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Jours tranquilles à Paris
21 décembre 2019

Départ en vacances.... Gare de Lyon !

Reportage « Mais avancez ! Il reste de la place, prenez vos valises sur vos genoux » : bousculades et incompréhension à la gare de Lyon

Si ça continue les trains ressembleront à cela .. (photo ci-dessous)

train foule

Par Nathan Cocquempot

A quelques jours de Noël, l’heure est au retour chez soi malgré la grève qui perdure. Avec ce premier week-end de départ en vacances, de nombreuses colères se sont élevées en gare de Lyon.

« Ouvrez la porte, je suis sûre qu’il y a une petite place pour moi. » Trop tard, le TER bondé s’en va au loin laissant sur le quai de nombreux voyageurs agacés. « Je dois aller récupérer ma fille à la crèche et je suis bloquée ici », s’alarme une dame au bord des larmes qui devait se rendre à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne). Pourtant les agents SNCF se voulaient rassurants dans le hall de la gare de Lyon. « On envoie tout le monde chez soi. »

Un autre train régional direction Melun est annoncé sur une voie. Les voyageurs se ruent en direction du quai, traînant cadeaux, valises, trottinettes. Bousculades et insultes apparaissent aux portes des wagons. « Mais avancez ! Il reste de la place, prenez vos valises sur vos genoux ! », hurle l’un d’entre eux en tapant sur la fenêtre. « C’est des sauvages ma parole ! Y a des gosses ! », lance une dame qui peine à descendre du même train. « Mais vous feriez pareil à leur place », dit un autre de passage. Ambiance tendue.

Mêmes scènes de pagaille du côté du RER D. Les agents tentent de réguler le trafic de voyageurs en ouvrant l’accès aux escaliers vers les rames peu de temps avant l’arrivée du train. La descente est rapide, dangereuse, égoïste. Une dame est extraite de la masse en état de choc. Les places assises sont chères payées. Un gamin sur sa trottinette est porté par son père pour accélérer le rythme. Les portes du RER viennent se coller aux mains des usagers pour un trajet qui ne sera pas de tout repos.

Au milieu du hall 1 en effervescence, les cadeaux déposés près des valises peinent à rappeler les fêtes qui approchent. Un bonnet rouge de père Noël se détache timidement des têtes mouvantes en quête de trains. Sous celui-ci, un agent SNCF distribue des sacs surprises aux enfants tout en renseignant les parents. « On essaye d’apporter un peu de Noël aux plus jeunes. » Une dame touche le pompon du bonnet. « J’espère que ça me portera chance pour mon train. »

« Je ne peux modifier mon aller sans annuler mon retour »

« Parti d’Agen ce matin, j’ai pris un Uber à 40 euros pour venir de Montparnasse jusqu’à la gare de Lyon pour avoir ma correspondance. Je suis arrivé en sueur avec tous mes sacs juste à temps pour voir mon train s’en aller au loin », rigole jaune Nicolas Ducarouge. En formation pour être professeur des écoles, le trentenaire semble prendre la grève du bon côté « Je vais forcément perdre des sous avec cette réforme, je soutiens donc le mouvement. »

Dans le hall 1, un homme s’énerve devant le portail électronique limitant l’accès aux quais des TGV. « Je vous explique que je veux simplement aider ma mère de 75 ans à monter dans un train », crie l’homme aux agents de sécurité. « Il faut faire appel à l’assistance voyageur, vous ne pouvez pas accéder au quai comme cela », lui explique ce dernier. Les portes électroniques ne s’ouvrent qu’au contact d’un billet valide. « Ils ne veulent pas laisser passer ceux qui n’en ont pas, je ne peux donc pas accompagner ma mère », s’agace le voyageur.

Pourtant, du côté du guichet d’échange de billets, situé entre les halls 1 et 2, Hugues relate un autre discours « Je n’ai pas pu échanger mon billet aujourd’hui mais un agent m’a dit que je pouvais monter dans un train sans billet. » On se demande comment il va pouvoir franchir les portails.

« Ils n’informent pas les gens. C’est honteux »

Dans la queue pour échanger son trajet, les galères de billets s’accumulent « On m’envoie un message pour m’inciter à changer le plus tôt possible mon train mais ici on m’annonce qu’il est trop tôt pour le modifier », explique un voyageur qui doit partir le jour de Noël. « J’ai pris un aller-retour avec une carte week-end et mon aller est supprimé. Mais je ne peux pas le modifier sans annuler mon retour… C’est compliqué », explique Maryline attendue en Haute-Savoie.

Les têtes se tournent, un homme s’énerve sur un agent SNCF. « Ma compagne a passé 5 heures au téléphone et personne n’a décroché. » Ce dernier doit se rendre à Béziers le 25 décembre pour fêter Noël. Son train est annulé, pas moyen de l’échanger sur Internet. « Je me suis rendu à Montparnasse, on m’a renvoyé gare de Lyon. Cela fait deux heures que j’essaye de trouver une solution et on me dit qu’il n’y aura pas de train pour Béziers le 25. Ils n’informent pas les gens. C’est honteux », s’énerve-t-il. La magie de Noël n’a pas encore pénétré la gare de Lyon.

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19 décembre 2019

Grève - Paris Gare du Nord

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19 décembre 2019

Harvey Weinstein se décrit comme « pionnier » de la promotion des femmes à Hollywood

« J’ai fait plus de films réalisés par des femmes et sur des femmes que n’importe quel producteur », explique auprès du « New York Post » le magnat déchu du cinéma.

Harvey Weinstein, « pionnier » de la promotion des femmes à Hollywood : c’est ainsi que se décrit le producteur déchu dans un entretien au New York Post publié dimanche 15 décembre, à moins d’un mois de l’ouverture de son procès pour agressions sexuelles.

L’homme, catalyseur du mouvement #metoo, est inculpé de cinq chefs d’accusation, desquels il a plaidé non coupable, pour un viol commis sur une femme en 2013 et une agression sexuelle sur une autre en 2006. Avec des dizaines d’autres, qui l’accusent d’abus sexuels, il tente de conclure un accord financier.

« Tout ça a été balayé à cause de ce qui s’est passé »

« J’ai l’impression qu’on m’a oublié », a-t-il expliqué lors de cette interview réalisée vendredi, au lendemain d’une lourde opération du dos, consécutive à un accident de la route survenu en août. « J’ai fait plus de films réalisés par des femmes et sur des femmes que n’importe quel producteur », a lancé l’ancien magnat hollywoodien, « et je parle d’il y a trente ans. » « Je ne parle pas de maintenant, au moment où c’est à la mode », poursuit-il. « J’étais le premier ! J’étais le pionnier ! »

Le monde du cinéma aurait ainsi refusé de lui rendre justice, en plein bouleversement depuis la naissance de #metoo et du fonds « Time’s Up » pour lutter contre le harcèlement et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes.

Pour Harvey Weinstein, « tout ça a été balayé à cause de ce qui s’est passé », à savoir les accusations de harcèlement ou d’agression sexuelle émanant de plus de 80 femmes. « Mon travail a été oublié. »

De retour au tribunal le 6 janvier

Des dizaines de témoignages le présentent comme un manipulateur, faisant miroiter à des actrices des opportunités professionnelles en échange de faveurs sexuelles.

Plusieurs comédiennes célèbres, comme Angelina Jolie, Salma Hayek ou Gwyneth Paltrow, ont affirmé que le cocréateur des studios Miramax, puis de The Weinstein Company, leur avait fait à chacune des avances, sans succès. Nombreuses, parmi les actrices qui l’ont éconduit, sont celles qui affirment que l’ex-tout puissant patron de studio a ensuite cherché à faire dérailler leur carrière.

« En 2003, Gwyneth Paltrow a reçu 10 millions de dollars pour le film View from the Top [“Hôtesse à tout prix”] », a encore souligné Harvey Weinstein dans son entretien, se présentant de nouveau en artisan du rééquilibrage entre les hommes et les femmes à Hollywood. « C’était l’actrice la mieux payée de tout le cinéma indépendant [hors studios majeurs], a-t-il affirmé. Mieux payée que tous les hommes. »

Interrogé par le New York Post, Harvey Wenstein a refusé de s’exprimer sur les accusations dont il est l’objet. « [Il] a dit qu’il n’avait accepté l’interview, sa première depuis plus d’un an, que pour prouver qu’il n’avait pas exagéré au sujet de ses soucis de santé », précise le tabloïd.

Selon le journal, l’ancien producteur de 67 ans est sorti de l’hôpital dimanche. Mercredi, lors d’une audience préliminaire à son procès, il avait assuré, par la voix de ses avocats, que l’intervention chirurgicale n’empêcherait pas sa présence à l’ouverture de son procès, prévue à New York le 6 janvier.

18 décembre 2019

« Sous le sapin, la grève » : dans les manifestations contre la réforme des retraites, la « trêve de Noël » est largement rejeté

Par Solenn de Royer, Service France, Nos correspondants régionaux

Les opposants au projet du gouvernement n’ont pas désarmé, mardi 17 décembre. Nombre d’entre eux refusent l’idée de suspendre le mouvement pendant les fêtes, comme le leur enjoint l’exécutif.

C’est une simple planche posée contre un arbre, dans une rue pavée de la capitale. Quelques mots ont été tagués dessus, à la peinture mauve : « Y aura-t-il de la grève à Noël ? » Une semaine avant le 24 décembre, c’est l’une des questions que tout le monde se pose en cette troisième journée de mobilisation contre les retraites, qui a rassemblé 615 000 personnes dans toute la France selon le ministère de l’intérieur, 1,8 million selon la CGT.

Dès le début de la matinée, elle hante les assemblées générales de salariés à la SNCF ou à la RATP. Rassemblés à la station Nation, dans l’est de Paris, les conducteurs des lignes de métro 6, 9 et 3 décident de reconduire la grève jusqu’au vendredi 20 décembre, au moins. Et rejettent toute trêve de Noël, d’emblée.

« On commence à entrer dans le dur pour tout le monde mais surtout pour le gouvernement », veut croire le représentant de l’UNSA, Mohamed Bouzourène. Le syndicaliste dénonce cette « pression de Noël » que chercherait à instaurer l’exécutif : « Ils veulent nous responsabiliser mais on n’est pas responsables, c’est eux qui veulent nous imposer un nouveau système de retraite ! » Il est applaudi longuement.

Même tonalité gare de l’Est, où l’« AG » commence peu après 10 h 30 devant 200 cheminots, la plus grosse affluence depuis le début du mouvement. « On a des taux de grévistes chez les conducteurs qui dépassent les 80 %. Au bout de treize jours de grève, il y a une pêche incroyable », s’enthousiasme le secrétaire de la CGT Paris-Est, Patrick Belhadj, qui invite lui aussi à continuer la grève pendant les fêtes. « La trêve de Noël ? C’est de la flûte », assène de son côté Gauthier Tacchella, conducteur gréviste (FO) sur les lignes H et B du Transilien.

Dans toute la France, mardi 17 décembre, trains et métros sont restés à quai, encore une fois : un TGV sur quatre seulement en circulation ; un Transilien sur cinq. Dans le métro parisien, seules les lignes automatiques 1 et 14 ont fonctionné normalement. Les lignes 3, 4, 7, 8, 9 et 11, partiellement. Quant aux RER A et B, ils ont roulé uniquement aux heures de pointe. Dans la matinée, un sondage Harris Interactive pour RTL et AEF Info indiquait que si 62 % des Français soutenaient le mouvement de grève, 69 % souhaiteraient une « trêve de Noël ».

La trêve, une façon de « diviser les Français »

Dans les cortèges, personne ne semble s’en soucier vraiment. Place de la République, à Paris, Agnès attend le signal du départ. Cette « gilet jaune » de la première heure, âgée de 55 ans, tient même une pancarte où il est écrit : « 9 millions de pauvres exclus de fêtes (et bien plus à venir), trêve = indécence ». Sans emploi, Agnès touche le revenu de solidarité active (RSA).

Elle explique être retournée vivre chez sa mère de 83 ans, avec ses deux enfants. « Ce gouvernement nous parle de trêve dans le mouvement, pour ne pas priver les Français de fêtes de Noël ? Mais de quels Français il parle ? », s’agace-t-elle en fustigeant « une trêve pour les nantis ! » Pour Agnès, l’appel à la trêve de Noël serait une façon de « diviser les Français, de les monter les uns contre les autres », pour « démotiver » les manifestants. Elle est interrompue par un homme, tout aussi furieux : « Ce n’est pas la responsabilité des grévistes mais du gouvernement de laisser durer le mouvement ! »

Dans le cortège parisien de « l’Opération retraite », de nouveaux slogans ont fait leur apparition : « Sous le sapin ; la grève. Pas de trêve à Noël », « grévolution », ou alors « plus personne ne vous croit, Delevoye vous montre la voie ». Des « Macron démission » sont également scandés, chose plutôt rare jusqu’à présent. Ou encore : « Macron prends ta retraite, pas la nôtre ».

A côté de la place de la République, une vingtaine de lycéens bloquent le lycée Turgot, devant un amoncellement de poubelles, de palettes et de barrières de chantier. « On en a marre de l’inaction, c’est terminé de tout laisser passer : cette réforme des retraites, la privatisation des aéroports, le réchauffement climatique, et les violences policières ! », égrène tous azimuts Prune, 16 ans. Elle et ses camarades redoutent la coupure des vacances. « L’an passé, ça avait tué le mouvement lycéen contre la réforme du bac. Mais ce mouvement-là est plus fort… »

Mêmes paroles à Marseille, au sein de l’imposant cortège des cheminots CGT, qui s’ébranle en fin de matinée du haut de la Canebière. Elsa Vedrine, 43 ans, agent de maîtrise à la SNCF, est « certaine que la mobilisation va se maintenir ». « Le sujet est tellement important que Noël passe après », insiste cette gestionnaire de l’information voyageurs. La manifestante affirme même ressentir « une meilleure disposition du public face aux perturbations » que lors de la grève sur le statut des cheminots, en 2018. « Parce que cette fois, la réforme concerne tout le monde », conclut-elle.

En tête du cortège, le secrétaire départemental CGT, Olivier Mateu, explique qu’il a demandé à la direction de son syndicat que « des initiatives soient prises tout au long de la période de Noël ». Pour la première fois depuis le début de la mobilisation, un petit millier de gilets orange de la CFDT ferment la marche, cent mètres derrière le cortège principal.

« Dans les salles des professeurs, c’est l’assemblée générale permanente », raconte Caroline Chevé, porte-parole du FSU-13, qui assure que 60 % des enseignants du second degré sont en grève dans les Bouches-du-Rhône. Pour elle, l’idée de mettre la mobilisation entre parenthèses pour Noël n’a pas d’intérêt : « L’opinion publique est derrière nous ! »

« Quitte à être là, autant rester dans l’action »

En fin d’après-midi, la manifestation parisienne se termine place de la Nation, alors que la pluie commence à tomber. Beaucoup portent la tenue des black blocs. Les forces de l’ordre accélèrent la dispersion avec des gaz lacrymogènes.

Le ministère comptabilise 76 000 manifestants dans la capitale ; le cabinet indépendant Occurence pour un collectif de médias, 72 500 ; la CGT, 350 000 personnes.

A Rennes, les manifestants se sont dispersés dans le calme dès le début d’après-midi. Bilan : 10 000 personnes selon la préfecture – soit 3 000 de moins que le 5 décembre – et 18 000 selon la CGT – soit 3 000 de plus que le 5 décembre. Même « grand écart statistique » à Toulouse où la préfecture a recensé 17 000 manifestants tandis que la CGT donne le chiffre de 120 000.

A Marseille, si le comptage de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône reste dix fois moins élevé que celui des organisateurs – soit 20 000 manifestants contre 200 0000 –, la mobilisation semblait en hausse par rapport aux journées d’action qui ont suivi le 5 décembre. Avant que le cortège ne se disperse, Robin Matta, aiguilleur à la gare de Miramas et secrétaire du syndicat CGT, prévient que « cette idée de trêve à Noël ne passe pas du tout dans les assemblées générales ».

« Les gars disent qu’en une semaine de mobilisation, ils ont gagné beaucoup et qu’en restant mobilisés, le gouvernement peut craquer. Si on utilise le mot “suspendre”, on aura du mal à relancer en janvier. De toute façon, les cheminots ont l’habitude de travailler le 25 décembre et le 1er janvier. Alors quitte à être là, autant rester dans l’action. »

Plus tard dans la soirée, le communiqué de l’intersyndicale – qui se réunissait à l’issue de la manifestation parisienne – est tombé. Les syndicats CGT, FO, FSU, Solidaires, à l’origine de la mobilisation contre la réforme des retraites, appellent « l’ensemble du monde du travail et la jeunesse à poursuivre et renforcer la grève, y compris reconductible là où les salariés le décident, pour maintenir et augmenter le rapport de force ».

Ils appellent à organiser des actions de grève et de manifestation « partout où c’est possible, notamment le 19 décembre par des mobilisations locales et ce, jusqu’à la fin de l’année ». Le texte est intitulé : « Pas de trêve jusqu’au retrait ».

18 décembre 2019

Chronique - La misère sexuelle, un argument si pratique

Par Maïa Mazaurette

Plus nous légitimons le faux besoin de pratiquer le sexe avec autrui, plus les « miséreux » se sentent autorisés à le faire peser sur l’ensemble de la société (femmes, enfants, gays…), estime la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette, qui appelle à en finir avec ce concept.

LE SEXE SELON MAÏA

Avez-vous remarqué ? Que l’on parle de prostitution, de pornographie, de pédophilie, de culture du viol ou d’abstinence, quelqu’un finit toujours par mentionner le tragique destin des martyrs de la misère sexuelle. Pourvu que ces derniers soient des hommes, bien entendu. Côté femmes, le manque est rigolo (ah, les « nymphos »), dédramatisé (« les femmes n’ont pas de pulsions »), décrédibilisé (« il suffit aux femmes de traverser la rue pour trouver un partenaire »).

Pour les hommes, en revanche, misère sexuelle partout ! Un argument pratique, compassionnel, véritable « petite robe noire » des débats sociétaux. C’est que la misère sexuelle se porte avec tout. Vous pouvez vous en servir pour caler des tables ou pour monter des œufs en neige.

Ce « succès » est étrange : sauf handicap lourd, rien n’empêche les personnes délaissées de se masturber. En matière de « soulagement des pulsions », une masturbation vaut autant qu’un missionnaire.

Précisons donc : si la présence de l’autre est requise pour se réchauffer les pieds, c’est de la détresse affective. Si l’on s’en tient à la reproduction de l’espèce, il faudrait inventer la détresse reproductive. Mais comment parler de misère sexuelle, quand le soulagement sexuel est une ressource dont toutes les personnes valides disposent en quantité infinie ?

Objectivement, cette misère-là est un fantasme. Un concept. Une histoire qu’on aime se raconter. Et pourtant. Non seulement elle est omniprésente dans nos conversations, mais elle est prise au sérieux. On ne plaisante pas avec les forces telluriques du désir (y compris quand ces forces pourraient se balayer d’un revers de main) ! Notre compassion révèle de curieuses élasticités : le risque de mourir de faim ou de froid ne justifie ni le vol ni le squat ; en revanche, la grosse envie de sexe justifie d’outrepasser les règles les plus élémentaires du consentement ou de la vie en société.

Fatalisme sexuel

Pire encore, notre acharnement à faire exister la misère sexuelle en produit. On crée un faux besoin, qui physiologiquement n’existe pas. Son assouvissement génère des troubles, au mieux, et des victimes, au pire. Au moment de payer la facture, nous nous désolons – autant pour les coupables que pour celles et ceux qui ont croisé leur route. Comme s’il y avait là une forme d’équivalence.

Nous prétendons qu’il n’y a pas de solution (« c’est la biologie », « c’est des pauvres types », « les hommes sont des bêtes ») : non seulement nous créons ainsi le problème de toutes pièces, mais nous nous condamnons d’avance à ne jamais le résoudre.

Nous voici donc face à un énième avatar de notre indéboulonnable fatalisme sexuel, qui voudrait que dans le monde profane on puisse déplacer des montagnes, mais que dans la chambre à coucher on n’arrive même pas à soulever le drap.

Nous en payons le prix : plus nous légitimons ce faux besoin, plus les « miséreux » se sentent autorisés à le faire peser sur l’ensemble de la société (femmes, enfants, gays, hommes perçus comme faibles).

Ma position n’est pas celle d’une femme sans cœur (je le prendrai rosé, avec une sauce à l’orange). Au contraire. Je répugne à retourner les couteaux dans des plaies. Or c’est précisément à cette torture qu’on renvoie nos « miséreux », quand on les plaint, ou quand on décrit leur situation comme intolérable. Bien sûr qu’être assailli de désir est embêtant. Mais en reporter la responsabilité sur le monde entier l’est encore plus. Et franchement, être assailli/e du désir des autres est non seulement embêtant mais potentiellement dangereux.

Mépris de la masturbation

Ce qui pose la question du pourquoi. Pourquoi ces faux débats, quand nous pourrions affirmer une bonne fois pour toutes que la masturbation est suffisante ? (Et que, même si elle était insuffisante, on n’en mourrait pas ?)

Pour répondre à cette question, allons exhumer notre histoire collective avec la philosophe Olivia Gazalé qui, dans son remarquable Mythe de la virilité (Robert Laffont, 2017), évoque « l’immense mérite civilisationnel » de la masturbation : « Non seulement la médecine a eu tort d’affirmer que l’onanisme était nuisible à la santé (…), mais les penseurs des Lumières se sont totalement égarés en y voyant un fléau social : il y aurait eu infiniment moins de viols et de prostitution dans l’histoire de l’humanité si la masturbation n’avait pas fait l’objet d’un tel anathème, si le soulagement autarcique des pulsions n’avait pas été diabolisé, si le fait de “ne pas entrer” n’avait pas été criminalisé. »

Ce mépris de la masturbation n’est pas confiné au rayon des antiquités. Il a toujours cours, quoique sous d’autres formes : nous tournons l’autoérotisme en ridicule, nous refusons de le considérer comme du « vrai sexe ». Quand nous moquons les « branleurs », nous créons un repoussoir. Evidemment que les miséreux chercheront à s’en écarter.

Pour autant, ce dénigrement de la masturbation ne suffit pas. Il faut aussi valoriser la pénétration. Olivia Gazalé rappelle cet impératif : « Pour être viril, il faut entrer, c’est-à-dire ne pas se satisfaire tout seul. » Symboliquement, cette « entrée » manifeste un rapport de domination : on s’avance en conquérant, éventuellement en imprégnant (même s’il serait facile de retourner cette symbolique).

La misère sexuelle n’est pas un souci de sexe, d’orgasme, de libido, mais un souci d’identité, de rapport au monde, de hiérarchie des corps. Pour le résoudre, il faut commencer par l’appeler par son nom : non pas « misère sexuelle », mais « crise d’une certaine masculinité ». Or, en 2019, nous ne pouvons plus accepter cette identité virile là, non autonome, n’existant qu’à travers la coopération ou la coercition des femmes. Si les valeurs viriles valorisent l’indépendance, alors cette indépendance doit s’appliquer aussi à la vie sexuelle.

Cache-sexe

La question, ensuite, est de savoir si on a réellement envie de se retrousser les manches. Vu le succès du concept de misère sexuelle, on peut en douter. Pour les hommes, y compris ceux qui ne souffrent d’aucun manque, cet épouvantail est pratique : l’existence de la misère sexuelle permet de transformer le désir masculin en cause nationale de santé publique (en attendant le Téléthon). Elle garantit aussi, à grands coups de misérabilisme, la possibilité de se victimiser au moment de rendre des comptes.

Et ça marche ! Les damoiseaux en détresse suscitent une belle solidarité. Y compris du côté des femmes, qui démontrent leur adaptabilité et leur empathie, quitte à faire passer les souffrances imaginaires des « miséreux » avant leur propre bien-être (« je suis importunée, mais le pauvre, il ne va quand même pas se masturber »).

Alors personnellement, je propose d’arrêter les frais. Je suis fatiguée qu’on fasse passer la frustration pour un danger susceptible d’ébranler la société tout entière (et pourquoi pas la peste bubonique ?). Je suis épuisée qu’on nous menace de « conséquences » à tout bout de champ. Je suis exaspérée de voir les femmes se dévouer, ou être désignées d’office, pour prodiguer du réconfort ; soit de manière préventive (il faut « donner » des rapports sexuels, avant que l’homme ne souffre), soit de manière curative (il faut se mettre à disposition des hommes qui souffrent, avant qu’ils n’explosent comme des Cocotte-Minute et qu’ils se « lâchent » sur la première personne venue).

Enfin, je suis dérangée qu’on utilise le vocabulaire de l’indignation morale (la misère et ses misérables) à des fins immorales (excuser des comportements antisociaux ou dégradants). La misère sexuelle n’est qu’un cache-sexe. Pour résoudre le vrai problème, il va falloir mettre les mains.

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17 décembre 2019

Internet au secours des ventes de jouets à Noël

jouets

Par Cécile Prudhomme

Près de 30 % des jouets vendus en fin d’année en France le sont sur le Web. Un circuit de distribution dominé par Amazon, qui comporte ses avantages, mais beaucoup de contraintes pour les fabricants.

Les grèves et les manifestations finiront-elles par contraindre les Français à acheter les jouets de Noël sur Internet plutôt qu’en magasin ?

A quelques jours du réveillon, c’est l’une des principales craintes des enseignes de distribution pour ce mois de décembre qui concentre un tiers des ventes annuelles du secteur. En 2018, déjà, 30 % des acheteurs de jouets avaient déclaré avoir fait leurs courses sur le Web pour éviter les perturbations dues aux mouvements des « gilets jaunes », soit 8 points de plus qu’auparavant, selon l’institut NPD.

« Après une chute entre 7 % et 20 %, selon les magasins, la première semaine de décembre, l’activité a été stable lors de la deuxième, ce qui est encourageant, explique-t-on chez JouéClub, numéro un des ventes en France. On note néanmoins une progression de 20 % de l’activité sur le drive cette semaine-ci. »

Un signe du poids grandissant d’Internet dans ce marché. Le secteur du jouet est l’un des plus attaqués par le commerce en ligne, surtout en cette période : la Fédération française des industries jouet-puériculture (FJP) prévoit que 30 % des achats, en cette fin d’année, se feront sur la Toile. Un secteur dominé par Amazon, qui s’octroie 44 % de parts de marché en France, selon l’institut Kantar Worldpanel.

Les spécialistes du jouet (JouéClub, La Grande Récré…) comptent aussi sur Internet pour faire venir les clients en boutique. « Cela doit être une extension du point de vente physique, un bouquet de solutions complémentaires au service du magasin », résume Nathalie Peron-Lecorps, directrice générale de PicWicToys, enseigne née en 2019 du rapprochement entre PicWic et Toys’R’Us France.

Incontournable

Chez King Jouet, qui vient d’ouvrir deux boutiques à Paris, les différents canaux de vente ont été entièrement imbriqués, en permettant, par exemple, le paiement en ligne ou en magasin, la livraison à domicile ou en magasin… « En trois ans, on a doublé la part du numérique, de 5 % à 10 %, constate Philippe Gueydon, directeur général de King Jouet. D’ici à trois ans, on sera peut-être à 20 %. » L’enseigne JouéClub, qui réalise 5 % de son chiffre d’affaires sur Internet − avec 55 % des achats en ligne retirés en magasin −, vise les 10 % en 2021.

Pour les fabricants aussi, l’e-commerce est devenu incontournable. Avec ses avantages et ses contraintes. « Amazon est un passage obligé, car, au regard de leur audience, c’est là que se trouvent nos clients potentiels », estime Philippe Bernard, directeur général de Goliath France, qui compte 7 % de ses ventes sur le Web.

« AMAZON EST UN PASSAGE OBLIGÉ, CAR, AU REGARD DE LEUR AUDIENCE, C’EST LÀ QUE SE TROUVENT NOS CLIENTS POTENTIELS »

Pas facile, toutefois, d’y connaître le succès, tant l’offre est abondante. Il faut tout d’abord effectuer davantage de mises en avant des produits. « Comme les gens ne peuvent pas manipuler les jeux, nous mettons un maximum de photos et nous avons aussi lancé une chaîne YouTube en 2018 », explique Marine Camus du service marketing de la marque Widyka, qui édite le jeu Because Potatoes, vendu à 20 000 exemplaires.

Ensuite, ils doivent s’adapter aux exigences des sites de commerce en ligne. « Ils ne veulent pas de jouets à trop petit prix, car cela ne couvre pas leurs frais de livraison » et « les fabricants de figurines d’action ont plus de mal à travailler avec eux, puisque les produits sont bien souvent conditionnés en assortiments, ce qui pose des problèmes dans la gestion du stock », estime un industriel, sous couvert d’anonymat.

« On n’a pas trop le choix »

La logistique, c’est précisément ce qu’Amazon cherche à optimiser, tant sur le travail de manutention que sur la place occupée dans ses espaces de stockage. « [Le groupe américain] souhaite désormais qu’on leur envoie une poupée par carton et non pas six, de manière à pouvoir les envoyer directement à leurs clients, sans défaire les colis. On a eu beaucoup de pressions aux Etats-Unis cette année sur ce sujet », raconte Christophe Salmon, directeur général de Mattel France.

La taille des boîtes pose aussi problème. « Nos déguisements sont pour la plupart présentés dans des coffrets qui participent à la beauté du produit, raconte Laure Lübeck, responsable marketing chez César. Et c’est ce que demandent les magasins. Mais Amazon, lui, veut de moins en moins de grosses boîtes. » D’autres fabricants se sont vu invités à gérer eux-mêmes les stocks et à faire partir la marchandise chez les clients depuis leurs propres entrepôts.

Impossible, pour autant, de se passer d’un acteur aussi puissant qu’Amazon. « On n’a pas trop le choix. Deux millions de Français achètent des jeux chez eux », déclare Jonathan Algaze, le PDG et fondateur de Topi Games, le fabricant du célèbre jeu Ta mère en slip, qui avait pourtant connu des déboires avec le géant américain en 2018, concernant des pénalités de livraison et des invendus non rendus.

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16 décembre 2019

Démission de Jean-Paul Delevoye : les syndicats saluent un « homme de dialogue », l’opposition applaudit

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Le « Monsieur Retraites » du gouvernement a quitté son poste de haut-commissaire aux retraites lundi après une semaine de révélations sur ses activités et mandats non déclarés.

La démission de Jean-Paul Delevoye de son poste de haut-commissaire aux retraites, lundi 16 décembre vers midi, a provoqué de nombreuses réactions politiques et syndicales, à la veille d’une journée de mobilisation contre la réforme des retraites qu’il avait portée jusque-là.

Emmanuel Macron a fait savoir lundi avoir accepté « avec regrets » sa démission. Samedi, il avait reconnu auprès du Monde n’avoir pas déclaré initialement dix mandats et avoir sous-estimé des rémunérations d’autres activités, par ailleurs incompatibles avec sa fonction ministérielle.

Des leaders syndicaux saluent les qualités de « dialogue » de Delevoye

« Ça doit être très difficile pour lui. C’est un homme de dialogue. Il portait avec une conviction qu’on ne peut pas lui reprocher le projet du gouvernement », a réagi le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Yves Veyrier, sur LCI. « J’aime bien M. Delevoye [en tant que] personne, mais ce n’est pas le sujet », a-t-il ajouté, rappelant que son syndicat était vent debout contre le projet.

Cette démission « tombe mal », a jugé, de son côté, Laurent Escure, de l’UNSA, également sur LCI. Il a dit « espérer » que le successeur de M. Delevoye « ait la même connaissance technique et le même respect pour les partenaires sociaux ». De toute façon, a souligné M. Escure, « les arbitrages et le dialogue se font [désormais] avec l’Elysée et Matignon » et « le haut-commissaire n’était pas au premier plan ».

Avant l’annonce de la démission de M. Delevoye, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, avait lui aussi loué la « loyauté » du haut-commissaire. Tout en se disant « ébahi » et « abasourdi » par les révélations sur les mandats non déclarés du « Monsieur Retraites » du gouvernement, M. Berger a souligné que « la concertation avec lui a été loyale, il y a eu une confrontation d’idées intelligente, pour essayer de faire avancer les choses ».

« Il ne nous a jamais pris en traîtres », a-t-il dit sur Franceinfo. La polémique sur les mandats non déclarés de M. Delevoye nuit « évidemment » à sa « crédibilité », mais « sur le fond, (…) il connaît très bien le sujet, il est celui qui connaît le mieux les positions des différents interlocuteurs », a jugé M. Berger.

La porte-parole du gouvernement souligne son « sens du collectif »

La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a salué « le sens du collectif » et « le grand esprit de responsabilité » de M. Delevoye, qui a démissionné pour « ne pas handicaper l’action du gouvernement ».

« C’est avec un grand esprit de responsabilité qu’il a ainsi décidé de ne pas handicaper l’action du gouvernement en demeurant à son poste », a insisté la porte-parole du gouvernement à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme.

Le remerciant « pour l’ensemble du travail accompli depuis le début de la mandature », Mme Ndiaye a également loué son « esprit de dialogue » et « son esprit constructif », témoignant, selon elle, « d’une volonté sans faille de mener à bien et dans l’échange une réforme majeure pour le pays ».

« Il était temps », juge le Parti socialiste

L’opposition a, finalement, réussi son pari, en demandant à de multiples reprises la démission du ministre, effective depuis lundi. « Il était temps », a jugé le Parti socialiste.

Pour Marine le Pen, la position du ministre était « intenable ». « Les Français doivent garder à l’esprit que toute la macronie a défendu un homme fautif en contradiction avec notre Constitution ! » Le leader de La France Insoumise en a profité, lui, pour attaquer la réforme des retraites.

#Delevoye a démissionné. Son projet doit s'en aller aussi. On veut un joyeux Noël. #DelevoyeDemission

— JLMelenchon (@Jean-Luc Mélenchon)

La majorité, elle, « respecte » la décision du ministre, comme l’écrit le président du groupe LRM à l’Assemblée nationale.

Les députés @LaREM_AN expriment @delevoye tristesse et respect après la décision courageuse qu'il vient de prendre… https://t.co/arfcWa0xNU

— GillesLeGendre (@Gilles Le Gendre)

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15 décembre 2019

Enquête - Déclin des accolades, bises et autres câlins : pourquoi on se touche de moins en moins

Par Maroussia Dubreuil

Le contact humain se fait de plus en plus rare, et le tactile devient le domaine réservé des écrans. Pourtant, le toucher a des vertus insoupçonnées.

Entrez dans une boulangerie, vous récupérerez votre monnaie dans une machine à sous. Passez au supermarché, vous serez tenté de biper vos articles. Consultez un médecin, n’attendez plus qu’il vous serre la main – « La dernière fois, il m’a tendu son épaule ! », regrette une ex-enrhumée. Question d’hygiène, de sécurité, ou marque de bienséance ? Confrontés, entre autres crises, à celle du toucher affectif, nos plus menus frôlements périclitent.

Le contact humain serait devenu un « produit de luxe », selon Nellie Bowles, journaliste américaine spécialiste des nouvelles technologies au New York ­Times. Et ce qu’on touche, tâte, balaye le plus, ce sont des écrans lisses et froids. Le 23 mars, elle rappelait par ailleurs dans son journal qu’une box d’intelligence ­artificielle type Alexa coûte moins cher qu’une aide à domicile.

La bise nationale en voie de décroissance

Pour parer à ce problème et réinjecter du « toucher social » dans nos ­téléphones, Marc Teyssier, étudiant à ParisTech, leur a confectionné une ­seconde peau : Skin-On, dotée d’un derme couleur chair creusé de petites ­rides et de quatre cents capteurs au millimètre carré. Vous pourrez la commander par tripotage, pincement ou caresse. « Ce projet vise plus à faire réfléchir qu’à être commercialisé, relativise le jeune chercheur. Je refuse que mon invention accentue notre carence en toucher, déjà bien marquée… »

Il n’a pas tort. Si les émojis en forme de bouches en cul-de-poule ­bécotent généreusement les réseaux ­sociaux à coups d’air-kisses (« baisers ­mimés »), notre bise nationale a bel et bien entamé sa décroissance. Elle se fait plus rare au bureau. « Je trouve ça désagréable, ça me gêne », plaidait, il y a deux ans, Anne Picard-Wolff, maire de Morette (Isère), commune de 400 âmes, dans un mail adressé aux 73 élus qu’elle n’embrasserait plus.

« UN CERTAIN HYGIÉNISME SOCIAL A ÉTÉ RÉACTIVÉ AU DÉBUT DES ANNÉES 1990 ENGENDRANT UNE PEUR ­PANIQUE D’ÊTRE TOUCHÉ, APPELÉE L’HAPTOPHOBIE. » BERNARD ANDRIEU, PHILOSOPHE

Quelques mois plus tôt, le billet viral « Mille milliards de mille bises » de la blogueuse « Romy Têtue » proposait d’instaurer au travail un « salut à la japonaise, à l’indienne, le check, le “give me five”, le sourire radieux… ou tout simplement la bonne vieille poignée de main ». Un serrage de main ? C’est encore trop pour cette équipe de recherche médicale de la West Virginia University qui recommandait, en 2013, de se saluer en se touchant les poings : trois fois moins de surface de peau exposée et trois fois moins long. « Un certain hygiénisme social a été réactivé au début des années 1990 [les « années sida »] engendrant une peur ­panique d’être touché, appelée l’haptophobie, comme si la maladie dérivait de notre mauvaise conduite tactile », analyse le philosophe Bernard Andrieu, coauteur d’Enseigner le corps (EP & S, 2017).

Roxane Cathelot, une youtubeuse bordelaise de 22 ans, a trouvé la ­solution pour toucher sans toucher. Equipée de micros ultraperfectionnés ­capables d’enregistrer à quelques décibels près ses plus subtiles déglutitions et susurrations, mais aussi le tapotement de ses ongles manucurés et le frottement d’une brosse en poils de soie, elle entend déclencher, par ces petits bruits, l’ASMR (en français : « Réponse automatique des méridiens sensoriels ») chez ses 180 000 abonnés : à savoir, des frissons et légers picotements dans le creux de lanuque comparables aux guili-guili d’un shampouineur. « On parle d’“orgasme ­cérébral”, mais je suis absolument contre cette connotation sexuelle », explique-t-elle avant de livrer une des clés de son chaste succès : le micro 3DIO, flanqué d’une paire d’oreilles artificielles, qu’elle frotte face caméra… Par projection, vous aurez l’impression de vous faire masser les pavillons !

Etreinte éternelle des amants de Pompéi

Alors que nous sommes des centaines de millions dans le monde à nous laisser papouiller virtuellement par les ambassadeurs de l’ASMR, que nous nous outillons quotidiennement d’un gel hydroalcoolique qui dépose entre nous et le reste du monde une fine pellicule antibactérienne, nous vibrons toujours autant devant l’étreinte éternelle des amants de Pompéi, le baiser victorieux de Chirac sur le crâne transpirant de Barthez et le câlin salvateur de l’entraîneur de l’équipe de foot du lycée Parkrose, à Portland (Oregon) qui, le 17 mai, évita une fusillade en prenant dans ses bras un élève armé d’un fusil à pompe.

Oui, nous le sentons bien : les cajoleries nous sont essentielles. « Quand elles sont stimulées, nos fibres C-tactiles, présentes autour des poils et reliées à notre cortex insulaire, déclenchent des émotions positives et jouent un rôle important dans notre développement neurologique, confirme le neuroscientifique François Jouen. Le peau-à-peau avec les prématurés a, par exemple, été encouragé dans les hôpitaux français quand des chercheurs d’Amérique latine ont constaté, il y a une trentaine d’années, qu’il fonctionnait aussi bien que nos incubateurs high-tech. »

« LE MASSAGE RÉDUIT LES SYMPTÔMES DE TROUBLE DE STRESS POST-TRAUMATIQUE CHEZ LES ANCIENS COMBATTANTS. » TIFFANY FIELD, FONDATRICE DU TOUCH RESEARCH INSTITUTE

A Miami, Tiffany Field, fondatrice du Touch Research Institute, est, elle aussi, convaincue des bienfaits du toucher, qui secrète ocytocine et sérotonine, communément appelées les « hormones du bonheur » : « Nos dernières études montrent que le massage réduit les symptômes de trouble de stress post-traumatique chez les anciens combattants, ­diminue la douleur et augmente l’amplitude des mouvements chez les personnes souffrant de douleurs à la hanche, énumère-t-elle. En augmentant les cellules tueuses naturelles, le toucher peut réduire pratiquement toutes les maladies en luttant contre les bactéries, les virus et les ­cellules cancéreuses. C’est l’antidépresseur naturel du corps. »

Les neuf mètres de peau d’un adulte – notre plus grand organe – souffrent aujourd’hui d’un manque évident de palpations. Aussi nous organisons-nous pour être davantage touchés. ­« Notre recherche tactile est même plus affinée qu’autrefois », souligne Bernard Andrieu. Si les Américains peaufinent leur « hug » (« accolade «) en ateliers de « câlinothérapie », un Français sur cinq se ferait régulièrement masser, selon une étude du magazine Sense of Wellness, publiée en 2018 et, selon le rapport 2016 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, de nombreux jeunes adultes ont goûté à la MDMA, la « drogue de l’amour », réputée développer les sensations tactiles. Plus familial, le bal chorégraphique gratuit et ouvert à tous mêlant danseurs amateurs et professionnels, rencontre aussi un réel engouement.

Mains baladeuses et autres nuisibles libidineux

Ces rassemblements festifs, brassant professionnels et amateurs, font « se rencontrer toutes les cultures du toucher », fait valoir Sylvain Groud, chorégraphe et directeur du ­Ballet du Nord, à Roubaix. « Dans les ­années 1950, on dansait aux baptêmes, aux vendanges, aux fest-noz… On se ­touchait à s’en tordre le petit doigt ! Ce n’était pas des danses de sainte-nitouche ! Aujourd’hui, les bals nous permettent de reprendre contact avec notre propre corps en touchant les autres. »

Pour autant, le contact cutané est un sujet épineux. Touchy ! Trop souvent subi et synonyme d’attouchement, le toucher est parasité par toutes ces mains baladeuses et autres nuisibles libidineux, qui ont engendré une méfiance généralisée à son égard. « On peut être blessé, touché, atteint, par un regard trop insistant. Aujourd’hui, même la vision est devenue tactile », avance Bernard Andrieu, favorable à l’introduction d’un programme d’éducation au toucher dans les établissements scolaires, où les professeurs craignent parfois d’être rabroués par un cinglant « D’où tu me touches ? » : « Le doigt sur l’épaule, autorisé ou non ? Intrusif ou rassurant ? Subterfuge pédagogique ou usine à gaz ? », s’interrogeait, sur son blog, une « prof’ de REP+ », en 2017.

Expériences tactiles

A l’université de Bretagne-Sud, Jacques Fischer-Lokou, maître de conférences en psychologie sociale, spécialiste des effets du toucher, évite désormais d’envoyer ses étudiants faire des expériences tactiles à la sauvette. « Il y a quelques années, nous pouvions leur demander de toucher l’épaule d’un passant au hasard pour voir s’il accédait davantage à leurs requêtes, aujourd’hui c’est plus délicat. On les fait donc travailler sur les effets sémantiques du toucher. Nous avons d’ailleurs pu ­constater que le mot “touché” avait un ­impact sur nos interlocuteurs. »

Alors que le toucher affectif a perdu en spontanéité – même le pape François évite le baisemain de ses fidèles en rétractant subrepticement sa patte ! –, il semblerait au contraire qu’il ait gagné en valeur stratégique. « En 2010, à la suite de la diffusion sur M6 de la série américaine Lie To Me, basée sur les théories du psychologue clinicien Paul Ekman, précurseur de la communication non verbale, les entreprises ont marqué un intérêt croissant pour cette discipline, explique Martine Herrmann, directrice fondatrice de l’Agence du Non Verbal et coach. ­Décrypter le langage du toucher fait évidemment partie du programme de mes formations. On sait par exemple qu’un employeur, en touchant un employé, pourra obtenir plus de choses de lui. »

Cette connaissance aiguë des pouvoirs magiques du toucher n’a pas échappé au personnel politique, qui tapote généreusement ses ouailles. « Inversement, il serait mal venu de toucher un supérieur », précise Martine Herrmann. A quelques exceptions près : en 2015, quand un enfant, ignorant tout du protocole, osa présenter sa menotte à la reine d’Angleterre – il est très inconvenant de poser une main sur Elizabeth II, comme ­Jacques Chirac l’avait compris après avoir effleuré le dos de la souveraine lors d’une visite d’Etat –, celle-ci se laissa convaincre. « Comme c’est mignon », convint-elle, en lui présentant sa main. Gantée.

14 décembre 2019

Grève : à Paris, la ruée sur les pistes cyclables et les limites des vélos et trottinettes en libre-service

Par Olivier Razemon

L’afflux de deux-roues permet d’observer en accéléré la transformation des mobilités dans une grande ville et de mettre en lumière les déficiences du libre-service.

« Inauguration du Vélopolitain ». Les lettres capitales ont été tracées au pochoir sur le morceau de carton que brandit un militant le long de la piste cyclable de la rue de Rivoli, en plein cœur de Paris. Jeudi 12 décembre, au matin du huitième jour de grève dans les transports, les associations Mieux se déplacer à bicyclette et Paris en selle « inaugurent » officieusement le réseau cyclable qu’elles appellent de leurs vœux pour la capitale et sa proche banlieue. Puisque les lignes du métropolitain fonctionnent au ralenti, autant créer des lignes de vélo.

Les activistes effectuent un marquage au sol, à la craie, en respectant le code couleur utilisé par la RATP, noir sur fond jaune pour la ligne 1, V blanc (au lieu du M de métro) sur fond noir. Les dessins s’effaceront rapidement au cours de la matinée. Car sur cette piste à double sens qui longe l’Hôtel de ville, le flux de vélos et trottinettes est incessant. Le compteur installé au bord de la piste s’affole : déjà 1 000 passages à 9 heures du matin. Il avait atteint les 9 000 la veille, un record.

La fréquentation exceptionnelle des pistes cyclables, + 96 % entre le 28 novembre et le 5 décembre, ne nourrit pas seulement les ambitions des associations de cyclistes. Cela constitue une expérience inédite, permettant d’observer en accéléré la transformation des mobilités dans une grande ville.

Le premier constat porte sur les comportements. Il suffit de se poster au bord d’une de ces nouvelles pistes cyclables à double sens pour remarquer que, contrairement à ce que l’on avait l’habitude d’observer jusque-là, rares sont les scooters et motos à emprunter délibérément ces voies réservées. Les radars automatiques disposés à certains carrefours ont fini par forger les habitudes.

Par la même observation attentive, on constate que la plupart des trottinettes empruntent les pistes, avec les vélos, sans heurts majeurs. Le sujet était très discuté ces derniers mois, y compris au ministère des transports et au Parlement : les usagers de la trottinette devaient-ils rouler sur la chaussée, sur les pistes, voire sur le trottoir ? Le bridage de la vitesse maximale à 20 km/h, réclamé par la Mairie de Paris en juin, facilite sans doute cette cohabitation.

Enfin, selon un comptage empirique, les vélos semblent bien plus nombreux que les trottinettes électriques. Celles-ci demeurent pourtant très demandées. Lime, premier opérateur parisien, annonce depuis le début de la grève une progression moyenne de 90 % du nombre de trajets quotidiens par rapport à une journée normale. Dott, qui a disposé 3 000 exemplaires dans Paris intra-muros, effectue un constat similaire : « + 50 % le jeudi 5 décembre, premier jour de grève, par rapport au jeudi précédent, + 100 % le week-end et même + 230 % lundi 9 », indique Matthieu Faure, responsable du marketing.

« Challenge opérationnel » pour les opérateurs

Pour les opérateurs, « c’est un vrai challenge opérationnel », relève M. Faure : « Chaque trottinette est utilisée six à huit fois par jour. Elles se déchargent plus rapidement, en une matinée plutôt que trois jours. » Les nouveaux modèles de Lime, mis en service en septembre, affichent une autonomie de 50 km et « sont rechargés quotidiennement », signale l’opérateur. Pour faire face à cet afflux, les deux sociétés mobilisent tout leur personnel, 100 personnes chez Dott, 300 chez Lime.

Côté vélo, l’application de guidage Geovelo enregistre « deux à trois fois plus de téléchargements qu’en temps normal », indique Antoine Laporte Weywada, directeur du développement. Le nombre de kilomètres parcourus avec l’aide de l’application a bondi de 300 % mardi par rapport à une journée équivalente en novembre. « Par ailleurs, les trajets sont plus longs que d’habitude. Les gens viennent de loin », souligne le responsable.

Une partie des usagers se sont équipés d’un Véligo, la bicyclette électrique bleu turquoise proposée par la région Ile-de-France pour un forfait de 40 euros par mois. Leur nombre a bondi, de 3 200 juste avant la grève à 4 000 le 12 décembre. D’autres ont recours au service Vélib’ : 160 000 courses ont été enregistrées mardi, mais c’est moins que le 13 septembre, première journée de fronde à la RATP contre la réforme des retraites, lorsque 180 000 trajets avaient été effectués.

Le « free-floating » ne fait plus recette

De nombreux utilisateurs, dont une part de néocyclistes qui ne disposent pas de leur propre vélo, se retrouvent face à des stations vides ou avec un vélo endommagé ou aux pneus crevés. A certaines stations fréquentées, des files d’attente se forment. Le service montre ses limites. Le vandalisme à l’encontre des Vélib’ n’est pas un problème nouveau à Paris, mais il est exacerbé par la surutilisation du parc ces derniers jours, ainsi que par les stations fermées en prévention des manifestations. « La grève a un impact direct sur la régulation du parc », admet l’opérateur Smovengo.

Le « free-floating », en outre, ne fait plus recette. Lors de leur disposition dans les rues, début 2018, ces vélos en libre-service, Gobee, Mobike ou Ofo, étaient présentés comme des acteurs susceptibles de dominer le marché de la mobilité. Ils ont pratiquement disparu. Seuls ont survécu les vélos rouge écarlate estampillés Jump, proposés par le transporteur Uber sur son application.

Sur les pistes, mais aussi les avenues, aux carrefours, aux portes de Paris, on voit surtout une masse de vélos personnels, sortis des caves ou dénichés sur Leboncoin. Il y en a de toutes sortes, plus ou moins customisés, plus ou moins grinçants, avec ou sans assistance électrique, pas toujours éclairés, parfois dépourvus de garde-boue, ce qui n’est pas du tout recommandé quand on roule sur une chaussée mouillée.

Cet afflux inattendu amène les associations franciliennes à réclamer avec davantage d’insistance la concrétisation du réseau Vélopolitain, ainsi que l’installation d’arceaux de stationnement. « En l’état, l’infrastructure n’est pas faite pour accueillir un doublement de la pratique », déplore Charles Maguin, président de Paris en selle.

14 décembre 2019

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