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Jours tranquilles à Paris
7 janvier 2020

Enquête - « Aujourd’hui, bien dormir, c’est être en haut de la pyramide sociale »

Par Vincent Cocquebert

Longtemps envisagé dans notre société de la performance comme une activité improductive, le sommeil est devenu le nouveau totem du développement personnel.

A l’instar d’un Français sur deux, Lila entretient avec ses nuits une relation un brin tourmentée. « C’est les montagnes russes au niveau de mon sommeil », résume cette trentenaire free-lance dans la communication digitale. « Autant je peux extrêmement bien dormir, autant je peux avoir des périodes où je vais me réveiller entre quatre et huit fois par nuit. » Résultat, lorsqu’elle n’a pas pu faire sa nuit idéale, soit sept heures réglementaires, « c’est une catastrophe et je ne suis pas bien pendant toute la journée ».

Heureusement, Lila peut compter sur Namatata, une application de méditation qu’elle dégaine sur son téléphone dès que les soucis de la journée viennent l’assaillir dans son lit. Elle peut aussi se reposer sur sa montre connectée qu’elle consulte une ou deux fois par semaine pour s’informer de la durée et de la nature (léger ou profond) de son sommeil, ainsi que de ses phases de réveil.

Un impératif de bien-être

Cette quête quotidienne et appliquée d’un repos rédempteur, Lila est loin d’être la seule à la poursuivre. C’est aussi le cas de l’héroïne du dernier roman d’Ottessa Moshfegh, Mon année de repos et de détente (Fayard, 2019), qui décide, elle, d’hiberner durant une année entière. « Le sommeil me semblait productif. (…) En mon for intérieur je savais (…) qu’une fois que j’aurais assez dormi, j’irais bien. Je serais renouvelée, ressuscitée. » Jusqu’alors relégué au rang d’activité passive qui, pensait-on, nous faisait perdre du temps, et de l’argent, le sommeil a récemment intégré le spectre du développement personnel. Au point de devenir un nouvel impératif de bien-être.

Un bon sommeil serait en effet le secret pour optimiser ses séances à la salle de sport (afin que l’organisme soit au top de ses capacités physiologiques) ou perdre du poids (en aidant à bien réguler les différentes hormones, notamment la ghréline, qui stimule l’appétit). Pour d’autres, c’est même devenu une routine beauté (le fameux beauty sleep, avec massage du visage, méditation, huile essentielle sur l’oreiller et suppression du sucre au dîner) permettant d’éviter les couches de cosmétiques. Différentes études ont en effet démontré que les personnes présentant des signes de fatigue étaient jugées nettement moins attirantes.

D’APRÈS UN SONDAGE IPSOS DE 2018, DORMIR SERAIT POUR 88 % DES FRANÇAIS UN MOMENT DE PLAISIR ET POUR 78 %, UN MOMENT DE LIBERTÉ.

« L’image culturelle négative du sommeil relié à la paresse, héritée de Thomas Edison (l’inventeur de l’ampoule électrique pour qui “le sommeil [était] une absurdité”), est largement remise en question. Aujourd’hui, bien dormir, c’est être en haut de la pyramide sociale », explique Hugo Mercier, entrepreneur de 26 ans et auteur de l’ouvrage A la conquête du sommeil (Stock, 2019). Après l’amour, c’est donc désormais le sommeil qu’il faudrait trouver à tout prix, au point d’en faire une sorte de nouveau personal branding (« marketing de soi-même »).

D’après un sondage Ipsos de 2018, dormir serait pour 88 % des Français un moment de plaisir et pour 78 %, un moment de liberté. Surtout, 92 % se disent intimement persuadés que leur sommeil est « unique et différent » de celui des autres. Je dors, donc je suis, en somme. « Alors qu’il était un espace-temps non questionnable qui allait de soi, le bon sommeil est devenu un objectif de la sagesse contemporaine », confirme le sociologue Jean-Claude Kaufmann.

Une ardoise de 371 milliards d’euros

Les apôtres du dicton « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt », à l’instar de l’écrivain Hal Elrod (Miracle Morning, First, 2016) ou de l’entrepreneur Filipe Castro Matos qui martèle dans ses conférences TedX que le secret de la réussite serait de se réveiller quotidiennement à 4 h 30, subiraient-ils un violent retour de bâton ? On le dirait bien. On se souvient qu’en août 2018, au bord du burn-out, l’ex-président de Tesla, Elon Musk, avait confié au New York Times carburer à l’Ambien, un puissant somnifère, afin de réussir à dormir quelques heures. Censées témoigner de son investissement sans limite, ses déclarations avaient produit l’effet inverse, inquiétant les investisseurs sur sa capacité à mener à bien les affaires du groupe.

Derrière le cas Elon Musk, toute une mystique des nuits trop courtes semble s’écrouler. De fait, si l’on en croit une étude réalisée en 2016 par le think tank Rand Corporation, le manque de sommeil serait moins synonyme de travail acharné que de baisse de productivité. Soit, dans le détail, pas moins de 411 milliards de dollars (371 milliards d’euros) de perte annuelle pour les seuls Etats-Unis.

Des salariés rémunérés pour dormir

Mais le message a beau avoir changé, la logique de rentabilité sous-jacente, elle, reste la même. Et si les dangers liés aux nuits trop courtes sont désormais largement médiatisés (obésité, maladies cardiovasculaires, accidents, cancers, troubles du comportement, etc.), ces effets délétères sont bien souvent envisagés d’un simple point de vue productiviste. Des entreprises comme Casper, aux Etats-Unis, ou Crazy Inc., au Japon, vont jusqu’à rémunérer leurs salariés qui acceptent de comptabiliser leurs heures de sommeil et dorment au moins six heures par nuit. Car le paradoxe de cette nouvelle injonction de valorisation sociale du dodo, c’est qu’elle survient précisément alors même que nous n’avons jamais si peu dormi. En mars 2019, l’agence Santé publique France révélait dans son baromètre que nous avions perdu, en cinquante ans, une heure trente de sommeil.

Pire : cette injonction au bien-dormir générerait ironiquement son lot d’insomnies. A force de vouloir à tout prix optimiser leur sommeil pour briller à la machine à café, certains développeraient un syndrome dit « d’orthosomnie ». « J’ai désormais régulièrement des patients qui n’avaient à l’origine aucun problème d’insomnie et qui viennent me voir en me disant : “Ma montre me dit que je dors mal, qu’est-ce que je peux faire ?” Le problème, c’est que, plus on veut maîtriser son sommeil, moins on dort, car pour ça il faut savoir lâcher prise », confirme le docteur José Haba-Rubio, auteur de Je rêve de dormir (Favre, 2016). D’un côté, un besoin de rentabilisation existentielle et, de l’autre, une obsession sanitaire permanente tiraillent le potentiel dormeur.

Valorisation des nuits blanches

Conscients de cette insoluble contradiction, certains préfèrent jouer le contre-pied, et optent pour une valorisation intime et poétique de leurs nuits blanches. « Je me trouve des occupations diverses et variées : découper le bas d’un jean pour en faire un short, découper les manches d’une vieille chemise, laver les carreaux, écrire, toute activité impliquant un processus de métamorphose, traduisant sans doute un rapport assez païen à la nuit », confie Carmen, une jeune conceptrice-rédactrice de 24 ans dont les heures de sommeil se comptent généralement sur les doigts d’une main.

Après avoir sans succès tenté de s’assoupir avec des infusions de valériane et une application de méditation, Margaux a elle aussi conclu que le credo « qui dort, win » n’était pas pour elle et en a profité pour lancer « 4 h12 », un podcast où des insomniaques viennent raconter leur quotidien nocturne parallèle. « Comme la plupart des gens que j’interroge, je vis une dualité, admet la jeune femme. Ne pas dormir est un moment à la fois terrible et précieux mais où je ne suis connectée qu’à moi-même, où le temps m’appartient, où je peux en faire absolument ce que je veux. » Et si Margaux ne peut toujours pas vraiment se vanter de ses heures de sommeil, au moins elle vit sa vie rêvée. La nuit.

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5 janvier 2020

Il faut parler de pédophilie (mais sans clichés)

pedo25

Par Maïa Mazaurette

Parce qu’on ne protégera pas les enfants avec des épouvantails et des idées reçues, la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette a décidé de faire cette semaine une mise au point.

LE SEXE SELON MAÏA

Commençons cette année par une détox informative : cette chronique parlera de pédophilie, d’inceste, de pédocriminalité... parce que le sujet est important et que nous sommes toutes et tous concernés. Mais elle n’évoquera ni monstres littéraires ni monstres tout court, elle n’appellera ni au pardon ni au lynchage, et on n’y mentionnera aucune star du milieu artistique parisien.

Ces problèmes existent dans tous les milieux. Les épouvantails, clichés et caricatures également – autant de discours parfaitement contre-productifs. Pour réellement protéger les mineurs, voici une mise au point – éclairée par l’équipe Ile-de-France des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS).

1. Les pédophiles ne sont pas forcément des agresseurs d’enfants

La pédophilie est d’abord un fantasme (pour des prépubères ou de jeunes pubères), et ce fantasme n’est pas illégal, contrairement au passage à l’acte. Pour une attirance envers des adolescents, on parlera d’hébéphilie. On peut avoir des fantasmes pédophiles sans jamais toucher un enfant : on parle alors de pédophiles abstinents. Nous manquons malheureusement de chiffres, car peu de personnes osent parler, mais les professionnels estiment que la grande majorité des personnes attirées par les enfants ne passeront jamais à l’acte.

Si vous êtes concerné par ce genre de fantasmes, demandez de l’aide : le site PedoHelp vous fournira des ressources. Certains agresseurs ont des trous noirs : si vous vous sentez déraper, si vous ne vous rappelez plus de la nuit dernière, si cet article vous remue, vous serez informés et orientés. La Fédération française des CRIAVS a créé le mois dernier un numéro d’évaluation et d’orientation (0 806 23 10 63), actuellement en phase de test et bientôt étendu à toute la France, justement pour aider les personnes attirées par les enfants à ne jamais faire de victimes.

2. La majorité des agresseurs d’enfants ne sont pas pédophiles

Ils sont pédocriminels, et pratiquent une sexualité adulte parfaitement banale. Les agressions se produisent quand ces personnes subissent une « contagion affective » : ils cessent de voir l’enfant comme un enfant, ils oublient qu’un mineur n’a ni la maturité physique ni la maturité émotionnelle permettant de s’opposer à un adulte (surtout

quand cet adulte les loge, les nourrit et les soutient au quotidien). Ils confondent le besoin d’affection et le silence de l’enfant (sa honte, son incompréhension, sa soumission) avec du consentement. Parfois, le passage à l’acte n’est même pas lié à une attirance sexuelle : seule une minorité des auteurs de violences sexuelles sur mineurs répondent aux critères d’un diagnostic de pédophilie.

3. Il faut arrêter de parler de « prédateurs sexuels »

Il s’agit d’auteurs de violences sexuelles. Cette métaphore de la prédation propage l’idée que nous serions entourés de bêtes sauvages déguisées en êtres humains, qui auraient des « stratégies ». Sauf que les agressions sont, le plus souvent, opportunistes, et perpétrées par des proches (un quart des violences ont lieu dans le cadre familial).

L’expression « prédateur sexuel » empêche de régler le problème : les auteurs de violences sexuelles ne peuvent pas se reconnaître dans un tableau aussi caricatural. Idem pour les proches : comment croire votre enfant, quand il désigne votre propre frère ou votre propre sœur ? Cela vaut aussi pour les femmes, qui formeraient entre 11 % et 22 % des agresseurs, selon les chiffres rassemblés par l’association française Stop aux violences sexuelles.

4. Il faut arrêter d’enfermer les victimes dans une identité définitive de victime

Des remarques incestuelles au viol aggravé, les dommages faits aux mineurs prennent de multiples formes, qui entraînent de multiples conséquences, parfois invalidantes, parfois mortelles (l’association Mémoire traumatique et victimologie est incollable sur la question). Et pourtant ! La majorité des victimes, y compris d’inceste, s’en sortent. Le taux de résilience des victimes (qui vont bien) est de 65 % (étude de l’université de Toronto, 2019). Deux écueils à éviter : figer les personnes dans un statut de victime, les condamner à reproduire leur traumatisme. Ces prophéties sont statistiquement fausses.

5. Oui, c’est grave de regarder de la pédopornographie

Vous n’êtes pas responsable de vos fantasmes, mais vous êtes responsable de les entretenir. Chercher des images pédopornographiques est illégal (y compris des dessins, comme les hentaï japonais). Même si vous ne touchez jamais un enfant, vous créez une demande qui victimise des enfants. Par ailleurs, le principe des neurones miroirs rend très similaires (à l’échelle de votre cerveau) le fait de regarder quelque chose, et le fait de performer cette même action. Si cette mécanique s’est enclenchée, vous n’êtes pas démuni (et vous n’êtes pas fichu). Demandez de l’aide et essayez de chercher votre plaisir d’une autre manière, pour ne pas créer de fantasmes exclusifs.

6. Non, les pédophiles d’un jour ne seront pas toujours pédophiles

Les pédophiles ne sautent pas sur tous les enfants, de même que les lesbiennes et les hommes hétéro ne sautent pas sur toutes les femmes. Le passage à l’acte résulte d’une rencontre entre deux personnes bien spécifiques. Les mineurs les plus fragiles, qui ne savent pas dire non, sont en première ligne... surtout quand ils grandissent persuadés que le danger vient de pervers offrant des bonbons.

En France, les garçons sont les plus exposés entre 4 et 12 ans, avec un pic à 6 ans. Pour les filles, deux fois plus souvent agressées que les garçons pendant la prime enfance, la période de tous les dangers s’étend de 12 à 24 ans, avec une très impressionnante augmentation des violences autour de la 16e année (enquête Virage, citée par le ministère de l’intérieur).

Pour les pédophiles comme pour les autres, par ailleurs, rien n’est immuable. Les fantasmes peuvent bouger, que ça se fasse naturellement, au cours de la vie, ou à la suite d’une psychothérapie (sans lien avec les thérapies de conversion à la Orange mécanique). Pour ça comme pour le reste : quand on souffre, on demande de l’aide.

7. On ne naît pas pédophile. On ne le devient pas non plus. C’est compliqué

Certains pédophiles essaient actuellement de faire reconnaître leur préférence comme une orientation (ils seraient alors des MAP, « minor attracted persons », soutenus par le hashtag #mappositivity). Malgré l’intérêt soulevé début 2019 par une étude publiée dans la revue de référence Nature (mettant en avant une altération du système androgénique des futurs pédophiles dès le stade prénatal), cette explication tout-biologique ne convainc pas les experts. La pédophilie serait le produit de la nature et de la culture, de prédispositions, d’expériences vécues et d’influences sociétales.

8. Il n’y a pas de gentils et de méchants

Expliquez à vos enfants que des personnes gentilles peuvent faire des choses méchantes. N’oubliez pas qu’on peut être un enfant, victime, et participer aux actes. On peut aussi y prendre du « plaisir », malgré soi (le corps répond parfois mécaniquement aux stimulations). On peut être une femme agresseuse, et évidemment, un garçon victime (car non seulement les mineurs ont tendance à se taire, mais chez les garçons, dont l’identité masculine n’est pas compatible avec la victimisation, le silence est encore plus intériorisé).

9. Presque la moitié des auteurs d’agressions sur mineurs sont eux-mêmes mineurs

Selon les chiffres 2018 du ministère de la justice, 45 % des auteurs de viol sur les mineurs de moins de 15 ans sont eux-mêmes mineurs ; 10 % des personnes mises en cause pour des infractions sexuelles ont moins de 13 ans (chiffres 2017).

Difficile à admettre, mais si vos charmants bambins risquent d’être victimes, ils peuvent aussi être auteurs de violences sexuelles. L’adolescence notamment est un terrain d’extraordinaire fragilité : si vous avez des ados à la maison (garçons et filles), envoyez-les sur consentement.info. Ils trouveront des vidéos explicatives (et même une vidéo musicale pas piquée des hannetons).

Pour prévenir les violences, développez les compétences psychosociales des mineurs autour de vous (apprenez-leur à verbaliser leurs émotions, à demander la permission, à affirmer sans timidité leur non-consentement, à poser leurs limites physiques et à respecter celles des autres). Certaines violences sont le fait de maladresses et de méconnaissances sexuelles, dues à la pauvreté de nos perspectives éducatives en la manière. En trois mots comme en cent : parlez de sexe. Avec tact. En vous adaptant à leur âge et leur niveau de connaissances. Mais parlez (je vous avais expliqué comment entamer la conversation).

10. La répression n’est pas la seule réponse

Chaque année, une faible proportion de ces victimes (13 %) porte plainte, même en cas de viols ou de tentatives de viols (21 %). Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), près des deux tiers ont déclaré ne pas porter plainte, de peur que cela ne serve à rien.

Outre les problèmes spécifiques liés à la formation des policiers, la lenteur des procédures ou la périlleuse question de la preuve, le recours à l’engrenage judiciaire n’est pas pour tous la solution idéale. Envoyer en prison sa tante, son grand frère, briser sa propre famille ostracise souvent celle ou celui qui a osé parler. Il est cependant envisageable de creuser la voie de la justice restaurative (fondée sur le dialogue et la recherche de solutions communes), qui donne un taux plus élevé de satisfaction. Et qui répare le rapport humain, sans ajouter du traumatisme aux traumatismes déjà existants.

Enfin, pour terminer sur une note d’espoir : il n’y a pas de fatalité concernant les violences sexuelles – qu’elles touchent des mineurs ou des majeurs, des hommes ou des femmes.

En 2017, j’avais publié un article récapitulant quarante années de polémiques pédophiles en France. Il a suffi de quelques décennies pour briser l’omerta, et pour que l’opinion publique se modifie en profondeur. La logique du « méchant prédateur » nous empêche encore de passer à la vitesse supérieure. Mais il n’empêche. Non seulement nous pouvons mettre fin aux violences, mais nous avons déjà commencé.

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5 janvier 2020

La justice demande le réaffichage d’une campagne de pub anti-IVG dans les gares

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La régie Mediatransports, interpellée par la maire de Paris, avait décidé de retirer les visuels jeudi estimant qu’il s’agissait de « messages militants ».

C’est une décision de justice qui passe mal à la mairie de Paris. Un tribunal a demandé que soit réaffichée dans les gares franciliennes une campagne controversée de l’association Alliance Vita qui milite notamment contre l’avortement.

Cette dernière a fait part, samedi 4 janvier, de la décision du tribunal saisi en référé, qui enjoint « à la régie Mediatransports de replacer les deux affiches [de soutien à la paternité et à la maternité] qu’elle avait retirées jeudi 2 janvier sans préavis, et sans même alerter l’association ».

« Très grand étonnement face à cette décision de référé ordonnant la poursuite de la campagne anti-PMA et anti-IVG. J’encourage #Mediatransports à user de toutes les voies de droit possibles pour qu’il soit mis définitivement fin à cette campagne », a réagi la maire de Paris Anne Hidalgo sur Twitter, tandis que Mediatransports a annoncé son intention de faire appel. Filiale du groupe publicitaire Publicis, Mediatransports est une régie spécialisée dans l’affichage dans les gares ferroviaires, stations de métros et arrêts de bus.

« Des messages militants excédant le principe de neutralité »

Association qui milite notamment contre le droit à l’avortement et la procréation médicalement assistée, Alliance Vita a mené une campagne autour de plusieurs visuels avec un slogan, « la société progressera », y ajoutant, selon les cas, « à condition de respecter la paternité » ou « la maternité » ainsi que « la différence ».

Mediatransports, interpellée par la maire de Paris notamment, avait décidé de retirer les visuels jeudi, « avec l’accord de la SNCF Gares & Connexions », avait-elle précisé. « Deux visuels relatifs à la protection de la maternité et à la protection de la paternité peuvent être entendus comme des messages militants excédant le principe de neutralité qui s’impose dans les transports publics », avait expliqué la régie.

Alliance Vita a par ailleurs annoncé avoir demandé à un autre réseau d’affichage, Exterion Media, de « réinstaller immédiatement » dans les rues de Paris « la totalité des trois visuels de la campagne », retirés vendredi dernier, « faute de quoi l’association lancera une seconde action en référé ».

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5 janvier 2020

Deux avocates médiatiques s’affronteront au procès Weinstein

Par Stéphanie Le Bars, Washington, correspondance

Le procès pénal du producteur s’ouvrira le 6 janvier, à New York. Du côté de la défense, Donna Rotunno, contemptrice du mouvement #metoo. Face à elle, Gloria Allred, figure de la lutte contre les prédateurs sexuels.

Au centre se tiendra un homme. Autour, des femmes, nombreuses : victimes, accusatrices, et avocates. Le procès au pénal, pour agressions sexuelles, de l’ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui doit s’ouvrir lundi 6 janvier à New York, est hors normes à plus d’un titre. Deux affaires seulement seront au cœur des débats : la plainte d’une de ses anciennes maîtresses, l’accusant de l’avoir violée en 2013, et celle d’une assistante de production assurant avoir subi ses assauts en 2006. De quoi faire risquer à l’accusé la prison à perpétuité.

Mais d’autres ombres planeront sur le tribunal, celles de plusieurs dizaines de femmes, 87 selon un décompte de USA Today, qui, ces deux dernières années, ont accusé le sexagénaire d’agressions sexuelles. Des témoignages qui ont contribué à enclencher le mouvement #metoo.

Un sous-texte sociétal

Cette situation pénale au sous-texte évidemment sociétal ne semble pas déplaire à Donna Rotunno. À 43 ans, l’avocate vedette d’Harvey Weinstein en est convaincue : son client, qui a réfuté toutes les charges, en sortira blanchi. Cheveux longs, visage taillé au couteau, la jeune femme a pris en juillet, avec son collaborateur Damon Cheronis, la relève de l’équipe d’avocats remerciée par le producteur. Un pari audacieux à quelques semaines seulement du début du procès alors prévu en septembre. Mais la confiance en soi n’est visiblement pas ce qui manque à Donna Rotunno.

« BEAUCOUP DE CES SUPPOSÉES PLAINTES VIENNENT DE PERSONNES QUI ONT DÉNONCÉ DES ÉCHANGES EMBARRASSANTS MAIS PAS ILLÉGAUX. » DONNA ROTUNNO

La juriste assume une forme d’esprit critique face à la vague #metoo et à cette armée de femmes qui a dénoncé gestes déplacés et agressions traumatisantes de la part de son client. « Beaucoup de ces supposées plaintes viennent de personnes qui ont dénoncé des échanges embarrassants mais pas illégaux », expliquait-elle en juillet dans une tribune publiée par Newsweek.

Forte de cette logique, l’avocate de Chicago entend faire passer son client pour un être à la moralité certes discutable, mais en aucun cas pour un criminel. Harvey Weinstein a commis des « péchés » mais « il n’est pas un violeur », a-t-elle répété sur CBS News en septembre. Sans craindre le mélange des genres, la juriste, élevée dans la religion catholique, a cru bon de préciser : « Il y a une différence entre un péché et un crime. »

Déterminée à jeter un doute sur l’absence de consentement des femmes harcelées par Harvey Weinstein, elle s’en tient à un credo, pourtant régulièrement démenti par les psychologues : à ses yeux, une femme a « toujours le choix ». « Lorsqu’on parle de relations sexuelles entre un homme et une femme, on doit prendre en compte le fait qu’il y a toujours une zone grise, où se brouillent les lignes. » Un territoire flou dans lequel auraient navigué « 60 % des hommes » qu’elle a défendus, avec succès.

« La bouledogue des salles d’audience »

Cette critique assumée de #metoo est cohérente avec la carrière de cette ex-procureure spécialisée dans la défense des hommes accusés d’agressions sexuelles, très attachée au principe de présomption d’innocence. En quinze ans, « la bouledogue des salles d’audience », comme l’a surnommée un de ses clients, a sauvé l’honneur d’une quarantaine d’hommes, célèbres ou anonymes.

« DANS LE DROIT ACTUEL, LE SEUL CRIME POUR LEQUEL UNE PERSONNE PEUT ÊTRE POURSUIVIE SANS LA MOINDRE PREUVE EST L’AGRESSION SEXUELLE. » DONNA ROTUNNO

De manière décomplexée, Donna Rotunno assume une stratégie de défense agressive. Son statut de femme lui autoriserait une liberté de ton à l’égard des accusatrices qu’aucun homme ne pourrait se permettre. « Si un avocat homme interroge un témoin femme avec la même acrimonie que moi, il passe pour une brute. Quand je le fais, personne ne lève un sourcil. »

Cette méthode éprouvée s’ajoute à la conviction que, « dans le droit actuel, le seul crime pour lequel une personne peut être poursuivie sans la moindre preuve est l’agression sexuelle ». Un de ses rares procès perdus la « hante » encore : celui d’un jeune footballeur noir de 17 ans, condamné à une peine de seize ans de prison malgré l’absence de toute trace physique sur le corps de la victime.

Quitte à tordre la réalité et les chiffres, Donna Rotunno juge que la police, la justice et les médias ont tendance à croire les femmes sur parole, transformant l’opinion publique en tribunal expéditif. « Or, tout le monde a droit à une défense », explique-t-elle aussi. Même les violeurs. Sa seule limite éthique : elle refuse de défendre les personnes accusées de violences envers des enfants.

Une ardente défenseuse de #metoo

Face à cette montagne de certitudes et de brutalité assumée, Gloria Allred, une autre vedette des prétoires américains, se prépare à la confrontation, par médias interposés. L’avocate californienne des victimes de Weinstein, 78 ans, dont plus de quatre décennies d’engagement auprès des femmes et des minorités, connue pour avoir assuré la défense des victimes de l’acteur Bill Cosby, de la famille de l’épouse assassinée du footballeur O.J. Simpson, a déjà un avis sur son adversaire professionnelle. « Une brute est une brute, quel que soit son sexe. »

« AUCUNE FEMME NE DEVRAIT ÊTRE AMENÉE À PENSER QU’UNE AGRESSION SEXUELLE RELÈVE DE SA FAUTE OU DE SON CHOIX. » GLORIA ALLRED

Ardente défenseuse de #metoo, Gloria Allred est convaincue qu’« aucune femme ne devrait être amenée à penser qu’une agression sexuelle relève de sa faute ou de son choix ». Une approche, aux antipodes des convictions de Donna Rotunno, qui promet des échanges au couteau entre les deux ténors. Car les deux avocates se rejoignent sur un seul point. Le procès Weinstein sera aussi une bataille médiatique.

Jouer avec l’opinion publique

En mission pour « faire peur aux hommes qui font du mal aux femmes », Gloria Allred ne dédaigne pas de jouer avec l’opinion publique pour parvenir à ses fins. L’exposition médiatique – forcément poignante – de ses clientes lui vaut d’ailleurs des critiques, tout comme sa stratégie de défense, en partie fondée sur des arrangements à l’amiable.

Dans le livre She Said : Breaking the Sexual Harassment Story That Helped Ignite a Movement, publié en septembre dernier sur l’affaire Weinstein (Random House, non traduit), Jodi Kantor et Megan Twohey, les deux journalistes du New York Times qui ont publié la première enquête sur le producteur, remettent en cause ses pratiques. En incitant ses clientes à accepter des compensations financières contre leur silence, Allred contribuerait à protéger les prédateurs. Dès 2004, son cabinet avait négocié le paiement de 125 000 dollars à une actrice qui accusait Harvey Weinstein.

Celle qui se targue d’avoir fait gagner des millions de dollars en dommages et intérêts à ses clientes a rétorqué à ces accusations dans le Los Angeles Times, expliquant en substance que les victimes n’ayant pas choisi d’être violées ou agressées, la moindre des choses était de leur laisser le choix de régler leur affaire comme elles l’entendent : dans les bureaux discrets d’un cabinet d’avocat ou devant un tribunal. Dans l’affaire Weinstein, seules deux femmes ont choisi la seconde option. Une trentaine d’autres, représentées par plusieurs avocats et avocates, ont trouvé un accord à hauteur de 25 millions de dollars.

5 janvier 2020

Des milliers de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites

A Paris, plusieurs milliers ont défilé, samedi, de la gare de Lyon à la gare de l’Est. Des mobilisations ont également eu lieu à Marseille, Toulouse ou Caen.

Après un mois de grève contre la réforme des retraites, et à la veille d’une semaine décisive, de nouvelles manifestations ont eu lieu samedi 4 janvier à Paris et dans plusieurs villes de France.

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont manifesté, certaines arborant un gilet jaune, pour demander le retrait de la réforme, à l’appel des unions départementales CGT, FO, Solidaires et FSU. Derrière une banderole réclamant « Macron, retire ton projet, sauvegardons et améliorons nos retraites », le cortège est parti peu après 13 heures de la gare de Lyon et a atteint sa destination, la gare de l’Est, vers 16 heures.

Place de la Bastille, les manifestants, parmi lesquels aussi quelques blouses blanches et des enseignants, ont salué l’Opéra en scandant « la clause du grand-père, on n’en veut pas ! », en référence à la proposition qui a été faite aux danseurs de l’Opéra que seuls les nouveaux entrants ne bénéficient plus d’un départ à la retraite à 42 ans, proposition qu’ils ont rejetée.

« Il faut que les gens réfléchissent un peu à ce qu’ils veulent en termes de modèle de société », a déclaré Jean-Gabriel Mahéo, un technicien industriel se qualifiant de « gilet jaune ». « Si jamais le système qui est proposé passe, (…) ce sera une catastrophe sociale. »

Beaucoup d’opposants portaient pancartes et boîtes en carton tentant de collecter de l’argent pour aider les grévistes. « RER B, aidez-nous », disait l’une d’elles. La grève dans les transports est entrée samedi dans son deuxième mois, une durée inégalée qui a dépassé le précédent record établi en 1986-1987. Le trafic SNCF restait globalement perturbé pour les retours de vacances scolaires du week-end, tout comme à la RATP.

Des défilés à Marseille, Toulouse ou Caen

De son côté, la préfecture de police de Paris a interdit « tout rassemblement de personnes se revendiquant des “gilets jaunes” dans plusieurs secteurs de la capitale », notamment sur les Champs-Elysées, près de l’Elysée, dans le secteur de l’Assemblée nationale, de la cathédrale Notre-Dame et du Forum des Halles.

A Marseille également, quelques centaines de personnes ont manifesté au départ du Vieux-Port. Des « gilets jaunes » ont pris la tête du cortège sous un grand soleil, suivis par des militants CGT et Solidaires principalement.

Jean Bergue, 72 ans, retraité de France Télécom, ne compte plus ses manifestations contre la réforme des retraites : « J’en suis à la trentième peut-être », assure-t-il. Ce septuagénaire dénonce « un président qui veut monter les travailleurs les uns contre les autres » et « répond par le mépris » à la contestation sociale. A la rentrée, espère-t-il, « le mouvement va encore s’amplifier et se durcir, jusqu’au retrait total du texte ».

A Toulouse, plusieurs dizaines de « gilets jaunes » sont entrés dans la gare Matabiau et certains ont bloqué des rails en soutien aux cheminots grévistes. « Au départ, notre mouvement [des “gilets jaunes”] s’était dit apolitique, “asyndical”, mais on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous, car on se bat pour la même chose », a soutenu Carole, 54 ans, mégaphone à la main. Pour Olivier, un professeur de 53 ans, « les “gilets jaunes” et les syndicats ont tout intérêt à ne rien lâcher et à mettre ensemble en route une utopie, dont le peuple a viscéralement besoin ».

Le cortège a ensuite rejoint des centaines de manifestants dans les rues du centre-ville de Toulouse. Ils ont traversé sans heurts la place du Capitole, qui leur avait été interdite pendant des mois. « Si la police nous suit, c’est qu’elle n’a pas d’amis », ont scandé les manifestants à l’attention des CRS qui s’étaient positionnés dans les rues attenantes.

Selon France Bleu, plusieurs centaines de personnes ont manifesté au Mans ainsi qu’à Caen. Des opérations « péages gratuits » ont eu lieu samedi matin dans plusieurs villes : Vinci Autoroutes a fait état de manifestations au péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines, mais aussi à Perpignan, Nîmes, Béziers et Carcassonne.

Reprise de discussions

Cette journée d’action précède une semaine décisive, ponctuée par la reprise de discussions difficiles avec les syndicats et deux journées de manifestations : celle de jeudi 9 janvier, avec un appel de l’intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, Solidaires, FSU) à une journée interprofessionnelle de manifestations et de grèves. Puis celle de samedi 11, avec un appel à manifester dans tout le pays, lancé par l’intersyndicale rejointe par les syndicats de lycéens et d’étudiants UNEF et UNL.

Dès lundi, de nouveaux appels à la grève ont été déposés, notamment par les avocats, le 2e syndicat de pilote d’Air France et des fédérations d’infirmiers et de kinésithérapeutes. La CGT a promis un durcissement des blocages de raffineries, de terminaux pétroliers et de dépôts.

Mardi, les discussions reprendront après une pause de dix-sept jours où rien n’a évolué. La réunion avec les partenaires sociaux est prévue au ministère du travail, sous l’égide de Muriel Pénicaud, absente jusqu’à présent des négociations. Elle doit aborder la pénibilité, seule piste de tractation évoquée par Emmanuel Macron le 3 décembre, ainsi que l’emploi des seniors.

Le chef de l’Etat s’est redit déterminé à « mener à terme » la réforme et n’a rien lâché, notamment sur l’âge pivot de départ en retraite à 64 ans, qui a mis en colère les syndicats « réformistes » CFDT, CFTC et UNSA. Mais, à moins d’apparaître comme partisans d’un passage en force, M. Macron et son premier ministre n’ont plus que deux semaines pour trouver une solution avant la présentation de la réforme en conseil des ministres, la semaine du 20 janvier.

A gauche, union pour demander le retrait de la réforme. Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Fabien Roussel, Julien Bayou ou encore Philippe Martinez ont cosigné, parmi 65 personnalités de gauche, une tribune appelant au retrait de la réforme des retraites et à l’ouverture de « vraies négociations », publiée dans le Journal du dimanche du 5 janvier. Outre les dirigeants de La France insoumise, du Parti socialiste, du Parti communiste, d’Europe Ecologie-Les Verts ou de la CGT, figurent également les porte-parole du NPA Olivier Besancenot et Philippe Poutou et le coordinateur de Générations Guillaume Balas. A leurs côtés, des députés (Clémentine Autain…), députés européens (Raphaël Glucksmann…), sénateurs (Esther Benbassa…) mais aussi des acteurs (Josiane Balasko, Corinne Masiero), journalistes (Audrey Pulvar), sociologues, chercheurs…

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4 janvier 2020

Le parquet de Paris ouvre une enquête pour viols sur mineur contre Gabriel Matzneff

pédophilie

L’auteur, qui n’a jamais fait mystère de ses relations avec de jeunes adolescents, est au cœur d’une polémique déclenchée par la publication d’un roman autobiographique de l’éditrice Vanessa Springora.

La justice a décidé de réagir, trente ans après les faits et vingt-quatre heures après la sortie de l’ouvrage de Vanessa Springora. Le parquet de Paris a ouvert une enquête, vendredi 3 janvier, contre l’écrivain Gabriel Matzneff, notamment mis en cause pour ses relations avec des partenaires mineurs dans un livre de l’éditrice, paru jeudi.

Cette enquête a été ouverte pour « viols commis sur mineur » de moins de 15 ans et confiée à l’office central de répression des violences faites aux personnes, a précisé le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz. Il souligne aussi que les investigations s’attacheront « à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l’étranger ».

Si les faits sont prescrits, le parquet de Paris a décidé de se saisir de l’affaire dans le cadre d’une « enquête d’initiative ». La politique du parquet de Paris, mise en place il y a quelques années quand François Molins en était le procureur, est de systématiquement ouvrir une enquête sur des faits de viol ou d’agression sexuelle sur mineur, même si les infractions sont prescrites.

Il ne peut pas y avoir de procès dans de tels cas, mais l’enquête permet de ne pas laisser sans réponse les victimes. A l’issue de l’enquête, et avant de la classer pour prescription, le parquet propose une rencontre entre la victime et son agresseur présumé. Il est arrivé que cette « mise en présence » permette ce qu’une audience aux assises n’aurait jamais pu : « on a obtenu des aveux en confrontation, des lettres d’excuses », avait expliqué M. Molins au Monde.

« Dysfonctionnements des institutions » de l’époque

Dans son roman autobiographique intitulé Le Consentement, l’éditrice de 47 ans raconte comment elle a été séduite par Gabriel Matzneff alors qu’elle n’avait même pas 14 ans et le poids de cette histoire sur sa vie, ponctuée de dépressions.

« A 14 ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter », raconte Vanessa Springora dans cet ouvrage. « Pourquoi une adolescente de 14 ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? (…) Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger mais la sienne », ajoute l’écrivaine, qui assure avoir été sous emprise lors de sa relation.

« Par son statut d’écrivain, Gabriel Matzneff redoublait son entreprise de prédation par une exploitation littéraire de cette séduction et de possession des jeunes filles et jeunes garçons, estime-t-elle également, interrogée par France Culture vendredi matin. Il utilisait la littérature pour continuer à assouvir ses pulsions. »

L’écrivaine est la première à témoigner parmi les adolescentes séduites par Gabriel Matzneff, auteur longtemps fêté par le milieu littéraire français et récompensé par le prix Renaudot essai en 2013. Le goût autoproclamé de l’écrivain, aujourd’hui âgé de 83 ans, pour les « moins de 16 ans » et pour le tourisme sexuel avec de jeunes garçons en Asie, qu’il avait relaté dans de nombreux ouvrages, avait jusqu’ici très peu fait ciller. La sortie du livre de Vanessa Springora semble être en train de changer la donne.

« Ce n’était pourtant pas très difficile de savoir qui était Matzneff à l’époque », souligne Vanessa Springora dans les colonnes du Parisien, évoquant les « citations terrifiantes » de son ouvrage Les moins de seize ans, et dénonçant les « dysfonctionnements de toutes les institutions [de l’époque] : scolaire, policière, hospitalière… ».

Réagissant aux regrets exprimés par l’ancien animateur télé Bernard Pivot, accusé de complaisance avec l’écrivain, l’écrivaine s’est dite « étonnée » qu’il soit le seul à avoir fait cette démarche. « Davantage que cette chasse à l’homme qui est en train de se mettre en place vis-à-vis de Matzneff, un vieux monsieur dans la misère qui n’est plus en mesure de nuire à qui que ce soit, pour moi, c’est l’hypocrisie de toute une époque qui doit être remise en question », insiste-t-elle. A nouveau interrogé jeudi par Le Parisien, après avoir répondu au Monde le 18 décembre, Frédéric Beigbeder a reconnu que l’attribution du prix Renaudot essai en 2013 à Gabriel Matzneff « était maladroit[e] ».

Le magazine L’Express a décidé de publier en intégralité le long texte que Gabriel Matzneff leur a fait parvenir, jeudi, soulignant que « cette publication ne vaut pas caution ». « L’écrivain n’y fait aucun mea culpa ni ne demande le pardon, mais il livre le récit de sa liaison avec la jeune fille », souligne l’hebdomadaire. M. Matzneff défend « un exceptionnel amour » et assure « ne pas mériter l’affreux portrait » que Vanessa Springora dresse de lui.

Dans un communiqué diffusé vendredi, les secrétaires d’Etat à l’égalité femmes-hommes et à la protection de l’enfance, Marlène Schiappa et Adrien Taquet, ont appelé « toutes les personnes ayant connaissance d’actes pédocriminels commis dans cette affaire ou dans d’autres à se manifester auprès de la justice pour que les victimes puissent être reconnues comme telles ».

31 décembre 2019

Budget des ménages : ce qui change le 1er janvier 2020

Par Aurélie Blondel

Impôts, santé, travail, immobilier, aides sociales : qui dit nouvelle année dit nouvelles règles ! Mais également prix qui grimpent ou diminuent, selon les cas…

C’est aussi une tradition du 1er janvier, de nombreuses nouveautés affectant le pouvoir d’achat à la hausse comme à la baisse entrent en vigueur. Prélèvement à la source, crédit d’impôt pour les rénovations énergétiques, timbres, médicaments génériques, « prime Macron » : tour d’horizon des principales règles qui évoluent en matière de finances personnelles et de démarches.

Impôts

Le nombre s’affichant sur la balance a gonflé avec les fêtes ? Connectez-vous au site des impôts pour vous remonter le moral ! Beaucoup devraient constater que leur taux de prélèvement à la source a, lui, quelque peu fondu grâce au nouveau barème de l’impôt sur le revenu. Economie moyenne attendue, selon le gouvernement : environ 300 euros pour 16,9 millions de foyers. Vous en bénéficierez si vous êtes taxé à la deuxième tranche marginale d’imposition (son taux passe de 14 % à 11 %), ou à la troisième (30 %).

Appliqué pour l’essentiel des contribuables depuis un an, le prélèvement à la source touchera aussi, désormais, les employés à domicile. Leur impôt sur le revenu sera directement déduit de leur salaire par les particuliers employeurs, qui devront suivre cette procédure : fin janvier, lorsqu’ils déclareront leur salarié sur les sites du CESU (chèque emploi-service universel) ou de Pajemploi, on leur indiquera le montant net à lui verser, impôt déduit. Celui-ci sera prélevé sur leur compte avec les cotisations sociales. S’ils ont opté pour les services tout-en-un « CESU + » ou « Pajemploi + », le salaire sera directement ponctionné sur leur compte.

Autre nouveauté fiscale : jusqu’ici exonérées d’impôt sur le revenu, les vieilles assurances vie, souscrites avant 1983, seront désormais taxées comme les autres en cas de retrait total ou partiel. Seuls les revenus associés aux versements effectués à partir de janvier sont visés. L’année 2020 voit aussi disparaître la possibilité d’étaler certains revenus sur plusieurs années fiscales, notamment les indemnités de départ à la retraite. Bonne nouvelle toutefois pour les aidants : les dédommagements touchés dans le cadre de la prestation de compensation du handicap échapperont désormais à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

Travail

Clap de fin pour le régime social des indépendants : ce 1er janvier 2020 marque la dernière étape de la suppression du fameux RSI et de l’intégration progressive de ses affiliés au régime général de sécurité sociale. Dès ce 1er janvier, tous les artisans et commerçants ont pour interlocutrices les caisses de l’assurance retraite pour leurs pensions (les libéraux conservent leurs régimes). Et tous les indépendants, libéraux compris, dépendront de l’assurance-maladie pour leur santé à partir de janvier ou février (date de rattachement transmise individuellement). Aucune démarche à réaliser. Quant aux indépendantes, elles bénéficieront, dans le cadre d’une expérimentation de trois ans, d’un congé maternité plus souple, avec possibilité de reprendre leur activité à temps partiel.

Pour les micro-entrepreneurs, la nouvelle année rime avec diminution des allégements de cotisations sociales de début d’activité accordés dans le cadre de l’aide à la création ou à la reprise d’une entreprise (ACRE). Pour les nouveaux autoentrepreneurs, l’exonération ne sera plus que de 50 % pendant un an. Ceux déjà en activité verront leur exonération limitée à 25 % la deuxième année et à 10 % la troisième.

Salariés, la « prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat », initiée en réponse au mouvement des « gilets jaunes », a été reconduite en 2020, mais seuls les employeurs ayant mis en place un accord d’intéressement pourront la verser. Ils auront jusqu’à fin juin, contre fin mars dans la version 2019. Comme l’an dernier, cette « prime Macron » de 1 000 euros maximum, exonérée d’impôt, de cotisations et contributions sociales, est réservée aux salariés touchant moins de trois fois le smic.

Parmi les nouveautés pour les fonctionnaires : une hausse des cotisations retraite – le taux passe de 10,83 % à 11,10 % – et la possibilité de rupture conventionnelle, introduite à titre expérimental pour six ans (décret d’application non paru).

Santé

Outre l’entrée en vigueur du « reste à charge zéro » pour les lunettes et prothèses dentaires, et la baisse du remboursement de l’homéopathie, retenez que la prise en charge des frais de contraception des mineures est étendue aux moins de 15 ans.

De nouvelles règles s’appliquent aussi à la pharmacie pour favoriser le recours aux génériques. Si vous les refusez, il faudra non seulement que votre ordonnance affiche la mention « non substituable », mais aussi que celle-ci s’accompagne d’une justification médicale valable. Faute de quoi le pharmacien pourra certes vous délivrer le médicament princeps (non générique), mais vous ne bénéficierez pas du tiers payant ; vous devrez renvoyer la feuille de soins à l’assurance-maladie et le remboursement sera moindre.

Aides sociales

Vous avez recours à un assistant maternel, une garde à domicile ou une micro-crèche pour votre enfant ? Les modalités d’attribution du complément libre choix du mode de garde (CMG) évoluent. Il est maintenant possible de le toucher à taux plein jusqu’à l’entrée à la maternelle. Cette aide était jusqu’ici divisée par deux au troisième anniversaire de l’enfant, ce qui pénalisait les familles dont l’enfant était né avant septembre.

Pas de changement en revanche ce 1er janvier pour les aides au logement, la réforme ayant de nouveau été repoussée d’un trimestre. Rappelons que l’idée est de les calculer non plus en fonction des ressources de l’année N-2 mais des douze derniers mois.

Immobilier

Si vous prévoyez des travaux dans votre logement, sachez que le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) a été profondément modifié. Pour les ménages les plus modestes, il est transformé en prime, versée dès la réalisation des travaux. Pour les investisseurs intéressés par l’immobilier locatif, la réduction d’impôt « Denormandie », accordée à ceux qui achètent un appartement ou une maison en mauvais état et y engagent des travaux importants, est élargie. Il n’est notamment plus nécessaire d’investir dans le centre des communes concernées pour en bénéficier.

Consommation et factures

Envoyer un courrier coûtera plus cher en 2020, les prix des timbres subissant une nouvelle hausse. La lettre verte, la plus courante, coûtera ainsi 0,97 euro au lieu de 0,88 euro, soit 10 % de plus. Une légère augmentation des frais bancaires est également à prévoir, le gel des tarifs acté pour 2019 prenant fin ce 1er janvier. Les tarifs réglementés du gaz accusent, eux, une baisse moyenne de 0,9 % (hors taxes) en janvier.

Vous comptez apprendre à conduire en 2020 ? Pour bénéficier du « permis à un euro par jour », il faudra vous adresser à une auto-école labellisée « qualité des formations au sein des écoles de conduite » (un quart d’entre elles l’étaient mi-décembre 2019, selon les services de la Sécurité routière). Vous achetez une voiture ? Le malus écologique est renforcé, le bonus raboté. Ce 1er janvier sera aussi marqué par une hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. A savoir, enfin : vous pouvez désormais conserver votre numéro de téléphone fixe en 01, 02, 03, 04 ou 05 si vous déménagez au sein de la même « zone de numérotation élémentaire » (il y en a 412). Exemple : vous quittez Rouen (Normandie) pour Nantes (Pays de la Loire), votre numéro débutant par 02 reste valable.

30 décembre 2019

Affaire Matzneff

Franck Riester (Ministre de la Culture) a apporté son soutien à « toutes les victimes » de l’écrivain Gabriel Matzneff, au cœur d’une polémique pour son attirance sexuelle pour les jeunes adolescents.

« L’aura littéraire n’est pas une garantie d’impunité. J’apporte mon entier soutien à toutes les victimes qui ont le courage de briser le silence », a écrit, samedi, le ministre de la Culture, Franck Riester (ci-dessus), sur son compte Twitter avant la parution, début janvier, de « Consentement », témoignage de l’éditrice Vanessa Springora, séduite à 14 ans par Gabriel Matzneff.

« Je les invite (les victimes), ainsi que tout témoin de violences commises sur des enfants, à contacter le 119 », poursuit Franck Riester.

Le ministre demande par ailleurs au Centre national du livre (CNL) de lui fournir « toutes les précisions » concernant une allocation versée à certains écrivains pour compenser les difficultés financières liées au grand âge ou à la maladie, dont Gabriel Matzneff est bénéficiaire. « Je prendrai mes responsabilités », ajoute-t-il.

30 décembre 2019

«LE CONSENTEMENT» SANS CONCESSION DE VANESSA SPRINGORA

Par Luc Le Vaillant

Ancienne «compagne» adolescente de Gabriel Matzneff, l’éditrice raconte comment l’écrivain a profité il y a une trentaine d’années d’une jeune fille aux sentiments confus.

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Vanessa Springora, le 21 décembre. Photo Frédéric Stucin 

Il s’agit de rencontrer Vanessa Springora pour faire son portrait, et ce n’est pas forcément simple. Cette éditrice détaille sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff dans un récit inaugural à paraître jeudi. Elle avait 14 ans, lui la cinquantaine. Elle a désormais 47 ans et vient de prendre la tête des éditions Julliard. Lui a 83 ans et publie le dernier tome d’un journal qui n’en finira jamais. Elle est la première, et pour l’instant la seule, de ses conquêtes hors d’âge à l’accuser d’abus sexuel et de pédophilie, quand il s’est toujours vanté d’avoir échappé à la brigade des mineurs. Lucide et réfléchi, précisément formulé, ni coincé ni gnangnan, le récit de Vanessa Springora a le tranchant d’un boomerang frémissant et acéré qui ne rate pas sa cible.

Adultes négligents

On est au milieu des années 80. Sa mère est attachée de presse dans l’édition. Son père a pris ses distances. Elle s’est indolemment laissé traîner à un dîner. La conversation l’ennuie. Elle se replie pour feuilleter Eugénie Grandet de Balzac. Mais l’invité d’honneur qui plastronne et qui brille l’a repérée. Il va lui faire une cour assidue, clandestine et valorisante. Elle se sent enfin échapper à la morosité de ses incertitudes. Bravant sa mère qui la met en garde, elle se lance à cœur perdu et à corps franc dans une histoire qui va l’abîmer durablement, quand elle le quittera après avoir découvert qu’il multiplie les aventures en parallèle. Aujourd’hui, elle dénonce une ambiance permissive, des parents en panne d’autorité, des adultes négligents, sans pour autant appeler au retour de l’ordre moral, ni à la claustration des jeunes filles.

Son livre se nomme le Consentement. C’est une fausse piste pour dire tout l’inverse. Elle se questionne un instant et écrit : «Comment admettre qu’on a été abusée quand on ne peut nier avoir été consentante ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ?» Mais elle choisit de se revendiquer victime et de faire entendre sa parole. Elle dissèque l’insidieuse contrainte, la servitude volontaire, la sentimentalité flouée d’une gamine qui croyait user de sa liberté et y perd sa confiance en elle. Elle décrypte l’insécurité qui s’en suit, la déscolarisation, les crises d’angoisse, les blocages psychiatriques. Elle salue la psychanalyse qui lui permettra une lente et délicate récupération de ses moyens intellectuels et de son indépendance affective.

Machiavélisme

Surtout, elle raconte combien elle se sent dépossédée de son identité à chaque fois qu’elle se voit réapparaître dans les romans que signe celui dont elle ne veut plus entendre parler. Il la réinvente en «Vanessa S.» ou alors elle devient la «petite V.». Cette fois, c’est elle qui fait de lui «G.M.» Il la chosifiait à mesure qu’il la poissait au piège des mots, à leur glu qui reclus les filles qui y ont trop cru. Elle a mis du temps à prendre sa revanche, en Monte Cristo acharné à la perte de celui qui ne cessait de se rappeler à son mauvais souvenir. Par machiavélisme, dit-elle, et peut-être aussi par attachement mortifère à une proie échappée.

Avant de lui ficher en plein cœur ce stylet très stylé, il y a d’abord eu l’éloignement au Mexique, la production télé, un documentaire réalisé sur un copain devenu SDF. Puis il y a l’entrée pas à pas dans le monde de l’édition, univers où G.M. a son rond de serviette. Elle s’occupe d’abord des manuscrits des autres, puis prend de l’assurance, devient la cheville ouvrière de Julliard.

En 2013, elle se décide à affûter sa plume quand G.M. obtient le prix Renaudot, ce qui l’ulcère. Elle affirme que #MeToo n’est pour rien dans sa détermination, même si on croise dans son texte quelques concepts et raisonnements en résonance avec l’actualité. Cette réponse de la bergère au berger est une victoire après affrontement dans le champ clos d’une compétence et d’une adulation commune, la littérature. Elle dit : «Pour moi, l’écrivain représentait la figure de l’autorité suprême.» (Elle était une excellente élève qui n’avait nul besoin qu’il rédige ses dissertations. Elle s’en voulait de le laisser faire et d’endosser une note faramineuse quand elle aurait glané en solo son habituel «très bien»). Il paradait en réprouvé fier de l’être, en avide d’une reconnaissance à occultations. Il était «l’initiateur» aux références orientées, Socrate, Edgar Poe, Byron, Lewis Caroll, et puis aussi Polanski, et même David Hamilton. Pour sa part, elle s’intéresse autant au roman-monde, à John Fante, à Jonathan Safran Foer qu’à l’autofiction. Elle apprécie Annie Ernaux, Catherine Millet, Delphine de Vigan. Et l’édition française est ainsi faite que cet œcuménisme lui sera nécessaire, car les maisons de la place publient un peu de tout.

Vanessa Springora réside près du parc des Buttes-Chaumont. Elle reçoit chez elle, dans une ancienne boutique à la devanture grise, où il faut frapper fort pour qu’on vous entende. Au mur, il y a une affiche d’un film d’Antonioni, Blow up, récemment dénoncé comme diffuseur de la «culture du viol». Elle ne l’a pas décroché pour autant. Mais inutile de surinterpréter ce qui n’est peut-être qu’une coïncidence ou un oubli. Elle ne s’assoit plus derrière le piano où elle jouait Satie avant que G.M. ne l’en détourne. Son fils qui fait le conservatoire l’a avantageusement remplacée. Il a 14 ans et a rangé sans l’ouvrir le livre de sa mère. Elle dit : «Un psy dirait que ce n’est pas neutre que je publie quand il a l’âge exact où…»

Elle zézaye un rien mais parle avec ce phrasé parfait des gens de l’édition qui ont l’élégance mesurée et le verbe structuré, l’intelligence vive et les références ouvragées sans être pédantes. Elle est labile et subtile, profuse et précise, et ça va juste un peu vite pour qu’on puisse tout noter, mais tant pis, on a compris l’esprit et ce n’est pas désagréable de se laisser déborder.

Cartable

Elle fume beaucoup et c’est la seule addiction qui demeure, même si elle admet «avoir tout essayé». Elle porte une frange à la Anna Karina mais en plus cuivrée, qui volète quand elle repousse un chat fureteur qui fore le cartable du journaliste et y débusque, devinez quoi, le livre de sa maîtresse. Son compagnon est médecin à la prison de la Santé. Il survient à la fin de l’entretien qui a allégrement débordé. La discussion à bâtons rompus dérive tranquillement. Elle a voté Hamon et se dit «socialiste et orpheline du PS» quand G.M. était plutôt un réac inconséquent. Elle se revendique athée maintenue quand G.M. lui faisait répéter le Notre Père en russe. Elle tente de faire la distinction entre «subversion» et «transgression», préférant la première, se méfiant de la seconde. Elle se réjouit de la loi Gayssot et d’autres tentatives d’encadrement du même ordre. Puisque l’heure du débat est venue, on lui répond qu’en matière de création on persiste à préférer le mantra «il est interdit d’interdire». Elle pense qu’il faut prévenir, éduquer, «contextualiser». Elle estime que les éditeurs devraient barder leurs publications d’avertissements et de rappels à la loi. On lui fait valoir qu’on est majeur et vacciné, mais que pourquoi pas ?

On lui raconte un portrait sans doute trop désinvolte qu’on avait fait de Matzneff en der de Libé voici quinze ans, en regrettant avoir négligé le côté touriste sexuel qu’il avait mis sous le tapis. Ce Narcisse académique ne nous exaltait pas spécialement et l’on se demandait d’ailleurs ce que pouvaient bien lui trouver toutes ces demoiselles. Nous intéressait en revanche l’habileté surannée de ce dézingueur des familles les plus éclairées et les plus compréhensives. Le portrait est un travail d’artisan, où les informations personnelles se mêlent à l’analyse de caractère, aux impressions recueillies, aux sensations éprouvées. On se confronte à l’humaine nature, au risque de l’erreur d’appréciation. Cela fait la beauté de l’exercice, et aussi sa limite.

Vanessa Springora semble connaître ces limites et ne pas s’en formaliser. Elle se dit contre la censure, contre les autodafés et autres mises au pilon. Mais elle reconnaît que jamais elle n’éditera Matzneff. Et qu’elle se serait bien vu faire des confettis de ces maudites pages dont elle était l’héroïne.

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30 décembre 2019

AFFAIRE MATZNEFF : UN CONFLIT DE DROITS

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Par Laurent Joffrin

Coupable, Matzneff ? A coup sûr. Dans ses livres, sur les plateaux, il se vante de relations sexuelles avec des jeunes de moins de 15 ans, chose légalement prohibée pour un adulte. Le visionnage d’une conversation télévisée animée par Bernard Pivot ne laisse aucun doute sur la question. Il a fallu, dans la même émission, l’incontestable courage de Denise Bombardier, écrivaine québécoise au fait des lois de protection de l’enfance, pour qu’un minimum de logique fasse une intempestive irruption au milieu d’un badinage irresponsable. On dit, pour justifier la complice réaction des participants et celle d’une bonne partie du milieu littéraire : «c’était une autre époque», réflexion qui explique peu et n’excuse rien. A cette époque, justement, la loi proscrivait explicitement ces relations et donc Matzneff, quelles que soient la qualité de son style ou l’étendue de sa culture, était un délinquant. Loi archaïque ? Produit d’une pudibonderie hors d’âge aux relents pétainistes ? Pas exactement. Elle procédait d’une ordonnance prise à la Libération (en juillet 1945) pour protéger l’enfance et fut précisée par un texte de 1998, qui réaffirmait l’existence d’un âge de 15 ans pour la majorité sexuelle, au-dessous duquel on définit la relation intime comme une «atteinte sexuelle» (qui n’est pas annulée par le consentement du ou de la mineure), passible de sanction pénale.

La tolérance dont bénéficiait le dandy au crâne lisse dérivait ainsi de l’ignorance, alliée à cette frivolité germanopratine qui valorisait les postures libertaires, les rébellions mondaines (qui ne coûtent pas grand-chose) et la sacralisation des écrivains. Car si l’on peut admettre (cela se discute) que la littérature a tous les droits, il n’en va pas de même des écrivains, qui sont soumis aux lois communes et répondre de leurs actes, sinon de leurs écrits. Matzneff aggravait même son cas en contant ses frasques tout aussi choquantes auprès de gamins prostitués dans des bars asiatiques, ou encore en livrant des réflexions qu’on qualifierait aujourd’hui de machisme grossier, bien plus archaïque que les lois dont on se plaignait à l’époque. Rappel inoffensif, au demeurant, puisque les faits sont prescrits (on n’ajoutera pas «grâce à Dieu»).

Mais alors, dira-t-on, que penser des textes tout aussi révoltants publiés jusque dans les années 80 par Libération ? La même chose, à vrai dire. Le journal s’en est expliqué plusieurs fois, notamment par un long article de 2001 écrit par Sorj Chalandon. C’est un fait que Libération accueillait en son sein un certain nombre de militants qui revendiquaient leur goût pour les relations sexuelles avec des enfants et tenaient qu’il fallait dépénaliser ces comportements au nom de la libération sexuelle, celle des enfants et, surtout, celle des adultes. Chalandon décrivait ces errements sans faux-fuyants, tout en prononçant leur condamnation sans ambages. Libération, enfant de Mai 68, professait à l’époque une culture libertaire dirigée contre les préjugés et les interdits de l’ancienne société. Ces plaidoyers portaient souvent sur des causes justes, le féminisme, le refus des discriminations envers les étrangers ou les homosexuels, la liberté sexuelle des adultes consentants, etc. Mais ils promouvaient parfois des excès fort condamnables, comme l’apologie intermittente de la pédophilie, que le journal a mis un certain temps à bannir. Ce n’était pas seulement la traduction d’un air du temps, d’un esprit répandu à l’époque, qui tendait à dénoncer toute réminiscence de «l’ordre moral». On y lisait aussi les effets d’une théorie, pas toujours bien assimilée, qui découlait de cette «pensée 68» illustrée par Sartre, Foucault, Bourdieu ou Derrida. Pour faire court, il était entendu dans ces cercles intellectuels que toute loi, toute norme, pour ainsi dire toute habitude, renvoyait à l’exercice d’un pouvoir oppressif, omniprésent et diffus, qui dépassait en étendue et en influence celui de l’Etat ou d’une classe sociale, pour contrôler, orienter, contraindre les corps et les âmes au profit de la domination multiforme qui structurait la société capitaliste. Ainsi la proscription de la pédophilie dérivait de ce pouvoir (un peu mystérieux, à vrai dire) sur les comportements quotidiens, dont il fallait s’émanciper. En oubliant bizarrement la domination subreptice mais impérieuse que les adultes peuvent exercer sur les mineurs (de 15 ans). On proclamait le droit à la sexualité sans limites, mais on négligeait la souffrance psychologique, les dommages de long terme, que pouvait occasionner cette «libération», comme le montre éloquemment le témoignage de Vanessa Springora, amante de 14 ans et victime de Gabriel Matzneff.

La «pensée 68» reste une référence - plus lointaine - du journal, ne serait-ce qu’en raison de la qualité des penseurs déjà cités. Mais Libération se recommande désormais, de la logique des droits humains, appuis solides des démocraties, qui prescrivent l’égalité des dignités et s’étendent, par là même, aux enfants.

L’affaire Matzneff illustre un conflit de droits. Celui de l’adulte à une sexualité libre et celui de l’enfant à la protection vis-à-vis des prédateurs, seraient-ils des personnages parisiens. La loi a fixé une limite, plutôt sage. Elle vise non à exercer un pouvoir sur les corps pour le compte des «dominants», mais à civiliser les relations humaines.

Laurent Joffrin

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