Par Cécile Bouanchaud, Simon Piel
Le couple a été placé sous contrôle judiciaire mardi. Le bâtonnier de Paris a par ailleurs demandé mercredi à l’avocat Juan Branco de renoncer à défendre l’activiste russe.
Après quarante-huit heures de garde à vue, une nuit dans des cellules du tribunal judiciaire de Paris et une audition devant la juge d’instruction, l’activiste russe, Piotr Pavlenski, 35 ans, et sa compagne, Alexandra de Taddeo, 29 ans, ont été mis en examen, mardi 18 février, a fait savoir une source judiciaire au Monde.
Placé sous contrôle judiciaire, le couple est mis en examen pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « diffusion sans l’accord de la personne d’images à caractère sexuel », pour son rôle dans la conservation, la transmission et la diffusion des vidéos intimes de l’ancien candidat à la Mairie de Paris, Benjamin Griveaux.
En revanche, l’activiste russe n’a pas été mis en examen dans la seconde information judiciaire le visant. Celle-ci concerne des faits de violence avec arme commis, le 31 décembre, à l’occasion d’une soirée organisée par l’avocat Juan Branco. Alors que le parquet de Paris avait requis dans cette affaire le placement en détention provisoire du Russe, réfugié politique en France depuis 2017, ce dernier a été remis en liberté dans la soirée, dans l’attente de son audition par un juge d’instruction dans les prochains jours.
Déjà condamné l’année dernière pour avoir incendié en octobre 2017 la façade d’une succursale de la Banque de France place de la Bastille, à Paris, l’activiste a assumé la diffusion des vidéos de l’ancien porte-parole du gouvernement. « Bien sûr, je suis content d’avoir fait ça », a-t-il déclaré mardi soir, à sa sortie du tribunal. Pour ce faire, un site Internet, désormais inaccessible, avait été créé. Il a justifié son geste en dénonçant l’« hypocrisie » de M. Griveaux, qui « a utilisé sa famille en se présentant en icône pour tous les pères et maris de Paris » selon lui.
« Extrêmement fatiguée »
Durant son audition, Mme Taddeo a, quant à elle, « reconnu sans objection » être destinataire des images à caractère sexuel de Benjamin Griveaux, a fait savoir son avocate, Noémie Saidi-Cottier. « Elle les a gardées, pas pour les diffuser sur un site Internet, elle les a gardées pour les garder », a-t-elle ajouté, précisant que sa cliente avait interdiction d’entrer en contact avec son compagnon.
« Sa position est claire, elle conteste son implication dans la diffusion des images », a expliqué l’avocate, précisant que sa cliente apportait toutefois « son soutien total à son petit ami ». Selon une source proche du dossier citée par l’Agence France-Presse (AFP), l’étudiante aurait également en sa possession d’autres vidéos de M. Griveaux.
Mme Saidi-Cottier, qui est membre de l’Alliance des avocats pour les droits de l’homme, où Alexandra de Taddeo a effectué un stage l’an dernier, a décrit sa cliente comme étant « extrêmement fatiguée » et « un peu à bout ».
Cela explique, d’après son avocate, qu’elle n’ait « pas fait de déclarations » à la juge ce mardi, même si « elle a coopéré au cours de la garde à vue, tout le long, elle a donné les codes de son téléphone, elle a répondu à chacune des questions ». Alexandra de Taddeo, qui n’est pas apparue devant la presse mardi, « parlera aux médias quand elle s’en sentira le courage », a ajouté son avocate.
Selon Le Parisien, au cours de sa garde à vue, Alexandra de Taddeo a déclaré ignorer comment Piotr Pavlenski avait pu se retrouver en possession des images de Benjamin Griveaux qu’elle avait conservées dans son téléphone. Elle a par ailleurs précisé qu’elle était étrangère à leur mise en ligne sur le site Pornopolitique, rendu depuis inaccessible.
Enquête déontologique
Toujours selon Le Parisien, l’artiste russe a, lui, gardé le silence tout au long de sa garde à vue dans les locaux de la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Elle avait d’abord été marquée par un imbroglio autour de la constitution de sa défense. Le parquet de Paris ayant décidé de soulever l’existence d’un possible conflit d’intérêts pour Juan Branco, l’avocat sollicité par l’artiste russe, compte tenu de la proximité entretenue avec son client.
Le bâtonnier de Paris, Me Olivier Cousi, a finalement demandé à Juan Branco de renoncer à défendre Piotr Pavlenski, a annoncé mercredi 19 février le barreau dans un communiqué. Procéduralement, le parquet ne peut pas s’opposer seul au choix d’un avocat mais il peut, lorsqu’il redoute un conflit d’intérêts, saisir le bâtonnier pour qu’il tranche la question. Au cours de l’enquête déontologique annoncée lundi par ce dernier, « il n’a pas été relevé de conflit d’intérêts avéré (…) pouvant être opposé à M. Juan Branco », indique le communiqué.
« Toutefois, l’absence de distance manifestée par M. Juan Branco entre sa mission d’avocat et l’action reprochée à son client, ainsi que son absence de prudence lors de déclarations dans les médias l’exposaient à un risque de manquement aux principes essentiels, notamment d’indépendance et de prudence », ajoute-t-il.
La défense de l’activiste est désormais assurée par Me Yassine Bouzrou. Cet avocat est habitué des dossiers médiatiques, notamment connu pour avoir été le premier avocat de Tariq Ramadan dans la procédure où l’islamologue est accusé de viols, ou de la famille d’Adama Traoré, un jeune homme de 24 ans mort en 2016 après une course-poursuite avec les forces de l’ordre.
« Cette enquête a été catastrophique avec des violations énormes des droits de la défense. Mon confrère, Juan Branco, qui était désigné, mais la justice, la police, en tous les cas le parquet a refusé que mon confrère puisse intervenir », a commenté M. Bouzrou en sortant de l’audition de son client, jugeant la situation « extrêmement grave ».
« L’enquête ne fait que démarrer »
Sans pour autant avancer de quelconques éléments, plusieurs voix se sont fait entendre lundi, s’interrogeant sur la possibilité de l’existence de complices dans l’action qui a conduit à la chute de Benjamin Griveaux. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a déclaré que Pavlenski avait « sans doute été aidé », précisant toutefois que « l’enquête ne fait que démarrer ».
Quand Piotr Pavlenski et Alexandra de Taddeo se sont-ils rencontrés pour la première fois ? Pour quelles raisons cette dernière a-t-elle conservé les vidéos envoyées par Benjamin Griveaux ? Juan Branco a-t-il, comme il l’affirme, simplement apporté des conseils sur les risques judiciaires encourus après une telle publication ? Qui a apporté à l’activiste le savoir-faire technique nécessaire à la création de son site Internet et à la rédaction d’un texte en français ? Autant de questions dont les réponses permettront de dessiner plus précisément les contours réels de l’affaire Griveaux.