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Jours tranquilles à Paris

18 avril 2020

Mélenchon : «L’idéologie de Macron le paralyse devant les questions de survie collective»

INTERVIEW

Par Rachid Laïreche 

Après une certaine retenue dans les premiers jours de l’épidémie, Jean-Luc Mélenchon repart à l’offensive contre le chef de l’Etat, qu’il estime «dépassé» par les événements. Le leader insoumis plaide pour un «déconfinement planifié» et remet en avant son programme présidentiel de 2017.

Jean-Luc Mélenchon tente de se faire entendre. Le chef des insoumis est persuadé qu’il a un «rôle à jouer» dans la période et que le monde d’après la pandémie se trouve entre ses mains, avec son programme «l’Avenir en commun». Alors il s’organise et il innove. Ce vendredi, le député des Bouches-du-Rhône est en meeting «numérique» afin d’esquisser le paysage devant ses troupes. En début de semaine, on s’est connecté sur Skype pour avoir un petit tour d’horizon.

Au début du mois de mars, lorsque la crise sanitaire a pris de l’ampleur, vous n’étiez pas très critique contre le gouvernement. Depuis, votre ton a changé…

J’adapte le ton aux circonstances. Je ne veux pas que les gens confondent notre opposition au gouvernement avec un appel à mépriser les consignes sanitaires. L’incohérence des décisions du président de la République n’aide pas. Exemple, le déconfinement hasardeux du 11 mai prochain. Nous proposons un déconfinement planifié. Pourtant pas question de créer un choc frontal qui aggraverait le chaos. C’est pourquoi nous avons tant insisté pour la continuité des travaux au Parlement. Nous voulons inscrire dans un cadre maîtrisé notre refus des mesures inacceptables du gouvernement, comme celles de la loi d’état d’urgence sanitaire. Pour autant, l’esprit public évolue vite en ce moment. Il faut nourrir cette évolution. On a inventé des espaces pour ça - des manifestations et meetings en ligne - notre commission d’enquête, des propositions de lois. Bref : le confinement sanitaire ne doit pas devenir un confinement politique.

Quel est votre rôle dans cette période ?

Ce qui se joue ce ne sont pas des bulletins de vote mais des vies humaines. Les insoumis font des propositions pratiques. Pour cela, nous sommes passés de la stratégie de conflictualité à celle des «causes communes». Par exemple, la réquisition de l’industrie textile. Pourquoi Emmanuel Macron n’en veut-il pas ? C’est un refus par idéologie.

L’opposition reproche de nombreuses choses au gouvernement, par exemple le maintien du premier tour des élections municipales. Alors que très peu de voix se sont élevées contre avant le scrutin…

Personne n’a demandé notre avis. Quand le Premier ministre annonce la veille du vote qu’il le maintient, j’ai eu le tort de croire qu’il avait évalué le risque. Certains insoumis n’étaient pas de mon avis, ils trouvaient la situation aberrante. Ils avaient raison. Emmanuel Macron tente tout le temps de nous impliquer. C’est manipulateur. Pour lui, l’unité d’action sanitaire, c’est l’union sacrée de type «silence dans les rangs». La majorité crée une mission d’information à l’Assemblée ? Nous n’avons eu le droit qu’à deux minutes de parole après deux heures trente de monologue. Dimanche, le Premier ministre me demande mon avis sur le déconfinement. J’y suis sensible. Mais pour quoi faire ? Rien. Et quand le Président vole nos mots mais refuse toutes nos propositions, je le vois comme un faussaire.

Le rôle du président de la République est-il de trouver un équilibre entre la crise sanitaire et économique ?

Non. La priorité, c’est l’être humain. Quels seront les bénéfices si 200 hospitaliers meurent parce qu’ils n’avaient pas de masques ? Ce n’est pas un projet économique d’ouvrir les entreprises pour que tout le monde y tombe malade ! L’humain est la richesse qui crée toutes les autres. Macron a été obligé d’en tenir compte. Après avoir dit hier que notre peuple était fait de «gaulois réfractaires» et de «riens», il énumère à présent dans ses discours les métiers sans lesquels la vie est impossible : éboueurs, caissières, égoutiers, infirmières… La liste des gens à qui il est contraint de dire merci n’en finit plus. Ceux-là ne doivent plus se laisser oublier.

Peut-être que le Président change de logique…

Vous parlez de celui qui refuse de rétablir l’impôt sur la fortune (ISF), même à titre provisoire ? Je n’y crois pas. C’est un libéral. Son idéologie le paralyse devant les questions de survie collective. Au nom de quoi choisir comme docteur celui qui vous a brisé les jambes ? Rappelez-vous Sarkozy en 2008. Il avait fait un discours gauchiste [référence au discours de Toulon, le 25 septembre 2008, ndlr] : c’était la fin du règne de l’argent roi. On a vu la suite.

A gauche, certains mots, que vous utilisiez, reviennent souvent actuellement, comme «souveraineté»…

Oui, nous sommes récompensés : ça paye de tenir bon sur les concepts essentiels. Du coup, Macron recommande qu’on ne se réfère pas à nos programmes d’hier. Il faudrait «tout réinventer». Comme s’il n’y avait eu aucune alerte depuis vingt ans, comme s’il n’y avait aucune proposition ces dernières années ! Par exemple notre programme «l’Avenir en commun». Combien ironisaient : c’était trop radical de parler de planification écologique ou de règle verte. Savent-ils que ces mots, nous les avions empruntés aux travaux des associations et des intellectuels qui les avaient produits auparavant ? L’ignorance et le mépris de tout ce travail ne valent pas amnistie ! Macron est dépassé. Les libéraux sont impuissants à régler les dégâts qu’ils ont provoqués. A chaque moment d’impasse du capitalisme, la civilisation humaine bifurque. Si le XXe siècle a débuté en 1914, le XXIe débute avec cette crise sanitaire. A plus forte raison avec le collapse du changement climatique. Une nouvelle hégémonie culturelle émerge : l’entraide plutôt que la concurrence libre et non faussée. La relocalisation plutôt que le déménagement permanent du monde. Le retour de l’Etat et des services publics sont impatiemment attendus.

Et sur la bataille des mots ?

Le mot «souveraineté» est enfin compris dans sa vraie dimension. Nos adversaires en ont fait une caricature : qui employait ce mot était un nationaliste, donc un partisan de la guerre. C’était une camisole de force qu’on tentait de nous mettre. A présent, chacun comprend que la souveraineté a un lien avec l’indépendance. Si nous sommes souverains sur le plan alimentaire et sanitaire, ça ne fait pas de nous d’horribles nationalistes mais des gens prudents qui, du coup, peuvent aussi aider les autres si besoin. Je reste lucide : si la vie n’était qu’une bataille de mots, nous l’aurions gagnée depuis longtemps. Mais c’est une lutte d’intérêts. Les puissants ne céderont jamais de bon gré. N’empêche : ils sont incapables de répondre aux besoins simples et concrets des gens. Or les révolutions ne sont pas déclenchées par des attentes idéologiques mais par des demandes concrètes. Ceux qui n’y répondent pas sont balayés.

Entre qui et qui se joue la bataille culturelle ?

Entre les libéraux et les collectivistes. Chacun pour soi ou tous ensemble ? Si tout se bloque, la main ira aux plus radicaux. S’il y a un espace de délibération démocratique, on peut avoir ce que je souhaite : une transition plus douce, plus organisée, plus méthodique. C’est pourquoi dans la situation actuelle, je ne suis pas partisan d’ajouter du chaos au chaos. Mme Le Pen est dans le frontal. C’est irresponsable de sa part. Pour nous, les insoumis, le chaos est le meilleur allié de la tentation autoritaire des gouvernements libéraux. Les mesures liberticides qu’accumule Macron le prouvent. Son monde d’après est déjà dessiné : pire qu’avant.

Pourquoi avez-vous remis votre programme «l’Avenir en commun» en débat ?

Certains prennent la plume pour des tribunes, d’autres veulent organiser des colloques sur le monde d’après. Ce bouillonnement est fertile. Mais la vie des sociétés est faite aussi d’enjeux concrets à gérer. Notre programme propose un chemin gouvernemental. On veut dire quelque chose de fort : on peut commencer à changer le monde demain matin si vous voulez.

La période modifie-t-elle les rapports entre vous et le reste de la gauche, les communistes…

(Il coupe) Non, les communistes, c’est différent, c’est la même famille ! Le ton monte parfois mais à l’Assemblée nationale ou au Sénat, il faut gratter fort pour trouver les différences. Ecologiquement, ils ne sont pas très allants mais ils avancent, ils bougent. Le problème à gauche n’a jamais été de ce côté pour nous.

Il est où le problème, côté Parti socialiste et écolos ?

Je leur ai tendu la main à deux reprises dans vos colonnes. Pour rien. Leur sectarisme est consternant. Vont-ils évoluer ? Ce n’est pas un problème psychologique. On voit leur contradiction : combien parmi eux espèrent encore échapper à la radicalité de l’opposition entre le monde libéral et celui qu’il faut construire ? Quand ont-ils dit un mot de regret à propos de ce qu’ils ont fait à l’hôpital public quand ils étaient au pouvoir ensemble ? Voyez-les signer en commun des tribunes avec des multinationales et des ministres de droite ! On verra leur choix final. Nous, on ne lâchera rien. Car le plus important est dans la société dans laquelle je vois un ample parti sans murs : dégagiste, social-écolo, humaniste. Beaucoup ont cru suffisant de me caricaturer pour disqualifier notre projet. En vain. On le prend par le bout qu’on veut : sept millions de voix pour notre programme [en 2017], ça crée une espérance durable. Certes, chacun doit faire des efforts pour fédérer le peuple et construire une majorité politique. Mais ce sont d’abord des efforts de clarté.

Jeudi, dans une lettre publiée sur le site du JDD, Julien Bayou, secrétaire national de EE-LV, vous accuse, entre autres, de «creuser le tombeau de l’alternative».

«Entre autres», en effet. Je déplore le ton insultant pour répondre à ma question qui ne l’était aucunement sur l’union nationale. Mais je me réjouis qu’il renonce à son «Grenelle du monde d’après» sous la houlette du Premier ministre. Heureux que les Verts français refusent la ligne de leurs homologues allemands et autrichiens, adhèrent à l’idée de VIe République, renoncent à une alliance mondiale avec les firmes transnationales à l’inverse de leurs députés européens… Sur mon blog, j’avais pourtant dit que je voyais «des éléments constructifs dans son propos». Dois-je le regretter ? Quelle arrogance ! Est-ce lèse-majesté que de demander une précision à Julien Bayou quand il nous propose de nous réunir avec Edouard Philippe ? Pour détendre l’atmosphère avec un peu d’humour, je lui recommande d’envoyer sa tribune à Yannick Jadot, à qui elle s’adresse plus souvent qu’à moi.

La semaine passée, vous avez salué l’interview d’Arnaud Montebourg dans les colonnes de Libé…

Il a envoyé une carte postale au bon moment. Il aide à construire un nouveau fond de scène. Pour moi, c’est un renfort très précieux.

Dans la période actuelle, qui trouve grâce à vos yeux ?

Ce n’est pas mon sujet. Je sais que nous allons à la rencontre d’événements exceptionnels. Je me concentre. Je mobilise tout ce que j’ai appris au cours de ma longue vie d’engagement politique : prendre le pouls, sentir le moment, repérer les seuils, relier au savoir historique. Je sais que les insoumis ont un rôle à jouer. Nous ne sommes pas juste des commentateurs, nous voulons ouvrir une issue historique à la crise de la civilisation. C’est notre responsabilité. Les moments terribles où tout est remis en cause n’arrivent pas souvent dans l’histoire. Aujourd’hui, chacun est mis au pied du mur de ce qu’il est, et de ce qu’il est capable de faire. L’histoire est une chance ou une déchiqueteuse.

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18 avril 2020

Laetitia Casta

casta belle

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18 avril 2020

Coronavirus - situation le 17 avril au soir

situation 17 avril

18 avril 2020

Les Quatre Cents Coups de François Truffaut (1959)

Premier film de Truffaut et film phare de la Nouvelle Vague, Les Quatre Cents Coups plante le personnage d'Antoine Doinel, enfant difficile incarné par Jean-Pierre Léaud (qui crève l'écran pour son premier film) et alter ego avec qui le réalisateur vivra toute sa vie de cinéaste. Si Antoine Doinel (et Jean-Pierre Léaud) grandira, la fascination de Truffaut pour l'enfance se poursuivra dans deux films : L'enfant sauvage et L'Argent de poche.

18 avril 2020

Monica Bellucci

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18 avril 2020

Jean-François Guégan : « En supprimant les forêts primaires, nous sommes en train de débusquer des monstres »

Par Claire Legros

Le directeur de recherche à l’Inrae travaille sur les relations entre santé et environnement. Dans un entretien au « Monde », il estime que l’épidémie de Covid-19 doit nous obliger à repenser notre relation au monde vivant.

Ancien membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), Jean-François Guégan a fait partie du comité d’experts qui a conseillé la ministre de la santé Roselyne Bachelot lors de l’épidémie de grippe A(H1N1), en 2009. Directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique, il estime que l’épidémie de Covid-19 doit nous obliger à repenser notre relation aux systèmes naturels, car l’émergence de nouvelles maladies infectieuses est étroitement liée à l’impact des sociétés humaines sur l’environnement et la biodiversité.

Vous avez fait partie des experts qui ont conseillé d’acheter des masques et des vaccins en grand nombre lors de la pandémie provoquée par le virus H1N1. Comment analysez-vous la situation en France, dix ans plus tard ?

Comme beaucoup de mes collègues, j’ai été très surpris de l’état d’impréparation de la France à l’épidémie de Covid-19. Les expériences passées avaient pourtant mis en évidence la nécessité d’anticiper et de préparer l’arrivée de pandémies. Au sein du HCSP, nous avions préconisé l’achat des fameux vaccins, mais aussi la constitution d’une réserve de près de 1 milliard de masques, pour protéger la population française en cas de risque majeur, à renouveler régulièrement car ils se périment vite. Nous avions alors réussi à sensibiliser les décideurs de plusieurs ministères sur cette nécessaire anticipation. Je pensais que nous étions prêts. Au ministère de la santé, Xavier Bertrand a reconduit l’achat des masques, mais, ensuite, il y a eu un changement de stratégie. Il semble que l’économétrie ait prévalu sur la santé publique.

Comment expliquer cette difficulté à cultiver, sur le long terme, une approche préventive ?

Les départements affectés aux maladies infectieuses ont été, ces dernières années, désinvestis, car beaucoup, y compris dans le milieu médical, estimaient que ces maladies étaient vaincues. Et c’est vrai que le nombre de décès qu’elles occasionnent a diminué dans les sociétés développées. En revanche, elles sont toujours responsables de plus de 40 % des décès dans les pays les plus démunis, et on observe aussi une augmentation de la fréquence des épidémies ces trente dernières années.

« ON A VU LES CRÉDITS ATTRIBUÉS À LA MÉDECINE TROPICALE S’EFFONDRER ET DES CONNAISSANCES SE PERDRE »

Nous n’avons cessé d’alerter sur leur retour en force depuis quinze ans, sans succès. On a vu les crédits attribués à la médecine tropicale s’effondrer, des connaissances se perdre, faute d’être enseignées, même si elles perdurent encore chez les médecins du service de santé des armées, dans les services d’infectiologie et les grandes ONG humanitaires.

Quelle est la place de la santé publique dans la culture médicale en France ?

La médecine, en France, a toujours privilégié l’approche curative. On laisse le feu partir, et on essaie ensuite de l’éteindre à coups de vaccins. De fait, il existe aujourd’hui une hiérarchie entre les différentes disciplines : certaines sont considérées comme majeures, parce que personnalisées, technologiques, curatives. C’est le cas, par exemple, de la médecine nucléaire ou de la cardiologie. D’autres sont délaissées, comme la santé publique et l’infectiologie, discipline de terrain et de connaissances des populations.

Que sait-on aujourd’hui des interactions entre environnement et santé, et en particulier du rôle de la biodiversité dans la survenue de nouvelles épidémies ?

Depuis les débuts de notre civilisation, l’origine des agents infectieux n’a pas varié. Les premières contagions sont apparues au néolithique, vers 10 000 à 8 000 av. J.-C., en Mésopotamie inférieure – aujourd’hui l’Irak –, lorsqu’on a construit des villes dont les plus grandes pouvaient atteindre vingt mille habitants. On a ainsi offert de nouveaux habitats aux animaux commensaux de l’homme, ceux qui partagent sa nourriture, comme les arthropodes, les mouches, les cafards, les rats, qui peuvent lui transmettre des agents.

Pour nourrir les habitants des villes, il a fallu aussi développer l’agriculture et l’élevage en capturant des animaux sauvages, créant ainsi les conditions de proximité pour le passage vers l’humain de virus et de bactéries présents chez ces animaux ou abrités dans les sols ou les plantes et leurs systèmes racinaires. Les bactéries responsables du tétanos, de la tuberculose ou de la lèpre sont originaires du sol.

La déforestation est mise en cause dans l’augmentation du nombre de maladies infectieuses émergentes ces dernières années. De quelle façon ?

Sa pratique massive a amplifié le phénomène depuis cinquante ans, en particulier dans les zones intertropicales, au Brésil, en Indonésie ou en Afrique centrale pour la plantation du palmier à huile ou du soja. Elle met l’humain directement en contact avec des systèmes naturels jusque-là peu accessibles, riches d’agents microbiens.

Ainsi, le virus du sida le plus distribué, VIH-1, est issu d’un rétrovirus naturellement présent chez le chimpanzé en Afrique centrale. Le virus Nipah, responsable d’encéphalites en Malaisie, en 1998, a pour hôte naturel une espèce de chauve-souris frugivore qui vit habituellement dans les forêts d’Indonésie. La déforestation dans cette région a entraîné son déplacement vers la Malaisie, puis le Bangladesh, où les chauves-souris se sont approchées des villages pour se nourrir dans les vergers. Des porcs ont joué le rôle de réacteurs et contribué à l’amplification du virus.

Il ne fait aucun doute qu’en supprimant les forêts primaires nous sommes en train de débusquer des monstres puissants, d’ouvrir une boîte de Pandore qui a toujours existé, mais qui laisse aujourd’hui s’échapper un fluide en micro-organismes encore plus volumineux.

Depuis trente ans, l’urbanisation s’étend aux régions intertropicales. Quel rôle joue-t-elle dans cette transmission ?

Dans ces régions, une vingtaine de villes comptent désormais plus de 7 millions d’habitants, qui accumulent à la fois richesse et extrême pauvreté, avec une population très sensible aux infections. Le scénario du néolithique se reproduit, mais de manière amplifiée par la biodiversité tropicale.

L’agriculture qui s’y organise dans les zones périurbaines favorise la création de gîtes pour les micro-organismes présents dans l’eau, comme les bactéries responsables du choléra, ou les moustiques, vecteurs de paludisme. Des élevages de poulets ou de porcs y jouxtent les grands domaines forestiers tropicaux. Il suffit de faire une cartographie de Manaus [Brésil] ou de Bangkok pour visualiser comment ces pratiques favorisent les ponts entre des mondes hier bien séparés.

Peut-on dire que la pandémie de Covid-19 est liée à des phénomènes de même nature ?

Les origines du virus sont discutées, il faut rester prudent. Les scientifiques s’accordent néanmoins sur une transmission de l’animal à l’humain. Dans sa composition moléculaire, le coronavirus responsable du Covid-19 ressemble en partie à un virus présent chez les chauves-souris du groupe des rhinolophes, et en partie à un virus qui circule chez une espèce de pangolin d’Asie du Sud-Est.

« IL EST TEMPS D’EN FINIR AVEC CETTE DISTINCTION ENTRE SCIENCES MAJEURES ET MINEURES, POUR RECONSTRUIRE UNE PENSÉE SCIENTIFIQUE ADAPTÉE AUX NOUVEAUX ENJEUX »

Si le coronavirus a été transmis par la chauve-souris, il est possible que la déforestation intensive soit en cause. Si le scénario du pangolin est vérifié, la cause est à rechercher du côté de l’exploitation illégale de ressources forestières menacées. En Chine, le pangolin est un mets de choix, et on utilise aussi ses écailles et ses os pour la pharmacopée. La nette diminution des rhinocéros en Afrique a peut-être joué un rôle, avec un report sur le pangolin à un moment où l’importation en Chine de cornes de rhinocéros est rendue plus difficile.

Certains sont tentés de supprimer les animaux soupçonnés d’être les réservoirs du virus…

Cette hypothèse n’est ni réaliste ni souhaitable. Et d’ailleurs a-t-on vraiment envie de vivre dans ce monde-là ? De tout temps, les épidémies ont suscité des boucs émissaires. Les chauves-souris sont également accusées d’être les réservoirs d’Ebola – une théorie qui n’est pour l’heure pas démontrée – et souvent associées dans les imaginaires à une représentation diabolique. On oublie au passage qu’il s’agit d’animaux extrêmement utiles pour la pollinisation de très nombreuses plantes, ou comme prédateurs d’insectes.

N’oublions pas non plus que la vie sur terre est organisée autour des micro-organismes. Cette biodiversité est par exemple essentielle chez l’humain pour le développement du microbiome intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des bactéries abritées dans notre système digestif, qui détermine dans les premiers âges de la vie notre système immunitaire.

Peut-on faire un lien direct entre l’augmentation des épidémies et la crise climatique ?

C’est un paramètre sur lequel on manque d’arguments. Les crises environnementales dans leur ensemble provoquent des phénomènes non linéaires, en cascade, des successions d’événements que l’on ne peut pas appréhender par la voie expérimentale. On peut réaliser des expériences en mésocosme, c’est-à-dire dans des lieux confinés où l’on fait varier les paramètres – sol, hygrométrie, température. Mais d’autres variables, telles que la pauvreté, la nutrition ou les mouvements de personnes, ne sont pas considérées par ces études, alors qu’elles peuvent jouer un rôle très important dans la transmission des infections. Quoi qu’il en soit, le changement climatique viendra exacerber des situations déjà existantes.

Une approche pluridisciplinaire est donc indispensable pour comprendre les épidémies ?

L’approche cartésienne pour démontrer les relations de cause à effet n’est plus adaptée face à ces nouvelles menaces. Toutes les problématiques planétaires nécessitent de développer des recherches intégratives et transversales, qui doivent prendre en compte les sciences humaines, l’anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, l’économie…

« POUR LUTTER CONTRE LES ÉPIDÉMIES, LES CHANGEMENTS NÉCESSAIRES SONT CIVILISATIONNELS »

Il est possible de développer des analyses de scénarios, ainsi que des analyses statistiques. Or, ces approches sont souvent déconsidérées au profit des sciences expérimentales. D’un point de vue épistémologique, il est temps d’en finir avec cette distinction entre sciences majeures et mineures, pour reconstruire une pensée scientifique adaptée aux nouveaux enjeux. Cela demande que chaque discipline se mette à l’écoute des autres. Mais ce n’est pas le plus facile !

Faut-il envisager la permanence d’un risque pandémique ?

Nous sommes à l’ère des syndémies (de « syn » qui veut dire « avec »), c’est-à-dire des épidémies qui franchissent les barrières des espèces, et circulent chez l’humain, l’animal ou le végétal. Si elles ont des étiologies différentes (des virus de familles différentes par exemple), elles ont quasiment toutes les mêmes causes principales.

Cette épidémie est terrible, mais d’autres, demain, pourraient être bien plus létales. Il s’agit d’un coup de semonce qui peut être une chance si nous savons réagir. En revanche, si nous ne changeons pas nos modes de vie et nos organisations, nous subirons de nouveaux épisodes, avec des monstres autrement plus violents que ce coronavirus.

Comment faire pour se protéger ?

On ne réglera pas le problème sans en traiter la cause, c’est-à-dire les perturbations que notre monde globalisé exerce sur les environnements naturels et la diversité biologique. Nous avons lancé un boomerang qui est en train de nous revenir en pleine face. Il nous faut repenser nos façons d’habiter l’espace, de concevoir les villes, de produire et d’échanger les biens vitaux.

L’humain est un omnivore devenu un superprédateur, dégradant chaque année l’équivalent de la moitié de l’Union européenne de terres cultivables. Pour lutter contre les épidémies, les changements nécessaires sont civilisationnels.

Comme dans la symbolique du yin et du yang, nous devons accepter la double nature de ce qui nous entoure. Il nous faut complètement repenser notre relation au monde vivant, aux écosystèmes naturels et à leur diversité biologique, à la fois garants des grands équilibres et source de nombreux dangers. La balle n’est plus dans le camp des chercheurs qui alertent depuis vingt ans, mais dans celui des politiques.

18 avril 2020

Grand Pajero Mitsubishi

pajero grand

18 avril 2020

Reportage - Coronavirus : à Paris, voyages au bout de la nuit

Par Christophe Ayad

Depuis le début du confinement, le pouls de la capitale bat au ralenti. Et plus encore après la tombée du jour, quand la cité n’est plus qu’un théâtre d’ombres.

« Vous connaissez Ayn Rand ? Non ? ! Il faut lire Ayn Rand, c’est une romancière, la grande théoricienne de la philosophie libertarienne. Voilà, c’est ça que je suis, un libertarien, c’est-à-dire un gros égoïste qui essaie de prendre soin de soi et de ses proches. Et si chacun fait cela, peut-être qu’un avenir est possible. Sinon, on est foutus. Parce que là, je peux vous le dire, on est devant la pire crise économique qu’a connue l’humanité. Ça va être un carnage et il ne vaudra mieux pas être là quand ça va péter. On est tous à se demander où on va aller pour la suite. Parce que l’avenir à Paris, dans notre petit appart qui a coûté un bras, ça va pas être possible. Ça va être la guerre, je vous le dis, la guerre. Et nous, les bobos comme moi, on n’est pas armés pour ça. Le mendiant à qui je donne d’habitude à la sortie du supermarché, je le vois, lui, il est peinard. Détendu. Les SDF, c’est eux qui s’en sortiront parce qu’ils n’ont rien à perdre et qu’ils sont déjà en mode Mad Max. »

Il est bientôt minuit. Tanguy – les personnes rencontrées ont préféré ne donner que leur prénom – est descendu de chez lui pendant que ses filles dorment pour acheter deux bières dans la petite épicerie de sa rue, perpendiculaire aux Grands Boulevards. Des XL, pour traverser cette première nuit chaude de l’année, un air d’été, de putréfaction, de vacances de la fin du monde. La conversation s’est engagée à distance, et maintenant, Tanguy ne s’arrête plus de parler. En un quart d’heure, on en sait plus sur sa vie que son voisin de palier. C’est le propre des guerres et des grandes catastrophes de produire un tel mélange de concision et de confusion : il faut que tout sorte d’un coup avant de se retrouver les tripes à l’air. Sa vie défile comme un film muet accéléré. Tanguy a fait HEC, n’a pas aimé le monde de l’entreprise et de la finance. S’est installé à son compte en faisant « un peu d’immobilier et un peu de trading ». Deux enfants, divorce ou séparation. Plus tout jeune, quelques cheveux gris, mais ça fait partie de son charme de quadra mal rasé, en jean et tee-shirt sous une chemise déboutonnée. Une ex-amoureuse qui habite dans la même rue l’a appelé au téléphone : il pensait qu’elle voulait retenter sa chance, elle voulait juste lui annoncer qu’elle toussait. « Prendre soin de soi et de ses proches. » Oui, mais comment ? Insondable est la nuit.

Tanguy repart avec ses deux bières poursuivre son cauchemar en confinement. Tout le temps de la discussion, aucun autre client ne s’est présenté au comptoir de l’épicerie Super Market. Zeitoun, le gérant, est affalé sur son comptoir. En mode survie. Pourquoi rester ouvert aussi tard ? « La journée, les grandes surfaces attirent toute la clientèle. Je suis obligé de rester ouvert le soir pour attraper les autres. Je ne peux pas fermer, comment je vais payer 3 000 euros de loyer, sinon ? » Son regard erre sur le mur de bouteilles d’alcool bon marché scintillant de toutes les couleurs sous l’aveuglante lumière du néon. Inquiète est la nuit.

Une nuit en nuances de gris

La porte Saint-Denis écarquille son œil de Cyclope, muette d’horreur face au vide qui l’entoure, médusée par le silence qui l’enveloppe. Où sont-ils tous, les poivrots, les fêtards, les clodos, les crevards, les Turcs, les Kurdes, les Arabes, les Africains et les autres ? Partis, envolés, effacés. Oubliés. Même le Paris qui ne dort jamais s’est claquemuré. Il y a bien quelques dealeurs à la recherche de clients, quelques SDF à la recherche de nourriture ou d’un refuge, quelques employés de restaurants qui rentrent chez eux en pressant le pas, mais pas de quoi fouetter un chat de gouttière. Paris n’est pas Istanbul et compte d’ailleurs nettement plus de rats que de chats.

Quatre nuits d’affilée, on est sorti vérifier si, dans la nuit de Paris, tous les chats sont vraiment gris. Chercher le long de ses artères le pouls faiblard d’une capitale sous Covid-19, toucher son front moite d’une mauvaise fièvre, celle qui brûle la cervelle, écrase le thorax et fait trembler les membres. Au début du confinement – que cela paraît loin déjà ! –, la nuit commençait bien avant les applaudissements de 20 heures. Mais le changement d’heure et l’arrivée du printemps ont repoussé les ténèbres bien après l’hommage quotidien aux soignants. Au tout début, donc, il n’y avait personne, sauf ceux qui ne pouvaient pas faire autrement, les « sans » : sans-abri, sans-papiers, sans-domicile-fixe, sans-famille. Il y avait le froid aussi, un froid sans pitié.

Désormais, la nuit est un nuancier de gris. D’abord, les joggeurs, dont la pratique a été repoussée après 19 heures. Ils slaloment entre les promeneurs de chiens. Ensuite, les livreurs, qui sillonnent la ville en tous sens et à toute heure, à scooter ou à vélo. Puis les couples, qui prennent le frais, main dans la main, émerveillés et intimidés par cette ville déserte et pourtant vivante. Et enfin tous ces « sans », dont la présence, d’ordinaire noyée dans la foule nocturne et le vacarme automobile, saute aux yeux. La nuit leur appartient autant qu’elle les possède. Gloutonne est la nuit.

Dans l’ancien ventre de Paris, aux Halles, tous les SDF s’appellent Jonas. C’est leur royaume dévasté. Le centre commercial a fermé ses portes, les contraignant à dormir les uns contre les autres dans les issues de secours, les entrées du métro et du RER, qui ferment leurs portes à 22 heures. En surface, le jardin est occupé par différents groupes qui se croisent en une chorégraphie erratique. On se rassemble par affinités, origines, addictions ou hasard. Les SDF isolés risquent d’être rançonnés, pour une cigarette ou une bouteille, voire de se faire agresser gratuitement. Un groupe de jeunes Antillais propose un peu de « shit », sans conviction. A côté, des Russes sont saouls comme des Polonais. L’un d’eux frissonne et tousse en crachant du sang. Les pompiers arrivent rapidement. Coronavirus ? « Bah, on sait pas, on va le tester, mais j’ai peur que le virus ne soit pas son souci principal », soupire un pompier fataliste.

L’axe de la misère

Les jeunes Antillais, eux, n’ont pas peur du Covid-19 : « C’est une question d’anticorps et de gênes », assure David. Mais quand les autorités lui ont proposé de se confiner dans un gymnase ou un hôtel réquisitionné, il a préféré refuser, par prudence : « Entassés dans un gymnase, ou à deux dans une chambre d’hôtel, on est sûr de l’attraper. » Mais dans la rue, tout est devenu plus difficile : moins de passage, moins de commerces ouverts, donc moins d’argent. « Les gens, ils reculent quand ils nous voient parce qu’on n’a pas de masques. » La Croix-Rouge distribue des repas tous les midis au pied de l’église Saint-Eustache.

Plus loin, au pied de la Bourse de commerce, qui doit accueillir la collection Pinault en septembre, la « famille » de Francesca – trois femmes, deux hommes, « une invitée » et le chien – a installé son campement sous l’auvent d’un restaurant en réfection de la rue Coquillère, entre l’As de trèfle et Au pied de cochon. Le bric-à-brac de matelas, coussins, lampes et vivres est soigneusement rangé dans un coin. Sophie, l’« invitée », fait les carreaux. Lola, la métisse, dit qu’à elles trois, avec Francesca, l’Italienne, et Gracias, l’Espagnole, « [elles font] la mondialisation ». Les deux hommes, Momo et « le Vieux », restent muets : « Les femmes dans la rue, c’est des problèmes, finit par lâcher Momo. Ça crée des jalousies, des disputes. »

Francesca est née dans le nord de la péninsule, il y a à peine trente ans, et a eu deux filles : la première est morte d’une leucémie, la seconde a été placée. « Le père est toujours dans le crack, moi, je préfère l’alcool. » Aujourd’hui, le seul être dont Francesca ne pourrait plus se passer est son chien. Après des années d’attente, elle s’est vu attribuer un appartement thérapeutique, mais elle n’a pas pu y emménager à cause du confinement. « T’as l’espoir et puis d’un coup, on te le retire. Ça s’appelle un ascenseur émotif », philosophe Lola. Brutale est la nuit.

L’axe de la misère part des Halles et remonte vers le nord de Paris en passant par les gares de l’Est et du Nord, avant de rejoindre Stalingrad, place forte des « crackés » et des paumés, puis de finir à la porte d’Aubervilliers, principal rassemblement des migrants depuis le démantèlement du camp de la porte de la Chapelle. Tout le reste est strictement vide une fois passé 22 heures, à l’exception de quelques ombres furtives. Rue Saint-Denis, pas une prostituée en vue. Le seul commerce ouvert est une sandwicherie, Le Généreux, qui fait de la vente à emporter. Un client qui souhaite s’attabler pour avaler son kebab se voit fermement rappeler les règles par Smat, le cuistot. Le client repart à vélo pour Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), où il habite : « Je viens tous les jours pour m’occuper de ma mère. Elle m’emploie comme aide à domicile. C’est comme ça que je vis. » Il a 60 ans passés.

Des tribus et une caste

Smat a convaincu son patron de rouvrir la sandwicherie parce qu’il devenait « fou » dans son studio de la Courneuve, au bout de deux semaines de confinement. « Comme on ne vend presque rien, à peine vingt sandwiches par jour de midi à minuit, mon collègue et moi avons accepté de baisser notre salaire de 300 euros. » Ils gagnent désormais 1 300 euros par mois. Son patron les raccompagne tous les soirs en scooter du quartier Montorgueil à la Courneuve à minuit ou 2 heures du matin, selon que les affaires marchent plus ou moins mal. Chiche est la nuit.

Hakim aussi préfère travailler que ne rien faire. Il a convaincu le patron de sa société de taxi de lui laisser la voiture. « Ça fait tellement longtemps que je dors le jour et veille la nuit, je ne me vois pas changer de rythme. Mais franchement, il m’est arrivé de faire des nuits à une course de 20 euros. C’est pas pour l’argent, c’est pour pas péter un câble. » Il a du gel hydroalcoolique mais plus de masques. Il ajoute : « Au moins, je peux circuler et passer voir les copains. Parce que sinon, la nuit, y a que des fous et des zombies dehors. » C’est un peu exagéré : Christel et Timothée, tout droit sortis d’un catalogue de The Kooples, promènent leur chien à la fraîche, un bouledogue miniature. Christel, pourtant pas bégueule, ne veut plus sortir le chien seule car elle « ne se sent pas en sécurité, surtout à cause des hommes d’Europe de l’Est sous alcool ».

Chaque tribu reste à part : les sportifs, les poivrots, les couples, les promeneurs de chiens, les drogués, les migrants. Pas ou peu de rencontres imprévues : il faut profiter à fond du peu de temps imparti en cas de contrôle policier. Les livreurs forment une caste à part. On les retrouve en groupes, devant les rares restaurants ouverts. Penchés sur leurs scooters, ils ressemblent à des cowboys abreuvant leur monture autour du même puits. Eux aussi ont moins de travail : « Trop peu de restaurants ouverts pour trop de demande, constate Amir. L’attente est longue, on se bat pour les livraisons. Les gens s’énervent. En fait, les clients sympas sont plus sympas et les emmerdeurs plus chiants. Ils insistent pour que tu montes dans l’immeuble alors que c’est interdit. » Grâce à son métier, Amir en voit des vertes et des pas mûres : « Les geeks dans leur chambre de bonne qui commandent deux Twix et une bouteille d’eau pour toute la journée ; l’handicapé de la cuisine qui commande trois croque-monsieur, ça fait pitié. » « C’est toi qu’il voulait kékro [“croquer”, en verlan] », le charrie son copain Abdoulaye. Ironique est la nuit.

Mohamed-Amin est livreur lui aussi, mais en mode dilettante. Il ne prend pas les courses qui ne le rapprochent pas d’un copain. « L’attestation de travail, je m’en sers surtout pour bouger », rigole-t-il. Ce soir-là, il a rejoint Eddy, son pote de fac, au pied du 12-2, la cité du 122, boulevard de l’Hôpital. « La nuit, on chill, on est entre nous, loin de la mifa [la “famille”] », confirme ce dernier, survêtement bleu électrique et cheveux impeccablement tirés. Et le virus ? « J’ai bien flippé quand j’ai appris qu’un pote du Val-d’Oise était en coma artificiel, assure Mohamed-Amin. Mais le lendemain, j’ai recommencé à sortir. C’est plus fort que moi. » Ses Ray-Ban le protègent de la nuit.

Gigantesque musée après fermeture

Dans l’immense échangeur RER de la gare du Nord, on ne croise que des soignants rentrant en banlieue. Un homme fait des rodéos sur une trottinette électrique équipée d’une sono poussée à fond. Une Allemande, visiblement perdue et dérangée, en pyjama vert d’hôpital psychiatrique, cherche comment se rendre à Villiers-le-Bel, à 21 h 45. En surface, un homme en sandales pédale lentement, le nez levé pour contempler l’immense nef de la gare du Nord. Reynald est un esthète, horloger de métier : « Je ne verrai probablement plus jamais Paris comme cela, alors je pars à vélo tous les soirs. Dans ce climat de peur épouvantable, je me nourris de toute cette beauté. » Dehors, la nuit est complète : c’est l’heure des zombies. L’hôpital voisin, Lariboisière, a dû embaucher des gardes du corps pour accompagner le personnel soignant au métro.

Reynald n’est pas le seul à chercher à échapper à la pesanteur ambiante, à l’image de ce couple rencontré autour du jardin du Luxembourg. Elle, Aude, la cinquantaine, médecin hospitalier, lui, Jean-Paul, la soixantaine, haut fonctionnaire bientôt à la retraite, domiciliés à Port-Royal. « Tous les soirs, nous faisons un parcours différent pour redécouvrir le quartier. J’ai un autre regard, je découvre des façades, des portes cochères s’émerveille-t-elle. C’est une ambiance très spéciale, insolite. Parfois, nous faisons un petit pèlerinage devant le dernier restaurant où nous avons dîné pour l’anniversaire de mon mari. C’était trois jours avant le confinement. Ça paraît une éternité. » L’éternité, on pourrait presque la toucher du doigt devant le Panthéon, soudain intimidant dans la nuit. Céline, Norma et Renée, trois étudiantes libanaises résidant au Foyer franco-libanais tout proche, en sont presque saisies. Elles ont préféré poursuivre leurs stages et leurs études à Paris que prendre un vol de rapatriement pour rentrer au pays. « Pour une fois que le gouvernement libanais gère bien une crise », rigolent-elles. Face au Panthéon, on voit la tour Eiffel, au loin. Des perspectives insoupçonnées se révèlent.

Tout-Paris est un gigantesque musée après fermeture. Dans le Quartier latin, on remarque une petite maison ancienne, verte, tout droit sortie du Moyen Age, au croisement des rues Galande et Saint-Julien-le-Pauvre. Derrière la fenêtre à carreaux épais, la silhouette d’une femme qui semble tricoter à la bougie. Le long des quais, devant Notre-Dame, la Seine est sage comme un miroir. Ses eaux noires glissent à l’allure d’un tapis roulant. Sioomin et Marion se promènent main dans la main, bouche bée : « D’habitude, il y a trop de monde, et là, pas assez. » Mutique est la nuit.

Rudy, chauffeur sur la ligne de bus 96, se souvient qu’il y a quatre mois seulement, pendant la grève contre la réforme des retraites, il bataillait pour faire rentrer 200 personnes dans un véhicule conçu pour 90. Aujourd’hui, il lui arrive d’aller d’un terminus à l’autre sans charger personne. Trop ou pas assez, mais Rudy est toujours aussi zen. Ce soir-là, quatre jeunes rentrent aux Lilas en se faisant des checks sonores au fond du bus. « J’ai fait huit mois de bracelet [électronique], je vais mourir si je sors de chez moi. Déjà, le virus, ça casse bien le délire. Je donnerais tout pour une bonne chicha », confie un gaillard à casquette et sans masque – « truc de boloss ». Des chichas clandestines, il paraît qu’il y en a une à Bondy et une autre à Sevran, mais il faut connaître le propriétaire, qui n’ouvre qu’aux personnes de confiance. Secrète est la nuit.

Des cimes aux abîmes

D’autres vont s’enivrer des odeurs des fleurs et de la terre humide au sommet du Sacré-Cœur. Après 22 heures, l’esplanade devant la basilique est le lieu préféré des couples d’amoureux. Ils se tiennent à distance les uns des autres, pétrifiés par le mélange des sensations : la beauté du panorama, la force du silence, la puissance des fragrances, la fraîcheur de la brise d’air pur qui donne le sentiment d’être en altitude. Roxanne et Thomas, tous deux étudiants, sont comme hypnotisés par la lune rousse qui a des allures de « soleil cou coupé » d’Apollinaire. « C’est une période dure, constate Thomas, mais je vois aussi beaucoup de solidarité entre voisins, des gens qui font connaissance à l’échelle de leur immeuble et s’organisent pour les plus démunis. » Tendre est la nuit.

Cent trente mètres plus bas, au pied de la butte Montmartre, commence le royaume de l’infortune. Barbès, La Chapelle, Stalingrad, autre axe de la misère, ouest-est celui-là. A Stalingrad, trois distributions de nourriture avaient lieu simultanément la veille de Pâques pour les sans-abris de la Rotonde. C’est là que se rassemblent le plus grand nombre de SDF dans la capitale, dont nombre de toxicomanes depuis que la « colline du crack », à la porte de la Chapelle, a été évacuée. Dorian et Odile, qui travaillent dans une supérette bio des alentours, passent donner des invendus, surtout du pain. « Lorsqu’on a commencé les distributions, raconte Frédéric, bénévole pour autremonde, une association de lien social du 20e arrondissement, tout disparaissait en trente minutes. Depuis, les circuits de distribution se sont un peu réorganisés. »

« Nous n’avons pas vocation à distribuer de la nourriture, explique Marie Nardon, la présidente de l’association. Mais lors de notre première maraude d’après confinement, le 23 mars, nous avons constaté que les gens à la rue crevaient littéralement de faim. On a même vu quelqu’un échanger un sac de couchage pour un sandwich. Aujourd’hui, 70 bénévoles se relaient chaque semaine pour distribuer à manger et à boire. La Protection civile nous fournit les repas. Nous avons commencé aussi une distribution hebdomadaire dans nos locaux, parce qu’il y a la pauvreté invisible de ceux qui ne sont pas à la rue mais n’ont plus aucun revenu. Nous avons aussi, avec les autres associations, insisté pour la réouverture des sanisettes et toilettes publiques. D’après la mairie, 140 ont été remises en service. »

Hussein, un Turc bien mis que les aléas de la vie ont mené à la rue, voudrait trouver une place en foyer, à l’hôtel ou dans un gymnase. « N’importe quoi, mais pas la rue. Je ne dors pas la nuit car j’ai tout le temps peur. Seulement le 115 (SAMU social de Paris), quand j’arrive à l’avoir au téléphone, me répond qu’il n’y a plus de place. » « Il faudrait que l’Etat réquisitionne les logements de tourisme », suggère Mme Nardon.

La porte d’Aubervilliers est l’autre « cluster » de la misère à Paris. Les migrants chassés du campement de la porte de la Chapelle s’y sont installés. Ils passent le plus clair de la journée regroupés par langue ou par nationalité sur l’espace vert entre les deux voies qui mènent au boulevard périphérique. C’est là qu’associations et particuliers viennent distribuer de l’aide. Dorothée est venue le dimanche de Pâques à la tombée de la nuit. Cette esthéticienne d’une soixantaine d’années avait récolté deux chariots auprès des commerçants dans son quartier, dans le 19e arrondissement. Mais le premier a disparu aux mains d’un groupe de jeunes partis le revendre. Le second est dédaigné, car essentiellement constitué de sandwichs au jambon : « Je ne comprends pas, se récrie la femme, peu au fait des interdits alimentaires musulmans. Quand on a faim, on fait pas le difficile. » Drôle de bonne samaritaine ! Elle est venue de son propre chef, sans association, ni masque ni gants. « Je suis contre Pasteur, et de plus, je suis en très bonne santé », se persuade-t-elle.

La plupart des migrants présents disent se soucier du Covid-19 comme d’une guigne. « On n’a rien à perdre, ni foyer ni argent. Alors le corona…, explique Omar, un Ethiopien, entouré de compatriotes et d’amis érythréens ou somaliens. En fait, je voudrais bien dormir ailleurs que sur des cartons ou caché sous un pont. Mais pas dans un gymnase, collés les uns aux autres. L’autre jour, ils [les policiers] ont mis une centaine d’entre nous dans un bus. » Longue pause. « Au fait, vous croyez qu’on va nous arrêter si on va dans un hôpital ? J’ai un copain qui tousse depuis plusieurs jours. » Cruelle est la nuit à Paris.

17 avril 2020

Iris Brosch

iris bro

17 avril 2020

La bonne répartie....

vge et chirac

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