l’épouse de l’ancien ministre de septembre 2017 à décembre 2018. Elle avait déposé une main courante en juillet 2018.

A l’automne 2017, en pleine naissance du mouvement #metoo, l’ancien ministre socialiste Pierre Joxe avait figuré parmi les personnalités publiquement mises en cause. Alexandra Besson, la fille d’un autre ancien ministre, Eric Besson, l’avait accusé d’attouchements lors d’une représentation à l’Opéra Bastille, en 2010, ce qu’il avait nié. Mme Besson n’avait pas saisi la justice, pour des faits prescrits. Deux ans plus tard, une autre femme dénonce le comportement de M. Joxe. Elle a porté plainte, mardi 12 novembre, pour des faits d’agression et de harcèlement sexuels. A la suite de cette plainte, le parquet de Paris a annoncé, mercredi soir, avoir ouvert une enquête pour des faits qualifiés de harcèlement sexuel et agressions sexuelles par personne ayant autorité. Cette enquête a été confiée à la 3e direction de la police judiciaire (DPJ).

Cette démarche survient à quelques jours d’une audience prévue lundi 18 novembre, qui doit opposer M. Joxe et Mme Besson. La 17e chambre civile du tribunal de Paris doit se prononcer sur la plainte en diffamation déposée par M. Joxe, avocat au barreau de Paris, 84 ans, après les écrits de Mme Besson le mettant en cause. Les avocats de cette dernière veulent s’appuyer sur la déposition de la nouvelle plaignante, prénommée Ritha, pour défendre leur cliente.

Ritha – elle ne souhaite pas que son nom soit publié – avait déjà déposé une main courante en juillet 2018. Elle dénonce des « attouchements sexuels répétés », entre avril et juin 2018. Rencontré par Le Monde, mardi, Pierre Joxe nie tout comportement déplacé : « Je ne me suis jamais livré à ce genre de choses sur personne contre sa volonté. » Il laisse entendre que cette femme pourrait être manipulée par la défense de Mme Besson.

« En apparence bienveillant »

Ritha, 40 ans, a été l’assistante de vie de l’épouse de Pierre Joxe, morte en janvier 2019. De septembre 2017 à décembre 2018, cette Haïtienne, arrivée au début des années 2010 en région parisienne, a été employée pour s’occuper de Laurence Fradin, atteinte d’une lourde maladie dégénérative. Selon le texte de la plainte, dont Le Monde a pris connaissance, « à compter du mois de janvier 2018 », Pierre Joxe a invité Ritha à lui faire « quelques confidences sur sa vie personnelle et privée et plus précisément sur l’avancée de la procédure engagée quant à la garde de son fils et des difficultés qu’elle rencontrait dans son intégration en France ». Ritha n’a pas de certificat d’assistante de vie aux familles ? « En apparence bienveillant », M. Joxe lui fait remarquer ce manque, explique la femme dans sa plainte, « afin de remettre en question la viabilité du contrat de travail ».

Selon la plaignante, c’est dans ce climat qu’un soir d’avril 2018, M. Joxe l’a invitée « à venir écouter dans le salon un concert diffusé sur la chaîne Mezzo. Immédiatement, il allongea sa tête sur les jambes de [Ritha] et lui intima “fais-moi un câlin” », peut-on lire dans la plainte. « Il disait : c’est le moment tendresse », précise Ritha. S’en sont suivis, selon la plainte, d’autres faits répétés et quotidiens. Ritha affirme ainsi qu’il est arrivé à l’ancien ministre socialiste de lui « prendre la main sans autorisation pour la caresser », de « passer derrière elle en frottant tout son corps contre elle », « de lui caresser les fesses, le dos, le bas du dos et les épaules », « de lui faire des compliments sur ses formes et sa silhouette », ou encore de « tirer ou lever son débardeur pour regarder sa poitrine, son ventre ».

Une nuit de juin 2018, la plaignante rapporte que Pierre Joxe est entré sans son autorisation dans sa chambre et lui a « saisi de force [le] visage avec sa main pour l’embrasser de force en usant de sa taille et de sa corpulence ». Malgré ses protestations, Pierre Joxe aurait réitéré « ses assauts offensants et ses attouchements à caractère sexuel », poussant finalement Ritha à se mettre en arrêt de travail, le 2 juillet 2018. « Dépression », dit son arrêt maladie.

Main courante en 2018

« J’étais très, très en colère par rapport à ce monsieur. On ne sait pas combien de personnes, surtout des femmes étrangères comme moi, en situation précaire, il utilise. C’est un beau parleur. Quand il veut quelque chose, il l’obtient. Et s’il ne l’obtient pas, il est prêt à tout », relate-t-elle au Monde.

Le 28 juillet, elle décide de déposer une main courante au commissariat de Bondy (Seine-Saint-Denis) pour « attouchements sexuels répétés de la part du mari de [son] employeuse ». Elle ne souhaite alors divulguer aucun nom, évoquant simplement le « mari de mon employeuse » dans le 15e arrondissement de Paris. Ni porter plainte, malgré les conseils de l’officier de police judiciaire qui la reçoit. « Il m’a à plusieurs reprises touché les fesses ou les seins », affirme-t-elle, en précisant « qu’il n’y a jamais eu aucun témoin de ces attouchements ». Elle ajoute : « Je gardais mes distances mais celui-ci revenait toujours vers moi. » En décembre 2018, avançant que l’état de son épouse s’est dégradé et qu’elle est désormais hospitalisée, M. Joxe notifie à Ritha son licenciement.

M. Joxe juge ces accusations « aussi baroques que d’aller caresser des cuisses à l’opéra ». Durant les trois dernières années de vie de son épouse, dit-il, « plus de dix » femmes se sont occupées d’elle, parfois simultanément, et toutes, hormis Ritha, « [l]e remercient encore ». « J’ai eu une vie sentimentale assez riche, je n’ai jamais eu besoin d’avoir recours à des menaces, des contraintes, ou des agressions, explique-t-il. C’est un truc à dormir debout. L’affaire Besson, je n’ai pas compris, et là je comprends encore moins. »

A propos de la plainte de Ritha, l’ancien ministre l’assure : « Je ne sais pas ce qui lui a pris. (…) Cela n’atteint ni ma tranquillité, ni ma paisibilité, parce que je sais ce qui s’est passé, et ce qui ne s’est pas passé. » Il évoque « une espèce de rancœur » de son ancienne employée, et estime qu’« elle était jalouse de ses collègues ». Enfin, il soumet l’hypothèse d’une manipulation par la défense d’Alexandra Besson : « En face, s’ils ont manipulé cette fille, ils seront face à leur conscience. » Pour sa défense, il cite enfin une attestation d’une professionnelle des services aux personnes, que Le Monde a consultée. Brigitte C., qui a suivi le travail des auxiliaires de vie de l’épouse de M. Joxe « entre juillet 2018 et janvier 2019 », estime que Ritha « a toujours exprimé un ressentiment concernant le manque de qualification qui pouvait lui être reproché », et qu’elle a pu nourrir un « sentiment d’abandon » au décès de Laurence Fradin, dont Pierre Joxe ne l’a pas informée.

Si Ritha a décidé de porter plainte aujourd’hui, c’est, dit-elle, parce qu’elle ne souhaitait pas le faire du temps du vivant de la femme de M. Joxe, avec qui elle dit avoir tissé des liens étroits.

14 novembre 2019

Recul historique de l’usage de la voiture en Ile-de-France

Par Éric Béziat

Une enquête montre que les trajets du quotidien en automobile ont diminué de 4,7 % dans la région par rapport à 2010. Une première depuis l’après-guerre.

L’homo automobilis a-t-il entamé son déclin ? En région parisienne, cela pourrait bien être le cas. La part de la voiture individuelle dans les déplacements recule à l’échelle de l’Ile-de-France tout entière. Et ce n’est pas un petit retrait. Selon la vaste « Enquête Globale Transport », menée en 2018 par Ile-de-France Mobilités, l’autorité organisatrice des transports dans la région capitale, l’usage de l’automobile dans les déplacements du quotidien a diminué de 4,7 % par rapport à 2010, date de la dernière étude comparable (soit − 700 000 trajets quotidiens en voiture individuelle sur 14,8 millions). C’est la première fois que cette enquête (sa première version date de 1976) montre un retrait automobile.

« C’est un vrai renversement, se félicite Valérie Pécresse, présidente (droite) de la région Ile-de-France. Il y a une envie de lâcher sa voiture. Ce n’était jamais arrivé depuis l’après-guerre. » Celle qui se pose en rassembleuse d’une droite républicaine aux accents sociaux et teintée de préoccupations écologiques semble s’être convertie à la politique du moins de voitures. « Je suis surtout pour la politique du moins de bouchons, sources de pollution et de stress », précise-t-elle.

Moins de bouchons… L’enquête ne le garantit pas. Elle se base sur les déclarations de 7 000 Franciliens appartenant à 3 000 ménages et réalisant près de 28 000 déplacements quotidiens. L’étude a, comme tout sondage, ses limites : elle ne prend en compte que les déplacements en semaine des Franciliens (et donc pas les touristes ou régionaux en transit) et elle laisse passer sous son radar des déplacements nombreux : livraisons de marchandises et tournées professionnelles, cars de tourisme, circulation à vide des VTC et des taxis.

Inflexion historique

Il n’empêche, le signal est d’importance et l’inflexion historique. D’autant plus que l’ensemble des déplacements quotidiens des Franciliens a connu une hausse de 4,6 % en huit ans (43 millions contre 41 millions en 2010). Si l’on regarde les chiffres dans le détail, quasiment tous les types de déplacements et la majorité des publics (cadres, employés, ouvriers, chômeurs, conjoints au foyer… à l’exception des agriculteurs, des retraités, des artisans-commerçants et des scolaires) sont concernés par l’abandon de la voiture ces dix dernières années.

Le fait nouveau c’est que Paris n’est plus le seul territoire francilien à voir la voiture reculer (désormais, plus de neuf déplacements de voiture sur dix en Ile-de-France ne mettent pas une roue dans Paris). Les déplacements automobiles à l’intérieur de la petite couronne génèrent 490 000 trajets quotidiens de moins qu’en 2010 (– 13 %). Même en grande couronne, royaume par excellence de la bagnole, elle est en – léger – recul (– 1 % entre 2010 et 2018, alors que la population y a augmenté de 5 % sur la période).

Pour Mme Pécresse, ce résultat est un des effets de la politique de transport qu’elle a mis en place depuis son élection à la tête de l’exécutif régional fin 2015 : « Nous avons renforcé l’offre de bus en grande couronne, nous développons le tramway en petite et moyenne couronne. Le ressenti des voyageurs a changé sur les lignes du Transilien dotées de nouveaux trains confortables, climatisés. »

Transfert de la voiture vers les transports collectifs

Et c’est effectivement à un transfert des voyageurs du quotidien de leur voiture vers les transports collectifs que l’on assiste. Les bus, métros, trains ont vu leur usage augmenter de 13 %, passant de 8,3 millions à 9,4 millions de trajets journaliers. Les modes doux aussi ont vu leur part augmenter : la marche (+18 % et premier mode de déplacement avec 17,2 millions de trajets), le vélo (+29 % avec 840 000 déplacements), la trottinette (130 000 trajets). « Je crois au vélo électrique, parfaitement adapté à la banlieue et à ses côtes », souligne Valérie Pécresse qui vient de lancer Véligo, un service de location longue durée de vélos à assistance électrique.

Dans un contexte de rivalité avec la maire de Paris, Anne Hidalgo, ravivé par l’approche des élections municipales de mars 2020 et à deux ans du prochain scrutin régional, Valérie Pécresse compte continuer à montrer qu’elle aussi sait faire baisser l’usage de la voiture.

Le tout dans un exercice d’équilibre à la mode centriste. « Je préfère être dans la concertation et que dans la brutalité des interdictions ou des fermetures d’axes, argumente Mme Pécresse. Il n’est pas question de créer un conflit artificiel entre Franciliens. Les habitants de la grande couronne ne prennent pas leur automobile par plaisir. Il y aura toujours des voitures sur les routes. »

11 novembre 2019

Chronique - Petit guide de la sexualité masculine non toxique

Par Maïa Mazaurette

Privilégier la communication et le partage entre partenaires, écouter ses préférences sexuelles plutôt que se cantonner à des rôles figés et hiérarchisés… Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale », nous livre quelques pistes pour en finir avec une virilité nocive et insidieuse.

LE SEXE SELON MAÏA

Commençons tout de suite par le point « victimisation » du jour : parler de masculinité toxique ne signifie pas que toutes les masculinités sont toxiques, de même que parler de pizza hawaïenne ne signifie pas que toutes les pizzas sont hawaïennes. Dans les deux cas, c’est une excellente nouvelle pour notre digestion.

Est toxique le type de masculinité qui repose sur le sexisme, l’homophobie, l’agressivité, le harcèlement, la violence, le verrouillage des émotions. Vous allez me dire : « Cette vision d’horreur est complètement caricaturale, nous sommes en 2019, nous scintillons de conscientisation antisexiste, cette chronique ne me concerne pas. » Oui, mais non (désolée, vous allez devoir continuer à lire).

La masculinité toxique se comporte comme les autres produits toxiques : elle se diffuse. Tout le monde est concerné. Y compris vous. Y compris moi. L’actrice Adèle Haenel – qui a accusé cette semaine le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements sexuels – ne s’y trompait d’ailleurs pas quand, au micro de Mediapart lundi dernier, elle replaçait nos itinéraires personnels dans des contextes culturels : « Une femme sur cinq – et encore, je suis gentille – est confrontée directement à la violence faite par, 98 % du temps, des hommes. Donc on peut quand même se poser la question de comment on construit la virilité aujourd’hui. »

Cette construction de la virilité affecte nos vies sexuelles bien au-delà de l’épouvantail des violences sexuelles, de la prostitution ou du gang-bang pornographique.

Les rôles sont à la fois figés et hiérarchisés

Quand les pratiques hétérosexuelles récréatives (hors procréation) reposent quasi exclusivement sur la pénétration des femmes par les hommes, les rôles sont à la fois figés et hiérarchisés (il y a des actifs et des passives, et la passivité est considérée comme un défaut). Cette répartition n’est pas seulement limitante. Elle est sexiste. Elle prend des corps, elle leur assigne des gestes, sans rapport avec leur potentiel ou leurs envies. L’individu est prié de se couler dans des désirs stéréotypés, et pire encore, de s’y épanouir (le moindre écart, même fantasmatique, nous rend suspects d’immaturité, de perversion, d’hystérie, etc.).

Il faut applaudir même quand le Kama Sutra tient sur un timbre-poste. Même quand ses contours sont totalement arbitraires. Cela produit des sexualités désincarnées, où des envies aussi simples que la prise d’initiative des femmes, la sensualité hors pénétration ou les masturbations partagées sont considérées comme illégitimes. Comme « pas du vrai sexe ». Or quand l’intime plie et recule devant les codes, c’est toxique.

Par ailleurs, la sexualité « normale » part du principe que tout le monde est hétérosexuel, que tous les hétérosexuels sont identiques, et que toute déviation expose à de terrifiants périls. Ainsi, le refus de la pénétration du corps des hommes (ou sa minoration, ou son mépris) ne peut pas être envisagé sans rapport avec la peur de « devenir gay ». Si nos préférences les plus privées reposent sur de l’homophobie, c’est triste. Et c’est toxique.

Quand certaines pratiques hétérosexuelles (sodomie, gorge profonde, rapport brutal, etc.) sont rendues douloureuses par notre incompétence ou par notre indifférence, quand on plaisante sur le fait que « c’est meilleur quand ça fait un peu mal » (sous-entendu : aux femmes), on utilise, on trivialise, on érotise, la violence. Cette érotisation n’existerait pas sans un imaginaire, masculin toxique, qui sublime les comportements agressifs, et qui considère la souffrance comme un support masturbatoire absolument dénué de conséquences.

Dans un cadre BDSM (bondage, domination, sado-masochisme), cette violence est pensée, négociée, stylisée. Amen. Hors BDSM, elle repose sur l’a priori voulant que la douleur soit fatale, excitante ou pas bien grave. Je parie que vous n’avez pas saupoudré de gravier votre gratin dauphinois dominical. Pourtant, dans un cadre de masculinité toxique, non seulement certains saupoudrent de gravier leur sexualité, mais ils accusent de sensiblerie et de mauvais goût les non-adeptes du gravier. C’est toxique.

Vous lisez la presse, vous avez donc entendu parler de harcèlement sexuel. Vous savez également que la séduction reposant sur un imaginaire de la conquête produit du harcèlement, puisque par définition, on ne conquiert que ce qui résiste. Outrepasser le « non » ? Coller des mains aux fesses ? Toxique.

Comprendre les émotions de l’autre

Enfin, quand notre conception de l’élégance interdit d’exprimer simplement nos fantasmes, parce que les mots seraient sales, les idées dégoûtantes, et parce qu’il faudrait « préserver le mystère », elle impose le verrouillage des émotions. Or quand on ferme la porte et qu’on obture les fenêtres, évidemment que c’est toxique. Et qu’on marine dedans.

Cette liste peut vous sembler déprimante. Je compatis. Côté pile, aucune intimité contemporaine n’échappe à sa dose de masculinité toxique (les femmes peuvent, évidemment, faire preuve des mêmes réflexes). Côté face, quand on identifie les toxines, on peut commencer à changer d’air.

Pour ce faire, j’ai demandé leur avis à deux experts en masculinité. Commençons par Victoire Tuaillon, qui vient de synthétiser deux années du podcast « Les Couilles sur la table » (écoutez ici) dans un essai du même nom publié aux éditions Binge Audio. Pour elle, « ce qui révolutionnerait la sexualité masculine, c’est avant tout une véritable égalité de fait dans notre société entre femmes et hommes ! En attendant, c’est la curiosité, l’introspection, l’empathie. Il s’agit moins d’exprimer ses émotions que de bien comprendre celles de l’autre. Il faudrait donc évaluer comment les différences d’âge, de profession, de notoriété, de force physique, de capital, de personnalité, de beauté, de santé… participent aux dynamiques de la relation. Ce qui demande beaucoup de clairvoyance, surtout quand on se rencontre. Mais ces prises de conscience permettent de percevoir plus finement son propre désir. »

Proposer sans imposer

Quant à Martin Page, qui republie en janvier son essai « Au-delà de la pénétration » (aux éditions Le Nouvel Attila), il démontre la même sensibilité aux rapports de domination : « Un homme face à une femme est dans une position de pouvoir, même s’il est féministe, super de gauche et anticapitaliste. »

Et pour les travaux pratiques, il ne manque pas d’idées : « Ne pas considérer les femmes comme des poupées de porcelaine, accueillir leur parole sans jamais les juger, reconnaître la singularité de chaque amante, y compris quand sa partenaire souhaite se déguiser en caribou, ne pas jouer à celui qui sait mieux que l’autre. Il faut proposer sans imposer, et sans jamais être déçu par le rejet de sa proposition. Et puis reconnaître qu’on se plante parfois, qu’il n’y a pas un seul modèle en matière de sexualité. Pour cela, il faut déjouer les chemins tous tracés, accepter de ne pas mener la danse, donc se laisser aussi toucher, caresser, pénétrer. »

Attendez, ça n’est pas fini : « Dans nos lits nous pouvons apporter des sex-toys, du lubrifiant, des huiles de massage, des foulards, des menottes, mais il me semble nécessaire d’y convoquer aussi des livres et de la pensée. Une masculinité sexuelle non toxique ne tombe pas du ciel : les hommes doivent lire des féministes, les suivre sur les réseaux sociaux, les écouter dans les repas de famille. Cela ne se fera pas sans petits tiraillements et renoncements. »

S’il vous semble impossible de survivre à ces renoncements, observez le tableau qui apparaît quand on retourne chacune des caractéristiques de la masculinité toxique. On remplace alors la transgression par la communication (transgresser, franchement, c’est très XXe siècle), la violence par la douceur, la souffrance par le plaisir, le harcèlement par le consentement, le verrouillage par le partage. Et bien sûr, on remplace les obligations de genre par nos préférences personnelles. Si vous ajoutez des déguisements de caribou… comment dire non à une proposition pareille ?

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