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Jours tranquilles à Paris
14 janvier 2020

Antoine Gallimard justifie l’arrêt de la vente du « Journal » de Gabriel Matzneff

consentement

Le patron de la maison d’édition explique avoir été touché par la lecture du « Consentement » de Vanessa Springora, qui dénonce les pratiques pédophiles de l’écrivain de 83 ans.

Antoine Gallimard a dû prendre une décision exceptionnelle, et il s’en explique, dimanche 12 janvier, dans les colonnes du Journal du dimanche. Pour le patron des éditions Gallimard, la vente du Journal de Gabriel Matzneff, objet d’une enquête pour viol sur mineur, « devenait de plus en plus problématique » en raison du « lien » de ses écrits avec des « faits réels concernant des personnes vivantes ».

« Je sentais bien que le lien, la tension entre ses écrits et la vie réelle devenaient de plus en plus problématiques et que l’esprit de transgression ne pouvait seul en justifier la programmation », justifie Antoine Gallimard. « Je le considère comme un écrivain, mais j’ai toujours été gêné que le Journal fasse état de faits réels concernant des personnes vivantes », poursuit le PDG de Gallimard, tout en soulignant son opposition à « toute forme de censure ».

ecrivain

« Bien sûr, j’ai eu des doutes » quant au bien-fondé de la publication du Journal de l’écrivain, reconnaît-il. La maison d’édition a annoncé mardi l’arrêt de la commercialisation du Journal de Gabriel Matzneff qu’elle publiait depuis trente ans, à la suite du témoignage de Vanessa Springora dans Le Consentement, livre qui jette une lumière crue sur les pratiques pédophiles de l’écrivain de 83 ans, désormais visé par une enquête pour « viol sur mineur ».

« Il y avait une part manquante : la victime »

C’est la première fois que Gallimard prend une telle mesure. « Quand j’ai entendu parler du Consentement, avant sa mise en librairies, je ne pensais pas bouger », raconte Antoine Gallimard. « Mais, justifie-t-il, au-delà du débat sur la qualité littéraire du texte, j’ai été très touché par la lecture du livre de Vanessa Springora. Elle m’a fait prendre la mesure des effets dévastateurs de la manipulation d’un adulte sur une toute jeune fille. Dans le Journal de Gabriel Matzneff, il y avait une part manquante : la victime. »

C’est ce texte qui a « motivé » ma décision, assure Antoine Gallimard, car selon lui « ma responsabilité d’homme et d’éditeur est aussi d’entendre la souffrance des autres ». Après Gallimard, trois autres maisons d’édition : La Table Ronde (groupe Madrigall, contrôlé par Antoine Gallimard), Léo Scheer et Stock ont annoncé qu’ils cessaient la commercialisation d’ouvrages de l’écrivain sous le coup d’une enquête préliminaire pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.

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12 janvier 2020

Cache-téton

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A l’heure où les géants du Web traquent nos plus infimes courbures, où #metoo côtoie #freethenipple (« libérez le téton ») tandis que les Femen dépoitraillent la politique, force est d’admettre que les tétons sont devenus une partie très, très sensible de notre anatomie. Et pas seulement au féminin ! Au pays du Soleil-Levant (dont le drapeau ressemble furieusement à un mamelon écarlate), 84 % des femmes sont dégoûtées par la vision des rondelles transparaissant sous la chemise des salarymen (sondage SoraNews24). Heureusement, l’empire des sens a le sens du commerce : cette année, les cache-tétons masculins se sont vendus comme des petits seins : 55 000 unités. A 8 euros la paire sur le bien nommé Dot Store, ça défrise… d’autant que vous pourrez bientôt acheter des tee-shirts alvéolés haute technologie pour camoufler vos indécents renflements, pour la bagatelle de 62 euros. Ce dont on déduira l’équation suivante : cacher ses seins, ça coûte un bras.

En Europe, l’argument est plus pragmatique qu’esthétique : le joggeur du dimanche évite ce qui irrite tout en tenant sa bourse, à coups de gels, sparadraps et vernis à ongles (comptez 50 centimes la séance sportive confortable et pudique).

Ces timidités vous exaspèrent ? Pas de problème, le grand capital a réponse à tout. Les plus contrariants agrémenteront leur poitrine de faux tétons en relief, tandis que les adeptes des méthodes naturelles se tourneront vers les pompes et autres suceurs, destinés à faire gonfler les mamelons (mais pas les pectoraux, désolée). Entre les aréoles du péché et les auréoles de la vertu, le débat enfle : manifestement, il va falloir prendre nos mamelles en patience. Le Monde

12 janvier 2020

Portrait - Alexandre Hezez, celui par qui les scandales pédophiles au sein de l’Eglise ont été révélés

Par Richard Schittly, Lyon, correspondant

Victime du père Preynat, Alexandre Hezez a brisé l’omerta sur les actes de pédophilie de l’ex-prêtre du diocèse de Lyon, qui doit être jugé à partir du 13 janvier.

C’est par lui que tout a commencé. Alexandre Hezez, 45 ans, est à l’origine de l’affaire qui a secoué le diocèse de Lyon. C’est lui qui a déclenché l’instruction judiciaire visant le père Bernard Preynat, en déposant plainte le 5 juin 2015, contre l’ex-prélat de Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsqu’il a su par hasard que le vieux curé exerçait encore, son passé est remonté. Une enfance chez les scouts, dans les années 1980, les déviances du curé sous les tentes ou dans le labo photo. Les attouchements, la sidération, l’isolement, la culpabilité. Il a choisi de le dénoncer, après un quart de siècle de silence plombé. « Quand j’ai découvert qu’il était encore en vie, ça m’est devenu insupportable. Pendant des mois, j’entendais des enfants crier la nuit dans mes cauchemars, il fallait que j’en parle », témoigne Alexandre Hezez, la voix posée, au débit clair et rapide.

Après cinq ans de procédure, les victimes du curé pédophile seront sur les bancs de la partie civile, au procès qui s’ouvre lundi 13 janvier au tribunal correctionnel de Lyon. Mais pas lui. Paradoxa­lement, le tout premier plaignant ne sera pas dans la procédure. Les faits qu’il a subis entre l’âge de 7 ans et 12 ans sont prescrits depuis juin 1989, juste avant la loi du 10 juillet 1989 qui a rallongé les délais de prescription pour les infractions sexuelles. Sur trente-cinq victimes entendues par les enquêteurs, dix seront parties civiles au procès, les autres sont « prescrites ».

« Ce sera le temps des victimes, enfin, elles pourront s’exprimer pleinement, et j’espère de tout cœur qu’on pourra encore apprendre des choses, comment tout cela a pu arriver », confie Alexandre Hezez. Il sera présent dans la salle d’audience, le premier jour. Symboliquement au moins, pour voir l’aboutissement d’un engagement personnel dont il ignorait l’ampleur au départ. Puis il retournera à ses activités de cadre supérieur dans la banque, à Paris.

La chute du cardinal Barbarin

Avant sa plainte, il a voulu alerter l’Eglise. Catholique fervent, il avait « une confiance aveugle dans l’institution ». Il a échangé des e-mails, rencontré le cardinal Barbarin, organisé une rencontre avec le père Preynat dont il est ressorti anéanti. La scène est saisissante dans Grâce à Dieu, le film de François Ozon, fidèlement inspiré des personnages de l’affaire Preynat. Sous les traits de Melvil Poupaud, le personnage d’Alexandre traverse doutes et colère pour mener un combat solitaire, avec le soutien essentiel de son épouse, enseignante dans un lycée catholique, et l’appui de ses enfants.

Sur les écrans en 2018, en plein procès Barbarin, le film produit un troublant jeu de miroirs avec l’affaire en cours, entre écran et salle d’audience. Alexandre Hezez garde de l’expérience un effet cathartique : « Mettre de l’art dans cette histoire, cela nous a permis d’ancrer ce que nous avions vécu de manière très forte. J’ai vu la puissance du cinéma dans les débats qui suivaient les projections, les personnages parlaient à l’intimité des spectateurs, mais pour moi c’était l’effet inverse, je laissais la lourdeur du passé au personnage, j’ai vécu le film comme une libération. »

Au bout d’un an de vains échanges avec le diocèse, il a choisi la voie judiciaire. Au moment où les déviances sexuelles au sein de l’Eglise se découvraient dans le monde entier. « J’ai eu l’impression de croiser un courant généralisé de prises de conscience, comme si toute une génération se levait. » Par secousses successives, le scandale a provoqué le retrait du cardinal Philippe Barbarin, et son procès pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ». La décision finale est attendue le 30 janvier à la cour d’appel. A l’audience, l’accusé a affirmé qu’il avait conseillé à Alexandre de rechercher d’autres victimes pour activer une enquête. Et ses avocats ont mis en exergue les e-mails et la carte postale où Alexandre remercie le cardinal pour son aide. « C’est toujours difficile de penser qu’un évêque ment », a-t-il rétorqué à la barre.

Les victimes ont fini par se retrouver, puis par se fédérer au sein de l’association La Parole libérée. « C’était très troublant, j’étais soulagé de voir que je n’étais pas seul, et en même temps tellement triste de voir toute la souffrance qui s’était répandue », se souvient Alexandre Hezez. Une génération d’enfants maltraités, dans une véritable complicité ambiante : Alexandre Hezez voit une similitude évidente avec ce que dénonce aujourd’hui Vanessa Springora, sur les agissements de l’écrivain Gabriel Matzneff. Pour lui, c’était les scouts et l’Eglise, pour elle, le milieu littéraire.

« Dire que “tout le monde savait”, c’est la défense classique de ceux qui se sont accommodés de tout ça, c’est une façon de déresponsabiliser l’individu de ce qu’il doit faire », estime-t-il. La page ne va pas se tourner avec le procès Preynat. Alexandre Hezez compte poursuivre débats et actions auprès d’associations et d’institutions. « Il y a tellement de souffrance, de maltraitance d’enfants, qu’il y a un devoir de continuité. »

12 janvier 2020

Retraites : le gouvernement prêt à renoncer à l’idée d’un âge pivot de 64 ans en 2027

Par Raphaëlle Besse Desmoulières

Dans une lettre aux partenaires sociaux, Edouard Philippe propose de retirer cette mesure controversée du projet de loi. Syndicats et patronat ont jusqu’à fin avril pour identifier une solution alternative afin d’équilibrer les comptes d’ici à 2027.

Le gouvernement fait un geste envers les syndicats dits réformistes. Dans un courrier adressé, samedi 11 janvier, aux partenaires sociaux, le premier ministre, Edouard Philippe, se dit « disposé à retirer » l’âge pivot fixé à 64 ans en 2027 du projet de loi sur la réforme des retraites. L’objectif d’une telle mesure est de faire travailler les actifs plus longtemps afin de remettre les comptes dans le vert. Le texte envoyé au Conseil d’Etat permet de régler ce paramètre pour qu’il entre en vigueur dès 2022 à 62 ans et quatre mois et atteigne progressivement 64 ans en 2027. Une disposition rejetée par l’ensemble des syndicats et dont la CFDT a fait sa ligne rouge.

L’ex-maire du Havre propose désormais que soit mise en place une « conférence sur l’équilibre et le financement du système de retraite », à laquelle les partenaires sociaux sont invités à participer. Elle aura pour mission d’arrêter les « mesures permettant d’atteindre l’équilibre financier en 2027, en s’inscrivant dans le cadre des projections du Conseil d’orientations des retraites ». En novembre 2019, cette instance avait évalué que le déficit du système se situerait entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025.

Un « âge d’équilibre » sera bien créé dans le futur système

La conférence, précise M. Philippe dans sa lettre, devra remettre « ses conclusions d’ici la fin du mois d’avril 2020 », c’est-à-dire « avant le vote du projet de loi en seconde lecture ». Si les participants à cette conférence parviennent à s’entendre d’ici là, comme l’« espère » le premier ministre, « le Parlement pourra en tenir compte lors de la seconde lecture et le gouvernement prendra une ordonnance transcrivant cet accord dans la loi ». Dans l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, l’exécutif, « éclairé par les travaux de la conférence », « prendra par ordonnance les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre en 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social ». « Je veux être parfaitement clair sur ce point : je prendrai mes responsabilités », insiste M. Philippe.

Ce dernier trace également la feuille de route qu’il donne à la conférence. « Les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie », insiste-t-il. Si la conférence rassemble « un nombre suffisant de partenaires sociaux », M. Philippe procédera « dès mardi à une saisine rectificative du projet de loi actuellement soumis au Conseil d’Etat » et recommandera qu’elle se réunisse d’ici « la fin du mois de janvier ».

Le premier ministre réaffirme par ailleurs que le futur système comportera un « âge d’équilibre ». Ce dispositif « constituera un des leviers de pilotage collectif du système dans la durée ». Concrètement, les départs avant l’âge pivot donneront droit à une pension frappée d’un malus, et ceux après cette borne donneront à l’inverse droit à une retraite majorée.

La CFDT et l’UNSA saluent l’annonce

La CFDT a « salué » dans un communiqué « le retrait de l’âge pivot du projet de loi sur les retraites » qu’elle dit avoir « obtenu ». La centrale de Laurent Berger, favorable à la retraite par points mais fermement opposée à un âge pivot à 64 ans assorti de bonus-malus, salue un « retrait qui marque la volonté de compromis ». « Le gouvernement a fait un geste, et nul ne peut le contester », a réagi Laurent Berger dans les colonnes du Journal du dimanche. « Mais ce retrait n’est pas un chèque en blanc. Pour la CFDT, le retrait de l’âge pivot est une victoire, mais c’est aussi une part de risque. Maintenant, le travail commence et il va falloir poursuivre notre action pour faire valoir nos propositions et revendications. On a perdu un temps précieux depuis un mois », regrette-t-il.

L’UNSA approuve également cette « avancée majeure » et assure que « les échanges peuvent enfin démarrer ». Le syndicat assure qu’il « apportera ses solutions » pour obtenir « l’équilibre financier, dès 2027 et à long terme, de notre régime de retraites ».

La CGT constate pour sa part « le maintien du projet de loi en l’état » et se dit « plus que jamais déterminée à obtenir le retrait de ce texte et à améliorer le système actuel », soulignant les « propositions concrètes faites depuis plusieurs mois ».

Enfin, le Medef a de son côté rappelé que l’impératif d’équilibre financier d’ici à 2027, défendu par M. Philippe, est un point que le syndicat patronal « a appelé de ses vœux », et s’est satisfait de la méthode employée par le premier ministre dans laquelle l’organisation dit vouloir « s’engager pleinement ».

Philippe défend un « compromis solide »

Dans un courrier adressé aux parlementaires de la majorité, Edouard Philippe a estimé qu’« il s’agit d’un vrai compromis, transparent et solide », et a précisé que « les partenaires sociaux acceptent que le futur système comporte un âge d’équilibre ».

M. Philippe, critiqué depuis le début du quinquennat pour sa rigidité, a justifié la suppression d’un âge pivot fixé à 64 ans en 2027 pour « donner toute sa chance au dialogue social » et « démontrer sa confiance dans les partenaires sociaux ». Le premier ministre a conclu en appelant les parlementaires à construire avec lui « sur la base de ce compromis (…) une belle réforme au Parlement », finissant sa lettre par « Haut les cœurs ! ».

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Réforme des retraites en France - Abandon de l’âge pivot : “reculade majeure” ou “ruse” d’Édouard Philippe ?

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Au 38e jour de grève contre le projet de réforme des retraites, Édouard Philippe a annoncé samedi le retrait de sa proposition visant à instaurer un âge pivot à 64 ans. Pour une partie de la presse internationale, c’est une “reculade majeure” de l’exécutif. Pour d’autres, ce pourrait être une “ruse” pour diviser et affaiblir les syndicats.

“Le gouvernement français a opéré une reculade majeure dans sa bataille contre les syndicats sur la réforme du complexe système de retraites du pays, qui a entraîné des grèves nationales et le chaos dans les transports depuis plus d’un mois”, écrit The Guardian.

Plus modéré, Le Soir qualifie la lettre d’Édouard Philippe aux syndicats, dans laquelle il se déclare “disposé à retirer” l’âge pivot, de simple “geste” envers ses opposants, soulignant que “le gouvernement ne renoncera pas pour autant au principe d’un âge d’équilibre pour le futur système universel”.

C’est sur ce point qu’insiste également le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Car si le Premier ministre français est prêt à renoncer provisoirement au fameux âge pivot, il demande en échange aux syndicats de s’asseoir à la table du gouvernement pour trouver avant avril la manière “d’ajuster le déficit du système de retraites d’ici 2027” – espérant les convaincre que le principe de l’âge d’équilibre est bel et bien la seule solution.

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, premier syndicat de France, avait fait du retrait de l’âge pivot le préalable à toute négociation et la lettre d’Édouard Philippe “lui offre l’opportunité de crier victoire et de cesser de soutenir les grèves du secteur public”, observe le Financial Times. Mais elle “force le syndicat à faire le choix difficile d’une augmentation des cotisations pour les travailleurs et les entreprises, s’il ne souscrit pas à la nécessité d’augmenter l’âge de la retraite”.

“Main tendue”

El País s’interroge sur les conséquences de la volte-face du Premier ministre. “En reculant, M. Philippe pourrait renforcer l’aile dure des grévistes et des manifestants”, estime le quotidien. Mais son annonce “accentue également la division des syndicats à un moment où les grèves et les manifestations montrent des signes d’essoufflement. Elle pourrait aussi servir à persuader l’opinion publique, où les grévistes bénéficient de nombreux soutiens, de la bonne volonté du gouvernement”.

Le Corriere della Sera penche pour cette dernière hypothèse, assurant que “la main tendue” d’Édouard Philippe “a été saluée par la plupart comme une ruse du Premier ministre pour se montrer disposé à dialoguer”.

Pour le titre transalpin, la division des syndicats est désormais inévitable. “Laurent Berger, le chef du syndicat majoritaire et modéré de la CFDT, est le seul à exulter”, écrit le quotidien. “Et c’est pour cela qu’il est traité de traître par les autres (syndicats), les vrais architectes de la contestation”.

De l’autre côté de l’Atlantique, le New York Times estime “peu probable que les concessions du gouvernement mettent fin à la grève et aux manifestations” et semble considérer que la réforme est déjà un échec.

“Confronté à des semaines de grèves et de manifestations massives qui ont saigné l’économie, le gouvernement de M. Macron a été obligé d’offrir une série de concessions à plusieurs professions ces derniers jours – la police, les danseurs de l’Opéra de Paris, les infirmières, les hôtesses de l’air et les pilotes –, revenant précisément aux mêmes retraites sur mesure auxquelles la réforme voulait mettre fin”, observe le quotidien.

11 janvier 2020

Réforme des retraites : le gouvernement retire provisoirement l'âge pivot de l'avant-projet de loi

Les modalités de financement de cette réforme des retraites seront fixées en avril à l'issue de la conférence de financement à laquelle participeront les syndicats. Si cette conférence se solde par un échec, c'est le gouvernement qui décidera par ordonnance.

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le Premier ministre Edouard Phillipe, le 11 janvier 2020.le Premier ministre Edouard Phillipe, le 11 janvier 2020. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Edouard Philippe fait un pas vers certains syndicats. Dans une lettre envoyée aux organisations syndicales, que France Télévisions a pu consulter, samedi 11 janvier, le Premier ministre annonce que le gouvernement retire provisoirement l'âge pivot de l'avant-projet de loi sur les retraites. Les modalités de financement de cette réforme des retraites seront fixées en avril à l'issue de la conférence de financement où participeront les syndicats. Si cette conférence se solde par un échec, c'est le gouvernement qui décidera, par ordonnance.

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11 janvier 2020

Le Consentement

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11 janvier 2020

Vu des États-Unis - Réforme des retraites : un vieux conflit français opposant nantis et démunis

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THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

Les riches contre les pauvres, les protégés contre les vulnérables… La grogne actuelle contre la réforme des retraites illustre un antagonisme bien français et très ancien, écrit The New York Times dans un reportage à la gare de Lyon.

Une tapisserie rouge pétard à l’effigie de Che Guevara et frappée de l’inscription “En route vers la victoire !” exhorte les grévistes à ne rien lâcher, dans les locaux défraîchis de la permanence du syndicat. À l’extérieur, le responsable de l’antenne s’époumone dans un mégaphone, gare de Lyon, à Paris : “Les riches ne doivent jamais l’oublier : il y aura toujours la sueur des pauvres sur leur argent !”

La grève des transports contre le projet de réforme des retraites porté par le gouvernement est d’ores et déjà la plus longue de l’histoire du pays. Le jeudi [9 janvier], alors que le mouvement entrait dans sa sixième semaine, des milliers de manifestants sont redescendus dans la rue aux quatre coins de France.

Chaque jour, on débat pour savoir qui sortira gagnant ou perdant de la réforme défendue par Emmanuel Macron. Et personne ne s’accorde sur les détails.

Mais, au-delà des détails, c’est un conflit bien plus profond qui se joue, qui touche aux classes sociales, aux privilèges, à l’argent, nourri par deux cents ans d’histoire. Ces pommes de discorde sous-jacentes alimentent un mouvement-marathon qui met à l’épreuve la patience des Français, plombe l’économie et expose une nouvelle fois les lignes de faille d’une présidence macronienne qui se voulait réformatrice.

Les deux camps figés

Les slogans amers très marqués “lutte des classes” entendus gare de Lyon ne tombent pas du ciel. Le bras de fer en cours a des racines, réelles ou perçues, dans d’autres affrontements bien plus anciens – d’abord la suppression de privilèges séculaires lors de la Révolution française, puis les décennies de lutte acharnée entre le capital et les classes laborieuses au XIXe siècle, d’où est né le régime des retraites que Macron veut aujourd’hui mettre au rebut.

On retrouve dans le combat en cours une bonne partie du vocabulaire employé dans ceux d’hier, figeant les positions des deux camps, surtout celui des syndicats.

Les Français commencent à trouver le temps long. Il faut dire que rares sont les pays où le train occupe une place aussi centrale. La suppression des trains a coupé la province de Paris, où la quasi-absence de métros a coûté des millions et où la grève des professionnels de la culture a obligé les théâtres et les opéras à annuler des dizaines de représentations.

Les régimes spéciaux, pomme de la discorde

Le soutien aux grévistes, qui était substantiel au départ, de la part de Français inquiets pour leur retraite, commence à fléchir. Macron escompte un nouveau recul en lâchant un peu de lest – en faveur de la police, des danseurs de l’opéra, de l’armée – face à l’agitation de la rue et au malaise que provoque son projet chez une bonne partie de l’opinion.

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Le président veut remplacer le système en place, composé de 42 régimes de retraites distincts (dont la plupart sont taillés sur mesure pour la profession concernée), par un système de retraite par points qui serait le même pour tout le monde.

Ce sont ces régimes individuels – conquis de haute lutte au fil des ans par les différentes corporations et jalousement défendus comme des droits, et non comme des privilèges – qui sont ici la pomme de discorde. Macron voudrait s’en débarrasser ; les travailleurs voudraient qu’il enterre l’ensemble du projet.

Un antagonisme bien français

Cette grève au long cours des trains et des métros illustre un antagonisme bien français qui date d’avant même la révolution de 1789 : les nantis contre les démunis, les riches contre les pauvres, les protégés contre les vulnérables.

C’est un antagonisme qui existe tout autant dans l’esprit des grévistes que dans les faits, mais qui n’en est pas moins réel. Le ressenti devient réalité, avec un coup de pouce de l’histoire et des discours des dirigeants syndicaux.

“Ce sont deux conceptions de la protection sociale, deux notions différentes du projet social, qui s’affrontent”, expliquait, avant Noël, Philippe Martinez, le chef de file de la CGT, à la sortie d’une énième réunion infructueuse à Matignon, et il a répété cette semaine à la télévision :

C’est un choix de société qui est au cœur de cette réforme.”

Jugé excessif par certains analystes, ce langage n’en a pas moins infusé dans l’esprit de milliers de grévistes, notamment de la CGT, le syndicat farouchement anti-macronien au cœur de la grève.

Macron et le profit

Pendant des décennies, le syndicat était proche du Parti communiste français. Martinez y était d’ailleurs encarté ; le secrétaire général du syndicat, qui chapeaute aussi la CGT Cheminots, possède un buste de Lénine dans son bureau.

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“On a beaucoup de mal à trouver un terrain d’entente avec ce gouvernement”, confirme Bérenger Cernon, secrétaire général de la CGT Paris à la gare de Lyon.

De leur côté, ils disent : ‘Vous vous débrouillez.’ Nous, on parle de solidarité : liberté, égalité, fraternité. Eux, ils répondent : ‘Si on a réussi, tout le monde peut.’ Mais la réussite individuelle n’a jamais permis à une société d’avancer. Elle n’a jamais profité au collectif.”

Un point de vue largement partagé dans les rangs du syndicat, et qui galvanise les troupes.

La police lors d’une manifestation à Paris le 7 janvier 2019. Photo / Dmitry Kostyukov / The New York TimesLa police lors d’une manifestation à Paris le 7 janvier 2019. Photo / Dmitry Kostyukov / The New York Times

“La vision de Macron, c’est ça : il parle toujours de faire du profit”, dénonce Sébastien Préaudat, contrôleur et militant CGT à la gare de Lyon.

Mais, nous, on n’est pas là pour faire de l’argent. On est là pour apporter un service au public. Et ces gens-là – le gouvernement de Macron – ils viennent du monde de la finance. On se bat juste pour dire : ‘On a trimé toute notre vie, aujourd’hui on a le droit de se reposer.’”

Une société de classes

Les cheminots sont moqués par la droite française, beaucoup d’entre eux ayant la possibilité de partir à 52 ans avec une retraite confortable, parfois bien supérieure à la moyenne. Les cheminots n’y voient pas un privilège, mais une confirmation nécessaire de leur statut à part dans la société française. Comme le souligne Philippe d’Iribarne, sociologue au CNRS à Paris :

Pour un réformateur comme Macron, ce genre de filet de protection corporatiste est un archaïsme, La France reste une société de classes, constamment menacée par l’arrogance des puissants et le ressentiment des sans-grade. En France, l’égalité dont rêvent les gens ressemble à ça : tout le monde a droit aux mêmes lettres de noblesse.”

Autant dire que la réforme rationaliste de Macron ne trouve pas grâce aux yeux d’un mouvement syndical indifférent à cette conception de l’égalité. Macron propose de compenser le déficit probable du système et la baisse du ratio actifs-retraités. Il veut mettre tout le monde sur un pied d’égalité au moyen d’un système par points.

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Deux projets de société

“Macron, c’est un financier qui voit tout sous l’angle de la compétition. Nous, on a une vision collective, analyse Arnaud Bourge, un conducteur de trains rencontré parmi les centaines de cheminots qui écoutent, gare de Lyon, les harangues appelant à poursuivre la grève. Ce sont deux visions diamétralement opposées.”

Macron voit le problème des retraites avec l’œil d’un gestionnaire, et cette approche trouve le soutien de ses sympathisants de la classe moyenne supérieure, de certains intellectuels, de certains analystes, mais pas des travailleurs, qui entendent conserver leurs acquis.

“À vrai dire, on n’a pas affaire à deux ‘projets de société’, observe Dominique Andolfatto, sociologue du syndicalisme à l’université de Bourgogne, invalidant la vision de Martinez. Il y en a un qui tient compte de certaines réalités sociales et économiques, et en face on en a un autre qui dit : ‘On ne touche à rien, le navire garde le même cap, on ne s’occupe pas de l’iceberg.’”

Les macronistes nerveux

Mais, à mesure que la grève traîne en longueur, les députés de la Macronie montrent des signes de nervosité.

“On assiste au retour de l’opposition entre employeurs et travailleurs”, déplore Jean-François Cesarini, député macronien. Ce qui gêne surtout les députés, c’est de voir l’inflexibilité de l’exécutif sur un point particulièrement sensible : le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Plus modérée, la CFDT a bien proposé un compromis, mais sans succès à ce jour.

“Quand un pays est aussi divisé, c’est extrêmement dangereux de ne pas saisir la main tendue”, s’inquiète Aurélien Taché, un autre député de la Macronie.

Dans le hall de la gare de Lyon, les dizaines de grévistes réunis se voient demander de se prononcer à main levée sur la poursuite du mouvement. Toutes les mains se lèvent dans un brouhaha approbateur.

“Aujourd’hui, ils nous proposent de tout nous prendre, tonne Sébastien Préaudat, le contrôleur. Et je ne vais pas accepter.”

Adam Nossiter

Cet article a été publié dans sa version originale le 09/01/2020.

11 janvier 2020

Enquête - Ma trottinette est-elle de droite ?

trottinettes

 Photo : J. Snap

Par Nicolas Santolaria

Cet engin motorisé en libre-service, dont l’usage a explosé pendant la grève, est accusé par ses détracteurs d’avoir converti les trottoirs au libéralisme. Notre journaliste a testé.

En France, le mouvement social contre la réforme des retraites, qui dure depuis le 5 décembre 2019, a eu pour principal effet collatéral de paralyser les transports en commun et de générer une incroyable cacophonie mobilitaire, surtout en région parisienne. En raison de la grève, le nombre d’accidents de deux-roues (scooters, trottinettes et vélos) aurait augmenté de 40 % dans la capitale, d’après la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP).

Après des semaines à me déplacer en VTT mono-vitesse pour aller au travail, je dois me rendre à l’évidence : parent pauvre de cette périlleuse foire d’empoigne, je suis positionné au plus bas de l’échelle du nouveau darwinisme des pistes cyclables, loin derrière le vélo à assistance électrique, la gyroroue clignotante et le skate motorisé, doublé par à peu près tout type d’embarcation, à l’exception peut-être de la mamie tirant son chariot à roulettes de retour du marché.

Un prolétaire de la mobilité

Après tout, je n’y peux rien si j’ai les cuisses aussi musclées que celles du chanteur Eddy de Pretto. Ma triste condition m’est rappelée à longueur de trajet par les coups de sonnette intempestifs qui m’intiment de m’écarter, comme un manant censé laisser le champ libre à plus rapide que lui. Parce que les temps sont durs pour les lents, j’éprouve le sentiment de plus en plus vivace d’être un prolétaire de la mobilité, en communion d’âme avec mon ami piéton.

Par les petits matins frais, l’interminable trajet domicile-bureau qui me conduit du 19e au 13e arrondissement de Paris procure, certes, quelques joies contemplatives (la vue de Notre-Dame en reconstruction, le soleil se reflétant sur la Seine quand il ne pleut pas), mais aussi beaucoup de désagréments : jambes endolories par la montée finale vers la place d’Italie qui fait figure de col d’Aspin pour moi, absorption de gaz d’échappement toxiques (631 kilomètres de bouchons ont été enregistrés sur les axes franciliens le 9 décembre, soit 91 % de plus par rapport à une journée normale), stress chronique à devoir tailler des trajectoires au cordeau entre le taxi et le camion-poubelle parce qu’un cuisiniste s’est garé sur la piste cyclable…

53 000 utilisateurs depuis le début de la grève

Au bout de quelques semaines de ce régime exténuant qui me fait arriver transpirant dans l’open space, je décide de céder à une option alternative : la trottinette électrique en free floating, sans station, sans borne d’attache, et souvent posée n’importe où sur les trottoirs. Au premier semestre 2019, le nombre de ces engins était estimé à 15 000 sur la chaussée parisienne.

Parce qu’on la déverrouille simplement en flashant un QR code (après avoir téléchargé une appli et communiqué ses coordonnées bancaires tout de même), la trottinette en free floating, qui compte une douzaine d’opérateurs dans la capitale, se taille aujourd’hui la part du lion sur les axes de circulation congestionnés.

Lime, un des principaux exploitants à Paris, annonce une explosion de l’usage de ses destriers mécaniques verts et blancs, sur lesquels se jucheraient chaque jour 53 000 utilisateurs depuis le début de la grève, soit une augmentation de 75 % par rapport à une période classique. « Quand on sait qu’une rame de métro peut contenir jusqu’à 600 personnes en moyenne, c’est l’équivalent de 80 rames de métro par jour », avance le porte-parole de la start-up californienne, fière de se substituer à la RATP.

« J’AI OPTÉ POUR LES SERVICES DE LA SOCIÉTÉ LIME QUI, EN PLUS DE CONFÉRER COMME LES AUTRES DES AIRS D’ARISTO DU BITUME, PROPOSE DE “DÉBLOQUER TA VIE”. »

Mais, parce qu’elle est un objet hybride qui brouille les frontières entre l’enfance et l’âge adulte, franchir le pas de monter sur une trottinette électrique n’est pas chose aisée, comme me le confiait récemment un collègue. « C’est un truc de gosse, on est d’accord ? ! Quand je voyais des cadres là-dessus, je les trouvais ridicules. Mais, un soir, sans moyen de locomotion, alors que je me voyais déjà traverser Paris la nuit à pied, il y avait toutes ces trottinettes dispos, sur le trottoir, comme un dernier recours. Et j’ai fini par craquer, avoue Nadir, 36 ans. Sur le moment, j’ai vécu ça comme une petite humiliation, tellement je me sentais con sur cet engin. »

Prendre place sur une trottinette électrique, c’est éprouver immédiatement un sentiment de domination physique sur tout ce qui vous environne, comme si l’ergonomie de l’engin tirait votre menton vers le haut pour vous affubler d’une soudaine morgue sociale.

J’ai opté pour les services de la société Lime qui, en plus de conférer comme les autres des airs d’aristo du bitume, propose de « débloquer ta vie ». Ici, on n’est plus dans le simple transport, mais indéniablement dans l’idéologie à roulettes. Comme le soulignent les travaux du chercheur Vincent Kaufmann, la mobilité est à envisager aujourd’hui comme un capital, dont la distribution est inégalitaire. Certains voient même dans cette répartition déséquilibrée des capacités de déplacement l’axe central d’une nouvelle lutte des classes.

Deux barres de batterie

Dans son ouvrage Les Deux Clans (Les Arènes, 2019), gros succès outre-Manche, le journaliste britannique David Goodhart diagnostique une fracture entre, d’un côté, ceux qui sont mobiles, à la fois socialement, symboliquement et géographiquement (« Les Partout ») et de l’autre ceux, statiques, dont la vie s’articule autour d’un ancrage local (« Les Quelque-Part »). Les premiers, moins nombreux, sont les grands gagnants d’une mondialisation qui rejette les seconds à la marge.« Si les deux positions sont parfaitement respectables, la perspective des Partout est devenue excessivement prédominante depuis que le monde s’est ouvert à la fin de la guerre froide », écrit Goodhart.

On retrouve cette dichotomie entre les bénéficiaires et les laissés-pour-compte de la mobilité géographico-statutaire dans la sociologie des usagers de trottinettes en free floating. D’après une étude du bureau de recherche 6t (juin 2019), 53 % des actifs qui utilisent ces moyens de déplacement sont des cadres et des professions intellectuelles supérieures. Les ouvriers, eux, ne représentent que 2 % des utilisateurs. « Bienvenue dans le monde de la micromobilité. Un monde de possibilités où la vie est plus saine, plus simple et plus connectée », martèle un clip sur le site de la marque Lime.

Par le capital de mobilité accumulée qu’elle contient, la trottinette électrique me conférerait alors le pouvoir de me mouvoir avec fluidité sur la grande carte des possibles, afin d’en saisir les opportunités. Mais avant cela, en cette fraîche matinée de janvier, il faut d’abord que je trouve une trottinette fonctionnelle pour aller au boulot. Malgré le système de géolocalisation de l’appli répertoriant les unités disponibles, la chose n’est pas simple. Beaucoup de ces engins sont vandalisés. Il semble par ailleurs exister une loi tacite qui fait que quand on cherche une trottinette, on n’en trouve pas ; alors que quand on n’en cherche pas, on en voit partout.

Après plusieurs tentatives infructueuses, j’en dégotte finalement une dont la batterie affiche deux barres faméliques. Et j’entame mon long périple comme si j’appareillais vers le Nouveau Monde. N’ayant même pas encore effectué un cinquième du trajet, je suis soudain prévenu par le petit écran au-dessus du guidon que je vais devoir faire le deuil de l’engin que j’ai eu tant de mal à dénicher, sa batterie est presque vide. Après avoir tenté d’abandonner ma trot’ sur un coin de trottoir, je reçois ce message de rappel à l’ordre : « Conformément à la réglementation locale, il est interdit de se garer en dehors des places de stationnement autorisées, encadrées en bleu sur la carte. »

« L’APPLI SE MONTRANT EXTRÊMEMENT ÉNERGIVORE, C’EST MON PORTABLE QUI TOMBE EN CARAFE. »

Je pars donc en quête d’une zone bleue. Puis, un peu comme au temps des diligences, d’une nouvelle monture, que j’abandonne quelques centaines de mètres plus loin faute de jus, au profit d’une autre. Laquelle, à l’approche de la place de la Bastille, ralentit dangereusement, batterie presque à plat. J’ai l’impression d’être perché non plus sur une Lime, mais sur une limace. Je décide alors de congédier ma trottinette agonisante, mais, l’appli se montrant extrêmement énergivore, c’est mon portable qui tombe en carafe.

Petit hic : sans smartphone, je ne peux mettre fin à mon trajet, et le compteur qui me facture 0,20 cent chaque minute écoulée continue de tourner. « Débloquer ta vie » : c’était bien ça, non, la promesse au départ ?! En réalité, on n’imagine pas le nombre de tracasseries que génèrent ces outils censés nous simplifier l’existence. Après m’être connecté à la prise USB d’un Abribus pour recharger mon téléphone, j’ai à peine le temps de cliquer sur « verrouiller » que les forces vitales de mon téléphone se trouvent de nouveau vampirisées en un clin d’œil.

J’opte donc pour la seule option qui vaille : la marche à pied. Ce qui me permet de constater à quel point la situation s’est tendue ces dernières semaines sur la chaussée, où règne désormais la loi du plus fort.

« Connards !, lance une cycliste, à l’endroit de deux hommes qui traversent devant elle sans regarder.

– Connasse ! », lui répondent en chœur les deux hommes, tirant chacun une valise.

Aurais-je pactisé avec un engin social-traître ?

Ce périple pédestre a aussi pour vertu de m’inviter à la réflexion. En louant une trottinette, suis-je réellement en train de participer à l’émergence des micromobilités vertes ou bien de concourir à l’édification d’un monde kafkaïen, savamment (dés)organisé depuis la banlieue de San Francisco ? Un monde où nos trottoirs auraient été transformés en marchés sur lesquels on ne peut plus marcher ?

Me revient alors en mémoire ce tract anti-trottinettes scotché sur un mur, dont j’avais pris le texte en note : « Attention, cet objet n’est pas destiné à vous véhiculer, et encore moins pendant que des gens se battent pour avoir une retraite décente, mais à construire des barricades pour pouvoir manifester pépère. Merci de les laisser où elles sont, si possible en position latérale de sécurité… » Bigre. Ma trottinette serait-elle de droite ? Aurais-je pactisé avec un engin social-traître ?

Aussi incongrues puissent-elles paraître, ces idées ont fait leur chemin ces dernières semaines, et pas que dans ma tête. Le 5 décembre, le mouvement international de désobéissance civile Extinction Rebellion a ainsi organisé une opération de « mise hors-service » de 3 600 trottinettes à Paris, Lyon et Bordeaux. Depuis cette date, 1  000 unités supplémentaires ont été rendues non opérationnelles dans l’agglomération parisienne.

« Ces véhicules ne représentent qu’un instrument de + de #greenwashing », pouvait-on lire dans un message publié sur Twitter par le collectif. « On invite nos rebelles à barrer le QR code avec un marqueur permanent, m’explique le chargé des relations presse d’Extinction Rebellion. Ça rend les trottinettes hors d’usage, sans les endommager. C’est une action qui a vocation à se poursuivre sur la durée. Ce qu’on veut dénoncer, c’est d’abord la volonté de ces sociétés de casser les grèves. »

Le 5 décembre toujours, premier jour de la mobilisation sociale, Lime offrait 1 euro de réduction sur 25 000 trajets, puis 10 % de réduction pendant la suite du mouvement social jusqu’au 31 décembre. Partagée par d’autres opérateurs, cette volonté de grignoter les parts de marché des transports en commun en surfant sur la grève confirmerait que ma trottinette n’est pas cégétiste.

« L’autre souci, c’est que ce mode de déplacement n’est absolument pas écologique, poursuit le chargé des relations presse d’Extinction Rebellion. Leur importation depuis la Chine est polluante, leur durée de vie à cause de l’incivilité est extrêmement faible, les matériaux utilisés ne sont pas recyclés. Pour nous, ce système très spéculatif est une fausse solution, qui a eu pour effet pervers de ralentir la progression du vélo en ville, en captant des investissements, notamment pour la construction de parkings à trottinettes. »

Fabriqué pour partie avec des métaux rares, cet engin qui se présente comme « respectueux de l’environnement » émet plus de 105 g d’équivalent CO2 au kilomètre par passager, d’après un rapport de la société d’ingénierie Arcadis. Il se révèle donc beaucoup plus polluant que les transports publics, et presque autant que la voiture individuelle en covoiturage. Ce mode de déplacement, souligne le rapport, « dégrade le bilan carbone des métropoles ».

Comble de cette histoire, d’après l’étude du bureau de recherche 6t, ces engins attractifs car ludiques ne servent pas à remplacer les trajets en voiture polluants… mais les déambulations piétonnes. Lorsqu’on leur demande comment ils auraient effectué leur déplacement en l’absence de trottinettes électriques partagées, 47 % des sondés répondent « à pied », et 29 % « en transport en commun ». Seuls 3 % auraient utilisé leur voiture.

« A MARSEILLE, ON A DÛ METTRE EN PLACE UNE BRIGADE SPÉCIALE POUR QUE LES GENS ARRÊTENT DE JETER DES TROTTINETTES DANS LA MER. » UN RESPONSABLE DE LIME

Au terme de cette enquête, cherchant une trottinette pour me rendre à l’enterrement d’un ancien collègue, j’ai été témoin d’une scène qui dit bien toute la « douceur » de ces nouvelles mobilités. Du côté du métro Jaurès, dans le 19e arrondissement de Paris, deux jeunes femmes, visiblement jumelles, juchées sur une trottinette électrique de location, percutent de plein fouet, sous mes yeux, une dame qui fait alors un magistral vol plané, avant d’atterrir sur une rambarde métallique. Je la retiens in extremis pour lui éviter de basculer sur la chaussée où circulent les voitures. Arrêtées quelques mètres plus loin, les deux demoiselles sont hilares.

Autre hasard incroyable, un responsable de Lime se trouvait fortuitement là à ce moment précis. Il s’est excusé au nom de l’entreprise, a pris le numéro de la trottinette et a définitivement bloqué le compte des jeunes filles, en pestant contre « l’incivilité des usagers ». « A Marseille, a-t-il ajouté, on a dû mettre en place une brigade spéciale pour que les gens arrêtent de jeter des trottinettes dans la mer. » « Ce qui m’a choquée, c’est qu’elles ne sont même pas venues s’excuser. Moi j’accorde une énorme importance à la notion de respect, dès que mon caniche fait ses besoins sur le trottoir, je ramasse », m’a confié Sandrine, la dame percutée, encore sous le choc.

A l’issue de cette balade houleuse au pays des micromobilités, on ne peut pas affirmer que la trottinette soit intrinsèquement de droite, mais une chose est sûre, c’est qu’elle vous emmerde.

11 janvier 2020

La réforme de la Retraite

macron retraite

8 janvier 2020

La boîte aux lettres se vide, on l’ouvre quand même

98 % des Français disposent d’une boîte aux lettres qu’ils ouvrent quasiment tous les jours.

Thomas Brégardis, Ouest-France

Qu’elle est loin l’époque où le préposé de La Poste transportait, dans sa lourde sacoche, des milliers de missives ! Factures, courrier administratif, publicités, cartes d’anniversaire, lettres d’amour, il y en avait pour tous les goûts. En dix ans, l’activité courrier de La Poste est passée de 41 à 28 %, le nombre de facteurs de 100 000 à 72 000 et celui de plis distribués de 18 à 10 milliards, selon les chiffres de l’entreprise.

Cœur de métier historique du groupe, le courrier fut naguère mis en place par Louis XI pour le service royal et à des fins militaires. Des relais de chevaux se trouvaient sur les routes stratégiques du royaume. « L’acheminement et la distribution des correspondances demeurent le privilège des messageries universitaires et royales jusqu’à la fin du XVIe siècle, date à laquelle un service public d’État est mis en place », explique, sur le site de La Poste, Pascal Roman, conseiller historique. À la Révolution, il y a 1 426 bureaux de messagerie. Et, à Paris, le courrier est déjà distribué à domicile.

Les secrets du courrier

À la campagne, il faut attendre 1830 et la création du service rural. Le prix d’une lettre correspond alors à une demi-journée de travail d’un ouvrier. Sur les routes de France, 5 000 facteurs. Ils seront 19 000 en 1876, bientôt à bicyclette. Inventé par les Anglais, le timbre-poste s’impose en France et démocratise le courrier en uniformisant les tarifs.

Train et Aéropostale vont métamorphoser l’activité. Mais, dès les années 1990, le volume de courrier commence à baisser tandis que Bruxelles ouvre le marché à la concurrence.

Pourtant, « après six siècles, le média courrier n’a pas encore révélé tous ses secrets », a assuré, lors d’un débat de L’Express, Yves Xémard, directeur de la business unit courrier à La Poste. « Sa longue histoire passera peut-être, à l’avenir, par des solutions « phygitales », mêlant physique et digital, comme celles que propose La Poste : lettre recommandée à distance, remise commentée, courrier augmenté. »

Papier et numérique

Et si 20 % des Français n’ont pas accès aux solutions numériques, 98 % d’entre eux disposent d’une boîte aux lettres qu’ils ouvrent quasiment tous les jours. Même lorsqu’elle est vide. Derrière ce geste simple, il y a comme un rituel : sortir de l’appartement ou de la maison, regarder dans la boîte, rentrer, ouvrir la lettre, la lire. Recevoir du courrier, c’est exister. « Quand on lit une notification sur son smartphone, le niveau d’attention n’est pas le même », constate Anthony Mahé, du cabinet Eranos.

Ce sociologue a réalisé, pour La Poste, une étude sur notre rapport au courrier papier et au numérique. « Envoyer une lettre papier ou un e-mail n’a pas le même impact, explique-t-il. On ne pense pas le numérique avec les bons cadres, on le croit immatériel – algorithmes, data, calculs. Or, ce sont également des objets – ordinateurs, smartphones – des gestes, des émotions. »

Pour lui, il y a continuité entre communication classique et communication numérique. Entre courrier papier et courrier électronique. Et plutôt que de « dématérialisation », Anthony Mahé préfère parler de « nouvelle matérialité », montrant ainsi que numérique et papier ne sont pas opposés, mais plutôt complémentaires. Vous y penserez en ouvrant, demain, votre boîte à lettres.

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