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Jours tranquilles à Paris
28 décembre 2019

Chronique - Cette année, faut-il zapper le réveillon ?

Par Grégoire Biseau

La soirée de la Saint-Sylvestre approche. Mais plutôt que de vous demander ce que vous allez faire, demandez-vous si la première bonne résolution ne serait pas d’échapper au fatidique décompte ?

De bon sens, Trumpiens ou collapsologues, vos arguments et contre-arguments pour un débat de soirée.

L’argument de bon sens

Rien de tel qu’un peu de changement dans nos habitudes. 2019 a été monotone à pleurer. On n’est toujours pas sorti du psychodrame du Brexit, une nouvelle réforme des retraites provoque encore des mouvements sociaux, le PSG écrase comme jamais la Ligue 1, Zemmour parle encore à la télé, Disney a sorti le second épisode de La Reine des neiges et le neuvième de Stars Wars et Télérama a fait sa « une » sur Alain Souchon… Alors cette année, promis, on change… Et on zappe le 31.

L’argument Trumpien

On ne va quand même pas sabler le champagne l’année où la cote de popularité de Donald Trump n’a jamais été aussi élevée. On aurait pu penser (rêver) que les accablants témoignages pendant la procédure d’impeachment lui ­fassent perdre des points dans l’opinion américaine. Eh bien, c’est l’inverse qui se produit : avec 43 % d’opinions favorables contre 52 % négatives (selon un sondage de l’université Quinnipiac), l’actuel locataire de la Maison Blanche ­ressoude l’électorat conservateur. Et prend date pour 2020.

L’argument collapsologue

L’Australie flambe, la COP 25 est un échec… Il est plus que temps de transformer nos incantations outrées sur le dérèglement climatique en actes. Or ce réveillon est une catastrophe écologique programmée : pensons à ces centrales à charbon qu’il va falloir remettre en marche pour fournir toute cette électricité afin de vous permettre de danser jusqu’au petit matin à Berlin dans une boîte de nuit ­surchauffée, à cette débauche de viande issue d’élevages qui épuisent la planète, et aux mangues venues en avion du Pérou pour agrémenter la salade de fruits ­censée vous aider à digérer… Trop, c’est vraiment trop.

Le contre-argument de bon sens

Si 2019 a été triste à mourir, 2020 s’annonce excitante. Vous êtes mordu de politique ? Les municipales seront une merveilleuse saga qui promet moult trahisons. Vous êtes footeux ? Chouette, 2020, c’est l’Euro. Vous êtes plutôt culture ? Pour les théâtreux, c’est le retour de Joël Pommerat, quatre ans après son génial Ça ira (1) Fin de Louis. Pour les fanas de cinéma, c’est le premier film de Wes Anderson tourné en France avec un casting insensé et la première série musicale de Damien Chazelle, The Eddy, elle aussi tournée dans l’Hexagone. Et cerise sur la bûche de Noël : Christo a prévu cette année d’emballer l’Arc de triomphe. Alors ? Champagne !

Le contre-argument trumpien

C’est entendu, il ne faut pas vendre la peau du grizzli avant de l’avoir tué. Mais selon toute vraisemblance, les États-Unis devraient en 2020 pouvoir se débarrasser de Donald Trump. Car si sa cote de popularité a rebondi ces dernières semaines, elle reste à un niveau historiquement bas. Seul Jimmy Carter était descendu aussi bas pendant de longs mois. Or, il a été battu par Ronald Reagan en 1980.

Le contre-argument collapsologue

D’accord, le monde va mal. O.K., la courbe des températures grimpe inexorablement. Est-ce une raison pour se laisser mourir d’ennui, au fond d’un lit, bourré de Lexomil, en attendant que le niveau de la mer vienne vous lécher les pieds ? L’impératif écologique s’imposera d’autant plus efficacement qu’il ne sera ni punitif ni catastrophiste. Donc célébrons 2020. Et pourquoi pas à la bougie, au son de la flûte à bec, avec un menu végan, en circuit court…

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27 décembre 2019

Décryptages - Le tourisme, nouvel enjeu politique à Paris

Par Sacha Nelken

Avec le nombre de visiteurs qui augmente chaque année, et les nuisances que commencent à ressentir les Parisiens, la question du tourisme pourrait prendre une place importante dans la campagne municipale.

En 2014, il n’était qu’un chapitre parmi tant d’autres dans les programmes des candidats à la Mairie de Paris. Mais, six ans et plusieurs dizaines de millions de voyageurs plus tard, le tourisme pourrait bien devenir un enjeu de premier plan pour le scrutin municipal de mars 2020 au même titre que la sécurité, la propreté et la transition écologique.

La capitale française est l’une des villes les plus visitées du monde. En 2018, pas moins de 38 millions de voyageurs ont investi le Grand Paris. Un chiffre élevé qui devrait s’accroître dans les prochaines années. L’association l’Atelier parisien d’urbanisme (l’Apur) prévoit qu’ils seront 54 millions à l’horizon 2040. « On voit [leur] nombre fortement augmenter pour une même superficie. Il est donc nécessaire de prendre les choses en main et de mener une vraie politique touristique », plaide Georges Panayotis, PDG du cabinet de conseil spécialisé MKG.

D’autant que le tourisme demeure un des principaux moteurs de l’économie francilienne. A l’échelle du Grand Paris, il représente presque 300 000 emplois, soit 9,3 % de la part de postes salariés de la métropole. En 2018, ses retombées économiques ont atteint les 21,5 milliards d’euros sur l’ensemble de l’Ile-de-France, dont une immense partie provient de la seule ville de Paris.

« Le tourisme est devenu un véritable enjeu pour ces municipales car il représente énormément en termes de dépenses et de flux mais surtout parce que les habitants commencent à voir les nuisances qu’il engendre », analyse Patrick Viceriat, président de l’Association francophone des experts en tourisme.

Hausse des prix du logement

De fait, si cette activité peut être source de richesses, et participer à l’attractivité et au rayonnement des villes, il peut aussi causer de nombreux désagréments aux populations locales. Dans plusieurs villes européennes comme Barcelone (Espagne), Dubrovnik (Croatie) mais surtout Venise (Italie), les habitants manifestent, depuis plusieurs années, un vrai rejet du tourisme de masse face à la saturation de certains de leurs quartiers, à la hausse des prix du logement, ou à l’uniformisation des commerces. Des nuisances que commencent à ressentir une partie des Parisiens.

C’est pourquoi chaque candidat commence à décliner sa vision du tourisme en vue de la prochaine mandature. Le candidat investi par La République en marche (LRM), Benjamin Griveaux, veut « qu’il profite plus aux Parisiens », quand le chef de file d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), David Belliard, veut le rendre « plus écologique ».

Le député (LRM) de l’Essonne Cédric Villani, également sur les rangs, veut faire en sorte que « les Parisiens ne se sentent plus envahis », tout comme la candidate du parti Les Républicains (LR) Rachida Dati, qui veut « mettre fin aux nuisances causées par le tourisme de masse ».

Enfin, dans l’équipe de la maire sortante, Anne Hidalgo, on semble aussi avoir pris le problème à bras-le-corps : « Paris en commun », sa plate-forme de soutien, a rédigé une longue note, publiée par le think tank Terra Nova, qui appelle à mettre en place « un tourisme à impact positif ».

Vers la fin des cars de tourisme dans Paris

Si dans les programmes des différents candidats, les propositions peuvent différer, une semble faire l’unanimité : la fin des cars de tourisme dans Paris. Que ce soit Rachida Dati, Benjamin Griveaux ou encore Anne Hidalgo, tous envisagent de ne plus les autoriser à accéder à l’intérieur de la capitale tant ils sont source de congestion et de pollution dans les quartiers plébiscités par les visiteurs.

Seul Cédric Villani penche pour la régulation plutôt que leur suppression : « à l’avenir les flottes de cars devront respecter des normes bien réglementées notamment sur leurs tailles et sur les endroits de la ville qu’ils auront le droit de desservir ou non ». Des cars qui, selon le mathématicien, seront « bien évidemment électriques ou à l’hydrogène ».

Autant de propositions auxquelles s’oppose la Féderation nationale des transports de voyageurs (FNTV), qui dit regretter « que ces positions aboutissent à la stigmatisation d’un mode de transport et à une approche qui privilégie un tourisme individuel et élitiste plutôt qu’un tourisme accessible au plus grand nombre ».

Réponse de Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde et coauteur de la note commandée par « Paris en Commun » : « Ce n’est pas vrai. Cela voudrait dire qu’on ne peut pas faire un tourisme populaire sans que ce soit un tourisme de masse. Quelqu’un qui veut visiter Paris peut le faire autrement qu’en arrivant en bus. »

Airbnb, « ennemi » repéré par tous les candidats

Autres « ennemis » repérés par l’ensemble des candidats : les plates-formes de locations d’appartements entre particuliers type Airbnb, coupables, selon eux, de favoriser la hausse des prix du logement qui, à termes, chassent les habitants de la ville. A tel point que le 2e arrondissement de Paris aurait perdu 15 % de ses habitants ces dernières années, selon son maire, l’écologiste Jacques Boutault.

« Le vrai problème, ce sont les multipropriétaires qui achètent des appartements uniquement pour les louer sur AirBnB », juge le candidat écologiste David Belliard. De son côté, Cédric Villani pointe du doigt les nuisances directes que ressentent les Parisiens au quotidien : « lorsque l’on discute avec eux, c’est toujours la même image qui revient : “on en a marre de ces valises qui défilent à 4 heures du matin dans les escaliers” ». Les deux hommes, qui envisagent de s’allier en vue d’une « coalition climat », proposent donc d’abaisser le nombre de jours de locations autorisées à 45 nuits pour le premier, et 60 pour le second, contre 120 aujourd’hui.

Sur cette thématique, l’équipe d’Anne Hidalgo entend mettre en place des référendums pour que les Parisiens se prononcent sur des propositions de régulation de l’activité des plates-formes de location de meublés. Ils pourraient ainsi voter pour interdire Airbnb dans certains arrondissements du centre de Paris.

Un sujet prioritaire, donc. Mais la capitale française est-elle, comme Venise ou Barcelone, réellement touchée par le surtourisme ? « A Paris, l’activité est concentrée dans des zones comme le Louvre, Montmartre, les Champs-Elysées ou encore la Tour Eiffel. On ne peut donc pas parler de surtourisme à l’échelle de la ville mais de certains quartiers, où les boutiques de souvenirs vers lesquelles affluent les voyageurs peuvent s’en approcher », explique M. Viceriat.

Certains quartiers comme l’est ou le nord de la ville sont totalement ignorés. « Il faut développer [leur] l’attractivité et donner envie aux gens d’aller visiter le patrimoine qui se trouve au-delà du périphérique », suggère un soutien de la maire sortante, qui ajoute : « Si on ne fait rien, le surtourisme pourrait rapidement pointer le bout de son nez. »

27 décembre 2019

Enquête - Profession journaliste, chroniqueuse sexe

Enquête - Profession journaliste, chroniqueuse sexe : « Le désir de faire ce qu’on veut de notre corps sans être jugée nous pousse à écrire »

Par Robin Richardot

Renée Greusard, Maïa Mazaurette ou encore Ovidie écrivent sur la sexualité, comme d’autres suivent la politique. Un métier qui ne manque pas de déclencher les fantasmes.

Renée Greusard jette un rapide coup d’œil autour d’elle. Dans ce bar-restaurant de Montreuil, quelques clients sont attablés un peu plus loin. « On va peut-être essayer de ne pas parler trop fort », propose-t-elle. Dans la foulée, elle évacue toute possibilité de gêne. « Après, ça ne me dérange absolument pas de parler de sexe. » Cela tombe bien. À 35 ans, cette journaliste est ce qu’on pourrait appeler « une rubricarde cul ». De ses premiers articles sur La Fistinière, une maison d’hôtes gay, à sa série en cours « Tinder surprise », elle traite, depuis 2011, divers sujets concernant la sexualité et les questions de genre pour Rue89. « J’avais fait une école de journalisme prestigieuse, mes parents avaient raqué pour ça et j’allais écrire sur le sexe, retrace la jeune femme en se servant un verre de Coca-Cola Light. C’était complètement fou et en même temps tellement bien. » En effet, difficile d’envisager ce plan de carrière quand elle sort de l’ESJ Lille, en 2009. Même si elle reconnaît qu’elle a toujours été intéressée par les tabous et le secret. « Tu ne deviens pas rubricarde cul si tu es classique, théorise-t-elle. Il faut avoir un petit grain pour faire ça. »

À l’époque, le sexe est en pleine quête de légitimité dans les médias généralistes français. Le sujet est surtout réservé à la presse genrée (féminine, surtout). Pour le reste, il doit se contenter d’être un marronnier d’été, alors qu’il s’invite régulièrement dans les pages du Guardian ou du New York Times. Les sex columnists et la presse anglo-saxonne ont popularisé l’affaire, bien aidés par la série Sex and the City, à la fin du XXe siècle. Son personnage principal, Carrie Bradshaw, chroniqueuse au New York Star et interprétée par Sarah Jessica Parker, s’inspire directement de la vie de Candace Bushnell, l’auteure du livre dont est tirée la série. « Mes amis m’appellent Carrie Bradcheap, la Carrie Bradshaw du pauvre », plaisante Renée Greusard, tout en précisant que la vie de l’Américaine n’a pas grand-chose à voir avec la sienne.

Un domaine légitime et sérieux

Il n’empêche que Sex and the City a changé la façon dont on parle de la sexualité dans les médias. Avec son blog « Les 400 culs », hébergé par Libération depuis 2007, Agnès Giard a été une pionnière en France, abordant le sexe d’un point de vue anthropologique. Depuis, si le sujet reste sulfureux et tabou, les principaux titres généralistes français ont tous leur chronique spécialisée. En pleine période de redéfinition des codes du genre et de la séduction, le sexe devient un domaine légitime et sérieux pour parler d’intimité ou pour questionner la société. « Mais il y a encore du boulot, prévient Maïa Mazaurette. Les gens estiment qu’il s’agit d’un sujet privé. Ils pensent que leur chambre à coucher est complètement étanche, dépolitisée et qu’elle n’est pas culturelle. »

Chroniqueuse au Monde depuis quatre ans, ainsi qu’à GQ, à Usbek & Rica et au quotidien suisse Le Temps, la quadragénaire ne prête plus attention aux commentaires qui lui demandent si elle n’a rien de plus intéressant à faire. Comme si écrire sur le sexe n’était pas un vrai métier. Déjà à l’école de journalisme, ses articles sur la sexualité provoquent plus de ricanements que d’intérêt chez ses camarades. Elle préfère voir ce manque de légitimité comme une aubaine et décroche un poste à Newlook à seulement 25 ans. « Je rêvais d’être chroniqueuse et le sexe me le permettait car personne ne voulait de ce boulot », raconte-t-elle en souriant. Dans sa rubrique, elle traite alors des films pour adultes de Canal+ qu’elle reçoit en VHS tous les mois. L’occasion d’organiser avec ses amis des « porn brunchs ». « On s’installait et on regardait l’éclairage, la mise en scène, on écoutait la bande-son, se remémore-t-elle. Bref, tout sauf le sexe. »

Une façon d’être à contre-courant

Une manière d’être à contre-courant du traitement du sujet dans la presse féminine. C’est d’ailleurs parce qu’elle a abordé les choses sérieusement, en s’appuyant sur la recherche, que Maïa Mazaurette n’a pas décroché comme ses prédécesseurs chez Newlook, qui ont vite eu l’impression d’avoir fait le tour de la question. Elle s’attaque à la construction de la virilité, s’interroge sur le polyamour ou étudie la relation entre pratiques sexuelles et origine sociale. « Si nous imaginons une transgression sexuelle plus importante chez les privilégiés, c’est parce que nous percevons leurs codes comme plus rigides », écrit-elle par exemple, sondage de l’IFOP à l’appui, dans une chronique pour Le Monde. Il faut dire qu’elle baigne dans les recueils spécialisés depuis l’enfance. Le meilleur ami de son père est sexologue.

« DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF, QUELQU’UN QUI PARLE DE SEXE VEUT FORCÉMENT DU SEXE. QUAND J’ÉTAIS JOURNALISTE POLITIQUE ET QUE JE PARLAIS POLITIQUE, PERSONNE NE ME SOUPÇONNAIT DE VOULOIR DEVENIR PRÉSIDENTE DE LA RÉPUBLIQUE. » EMMANUELLE JULIEN

La petite Maïa passe souvent des vacances chez lui mais, comme les chambres sont déjà occupées par ses trois enfants, on l’installe dans le bureau. « C’est comme ça que j’ai dormi dans la bibliothèque d’un sexologue pendant plusieurs années, s’amuse la journaliste. Je bouquinais tout ce qui me passait sous la main, de la pornographie aux revues scientifiques. » Aujourd’hui encore, le quotidien de Maïa Mazaurette s’assimile plus à celui d’un rat de bibliothèque qu’à celui d’une clubbeuse enflammée. Elle montre une pile de livres accumulés contre un mur de son appartement à New York. « Les gens imaginent que je passe ma vie en orgie. Mais, non, je bouffe des statistiques en anglais. C’est ça, mon métier », résume-t-elle.

De fait, une rubricarde sexe reste une journaliste. Et, non, elle n’a pas plus de rapports sexuels que les autres. Même si certaines reconnaissent que leurs recherches au travail peuvent influencer leurs activités intimes. « Dans l’imaginaire collectif, quelqu’un qui parle de sexe veut forcément du sexe, s’indigne Emmanuelle Julien, créatrice du blog “Paris Derrière” et ancienne journaliste à RTL. Quand j’étais journaliste politique et que je parlais politique, personne ne me soupçonnait de vouloir devenir présidente de la République. »

« TOUTES LES FEMMES QUI PARLENT DE SEXE DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE ET MÉDIATIQUE ONT ÉTÉ TRAITÉES DE SALOPES POUR LEUR SEXUALITÉ RÉELLE OU SUPPOSÉE. » OVIDIE

Renée Greusard a eu droit à un acteur porno qui lui envoyait fréquemment des photos de son pénis. Quant à Maïa Mazaurette, elle doit parfois refuser les invitations de lecteurs échangistes qui lui enjoignent de « ne pas hésiter à passer à la maison ». « Ces personnes n’arrivent pas à faire la distinction entre la femme et l’œuvre, glisse-t-elle. Il y a toujours une suspicion qu’il y a moyen de moyenner avec moi. » Elle a mené un combat similaire auprès de ses belles-familles, avant de se résoudre à ne plus sortir avec des Français. « J’avais beau leur dire que mes articles ne parlaient ni de ma vie ni de leur fils, c’était impossible. Il y avait forcément un doute. »

Les messages vont parfois jusqu’au harcèlement voire à l’appel au viol. « Toutes les femmes qui parlent de sexe dans la sphère publique et médiatique ont été traitées de salopes pour leur sexualité réelle ou supposée », assène la réalisatrice Ovidie, qui tenait notamment la rubrique « Le ticket de Metro » dans Metronews. « J’ai l’impression qu’elles subissent plus de réactions injustes, voire agressives que moi, et ce y compris lorsqu’on évoque le même sujet, note Damien Mascret, spécialiste de la rubrique sexe du Figaro Santé. C’est un domaine difficile à traiter quand on est une femme journaliste et qu’on encaisse des critiques évidemment liées à son genre. »

Parler sexe, c’est parler féminisme

Or la rubrique sexe est majoritairement – pour ne pas dire quasi exclusivement – tenue par des femmes. Comment l’expliquer ? Pour Béatrice Damian-Gaillard, professeure des universités à Rennes-I, spécialiste de la sexualité dans les médias, il s’agit tout simplement d’assignations genrées. « Les questions de sexualité et de couple ont longtemps été – et le sont encore – des rubriques associées aux magazines féminins, contextualise-t-elle. On a toujours considéré que c’était des sujets traités par les femmes et pour les femmes. » Éduquées depuis toutes petites à ces problèmes, les femmes seraient alors plus aptes à les aborder de manière plus élégante et moins graveleuse qu’un homme.

Ovidie voit les choses autrement : « Le désir de faire ce qu’on veut de notre corps sans être jugée nous pousse à écrire. » Car parler sexe, c’est parler féminisme. Et ce n’est pas un hasard si ces chroniqueuses s’épanouissent en pleine nouvelle vague de revendications féminines. Mettant régulièrement en avant les rapports de domination ou le plaisir féminin, Renée Greusard estime avoir accompagné le mouvement #metoo en France. « Parler de sexe ouvertement a peut-être permis cette libération de la parole, suppose la réalisatrice. Mais nous ne sommes pas les seules responsables. C’est un puzzle où tout le monde apporte sa pièce. »

Exigence plus forte du public

« J’ai l’impression d’avoir fait partie du petit groupe de sentinelles présentes pour que la flamme du féminisme ne s’éteigne pas pendant quinze ans », confie de son côté Maïa Mazaurette, selon laquelle le mouvement #metoo a aussi donné une nouvelle légitimité à son métier. « On a bien vu que la sexualité n’était pas du tout réservée à la sphère privée et qu’elle débordait dans la sphère publique pour 100 % des femmes », souligne la chroniqueuse. Elle se félicite que ses articles soient davantage « pris au sérieux », mais reste prudente. « Des hommes m’écrivent tout le temps pour me remercier de leur avoir ouvert les yeux. Mais je sais bien que je prêche des convaincus. Ceux-là sont déjà prêts à se remettre en question. »

Et, si toutes les chroniqueuses estiment que l’exigence du public est montée d’un cran aujourd’hui, les contenus du type « les 10 fantasmes des mecs » continuent de fleurir. D’autant plus qu’ils réalisent souvent de belles audiences sur le Web. « Ce qui porte préjudice à la sexualité dans les médias, c’est lorsque le sujet est traité par des journalistes qui ne sont pas spécialisés, attaque Emmanuelle Julien, de “Paris Derrière”. En politique, il ne viendrait même pas à l’idée de confier un papier un peu pointu à une personne qui ne s’y connaît pas. Parce qu’il faut des sources, être à l’intérieur du monde politique, sinon vous n’avez aucune information. »

Pour Renée Greusard, il n’y a pas de raison que ces sujets étudiés sérieusement en sociologie ne le soient pas dans les médias. Après tout, ils concernent la vie quotidienne des lecteurs. « Je trouve ça très intéressant, les histoires d’amour des gens. Quand tu accèdes au lit des personnes, tu es au plus près de l’humain », estime-t-elle. Aux « aigris » qui la prennent de haut, elle a « juste envie de demander à quoi ils servent dans la vie. Moi, je sais que je peux être utile, ajoute-t-elle. Je me dis que, ce soir, il y a peut-être quelqu’un qui aura un orgasme grâce à moi. »

25 décembre 2019

Caisse, cagnottes... les grévistes s'organisent pour lutter contre la réforme des retraites

greve sncf

Les cheminots français de la SNCF en grève participent à une manifestation à Paris alors que la France affronte son 15e jour de grève consécutif contre les plans de réforme des retraites du gouvernement français, le 19 décembre 2019.

Texte par : Tiffany Fillon

Alors que la grève contre la réforme des retraites dure depuis 20 jours à la RATP et à la SNCF, les fins de mois s’annoncent difficiles pour de nombreux grévistes. Ils peuvent bénéficier de différents mécanismes d'aide, comme des caisses de grève ou des cagnottes en ligne, pour continuer leur combat.

Au 20e jour de mobilisation contre la réforme des retraites, il devient difficile pour les grévistes de poursuivre le mouvement. En cause : des salaires plus bas dûs aux journées de grève. Et le manque à gagner continuera à se creuser puisque de nombreux grévistes ont annoncé leur intention de poursuivre leur action jusqu'au retrait du projet de réforme. "Ils perdent de l'argent. Les combatifs s'arrangent pour avoir un peu d'argent de côté, mais c'est dur, et plus dur quand le salaire est bas", souligne Fabien Dumas, secrétaire fédéral du syndicat SUD-Rail.

Au sein des organisations syndicales, des solutions sont proposées pour que les grévistes tiennent le coup. La CFDT dispose, par exemple, de la Caisse nationale d’action syndicale (Cnas). Cette caisse fait de la CFDT la "seule organisation syndicale française à disposer d'une caisse de grève pour ses adhérents", financée par une partie de leurs cotisations, comme le note la confédération sur son site Internet.

Grâce à elle, chaque adhérent peut bénéficier d’une indemnité compensatoire, à hauteur de 7,30 euros par heure pour les salariés à temps plein, qui ont effectué plus de sept heures de grève. Par comparaison, au 1er janvier 2019, le SMIC s'élevait à 10,03 par heure, en salaire brut.

Alimenté par les cotisations des salariés adhérents à la CFDT, ce fonds ne sert pas seulement à indemniser les grévistes puisque, selon ce responsable, la Cnas sert aussi à “aider les adhérents et les syndicats en cas de procédures judiciaires”. Il estime le montant total de la Cnas à “plus de 100 millions d’euros”.

Des pertes salariales à compenser

En parallèle, le syndicat a aussi mis en place une cagnotte en ligne, pour "aider financièrement les agents SNCF qui se mobilisent depuis le 5 décembre", peut-on lire sur le site Internet de la cagnotte. Et la CFDT n’est pas le seul syndicat à proposer ce type de cagnottes. Il s’agit même d’un phénomène très répandu, à la fois à l’échelle nationale et locale. L’Unsa ferroviaire dispose par exemple d’une cagnotte nationale sur Internet, qui s’ajoute à celle dédiée aux grévistes de l’UNSA ferroviaire du Languedoc Roussillon.

À la CGT-RATP, "on n'organise pas de caisse de grève", indique Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT-RATP, mais il peut y avoir "des collectes autour des dépôts".

Pas de caisse de grève nationale non plus à la CGT-Cheminots, d'après son porte-parole Cédric Robert. "Des caisses de solidarité locales peuvent exister mais elles n'ont pas vocation à compenser la totalité des pertes" car "les cheminots grévistes vont perdre entre 60 et 100 euros de salaire par jour", signale-t-il.

Interrogé par France 24, un responsable de la CFDT souhaitant rester anonyme est convaincu que la fin du mois de décembre sera difficile pour certains grévistes. "Ils savent pertinemment qu’il y aura une répercussion salariale. Certains vont manger des boîtes de cassoulet à Noël", déplore-t-il, ajoutant qu’"aucune mesure d’accompagnement financier n’existe au sein des entreprises".

Sur les fiches de paie, des diminutions de salaires apparaîtront dès le bulletin de décembre à la SNCF. À la RATP, elles seront reportées à la fin janvier. Si les cheminots ont reçu mi-décembre leur prime de fin d'année, les agents RATP avaient, eux, perçu leur 13e mois à la fin du mois de novembre.

"Une solidarité nationale remarquable"

Face à ces pertes, les grévistes ont développé des stratégies pour supporter le coût financier de la grève. "Les grévistes font comme tous les Français qui ont des fins de mois difficiles. Certains ont envisagé de prendre des crédits, de piocher dans leur découvert" pour financer leur grève, rapporte Thierry Babec, secrétaire général de l'Unsa-RATP, syndicat qui n'a "pas de cagnotte".

Qu’ils soient cheminots ou non, syndiqués ou non, les grévistes peuvent aussi se tourner vers la cagnotte lancée par le syndicat Info’Com-CGT, qui défend des salariés de l'information et de la communication. Créée en 2016 pendant les manifestations contre la Loi travail, elle réunit à ce jour, "806 694 euros collectés pour le mouvement social des retraites”, d’après le site Internet qui l’héberge.

"Cet argent n’est pas celui de la CGT, c’est celui des donateurs", affirme Romain Altmann, secrétaire général d’Info' Com CGT et coordinateur de cette caisse solidaire gérée avec d’autres structures syndicales. Parmi les profils de donateurs, il cite notamment des "personnes qui ne peuvent pas faire grève pour des raisons financières, des femmes employées à temps partiel ou encore des retraités". D’après Romain Altmann, tous les grévistes peuvent bénéficier de ce fonds, qui est versé selon des "critères de répartition définis entre grévistes et syndicats".

À la tête de la CGT, cette initiative issue de la base syndicale fait grincer des dents. Sur Twitter, Laurent Brun, secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots, a dénoncé, dimanche 15 décembre, un système de répartition trop opaque. "Voilà comment on instrumentalise la grève pour collecter de l’argent. Cette collecte ne représente pas les cheminots CGT", a-t-il tweeté, avant d'ajouter : "Vous distribuez à votre bon vouloir et vous laissez croire que vous collectez en notre nom ce qui n’est pas le cas."

Malgré ces réserves, Romain Altmann reste motivé. "Même si en termes de montant, la cagnotte représente une goutte d’eau, elle illustre une solidarité nationale remarquable", se réjouit-il. Lui qui voit cette cagnotte comme un "symbole" sait qu'elle ne pourra pas régler tous les problèmes financiers des grévistes car, affirme-t-il, "leurs pertes de salaires se compteront en dizaines de millions d’euros."

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25 décembre 2019

Aux origines de la "trêve des confiseurs" instituée en 1874

Par Stéphane Robert

En fin d'année, l'actualité politique connaît une période d’accalmie. Cette pause dans la vie politique française est dénommée "trêve des confiseurs". Elle fut décrétée par les parlementaires au XIXe siècle, à l'époque où la troisième République était encore menacée.

En décembre 1874, les parlementaires décident de mettre en sommeil leurs débats et leurs querelles afin de laisser les Français profiter des fêtes de fin d'année. "On convint de ne pas troubler par nos débats la reprise d'affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précèdent toujours le jour de l'an", écrit dans ses mémoires le duc Albert de Broglie, figure de la droite monarchiste de l'époque.

Origine de la trêve des confiseurs

Une trêve dans l'affrontement entre républicains et monarchistes

Les confiseurs profitent particulièrement de cette période de fêtes mais c'est la presse satirique qui popularise l'expression pour se moquer de l'embonpoint des responsables politiques.

Si, trois ans après la défaite de la France face à la Prusse, dans un pays économiquement en pleine reconstruction, la nécessité de ne pas entraver la bonne marche des affaires a été avancée par certains, il semble que les raisons qui ont conduit à décréter cette trêve étaient essentiellement politiques.

A cette époque, la France vit sous un régime institutionnel provisoire. il n'y a plus qu'une chambre au parlement et les Républicains y affrontent les monarchistes et les bonapartistes. Le Second Empire est tombé en 1870 et le régime qui lui succédera fait l'objet d'âpres débats politiques.

La République s'est installée, l'expression est restée

Le 24 décembre 1874, les républicains exigent qu'on reprenne les travaux parlementaires au plus vite, le 28 décembre. Les monarchistes, eux, proposent le 11 janvier. Finalement, c'est le 5 janvier qui sera retenu.

Par la suite, les débats parlementaires conduiront à la victoire des républicains avec l'adoption, fin janvier, de l'article fondateur de la IIIe République, l'amendement Wallon, qui stipule que "le président est élu à la majorité absolue par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée Nationale".

Les années suivantes verront s'institutionnaliser cette trêve au cours de laquelle on laisse les fêtes et les affaires prendre le pas sur la vie politique.

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25 décembre 2019

En grève, l’Opéra de Paris propose « Le Lac des cygnes » sur son parvis

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L’orchestre symphonique et le ballet se sont produits devant les portes du Palais Garnier pour protester contre la réforme des retraites.

Orchestre symphonique, danseuses de l’Opéra en tutu blanc et, à l’arrière-plan, des banderoles de manifestation. A la veille de Noël, l’Opéra de Paris a voulu rappeler, à sa manière, son opposition à la réforme des retraites. Entre deux Marseillaise, sous le ciel gris parisien, une quarantaine de danseuses du corps de ballet de l’Opéra ont exécuté des tableaux du Lac des cygnes, sous les applaudissements d’une petite foule amassée sur la place de l’Opéra, en plein cœur de la capitale.

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Dans leur dos, deux grandes banderoles : « Opéra de Paris, grève » et « La culture est en danger ». « Même si on est en grève, on a voulu offrir pour le 24 décembre un moment de grâce », a déclaré à la presse le danseur et élu à la caisse des retraites Alexandre Carniato. « Malgré un temps extrêmement frais, les filles ont voulu relever le défi et les musiciens les accompagner », a-t-il ajouté.

S’ajoute à la quarantaine de danseuses les musiciens de l’orchestre symphonique, à gauche de la photo, place de l’Opéra à Paris, mardi 24 décembre.

L’Opéra est en grève depuis quinze jours, ce qui a entraîné l’annulation de nombreux spectacles. « On nous inculque depuis l’âge de 8 ans qu’on a une mission régalienne et qu’on va danser pour l’Opéra de Paris qui représente la France », souligne Alexandre Carniato, 41 ans.

« L’ensemble de l’Opéra est touché » par la réforme des retraites, indique Héloïse Jocqueviel, 23 ans, danseuse du corps de ballet qui a participé au spectacle. « C’est notre art qui est mis en danger ». Les danseuses ont choisi l’acte IV du Lac des cygnes, « l’un des ballets les plus difficiles », qu’elles ont dansé « sur du marbre, dans le froid ».

« Ce que les filles vous ont montré, c’est 15 ans de sacrifices, et c’est du travail quotidien. Et pour arriver à ça, il y a une limite, une contrainte, a souligné Alexandre Carniato. Si on veut continuer à voir de jolies danseuses ou de jolis danseurs sur scène, on ne pourra pas continuer jusqu’à 64 ans, ce n’est pas possible. »

Une retraite à 42 ans

« Je suis entrée à l’école de la danse à 8 ans, j’ai quitté ma famille et aménagé ma scolarité. Avec cinq heures de danse par jour, à 17-18 ans, on est nombreux à avoir des blessures chroniques, des tendinites, fractures de fatigue, douleurs aux genoux (…). On est nombreux à ne pas avoir notre baccalauréat », énumère-t-elle.

Le régime de retraite de l’Opéra de Paris permet aux danseuses de prendre leur retraite à 42 ans.

L’Opéra et la Comédie-Française sont les seules institutions culturelles concernées par la réforme du gouvernement. Le régime spécial de l’Opéra est l’un des plus anciens de France, puisqu’il date de 1698, sous Louis XIV.

Ce régime permet de tirer sa révérence à 42 ans, compte tenu de la « pénibilité » du métier, des risques de blessure, et du fait que la majorité des danseurs peut difficilement continuer à danser les grands ballets au-delà de cet âge avec le même niveau d’excellence.

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24 décembre 2019

Offrirez-vous du sexe à Noël ?

Par Maïa Mazaurette

Tout cadeau crée une dette et mieux vaut, si l’on veut bousculer un peu la routine, préférer aux choses imposées des défis sexuels relevés à deux, suggère la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette.

LE SEXE SELON MAÏA

Il y a encore cinq ans, pendant le pléistocène, les cadeaux sexuels étaient réservés à la Saint-Valentin. Plus maintenant ! Cette fin d’année 2019 est marquée par une déferlante de calendriers sexuels de l’Avent : un sextoy ou accessoire par jour, en attendant les fêtes. Certaines versions proposent un défi sexuel par jour. Ou une position du Kamasutra par jour. Selon mes sources, le pain d’épices a été inventé spécialement pour tenir ce rythme effréné.

Offrir du sexe, donc. Le principe est vieux comme la suçothérapie (une fellation par jour pour garder son conjoint), qui date déjà de 2005. Depuis, on a vu débouler les carnets de coupons érotiques, les gages sexuels, les box aphrodisiaques et des pochettes-surprises.

L’existence même de la lingerie consiste à s’emballer soi-même, avec des codes similaires à ceux des paquets-cadeaux : rubans, couleurs vives, matières brillantes, frustration devant des nœuds récalcitrants.

On peut donc parfaitement imaginer un Noël bis, sans les parents, sans les enfants, mais avec une solide dose de bûche. Un Noël transformé en Saturnales ou Bacchanales. De toute manière, certains n’auront pas le choix : entre les grèves, les longues soirées d’hiver, la pluie et les congés, autant rester sous la couette.

L’idéal du don désintéressé

Et pourtant ! Le sexe sous le sapin peut se transformer en une fausse bonne idée (une épine dans la fesse est vite arrivée). Surtout quand nos excellentes intentions pavent la route : directement du septième ciel au neuvième cercle de l’enfer.

Commençons par les bases : vous savez que le sexe est politique. Mais le cadeau aussi est politique : il crée une dette. L’attente sociale veut qu’on ne refuse pas ce qui est offert : du coup, le « bon pour un cunnilingus » s’apparente vite à un appel déguisé au devoir conjugal (d’autant qu’il est éthiquement compliqué de revendre son trop-plein de rapports sexuels sur LeBonCoin le 26 décembre). Si le partenaire le plus désirant offre, il crée une forme de pression. Mais si le partenaire le moins désirant offre, cette pression a pu être intériorisée (et ça vaut le coup de s’en rappeler si vous recevez du sexe).

Deuxio, quid de l’idéal du don désintéressé ? Le consensus sexuel veut que les deux partenaires ressentent grosso modo autant de désir (auquel cas le cadeau se limite à coller un label d’exceptionnalité sur la réalité quotidienne) et prennent grosso modo autant de plaisir (auquel cas le sexe est offert autant à l’autre qu’à soi-même).

Les choses deviennent encore plus savonneuses quand la personne « offrante » pose, de manière unilatérale, le cadre de la gratification sexuelle promise : quelle pratique, dans quel contexte, etc. Que l’option choisie soit égoïste ou altruiste, et le rapport deviendra, au choix, vaguement masturbatoire ou vaguement sacrificiel. Pas terrible.

Echanges économico-sexuels

Abordons également les rapports de pouvoir : selon l’anthropologue féministe Paola Tabet, le couple hétérosexuel est tapissé d’échanges économico-sexuels.

Parce que l’offre et la demande sexuelles sont traditionnellement perçues comme déséquilibrées (l’homme a tout le temps envie, la femme se préserve), notre héritage veut que l’homme compense les services sexuels… précisément, avec des cadeaux – des fleurs, des bijoux ou des daïquiris fraise. Dans cette perspective, un homme qui remplace un cadeau par du sexe fait payer sa conjointe deux fois. (Bien sûr, en 2019, ce modèle transactionnel n’est plus qu’un vestige. Mais il rôde encore dans notre angle mort.)

Ensuite, examinons nos motivations. Ne dit-on pas que c’est l’intention qui compte ? De même que des baskets toutes neuves peuvent relever de la bienveillance (« tu vas gagner 6 secondes au kilomètre ») ou de la moquerie (« tu vas perdre 6 kg dans les fesses »), la promesse de rapport sexuel peut constituer un encouragement, une invitation, une plaisanterie potache, l’espérance d’un moment spécial… ou un reproche. Si vos cadeaux sont passifs-agressifs, s’ils servent à révéler un dysfonctionnement, mieux vaut avoir une discussion en dehors de Noël (et qui sait, utiliser le Nouvel An pour faire le bilan du couple).

Et des plaisirs plus solitaires, alors ? Offrir un sextoy demande une connaissance millimétrique des préférences de ses partenaires, notamment en termes de taille (il serait dommage que votre godemiché finisse comme ces pulls de mamie mille fois trop grands). Et une fois encore, attention à l’altruisme des motivations : certains souhaiteront sincèrement que leur partenaire découvre de nouvelles choses, d’autres feront des jouets sexuels un instrument d’emprise (ils exigeront de voir, de savoir).

Pensez aux alternatives

Après ce tableau déprimant, peut-on quand même offrir du sexe ? Oui, à condition, 1) de circonscrire la dette morale pesant sur les destinataires, 2) de réfléchir aux dynamiques de pouvoir (est-ce réellement un cadeau, pour qui, dans quelle mesure), 3) de permettre à l’autre de refuser (plus la personne est polie, plus c’est compliqué, surtout dans le cas d’un pulsateur clitoridien plaqué or).

Mais surtout, pensez aux alternatives. Si l’idée de bousculer la routine vous intéresse (et c’est légitime) et que votre couple dispose de la libido nécessaire (sans parler du pain d’épices), laissez tomber les programmes imposés. Préférez une coopération, négociée, à un cadeau, non négociable. Tournez-vous vers les défis gratuits disponibles partout sur Internet (en voici un en français, un plus détaillé en anglais).

Mentionnons aussi la possibilité d’offrir des cadeaux en rapport avec le sexe : des bijoux érotiques (ceux de Sylvie Monthulé fêtent leurs 25 ans), des baumes réparateurs après-sexe (naturels, intégralement recyclables, chez Baûbo), des gels stimulants unisexe (collection Slow Sex, packaging responsable, chez Bijoux Indiscrets), etc.

Enfin, la question qui tue : est-il décent d’offrir du sexe ? Est-ce un sacrilège que de célébrer le péché de luxure lors d’une fête religieuse ? Certains invoqueront les racines chrétiennes de la France (racines étant apparues, comme chacun sait, pile en 498 pendant le baptême de Clovis). D’autres relèveront que les sex-shops chrétiens existent depuis longtemps, et que les sextoys ou films pornographiques utilisant cette imagerie sont légion. (Rappelez-vous cette sombre histoire de plug anal de Noël, en 2014, sur la place Vendôme à Paris.)

Justement parce que Noël est une fête familiale, la présence de la sexualité n’est pas complètement hors sujet – d’autant qu’on parle généralement de famille au sens biologique du terme. Si nous sommes tous ensemble sous le sapin, c’est bien qu’il y a eu fornication, à répétition. Donc non seulement il n’y a pas de contre-indication, mais on peut recommencer.

24 décembre 2019

Avis de tempête sur le plateau de fruits de mer à Noël

De l’avis des pêcheurs et des poissonniers, les tempêtes vont affecter la composition et les prix du sacro-saint « plateau de fruits de mer » de Noël. Dommage !

1 Cachée dans son terrier, la langoustine sera chère cette année

« Les langoustines restent calfeutrées dans leurs terriers et, en plus, on a une météo pourrie cette année ! », se désole Laurent Tréguer, patron du Côte d’Ambre, un chalutier de 16,50 m, immatriculé à Lorient. « Sortir en mer entre l’île de Ré et Penmarc’h, ce n’est pas forcément le plus dur. C’est rester qui est compliqué. On a peur de casser du matériel ». Et pour ne rien arranger, en ce moment, la pêche se fait la nuit. « C’est le seul moment où la langoustine sort ». Alors va-t-on trouver de la « demoiselle » sur les étals pour Noël ? « Je pense que ça va être difficile pour la vivante. La demande est très forte », explique une poissonnière lorientaise. Dans un hyper du pays d’Auray, on se veut rassurant : « On pourra se rabattre sur la congelée et la glacée, même si ce ne sont pas les mêmes produits et que c’est plus cotonneux ». La langoustine sera donc chère en cette fin d’année. « Les prix pourraient bien plus que doubler », pronostique un intermédiaire. Et la « tout-venant » atteindre les 60 euros même en grande surface ! Sachant que, sur un plateau, il en faut 250 g par personne…

2 Reine des plateaux, l’huître toujours présente et fidèle en prix

Heureusement, l’huître sera abondante et commercialisée sans augmentation de prix. « On n’a jamais eu de ruptures d’approvisionnement pour les fêtes. Même si on galère vraiment en ce moment pour les récolter, à cause du mauvais temps », explique le Morbihannais Philippe Le Gal, président du comité national de la conchyliculture.

Sur un plateau de fruits de mer digne de ce nom, on compte au moins six huîtres par personne. En grande surface, il faudra payer 5 et 9 euros le kg pour les creuses et entre 10 et 15 euros le kg pour la plate. Ce sera le plus abordable des fruits de mer.

3 Modeste mais prisée des connaisseurs, la palourde se fera rare

« Il faudra déjà en trouver en cette fin d’année. On pêche de moins en moins de palourdes, les petites sont croquées par les daurades ! », remarque Philippe Le Gal. Pêcheur à pied professionnel, Pascal Lelong ramasse actuellement ses palourdes à la main dans la rivière d’Auray et dans le golfe du Morbihan. « Je me déplace en sabots-planches et j’ai de la vase jusqu’à mi-mollet. Les jours de grosse tempête, je ne peux pas travailler. Les faibles coefficients de marée n’arrangent rien. Les temps derniers, je n’ai pu pêcher que 25 à 35 kg par jour. Alors que j’ai le droit à un quota de 70 kg par jour ouvrable ». L’offre sera donc insuffisante au regard de la demande. Les prix suivront : 10 à 18 euros le kg en grandes surfaces.

4 Le homard européen se drapera dans le luxe

Le homard bleu - que l’on n’a plus le droit d’appeler homard breton - est bien meilleur l’été. Mais c’est à Noël qu’il est le plus prisé. Or, « la pêche n’est pas bonne en ce moment », constate Erwann Dussault, dirigeant de la société Béganton-Gaby (armement, viviers et négoce à Roscoff). Le homard devrait donc figurer tout en haut du tableau des prix des fruits de mer cette année. « 70 euros le kg en supermarché et bien plus sur les étals des poissonneries », annonce un négociant. À raison de 400 g par personne, c’est renversant. On pourra toujours se retourner vers le « homard canadien » congelé, beaucoup moins cher, qui fait cependant figure de pâle copie pour les amateurs.

5 Petite hausse pour les araignées et les tourteaux

Bien que les mareyeurs tentent de faire des stocks dans leurs viviers pour anticiper la demande, les araignées et les tourteaux, pêchés dans la Manche par Patrick Folloroux de Roscoff ou au large de Groix par les caseyeurs lorientais, seront inévitablement plus chers pour les fêtes. « Entre 11,30 et 15 euros les tourteaux et entre 6 et 16 euros les araignées », annonce une poissonnerie lorientaise. Selon leur localisation, les consommateurs préféreront l’un à l’autre. « En Centre-Bretagne, c’est plutôt le tourteau. Sur la côte sud, on vend davantage d’araignées », remarque un chef de rayon poisson.

6 Les bigorneaux quasi introuvables

Pêchés sur les côtes bretonnes ou en Irlande où personne ne les apprécie, les bigorneaux ont la cote depuis quelques années. Leur prix va flamber et ils seront quasiment introuvables à Noël.

7 Il faudra choisir ses crevettes en fonction de son budget

Les grises seront les moins onéreuses. Les bouquets se vendront autour de 60 à 70 euros le kg. La grosse crevette sera rare. Les petits budgets pourront toujours se rabattre sur la crevette d’élevage… Qui n’est pas bretonne !

22 décembre 2019

Orgie gay, arnaque et peep-show : plongée dans le Paris libertin

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Par Laurent Telo

Se faire plumer dans un bar à hôtesses, transpirer dans un sauna libertin, mater du cuir dans un club gay… A l’ère du sexe 2.0 et de la pornographie en VOD, les lieux chauds de la capitale n’ont pas tous disparu. Sans peur ni préjugés, « M » est parti à leur recherche.

Ils ont de drôles de commandes, quelquefois, les chefs, à M. Là, ils sont persuadés d’avoir déniché un sujet d’article puissant susceptible de faire vibrer les foules à la lecture du numéro spécial de fin d’année, en conciliant contre-programmation éditoriale, analyse sociétale audacieuse et, soyons fous, magie de Noël : « Existe-t-il encore des peep-shows à Paris ? » Déjà, il a fallu trouver une définition précise du peep-show : performance humaine pornographique que le client contemple, installé dans une cabine privative, en glissant régulièrement des pièces de monnaie dans une fente afin que la vitre sans tain placée devant lui ne s’obscurcisse pas au moment fatidique.

À l’heure de l’abolition théorique du concept de femme-objet, le peep-show est un truc complètement ancien monde, voire ancien monde englouti. En d’autres termes, à M, on s’est demandé : que reste-t-il de nos amours perverses d’antan ? Quels sont les vestiges du Paris coquin à l’heure où le sexe semble s’être réfugié exclusivement sur Internet, là où le plaisir se résume à l’envoi frénétique de cœurs virtuels vers un fantasme géolocalisé et à d’éventuelles rencontres en papier jetable ? Notre mission est simple et on l’a accepté : trouver un peep-show.

En cas d’échec, élargir le sujet – rassurez-vous cet article est garanti 100 % sans jeux de mots douteux – et identifier ses substituts selon un cahier des charges interdit aux mineurs : pas de sexe sans sortir de chez soi, pas de rencontres tarifées avec des professionnels. Tout cela à trouver, faire, assouvir en une seule soirée, avec un budget quasiment illimité. Mais ne nous emballons pas. Pour établir avec justesse notre hiérarchie des préoccupations sexuelles contemporaines, une flopée d’experts rencontrés lors de notre déambulation nocturne nous a conseillé ceci : « Faites gaffe, quand on débute, il vaut mieux y aller en douceur. »

Pigalle n’est plus que l’ombre de lui-même

On a donc commencé par les animaux. Le hasard, juré. On est juste entré dans le sex-shop qui nous paraissait le plus ancien de Pigalle, qui est lui-même le quartier historico-cliché du Paris sexy. Pour voir si tout ça tenait encore le coup. L’établissement, tenu par Lucien la-clope-au-bec, n’avait pas plus d’âge que de nom. Si la production d’œuvres cinématographiques zoophiles est interdite en France, la location de DVD réservés à une niche, si on peut dire, profite d’un vide juridique qui ravit « les bons pères de famille qui ne peuvent pas prendre le risque de regarder ça sur l’ordinateur familial. Donc, ils viennent ici pour mater leur film tranquillement ». Concernant ce secteur d’activité très précis, Lucien, le gérant, est formel : « Oui, ça marchera toujours. » C’est une histoire de pulsions inextinguibles.

Lucien est très fort, il arrive à soutenir toute une conversation, même zoophile, avec sa sèche au bec. Il y a très longtemps, il était artisan chapelier rue Chapon. Il est très méticuleux, il a installé des essuie-mains pour juste après le visionnage. Beaucoup de succès aussi pour ses magazines collectors en noir et blanc qui, selon lui, valent « très cher » et se vendent comme des petits pains, car ils sont introuvables sur Internet. Comme ce spécial travestis britanniques circa années 1980, dont la plupart des modèles sont coiffé(e)s et habillé(e)s comme Margaret Thatcher. Les textes sont en anglais, on n’a rien compris.

En fait, c’est plutôt les produits plus « tradis » qui piquent du nez. Il est 19 heures et Lucien n’a vendu que deux articles aujourd’hui. Un godemiché rose fluo au mécanisme multiforme compliqué et une panoplie de femme flic avec les menottes, la matraque, et tout. À côté d’affiches de films qui feraient passer une cabine de routier pour un roman Arlequin, il a punaisé un Vermeer, un Degas et une lithographie de Monsieur Hulot (« maintenant, on lui enlève la pipe dans ses films. Tout est aseptisé »). « Depuis qu’on peut pratiquement tout acheter sur la Toile, c’est un peu la misère… J’attends tranquillement la retraite. » Le sex-shop aussi, visiblement. On est très loin d’un âge d’or que Lucien situe au milieu des années 1980, quand un type pouvait acheter pour « mille balles de dentelles pour sa nana ou le dernier godemiché importé du Japon ».

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« TU VOIS, LÀ ? À LA PLACE DU LCL, IL Y AVAIT UN BAR À STRIP-TEASE. ET LÀ, À LA PLACE DU BIO C’BON, EN DESCENDANT, C’ÉTAIT LE NARCISSE, UN BAR DE NUIT ET DE STRIP-TEASE. » PHILIPPE COCHINARD, « PIGALLIEN » HISTORIQUE

Après, on a beaucoup marché et tiré beaucoup de rideaux discrets entre Pigalle et Blanche. Aucun peep-show à l’horizon mais un embouteillage de sex-shops, une accumulation de sextoys en forme de tour Eiffel et d’autres aussi épais que la tour Montparnasse. A force, ça écœure un peu. On était un tantinet pessimiste quant à l’avenir de la profession. On a traversé le boulevard de Clichy. Il y avait un autre type d’attraction qui avait l’air de marcher du tonnerre et qui nous ouvrait les bras. On a été ébloui par la devanture de La Diva qui clignotait de mille feux. On ne savait pas trop ce que c’était, mais ça avait l’air terrible.

À la porte, le videur nous assure avec un clin d’œil très appuyé qu’il y a plein de monde à l’intérieur et qu’on allait bien s’amuser. Dedans : une salle archivide dont le papier peint pourrait concurrencer la salle des fêtes de Pithiviers en 1973. On a cru comprendre que c’était une boîte à strip-tease. Soixante euros, deux consommations, une chanson, trois minutes de show morose et une paire de seins qui s’agite péniblement. Ça ne raconte aucune histoire ou alors elle est très triste. Derrière le bar, les deux tauliers ressemblent à Michel Constantin dans un film noir. Pas trop la classe américaine. La danseuse en a fini, nous aussi. Possibilité surtarifée de danser en extra derrière un rideau. Indice d’excitation proche du néant, on a passé notre tour.

Pour être plus efficace, on a pris une bière avec Philippe Cochinard. Il allait nous raconter Pigalle. Car Philippe est un Pigallien historique. Et aussi un collapsologue des lieux. « Un peep-show ? ! ? Ouh ! là, mais c’est terminé, tout ça, mon pauvre ! Tout dégringole, ici. Tous les copains sont partis. » Avant d’être documentariste – il vient de réaliser un film sur la garde républicaine qui sort en janvier 2020 –, il fut directeur de la communication du Sexodrome, l’Ikea du gadget coquin. On était assis à une terrasse stratégique, en face du Moulin-Rouge, le pôle d’attraction ultime de Pigalle qui génère ses flots de touristes qui, selon un système de tuyauterie bien huilé, se déversent ensuite chez Lucien et compagnie.

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Pigeonné par la dame au tricot

Pigalle sera toujours Pigalle. Sauf que : « Tiens ! Regarde. Tu vois, là ? À la place du LCL, il y avait un bar à strip-tease. Et là, à la place du Bio c’Bon, en descendant, c’était le Narcisse, un bar de nuit et de strip-tease. » Le dernier cinéma porno, L’Atlas, vient d’annoncer sa fermeture, « et il n’y a plus aucun théâtre porno, non plus. Le French Lover, le Love Théâtre, le Lolita Club… Le métier d’acteur et d’actrice de théâtre porno a complètement disparu. Avant, le désir de l’homme était prioritaire, exacerbé. Aujourd’hui, les acteurs de théâtre porno auraient toutes les associations féministes sur le dos ».

Philippe était un peu déboussolé à mesure qu’il comptait les cadavres. « Il y avait Le Sultana, aussi, rue Pigalle, un club échangiste, une institution. Il n’y a plus ce côté sulfureux ni la même magie festive. Comment dire… Ce n’est plus vraiment un lieu de perdition. » A cause des réseaux sociaux, « les gens ne veulent plus seulement voir. Ils veulent faire par eux-mêmes. Et Pigalle a dû se réinventer, encore. »

En haut, première photo à gauche, Philippe Cochinard, documentariste et « Pigallien » historique. Deuxième et troisième photo, Jean-Marc Grenet, patron du Cupidon. Les autres images ont été prises au Cupidon, au Dépôt et à Chochotte. | Frankie & Nikki pour M Le magazine du Monde

Justement, on a décidé de partir à la recherche d’une activité en forte voie d’extinction. Le bar à hôtesses. Une sorte de peep-show, mais moins virtuel. En faisant des tours dans le quartier, Philippe nous a expliqué toutes les arnaques possibles qui sévissent depuis la nuit des temps à Pigalle. On a bien rigolé, il fallait vraiment être bête pour se faire avoir. Mais, déjà, en trouver, c’était compliqué, il n’y avait que des bars bobos.

Philippe pestait et nous a conté : « C’est dans les années 2000 que le sexe s’est complètement démocratisé, qu’il est devenu porno chic et que le Pigalle d’antan a changé. Tout ça est arrivé avec les stars du X invitées sur les plateaux télé et un petit canard vibrant qui a remplacé le sextoy classique. À l’époque, le Sexodrome était superclasse, on avait dressé des rayons entiers de canards vibrants. On voyait moins de pervers pépères à imper et davantage de jeunes couples. » On a levé la tête : sur les quatre niveaux du Sexodrome, deux seulement sont ouverts.

On a beaucoup tourné et on a fini par tomber sur l’un des derniers bars à hôtesses du quartier. Le May Flower. Tout de suite, ça a mal commencé. Même Philippe n’a rien vu venir, c’est dire. On a été entraîné très vite à l’écart par une hôtesse qu’on a eu l’air de déranger, elle était en train de se tricoter un cache-col. Petite alcôve riquiqui, rideau tiré. Rien de plus marrant que de discuter des tarifs des différentes prestations avec la dame au tricot. Mais on a du mal comprendre. Après huit minutes top chrono de bla-bla sans un téton à l’horizon est arrivée la note qu’on n’avait pas demandée : 180 euros pour une « conversation privée ».

On a regardé les trois chiffres avec un air idiot. Mais il n’était plus l’heure de négocier. Des malabars n’étaient pas loin. On a quitté la demoiselle les poches vides qui s’est remise illico à ses aiguilles. Transformé en pigeon, on s’est posé une question : comment survivre à un schéma pareil quand l’arnaque est une absence de particularité ? Mais, après tout, le sexe est un objet de profit vieux comme le monde. Il y aura toujours des désirs irrépressibles de nuit finissante.

Réforme des retraites dans un sauna coquin

Pour nous remettre, voire nous refaire, Philippe nous a indiqué une institution du Pigalle new-look. Le Moon City, un sauna libertin inauguré en grande pompe en 2006. Ce soir-là, il y avait même Paul-Loup Sulitzer et son cigare. Là, on est confortablement installés au bar en compagnie de « jeunes couples » qui ont réinventé le sexe à Pigalle. Le Moon City, c’est un peu une oasis au milieu d’un désert de glauque. Ici, il fait chaud, on se croirait à Goa. Soixante euros l’entrée pour les couples, 130 pour les hommes seuls.

Léa et Franck portent tous les deux une serviette avec moins que rien au-dessous. Ils sont habillés comme s’ils étaient prêts à aller batifoler dans le sable. « J’aime bien prendre mon temps et me mettre dans l’ambiance, raconte Léa. Boire un verre, regarder les gens, repérer ceux qui peuvent m’attirer… » On a aussi parlé de la réforme des retraites avec Franck. C’était drôle parce que, tout autour de nous, des foules pécheresses jouaient au Jokari avec leur(s) partenaires(s). On voit aussi des corps qui prennent de la vitesse et des gens pleinement émancipés, on entend un « quand je commence, je ne peux plus m’arrêter » et des cris aussi aigus que des trompettes célestes.

Entre Léa et Franck, c’est l’amour fou depuis qu’ils se sont dragués sur une application de rencontre. Mais, désormais, c’est l’abstinence virtuelle. « Les réseaux sociaux, c’est la décadence de la société. Le symbole de la « tristitude ». Ici, on sait ce qui nous plaît, mais on ne vient pas avec un objectif précis. » Il faut dire qu’il y a le choix. Les saunas sont pleins, le Jacuzzi déborde. Le propriétaire a fini par décliner le concept. Il a ouvert un sauna bisexuel de l’autre côté du boulevard et un autre, L’Éclipse Sauna, près du quartier des Halles.

On y est allé, on a fini par tout confondre à force de voir des gens en serviettes arpenter des couloirs baignés de vapeur, mais on s’est persuadé que le business avait un sacré avenir devant lui. Léa, par exemple, a très envie de revenir. Cette idée la fait sourire. Elle a un credo : que la vie lui donne le maximum avant qu’elle ne puisse plus la retenir. Ce soir, d’un point de vue strictement mathématique, Léa a couché avec un homme et un couple. Elle a éprouvé des plaisirs fous et, après, elle était un peu à plat.

Libre échange

Ceci n’est pas un plug anal. On s’est même fait enguirlander par son propriétaire pour cette grossière erreur d’appréciation. « J’étais sûr que t’allais balancer une connerie. » Jean-Marc Grenet, 62 ans, parle comme un vrai titi parisien. Non, c’est le pommeau métallique – d’une forme quand même très suggestive, on insiste – de la descente du grand escalier de l’Hôtel George V. Grenet est parti avec après vingt-trois ans de bons et loyaux services comme barman de nuit du Palace. Il a servi Serge Gainsbourg, « qui faisait des bœufs », Yul Brynner, « beaucoup plus petit que prévu », John Wayne, « un colosse », et James Brown, qui « débarquait à l’hôtel en peignoir après son concert. » « Des mains célèbres ont touché ce pommeau. »

Aujourd’hui, il est patron du Cupidon, le club libertin « le plus chaud » de Paris. C’est dans une petite rue toute mignonne, entre Opéra et Palais-Royal. Pas très loin de Pigalle, mais, ici, c’est un autre monde. « Chaud », parce que « je n’organise pas de soirées qu’avec des couples. C’est trop figé. Il faut se plaire à quatre, c’est pas évident. J’accueille aussi des hommes et des femmes seules. C’est plus rentable (100 euros et deux consos gratuites pour un homme seul, entrée libre avec passage au bar obligatoire pour les couples et les femmes seules) et plus festif ». Le Cupidon est spécialisé dans le candaulisme. Une nouvelle définition à retenir : le candaulisme, c’est quand un homme ou une femme regarde son ou sa conjoint(e) avec un ou plusieurs autres partenaires.

Grenet est un fin connaisseur du monde libertin parisien. Il a tenu Le Sultana, Le Vice versa, Le Cléopâtre… Les années 2000 ont déluré Paris avec ses orgies élitistes aux Chandelles, le lieu préféré de DSK et de Thierry Ardisson, et beaucoup d’autres, plus popus. On compte alors plus d’une centaine de clubs. Mais le proxénétisme déguisé explose tout autant. La brigade mondaine se régale. « Aujourd’hui restent les irréductibles, sourit Jean-Marc. Ceux qui savent comment faire. Internet ne nous fait pas de mal. Les libertins ont connu trop de déboires avec des rencontres bidon. Ici, c’est du réel, encadré. »

« DESCENDEZ POUR VOIR. LE TRUC QUI MARCHE FORT, C’EST LE GLORY HOLE. » ÇA SE PRÉSENTE COMME UN BUNGALOW DE RIEN DU TOUT AVEC DES TROUS PRATIQUÉS DANS LES CLOISONS, À HAUTEUR DE LA TAILLE, VOUS SUIVEZ ?

Jean-Marc a mis au point une charte déontologique : « Je discute à l’entrée avec les gens qui viennent pour la première fois. Je ne veux pas que la femme soit forcée. Ça a changé sur ce plan-là. La clientèle n’est plus exactement la même. Par exemple, il y a de plus en plus de femmes seules qui ont des grosses responsabilités dans le civil. Qui se sont consacrées à leur carrière et n’ont pas eu le temps d’avoir d’expériences amoureuses… Et, là, elles ne viennent pas pour rencontrer juste un seul mec. Ça défile… »

Grenet est un commerçant, il essaye de trouver des idées sensass pour faire tourner la boutique. Hier soir, il a organisé une soirée kilt. Affichée complet. « J’ai fourni aux hommes des kilts et des chouchous de couleurs différentes à enrouler autour de leur sexe. La fille qui avait récupéré le plus de chouchous gagnait un super lot. » Ce soir, il n’y a aucun ministre ni dirigeant(e) du CAC 40. Rien de rien. « Descendez pour voir. Le truc qui marche fort, c’est le glory hole. » Qui n’est pas un cousin du peep-show, même éloigné. Ça se présente plutôt comme un bungalow de rien du tout avec des trous pratiqués dans les cloisons, à hauteur de la taille, vous suivez ? Il y a trois hommes plantés devant les orifices et, à l’intérieur du bungalow, une femme d’un certain âge qui ne sait plus où donner de la tête.

Il est 2 heures du matin, sur la minipiste de danse, il y a une fille sublime avec un des plus beaux corps qu’on puisse imaginer dans ce genre d’endroit. Luisant dans le clair-obscur. On ne sait pas comment on écrit candaulisme en ukrainien, mais elle voudrait faire plaisir à son mari qui a des idées sauvages à s’en faire éclater les yeux. Seulement, pour les hommes seuls en maraude, la rampe d’accès jusqu’à elle paraît impensable. Alentour, il y a aussi des gourmandises débridées, des incroyables talents et du maquillage barbouillé, des hommes fiers comme Artaban et des yeux pleins de gratitude.

Et puis, il y a Emma, qui a le regard doux d’une jeune étudiante en philosophie. Elle vient pour la première fois, par hasard et par curiosité. Jean-Marc la couve. C’est la relève, en quelque sorte. Elle a une toute petite voix quand elle dit : « Je préfère venir ici que chatter sur Tinder, où c’est trop engageant. » Peep-show ? Elle ne savait même pas que ça pouvait exister. En revanche, le glory hole l’a beaucoup intriguée. Pas forcément sur un plan philosophique.libertines11

Tout le cuir de Fès

Trois heures. Tout cela est assez confus, on n’y voit pas très clair ; juste derrière Michel, tandis qu’il nous met en garde sur la persistance rétinienne de la « soirée la plus chaude de l’année », on discerne, en lisière du dance floor pilonné par une musique brutale, beaucoup d’hommes harnachés de cuir et de métal lourd en fusion qui forent le puits intime d’autres hommes. Il y a tellement de cuir que tout le stock des tanneries de Fès a dû y passer. Il y a pas mal de fesses et de zizis à l’air, plus ou moins en forme, mais aussi un type vêtu d’une combinaison intégrale comme s’il venait de passer la ligne d’arrivée des 24 Heures du Mans moto.

Il essaye d’embrasser son compagnon, mais, avec son casque de moto, ce n’est pas très pratique. D’autant plus que son amoureux porte lui-même un masque de chien en latex. Il faut dire que la mode puppy fait fureur dans le milieu fétichiste gay. Et encore des hommes marteaux piqueurs, parce qu’on en revient, finalement, toujours un peu à la même chose. Nous, on revient à Michel, directeur artistique des lieux, Le Dépôt, le plus grand club gay d’Europe et peut-être du monde. Mythique depuis vingt et un ans. « Il y a même des filles qui se déguisent en hommes pour essayer d’accéder au sous-sol et voir comment ça se passe. 

Michel porte aussi un harnais de cuir, mais au-dessus de sa chemise très cadre sup’, ce qui lui donne une apparence de gladiateur assez étrange. Michel rappelle que Le Dépôt, aussi mythique soit-il, avait une réputation abîmée. « On a relancé le lieu, notamment la partie clubbing, pour qu’il n’y ait pas que du sexe. On a voulu montrer que, si ce lieu devait rester pas politiquement correct, il était aussi sexy et propre. » Michel a un master en stratégie de marque et cite Chanel : « Il faut beaucoup de sérieux pour faire du frivole. »

Il a travaillé à l’Olympia et au Musée d’Orsay. Il anticipe les tendances, mais il parle aussi d’un monde gay qui pourrait être submergé si on n’y prend garde. Michel est président de l’association de réduction des risques Play Safe. « Depuis quelque temps, il y a une nouvelle libération sexuelle grâce à la PrEP [traitement médical préventif contre le sida]. Mais il y a aussi 600 drogues de synthèse différentes accessibles sur Internet. Avec la visibilité du chemsex [les relations sexuelles sous l’emprise de drogue] sur les applis de rencontre, les jeunes finissent par penser que c’est la normalité. Il y a eu de nombreux morts liés à cette pratique. »

Halte là ! Une goutte de poésie, SVP. Bon, tout est relatif, mais on va faire comme si. L’entrée du Théâtre Chochotte se situe à côté d’un vendeur de crêpes, dans la rue Saint-André-des-Arts, à deux pas de la fontaine Saint-Michel. Le show d’Eden, la danseuse du moment, est pro jusqu’au bout des poils pubiens qu’elle n’a plus. Le tout-lisse est toujours à la mode. Chorégraphie au cordeau. Formidable. Elle fait du touche à touche avec les trois clients présents dans la salle. Un tout jeune et un tout vieux. C’est jour de grève. Les retraites sapent le moral des libertins. Chochotte, c’est un show à l’ancienne. Cinquante-cinq euros l’entrée.

Ambiance tapisserie médiévale. La patronne, c’est Mademoiselle Anaïs. Une femme d’affaires redoutable qui balance ses jambes comme Cyd Charisse pendant qu’elle répond à nos questions. Le vintage intemporel de Mademoiselle Anaïs prospère, elle ouvrira prochainement un second établissement à Bruxelles. Elle raconte une jolie histoire à laquelle on voudrait croire : « J’embauche principalement des étudiantes que je forme. Je veux des filles qui veulent se découvrir, qui n’ont pas de revanche à prendre sur la vie. Je veux un état d’esprit positif. »

Chochotte existe depuis trente-cinq ans, Mademoiselle Anaïs a toujours été là. Elle ne dit pas son âge, mais elle est très belle. « On reste le dernier bastion. La clientèle, blasée par Internet, est de plus en plus exigeante. Elle cherche de l’émotion, quelque chose de vrai. Il y a une Américaine qui passe de temps en temps une semaine à Paris. Elle vient tous les jours. Elle adore toutes les filles. Elle discute avec elles. » Ben… le strip-tease masculin, alors ? « J’aimerais bien. Pas pour l’argent, juste pour l’idée. Mais c’est encore trop ambigu. Je crois que ce ne serait pas accepté. » Sur la fresque de l’entrée, on zyeute une Aliénor d’Aquitaine en tenue très légère et pas toute seule. Ça donne envie de lire Georges Duby dans « La Pléiade ».

Gang bang féministe

Il est 4 h 55, Paris ne va pas tarder à s’éveiller. Avant de rentrer à la maison, on a traversé la rue Saint-Denis et la rue de la Gaîté à toute allure. Rien à y voir, c’était presque devenu des villes fantômes. Lucien en aurait lâché son clope. Puis, on a passé un coup de fil à Jane Melusine pour avoir des nouvelles. Elle rentrait d’une soirée BDSM (bondage, discipline et sadomasochisme) dans un club privé du 19e arrondissement. La nuit des reines. Vingt-cinq dominatrices triées sur le volet, venues spécialement de New York ou de Tokyo, toutes avec leur(s) soumis. Personne n’était là pour rigoler.

Jane, elle, est venue de Thionville après avoir longuement traversé les nuits du Paris coquin. Avant de devenir dominatrice, Jane Melusine n’a jamais réussi à descendre dans les backrooms du Dépôt, « pourtant, j’ai tout essayé pour aller voir ». Elle a commencé à la Chochotte au début des années 2000. Un an sous les ordres de Mademoiselle Anaïs. « Je suis fière d’y avoir découvert mon corps. » Un vrai gourou, cette Mademoiselle Anaïs. Jane fut actrice de théâtre porno, strip-teaseuse dans à peu près tous les lieux parisiens chics qui s’y prêtent. Et aussi une habituée des après-midi en club libertin pour son plaisir.

« PRENEZ LES GANG BANG, CONTRAIREMENT À L’IDÉE VÉHICULÉE, C’EST MOI QUI DOMINE. JE FAIS MON CHOIX DE PARTENAIRES QUI SONT À MA DISPOSITION. S’IL Y EN A UN QUI DÉBANDE, IL DÉGAGE. » JANE MELUSINE, DOMINATRICE

« Je suis une hurluberlue dans ce milieu. J’ai fait des études, je dévore la littérature érotique. Le sexe a une fonction cathartique. J’ai fait du strip hard, avec des godes même, mais avec une démarche intello derrière. Et j’ai découvert le BDSM. » Elle nous a raconté sa soirée et on a attaché notre ceinture. Il y a eu des piétinements – avec ou sans talons hauts –, des attachements que même Houdini… des étouffements, et même des jeux étincelants à base d’électricité. Son soumis, un jeune homme de 22 ans, a visiblement beaucoup apprécié.

« Aujourd’hui, le sexe s’est tellement démocratisé que c’est devenu vraiment du bas de gamme genre Jacquie et Michel. Il n’y a plus vraiment ce libertinage à la française, cette tradition qui remonte au XVIIe siècle. Il n’y a même plus de côté tabou à surpasser. Heureusement, avec le BDSM, on est à l’abri d’une mode grand public, car il faut du temps pour maîtriser les pratiques. C’est une histoire de passion où on peut descendre au fond de soi-même. J’ai l’impression de retrouver le milieu du libertinage que j’ai connu au début. »

Jane est même devenue une figure du milieu BDSM. « Depuis cinq ou six ans, de plus en plus d’hommes se féminisent et rampent à nos pieds. Ce sont des chefs d’entreprise ou des hommes politiques qui veulent renverser la vapeur. Je suis citée dans le livre Toutes des salopes. Comment faire d’une insulte un étendard féministe, d’Adeline Anfray (éd. La Musardine). Je revendique de consommer les mecs comme ils peuvent nous consommer. Prenez les gang bang [comptez une bonne dizaine d’hommes qui font l’amour à une seule femme], contrairement à l’idée véhiculée, c’est moi qui domine. Je fais mon choix de partenaires qui sont à ma disposition et je leur dis ce que je veux. Ni émotion ni sentiment. S’il y en a un qui débande, il dégage. »

Pour les copains de Jane, il n’y avait plus de doutes, la femme est bien l’avenir de l’homme. On était content d’avoir pensé à ça, Jane Melusine aurait été fière de nous, et elle nous aurait sûrement récompensé. Malgré une persistance rétinienne tenace, le peep-show n’était plus qu’un rêve lointain et il était enfin l’heure de s’allonger. Dans le grand sourire d’une nuit héroïque, on s’est endormi comme un bébé.

21 décembre 2019

Vu d’Italie - Avec les grèves, la revanche du vélo et de la trottinette à Paris

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CORRIERE DELLA SERA (MILAN)

Depuis le début des grèves contre la réforme des retraites, les transports en commun sont fortement perturbés à Paris, alors que l’usage des trottinettes et des vélos explose. Pour le Corriere della Sera, il s’agit d’une petite victoire pour la maire de la capitale, Anne Hidalgo.

“Je veux que Paris soit la capitale mondiale du vélo”, déclarait en juillet dernier Anne Hidalgo, la maire de Paris. Elle était alors loin de se douter que le mouvement de contestation qui, depuis le 5 décembre, paralyse le réseau de transports parisien, donnerait un sérieux coup de pouce à son ambition.

Depuis le début des grèves contre la réforme des retraites, le nombre de vélos et de trottinettes électriques sur les pistes cyclables [et les trottoirs] a en effet doublé, selon les relevés de la municipalité.

Paris à vélo

Le 17 décembre, alors que les syndicats prévoyaient une nouvelle manifestation géante, l’appel à la grève a été particulièrement suivi par les employés de la SNCF et de la RATP. On a assisté, dans les rues de la capitale, aux mêmes scènes que quinze jours plus tôt : des milliers d’usagers bloqués pendant une heure dans les tunnels du métro, dans l’espoir de monter dans l’une des quelques rames en circulation, serrés comme des sardines, quitte à devoir parfois en venir aux mains pour se glisser dans un wagon.

En surface, les autobus sont pris d’assaut et de gigantesques embouteillages se forment, notamment aux portes de Paris.

Pour échapper à ce chaos et avoir une chance d’arriver au bureau ou à leurs rendez-vous, tous ceux qui le peuvent ont choisi le vélo ou la trottinette électrique, profitant enfin du réseau de pistes cyclables qui, malgré toutes les critiques, fait la fierté de la maire socialiste Anne Hidalgo.

Polémiques féroces

“Nous voulons de véritables infrastructures cyclables, séparées de la circulation automobile, comme à Copenhague”, proclamait l’édile. En 2014, la Ville de Paris a lancé un très ambitieux “Plan vélo 2015-2020”, prévoyant la construction de 1 400 km de pistes cyclable (objectif revu à la baisse, avec 1 000 km), et une enveloppe de 10 millions d’euros d’aides financières pour les particuliers souhaitant acheter un vélo (à hauteur de 400 € par personne).

Après avoir fermé à la circulation les quais de Seine, reconverti les voies sur berge en zone piétonne avec bars, restaurants et jeux pour enfants, la municipalité a entrepris de réduire la largeur des voies dédiées aux voitures sur la rue de Rivoli, depuis la place de la Concorde jusqu’au Marais sur la rive droite et, sur la rive gauche, de Saint-Michel à la tour Eiffel et au-delà.

Au cours de mois de polémiques féroces, Benjamin Griveaux, candidat La République en Marche (LREM) à la mairie de Paris, a fondé une grande part de ses espoirs de remporter les élections municipales [de 2020] sur la promesse de suspendre les travaux dans la capitale et de rendre de l’espace aux automobilistes. Les photos de longues colonnes de voitures bloquées dans les bouchons à côté de voies cyclables à demi désertées semblaient lui donner raison.

Comme sur les pistes de ski

Les grèves ont toutefois fourni une aubaine inespérée à l’actuelle maire de la capitale, qui rêve de voir les Parisiens privilégier le vélo. Les pistes cyclables sont désormais presque aussi fréquentées que celles du modèle de Copenhague, même si, visiblement, tous les Parisiens ne sont pas très habitués à pédaler.

Dans la capitale danoise, les cyclistes circulent par essaims compacts, ordonnés et rapides, alors qu’ici l’ambiance rappelle davantage celle des stations de ski : les cyclistes les plus avertis, qui disposent de leur propre vélo et arborent casque et gilet de sécurité, partagent les couloirs avec des néophytes maîtrisant difficilement leur engin.

Plus d’accidents

Par rapport à la discipline scandinave, Paris a en outre de gros progrès à faire en matière de civilité : certains utilisateurs accaparent les vélos et trottinettes en libre-service, les attachant le soir à des grilles, parfois même avec leur propre cadenas, pour être sûrs de les retrouver le lendemain matin.

Les pompiers ont par ailleurs signalé que depuis le début des grèves, les accidents de vélo et trottinette ont augmenté de 20 %. Patrick Pelloux, médecin urgentiste, tire la sonnette d’alarme. “Les traumatismes crâniens sont beaucoup plus fréquents.” Il conclut : “Il faudrait rendre obligatoire le port du casque.”

Stefano Montefiori

Source : Corriere della Sera

MILAN http://www.corriere.it/

Fondé en 1876, le premier quotidien italien mentionne toujours “della sera” (“du soir”) dans son titre, alors qu’il sort le matin depuis plus d’un siècle. Sérieux et sobre, le journal a su traverser les vicissitudes politiques en gardant son indépendance.

Dès sa naissance, le Corriere s’est affirmé comme le porte-parole de la bourgeoisie industrielle du Nord. Son format, très grand pour un quotidien moderne, participe à cette image de sérieux et de tradition. Il appartient à RCS Mediagroup, racheté en 2016 par l’homme d’affaires Urbano Cairo, qui possède également la chaîne La7.

Comme les autres journaux nationaux italiens, sa diffusion a connu ces dernières années une forte baisse, mais il reste en tête du classement.

Le journal est accompagné d’une multitude de suppléments dont Sette (vendredi), Io Donna (féminin du samedi) et La Lettura (dimanche).

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