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Jours tranquilles à Paris

5 janvier 2020

Le sport, arme de séduction massive pour l’Arabie saoudite

Par Elisabeth Pineau

A l’image du Dakar, organisé pour la première fois dans le pays du 5 au 17 janvier, le royaume développe une stratégie sportive tous azimuts, après l’avoir longtemps négligée.

« Un défi pour ceux qui partent. Du rêve pour ceux qui restent. » Quarante-trois ans après, la devise imaginée par Thierry Sabine à la création du Paris-Dakar est plus que jamais d’actualité, à en croire ses nouveaux hôtes. Après avoir sillonné l’Afrique pendant vingt-neuf ans puis l’Amérique du Sud lors de onze éditions, le rallye-raid d’Amaury Sport Organisation (ASO) plante son décor dans le Golfe.

Du 5 au 17 janvier, la première édition en Arabie saoudite mènera les 351 engagés des rives de la mer Rouge aux terrains montagneux du nord, des rochers de la vallée d’Al-Ula au désert inhospitalier de l’Empty Quarter, dans le sud, l’une des plus grandes étendues de sable au monde. « Dans l’ADN du Dakar, il y a toujours eu la découverte de nouveaux territoires et de populations. C’est un terrain sportif inégalé », justifie Yann Le Moenner, directeur général d’ASO.

En signant un bail de cinq ans pour accueillir la course reine du rallye-raid sur son sol, Riyad s’achète une crédibilité sportive. Et met la gomme tous azimuts. Du 8 au 12 janvier, Djedda doit accueillir la Supercoupe d’Espagne de football (demi-finale et finale), avec le Real Madrid et le FC Barcelone notamment, après celle d’Italie, organisée trois semaines plus tôt. Viendront ensuite un tournoi de golf, le Saudi International (du 30 janvier au 2 février), puis le Saudi Tour (du 4 au 8 février), nouvelle épreuve cycliste lancée par ASO, et enfin, le 29 février, la Saudi Cup, course hippique.

A la fin de 2019, des bolides de Formule électrique avaient sillonné les rues de Diriyah, dans la banlieue de la capitale, théâtre de la revanche du boxeur britannique Anthony Joshua sur l’Américain Andy Ruiz Jr dans une enceinte éphémère qui a ensuite servi à une exhibition de tennis où se sont notamment pressés Stan Wawrinka, Daniil Medvedev, Lucas Pouille et Gaël Monfils.

« Donner à voir une vitrine plus positive »

A défaut de voir ses sportifs briller – 3 médailles aux Jeux olympiques en onze participations, aucune en or –, Riyad veut rattraper son retard sur les Emirats arabes unis et, surtout, le Qatar, le voisin honni avec lequel il a suspendu, en juin 2017, ses relations diplomatiques et commerciales, l’accusant de « soutenir le terrorisme ».

« S’il y a quelques années, le fait d’associer sport et Arabie saoudite était incongru, cet investissement est de plus en plus en train de s’ancrer, avec des “gros coups”, relève Carole Gomez, chercheuse en géopolitique du sport à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Derrière, il y a une volonté de diversification de l’économie, très liée à la manne énergétique. Et le souhait de donner à voir une vitrine plus positive à l’international. »

Ces ambitions s’inscrivent dans le plan de réformes « Vision 2030 » lancé en 2016 par le prince héritier Mohammed Ben Salman, dit « MBS », et destiné à préparer l’après-pétrole. Dernière illustration de l’opération séduction, depuis fin septembre 2019, Riyad délivre des visas aux touristes, jusque-là l’apanage des pèlerins de La Mecque, des expatriés et des hommes d’affaires.

En jouant la carte du soft power, la pétromonarchie tente de se racheter une image, entachée par la guerre au Yémen et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, et plombée par la question des droits humains. « Quoi de mieux qu’un Dakar ou un tour cycliste pour montrer les richesses naturelles de son pays et développer une image de carte postale ? », résume Raphaël Le Magoariec, doctorant à l’université de Tours, qui prépare une thèse sur les politiques sportives des pays du Golfe.

Une stratégie de « sportwashing » qui détourne opportunément le regard, dénoncent les organisations des droits de l’homme. « Nous n’appelons pas au boycott, mais ces événements sportifs ne doivent pas cacher le bilan désastreux du Royaume en matière de droits humains, rappelle Katia Roux, d’Amnesty International France. Les autorités saoudiennes répriment de manière systématique toutes les voix critiques et procèdent à des arrestations arbitraires. Par ailleurs, ça reste l’un des pays où l’on exécute le plus au monde. »

A grands coups de pétrodollars

Pour rafler la mise et se muer en vaste terrain de sport, le Royaume n’est pas regardant au moment de sortir le carnet de chèque. A grands coups de pétrodollars, il convainc les organisateurs de revoir leurs plans pour délocaliser les compétitions.

Pour le Dakar, on parle d’une rente annuelle de 15 millions d’euros contre 1,8 à 4,5 millions selon les pays quand la course se disputait en Amérique du Sud. Pour s’offrir la Supercoupe d’Espagne pour trois ans à Djedda, il en aurait coûté 120 millions d’euros, selon le quotidien espagnol As.

Plus de 100 millions de dollars (environ 90 millions d’euros) auraient été mis sur la table pour accueillir le « clash des dunes » entre les boxeurs Joshua et Ruiz Jr le 7 décembre 2019. Quant à la Saudi Cup, elle est devenue la course d’équitation la plus richement dotée (20 millions de dollars, dont 10 millions pour le vainqueur), détrônant la Pegasus Cup aux Etats-Unis.

« Ils disposent d’une telle manne qu’ils investissent massivement dans de grandes compétitions, mais tout est fait de manière soudaine, ça manque de visibilité à long terme, constate Raphaël Le Magoariec. Au contraire du Qatar, qui a fait appel à tout un panel d’acteurs du sport pour développer sa stratégie sportive. »

Avec de tels cachets, rares sont les sportifs, comme le golfeur nord-irlandais Rory McIlroy, à boycotter les événements sur le sol saoudien. Fin 2018, un match exhibition prévu à Riyad entre Rafael Nadal et Novak Djokovic avait été annulé au dernier moment en raison d’une blessure providentielle de l’Espagnol. Loin d’abandonner l’idée, Riyad a convié huit autres stars du tennis trois jours à Dariya, mi-décembre 2019, avec à la clé 3 millions de dollars de dotation.

« Quand la proposition m’a été faite, je me suis posé la question [d’y aller ou pas] vu le contexte politique. Mais l’aspect sportif est passé au-dessus, j’ai plus vu ça comme une belle opportunité de préparer la saison », convient le joueur belge David Goffin. Mêmes éléments de langage chez Lucas Pouille. « De ce que je sais, le sport en Arabie saoudite a vraiment commencé à aider et inspirer les gens. Je reste un joueur de tennis, pas un politicien », déclare le Français.

Disneyland du sport

« On fait comme si c’était un territoire comme les autres, déplore Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme. C’est de la responsabilité des investisseurs sportifs de savoir s’ils peuvent accepter cet argent et, surtout, si l’esprit du sport qu’ils véhiculent peut être librement exprimé à ces moments-là. »

Les organisateurs du Dakar, eux, assurent ne pas avoir nourri de crainte de voir leur image pâtir. « Nous n’avons pas émis de réserves, mais nous leur avons posé des questions légitimes. Pour voir si on était en phase sur la partie sportive, mais aussi pour savoir si les femmes pouvaient participer à l’épreuve, rétorque Yann Le Moenner, le directeur général du Dakar. Toutes les réponses n’ont fait que renforcer notre volonté d’avancer avec eux dans ce projet, qui va au-delà du rayonnement du territoire. »

Le développement du sport répond aussi à des considérations sociales : satisfaire les attentes d’une population jeune – 70 % des 30 millions de Saoudiens ont moins de 30 ans – lassée des archaïsmes du royaume wahhabite. Mais aussi de santé publique. Le président de l’Autorité générale des sports, Abdulaziz bin Turki Al Saud, s’en ouvrait récemment à la BBC : « En 2015, seulement 13 % des Saoudiens pratiquaient une activité sportive une demi-heure ou plus par semaine. L’objectif est d’atteindre les 40 % d’ici à 2030. »

L’ancien pilote automobile espère faire sortir du sable un nouveau circuit de formule 1 à proximité d’Al-Qiddiya, région semi-désertique qui doit devenir d’ici trois ans le Disneyland saoudien du sport. Et songe déjà aux nouveaux terrains de jeu qui accompagneront la construction ex nihilo de Neom, mégapole futuriste de la taille de la Bretagne, projet estimé à 500 milliards de dollars.

« En matière d’accueil d’événements sportifs, le ciel est notre limite », se targue Abdulaziz bin Turki Al Saud. D’ici là, le Royaume brûle de voir dissipés les épais nuages qui assombrissent sa diplomatie.

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5 janvier 2020

Kate Moss

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5 janvier 2020

Deux avocates médiatiques s’affronteront au procès Weinstein

Par Stéphanie Le Bars, Washington, correspondance

Le procès pénal du producteur s’ouvrira le 6 janvier, à New York. Du côté de la défense, Donna Rotunno, contemptrice du mouvement #metoo. Face à elle, Gloria Allred, figure de la lutte contre les prédateurs sexuels.

Au centre se tiendra un homme. Autour, des femmes, nombreuses : victimes, accusatrices, et avocates. Le procès au pénal, pour agressions sexuelles, de l’ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein, qui doit s’ouvrir lundi 6 janvier à New York, est hors normes à plus d’un titre. Deux affaires seulement seront au cœur des débats : la plainte d’une de ses anciennes maîtresses, l’accusant de l’avoir violée en 2013, et celle d’une assistante de production assurant avoir subi ses assauts en 2006. De quoi faire risquer à l’accusé la prison à perpétuité.

Mais d’autres ombres planeront sur le tribunal, celles de plusieurs dizaines de femmes, 87 selon un décompte de USA Today, qui, ces deux dernières années, ont accusé le sexagénaire d’agressions sexuelles. Des témoignages qui ont contribué à enclencher le mouvement #metoo.

Un sous-texte sociétal

Cette situation pénale au sous-texte évidemment sociétal ne semble pas déplaire à Donna Rotunno. À 43 ans, l’avocate vedette d’Harvey Weinstein en est convaincue : son client, qui a réfuté toutes les charges, en sortira blanchi. Cheveux longs, visage taillé au couteau, la jeune femme a pris en juillet, avec son collaborateur Damon Cheronis, la relève de l’équipe d’avocats remerciée par le producteur. Un pari audacieux à quelques semaines seulement du début du procès alors prévu en septembre. Mais la confiance en soi n’est visiblement pas ce qui manque à Donna Rotunno.

« BEAUCOUP DE CES SUPPOSÉES PLAINTES VIENNENT DE PERSONNES QUI ONT DÉNONCÉ DES ÉCHANGES EMBARRASSANTS MAIS PAS ILLÉGAUX. » DONNA ROTUNNO

La juriste assume une forme d’esprit critique face à la vague #metoo et à cette armée de femmes qui a dénoncé gestes déplacés et agressions traumatisantes de la part de son client. « Beaucoup de ces supposées plaintes viennent de personnes qui ont dénoncé des échanges embarrassants mais pas illégaux », expliquait-elle en juillet dans une tribune publiée par Newsweek.

Forte de cette logique, l’avocate de Chicago entend faire passer son client pour un être à la moralité certes discutable, mais en aucun cas pour un criminel. Harvey Weinstein a commis des « péchés » mais « il n’est pas un violeur », a-t-elle répété sur CBS News en septembre. Sans craindre le mélange des genres, la juriste, élevée dans la religion catholique, a cru bon de préciser : « Il y a une différence entre un péché et un crime. »

Déterminée à jeter un doute sur l’absence de consentement des femmes harcelées par Harvey Weinstein, elle s’en tient à un credo, pourtant régulièrement démenti par les psychologues : à ses yeux, une femme a « toujours le choix ». « Lorsqu’on parle de relations sexuelles entre un homme et une femme, on doit prendre en compte le fait qu’il y a toujours une zone grise, où se brouillent les lignes. » Un territoire flou dans lequel auraient navigué « 60 % des hommes » qu’elle a défendus, avec succès.

« La bouledogue des salles d’audience »

Cette critique assumée de #metoo est cohérente avec la carrière de cette ex-procureure spécialisée dans la défense des hommes accusés d’agressions sexuelles, très attachée au principe de présomption d’innocence. En quinze ans, « la bouledogue des salles d’audience », comme l’a surnommée un de ses clients, a sauvé l’honneur d’une quarantaine d’hommes, célèbres ou anonymes.

« DANS LE DROIT ACTUEL, LE SEUL CRIME POUR LEQUEL UNE PERSONNE PEUT ÊTRE POURSUIVIE SANS LA MOINDRE PREUVE EST L’AGRESSION SEXUELLE. » DONNA ROTUNNO

De manière décomplexée, Donna Rotunno assume une stratégie de défense agressive. Son statut de femme lui autoriserait une liberté de ton à l’égard des accusatrices qu’aucun homme ne pourrait se permettre. « Si un avocat homme interroge un témoin femme avec la même acrimonie que moi, il passe pour une brute. Quand je le fais, personne ne lève un sourcil. »

Cette méthode éprouvée s’ajoute à la conviction que, « dans le droit actuel, le seul crime pour lequel une personne peut être poursuivie sans la moindre preuve est l’agression sexuelle ». Un de ses rares procès perdus la « hante » encore : celui d’un jeune footballeur noir de 17 ans, condamné à une peine de seize ans de prison malgré l’absence de toute trace physique sur le corps de la victime.

Quitte à tordre la réalité et les chiffres, Donna Rotunno juge que la police, la justice et les médias ont tendance à croire les femmes sur parole, transformant l’opinion publique en tribunal expéditif. « Or, tout le monde a droit à une défense », explique-t-elle aussi. Même les violeurs. Sa seule limite éthique : elle refuse de défendre les personnes accusées de violences envers des enfants.

Une ardente défenseuse de #metoo

Face à cette montagne de certitudes et de brutalité assumée, Gloria Allred, une autre vedette des prétoires américains, se prépare à la confrontation, par médias interposés. L’avocate californienne des victimes de Weinstein, 78 ans, dont plus de quatre décennies d’engagement auprès des femmes et des minorités, connue pour avoir assuré la défense des victimes de l’acteur Bill Cosby, de la famille de l’épouse assassinée du footballeur O.J. Simpson, a déjà un avis sur son adversaire professionnelle. « Une brute est une brute, quel que soit son sexe. »

« AUCUNE FEMME NE DEVRAIT ÊTRE AMENÉE À PENSER QU’UNE AGRESSION SEXUELLE RELÈVE DE SA FAUTE OU DE SON CHOIX. » GLORIA ALLRED

Ardente défenseuse de #metoo, Gloria Allred est convaincue qu’« aucune femme ne devrait être amenée à penser qu’une agression sexuelle relève de sa faute ou de son choix ». Une approche, aux antipodes des convictions de Donna Rotunno, qui promet des échanges au couteau entre les deux ténors. Car les deux avocates se rejoignent sur un seul point. Le procès Weinstein sera aussi une bataille médiatique.

Jouer avec l’opinion publique

En mission pour « faire peur aux hommes qui font du mal aux femmes », Gloria Allred ne dédaigne pas de jouer avec l’opinion publique pour parvenir à ses fins. L’exposition médiatique – forcément poignante – de ses clientes lui vaut d’ailleurs des critiques, tout comme sa stratégie de défense, en partie fondée sur des arrangements à l’amiable.

Dans le livre She Said : Breaking the Sexual Harassment Story That Helped Ignite a Movement, publié en septembre dernier sur l’affaire Weinstein (Random House, non traduit), Jodi Kantor et Megan Twohey, les deux journalistes du New York Times qui ont publié la première enquête sur le producteur, remettent en cause ses pratiques. En incitant ses clientes à accepter des compensations financières contre leur silence, Allred contribuerait à protéger les prédateurs. Dès 2004, son cabinet avait négocié le paiement de 125 000 dollars à une actrice qui accusait Harvey Weinstein.

Celle qui se targue d’avoir fait gagner des millions de dollars en dommages et intérêts à ses clientes a rétorqué à ces accusations dans le Los Angeles Times, expliquant en substance que les victimes n’ayant pas choisi d’être violées ou agressées, la moindre des choses était de leur laisser le choix de régler leur affaire comme elles l’entendent : dans les bureaux discrets d’un cabinet d’avocat ou devant un tribunal. Dans l’affaire Weinstein, seules deux femmes ont choisi la seconde option. Une trentaine d’autres, représentées par plusieurs avocats et avocates, ont trouvé un accord à hauteur de 25 millions de dollars.

5 janvier 2020

Bientôt en salles...

benedetta (1)

5 janvier 2020

Entretien - Réforme des retraites

Entretien - Réforme des retraites : « La multiplication de traitements particuliers revient à reproduire une floraison de “mini-régimes” »

Par Bertrand Bissuel

La notion de système universel de retraites, mise en avant par l’exécutif, est ambiguë, avance le professeur Michel Borgetto dans un entretien au « Monde ».

Professeur à l’université Paris-II (Panthéon-Assas) et directeur de la Revue de droit sanitaire et social, Michel Borgetto explique que la notion d’universalité, mise en avant par le gouvernement pour justifier sa réforme des retraites, est porteuse d’ambiguïté : elle ne garantit nullement que le principe d’égalité sera consacré, contrairement à ce que voudrait suggérer l’exécutif.

Le gouvernement a fait de l’universalité l’un des principes-clés de sa réforme des retraites : que faut-il entendre par là ?

En matière de protection sociale, le principe d’universalité donne lieu à plusieurs usages ou acceptions. Dans son acception la plus courante, il se trouve le plus souvent associé à celui de généralisation ; il renvoie alors au mouvement ayant consisté à ouvrir à l’ensemble de la population (et non pas aux seuls travailleurs) le bénéfice de la couverture contre un nombre étendu de risques sociaux (maladie, vieillesse, etc.). Dans une acception plus technique, il désigne le régime juridique de la prestation servie à l’individu : celle-ci étant considérée comme universelle lorsque son bénéfice est ouvert à tous et n’est pas subordonné à une condition de ressources.

Dire que la réforme en cours a pour objet d’instituer un régime « universel » de retraite apparaît, dans cette perspective, quelque peu discutable : cette réforme se proposant non pas d’étendre la couverture du risque vieillesse à des personnes qui, jusqu’alors, n’en bénéficiaient pas mais bien plutôt – ce qui n’est pas du tout la même chose – d’instituer un régime unique ou, pour reprendre la formule du rapport Delevoye, un « système commun à tous les Français »…

Cet objectif d’universalité n’est-il pas en train d’être abandonné, compte tenu des aménagements successifs qui ont été annoncés pour répondre à des attentes catégorielles ou sectorielles ?

En se référant au principe d’universalité, les promoteurs de la réforme entendent accréditer une idée-force : celle selon laquelle ladite réforme serait porteuse d’égalité. De là, la reprise à satiété de la fameuse formule : « Un euro cotisé doit donner les mêmes droits pour tous »…

« LE FAIT QUE TOUS SOIENT SOUMIS À UN MÊME RÉGIME PRÉSENTÉ COMME UNIVERSEL NE SIGNIFIE NULLEMENT QUE SOIT CONSACRÉ LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ »

En réalité, le fait que tous soient soumis à un même et unique régime présenté comme universel ne signifie nullement que soit consacré, ipso facto, le principe d’égalité. On est en présence, ici, d’un débat classique, bien connu des juristes. Ou bien la règle est identique pour tous, quelles que soient les différences de situation pouvant exister entre les uns et les autres ; mais se trouve alors consacrée une égalité purement formelle et abstraite, aux antipodes de ce qu’exigerait une égalité bien comprise (c’est-à-dire réelle et concrète). Ou bien on entend, au contraire, tenir compte de la particularité des situations, mais on est alors conduit à opérer un grand nombre de différenciations, mettant à mal l’égalité formelle induite par l’universalité.

C’est ce que les pouvoirs publics ont, semble-t-il, compris, en annonçant des règles spécifiques pour les militaires, les policiers, gendarmes, pompiers, contrôleurs aériens, personnels pénitentiaires, etc. Reste cependant à se demander si la construction d’un système comportant autant d’exceptions a encore un sens au regard des objectifs censés le justifier…

Le gouvernement fait valoir qu’universalité ne veut pas dire uniformité ou système unique. N’est-ce pas un artifice pour habiller des concessions faites aux catégories les plus résolues à maintenir des dérogations à leur avantage ?

Sur ce point, le gouvernement a raison : universalité ne signifie pas uniformité. Si l’on en voulait une preuve, il suffirait d’évoquer le cas des allocations familiales : contrairement à ce que l’on avance parfois, celles-ci sont toujours universelles dans la mesure où elles continuent d’être versées à tous ceux qui ont la charge d’au moins deux enfants.

Cependant, depuis 2015, leur montant n’est plus uniforme puisqu’il varie, désormais, en fonction des revenus des intéressés. Mais, là encore, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’un discours mettant en avant la simplicité censée résulter d’un « système commun à tous » et la diversité générée par la multiplication de traitements particuliers au bénéfice de catégories sans cesse plus nombreuses…

L’objectif de lisibilité et de simplification, qui est également recherché à travers cette réforme, ne risque-t-il pas d’être perdu de vue ?

A l’évidence, oui ! Perdu de vue non pas seulement en raison de cette multiplication de

traitements particuliers, laquelle revient peu ou prou, qu’on le veuille ou non, à reproduire au sein du régime unique à points une floraison de « mini-régimes » propres à chacune des catégories dont on entend prendre en compte les intérêts spécifiques.

Mais perdu de vue, également, en raison de l’incertitude dans laquelle risque de se trouver tout un chacun s’agissant du montant de sa pension future : puisque la réforme se propose de substituer à un système à prestations définies un système à cotisations définies. Autrement dit : si chacun, à l’heure actuelle, peut connaître, à partir de ses annuités de cotisations (et ce, quand bien même il relèverait de plusieurs régimes différents), quel sera le montant de sa pension, il n’en va pas de même, en revanche, du pensionné du régime à points : puisque ce montant sera entièrement fonction de la valeur du point.

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5 janvier 2020

Anna Johansson

anna dans cuisine

5 janvier 2020

Des milliers de personnes ont manifesté contre la réforme des retraites

A Paris, plusieurs milliers ont défilé, samedi, de la gare de Lyon à la gare de l’Est. Des mobilisations ont également eu lieu à Marseille, Toulouse ou Caen.

Après un mois de grève contre la réforme des retraites, et à la veille d’une semaine décisive, de nouvelles manifestations ont eu lieu samedi 4 janvier à Paris et dans plusieurs villes de France.

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont manifesté, certaines arborant un gilet jaune, pour demander le retrait de la réforme, à l’appel des unions départementales CGT, FO, Solidaires et FSU. Derrière une banderole réclamant « Macron, retire ton projet, sauvegardons et améliorons nos retraites », le cortège est parti peu après 13 heures de la gare de Lyon et a atteint sa destination, la gare de l’Est, vers 16 heures.

Place de la Bastille, les manifestants, parmi lesquels aussi quelques blouses blanches et des enseignants, ont salué l’Opéra en scandant « la clause du grand-père, on n’en veut pas ! », en référence à la proposition qui a été faite aux danseurs de l’Opéra que seuls les nouveaux entrants ne bénéficient plus d’un départ à la retraite à 42 ans, proposition qu’ils ont rejetée.

« Il faut que les gens réfléchissent un peu à ce qu’ils veulent en termes de modèle de société », a déclaré Jean-Gabriel Mahéo, un technicien industriel se qualifiant de « gilet jaune ». « Si jamais le système qui est proposé passe, (…) ce sera une catastrophe sociale. »

Beaucoup d’opposants portaient pancartes et boîtes en carton tentant de collecter de l’argent pour aider les grévistes. « RER B, aidez-nous », disait l’une d’elles. La grève dans les transports est entrée samedi dans son deuxième mois, une durée inégalée qui a dépassé le précédent record établi en 1986-1987. Le trafic SNCF restait globalement perturbé pour les retours de vacances scolaires du week-end, tout comme à la RATP.

Des défilés à Marseille, Toulouse ou Caen

De son côté, la préfecture de police de Paris a interdit « tout rassemblement de personnes se revendiquant des “gilets jaunes” dans plusieurs secteurs de la capitale », notamment sur les Champs-Elysées, près de l’Elysée, dans le secteur de l’Assemblée nationale, de la cathédrale Notre-Dame et du Forum des Halles.

A Marseille également, quelques centaines de personnes ont manifesté au départ du Vieux-Port. Des « gilets jaunes » ont pris la tête du cortège sous un grand soleil, suivis par des militants CGT et Solidaires principalement.

Jean Bergue, 72 ans, retraité de France Télécom, ne compte plus ses manifestations contre la réforme des retraites : « J’en suis à la trentième peut-être », assure-t-il. Ce septuagénaire dénonce « un président qui veut monter les travailleurs les uns contre les autres » et « répond par le mépris » à la contestation sociale. A la rentrée, espère-t-il, « le mouvement va encore s’amplifier et se durcir, jusqu’au retrait total du texte ».

A Toulouse, plusieurs dizaines de « gilets jaunes » sont entrés dans la gare Matabiau et certains ont bloqué des rails en soutien aux cheminots grévistes. « Au départ, notre mouvement [des “gilets jaunes”] s’était dit apolitique, “asyndical”, mais on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous, car on se bat pour la même chose », a soutenu Carole, 54 ans, mégaphone à la main. Pour Olivier, un professeur de 53 ans, « les “gilets jaunes” et les syndicats ont tout intérêt à ne rien lâcher et à mettre ensemble en route une utopie, dont le peuple a viscéralement besoin ».

Le cortège a ensuite rejoint des centaines de manifestants dans les rues du centre-ville de Toulouse. Ils ont traversé sans heurts la place du Capitole, qui leur avait été interdite pendant des mois. « Si la police nous suit, c’est qu’elle n’a pas d’amis », ont scandé les manifestants à l’attention des CRS qui s’étaient positionnés dans les rues attenantes.

Selon France Bleu, plusieurs centaines de personnes ont manifesté au Mans ainsi qu’à Caen. Des opérations « péages gratuits » ont eu lieu samedi matin dans plusieurs villes : Vinci Autoroutes a fait état de manifestations au péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines, mais aussi à Perpignan, Nîmes, Béziers et Carcassonne.

Reprise de discussions

Cette journée d’action précède une semaine décisive, ponctuée par la reprise de discussions difficiles avec les syndicats et deux journées de manifestations : celle de jeudi 9 janvier, avec un appel de l’intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, Solidaires, FSU) à une journée interprofessionnelle de manifestations et de grèves. Puis celle de samedi 11, avec un appel à manifester dans tout le pays, lancé par l’intersyndicale rejointe par les syndicats de lycéens et d’étudiants UNEF et UNL.

Dès lundi, de nouveaux appels à la grève ont été déposés, notamment par les avocats, le 2e syndicat de pilote d’Air France et des fédérations d’infirmiers et de kinésithérapeutes. La CGT a promis un durcissement des blocages de raffineries, de terminaux pétroliers et de dépôts.

Mardi, les discussions reprendront après une pause de dix-sept jours où rien n’a évolué. La réunion avec les partenaires sociaux est prévue au ministère du travail, sous l’égide de Muriel Pénicaud, absente jusqu’à présent des négociations. Elle doit aborder la pénibilité, seule piste de tractation évoquée par Emmanuel Macron le 3 décembre, ainsi que l’emploi des seniors.

Le chef de l’Etat s’est redit déterminé à « mener à terme » la réforme et n’a rien lâché, notamment sur l’âge pivot de départ en retraite à 64 ans, qui a mis en colère les syndicats « réformistes » CFDT, CFTC et UNSA. Mais, à moins d’apparaître comme partisans d’un passage en force, M. Macron et son premier ministre n’ont plus que deux semaines pour trouver une solution avant la présentation de la réforme en conseil des ministres, la semaine du 20 janvier.

A gauche, union pour demander le retrait de la réforme. Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Fabien Roussel, Julien Bayou ou encore Philippe Martinez ont cosigné, parmi 65 personnalités de gauche, une tribune appelant au retrait de la réforme des retraites et à l’ouverture de « vraies négociations », publiée dans le Journal du dimanche du 5 janvier. Outre les dirigeants de La France insoumise, du Parti socialiste, du Parti communiste, d’Europe Ecologie-Les Verts ou de la CGT, figurent également les porte-parole du NPA Olivier Besancenot et Philippe Poutou et le coordinateur de Générations Guillaume Balas. A leurs côtés, des députés (Clémentine Autain…), députés européens (Raphaël Glucksmann…), sénateurs (Esther Benbassa…) mais aussi des acteurs (Josiane Balasko, Corinne Masiero), journalistes (Audrey Pulvar), sociologues, chercheurs…

5 janvier 2020

Le Parisien

une le parisien

5 janvier 2020

Chronique - Président Trump, an III : outrance et court-termisme diplomatique

Par Gilles Paris, Washington, correspondant

Avec l’élimination du général iranien Ghassem Soleimani, l’hôte de la Maison Blanche élève un poids moyen régional au rang de priorité absolue. Au point d’entraîner un renforcement militaire au Proche-Orient, alors qu’il rêve tout haut de s’en extraire.

Samedi 4 janvier, à l’avant dernier jour de ses vacances en Floride, Donald Trump s’en est retourné golfer. Il s’était abstenu la veille, au lendemain de l’assassinat à Bagdad du général iranien Ghassem Soleimani par un drone armé américain. Revenu ensuite dans son club de luxe de Mar-a-Lago, il a renoué avec l’outrance dont il usait face à la Corée du Nord en 2017 avant de trouver Kim Jong-un formidable.

trump iran99

Le président des Etats-Unis a ainsi suggéré qu’il était prêt à commettre des crimes de guerre en assurant que cinquante-deux sites iraniens « représentant les 52 otages américains pris par l’Iran il y a de nombreuses années » avaient d’ores et déjà été sélectionnés, « certains à un niveau très élevé et importants pour l’Iran et la culture iranienne ». « Ces cibles, et l’Iran lui-même, SERONT TRÈS RAPIDEMENT ET TRÈS DUREMENT FRAPPÉS » à la moindre riposte conséquente de Téhéran à l’assassinat du général, a affirmé Donald Trump. Une riche idée pour unir les Iraniens derrière un régime pourtant honni par un certain nombre d’entre eux.

La réélection d’abord, la politique étrangère ensuite

Au lendemain d’une décision sans doute majeure de son mandat, le milliardaire avait consacré plus de temps à son électorat chrétien évangélique, rassemblé dans une méga église de Miami, qu’à expliquer à ses concitoyens en quoi l’élimination d’une figure centrale du régime iranien, certes aussi malfaisante qu’on puisse l’imaginer, s’inscrivait dans la stratégie des Etats-Unis.

Cette répartition du temps présidentiel a témoigné de l’ordre des priorités de Donald Trump : la réélection d’abord, la politique étrangère ensuite, subordonnée d’ailleurs à la première. Bombarder les affreux suffit en effet à faire frétiller d’allégresse l’électeur républicain, sans que ce dernier n’ait besoin d’en savoir nécessairement beaucoup sur le pedigree de ceux qui hurlent « Mort à l’Amérique ! ». Le président qui aime tant l’image de la force apparaît ainsi à son avantage, comme celui qui ose quand les autres se perdent en conjectures.

La frappe du 2 janvier a souligné ainsi l’une des caractéristiques de sa présidence. La question de l’élimination du patron des forces Al-Qods, les forces spéciales des gardiens de la révolution, était aussi vieille que ses faits d’armes à Washington. Mais les prédécesseurs du milliardaire l’avaient analysée selon les critères classiques de coûts et de bénéfices, pour en conclure que les premiers dépassaient de beaucoup les seconds. Pour Donald Trump, il suffit de prendre le contre-pied du démocrate Barack Obama et du républicain George W. Bush, de laisser parler un fâcheux penchant pour le court-termisme, le spectaculaire, et au diable les conséquences.

Trumpisation du Pentagone

La première, dans l’immédiat, est le constat de trumpisation du Pentagone et du Conseil à la sécurité nationale. Sous les égides éclairées du premier secrétaire à la défense du président, James Mattis, et de son deuxième conseiller à la sécurité nationale, H. R. McMaster, une vision stratégique avait été exposée qui privilégiait un recentrage des Etats-Unis sur la compétition entre « grandes puissances », soit avec la Chine et la Russie.

Et voilà que Washington élève un poids moyen régional, économiquement exsangue et politiquement affaibli, au rang de priorité absolue, au point d’entraîner un renforcement militaire américain au Proche-Orient, alors que Donald Trump rêve au contraire tout haut de s’en extraire. La présence américaine en Irak est désormais plus fragile que jamais seize ans après son invasion et la capacité des Etats-Unis d’empêcher une résurgence de l’organisation Etat islamique compromise. L’ennuyeux est que personne, dans l’entourage du président, n’a manifestement eu le loisir d’exposer dans le détail une batterie de contre-arguments.

Le mandat de Donald Trump avait été jusqu’à présent relativement épargné par les crises internationales, l’heure de la mise à l’épreuve est peut-être venue.

5 janvier 2020

GLISSEMENTS PROGRESSIFS DU PLAISIR (1974) - De Alain Robbe-Grillet

glissements

Avec Anicee Alvina (ci-dessus)

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