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Jours tranquilles à Paris

31 octobre 2019

Entretien Jean-Paul Goude : « J’ai toujours été du côté de ceux qui défendent le mélange et le métissage »

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Par Michel Guerrin

Invité de l’album de Reporters sans frontières « 100 images pour la liberté de la presse », le créateur s’explique sur la notion d’appropriation culturelle, centrale dans son travail.

Jean-Paul Goude, 78 ans, est l’un des plus importants créateurs de la seconde moitié du XXe siècle. Pour révéler son époque, voire la devancer, il produit des images d’une grande force graphique, mêlant spectaculaire, ironie et références culturelles multiples. Dessinateur, photographe, metteur en scène, cinéaste, chorégraphe, il joue sur tous les tableaux. Son univers révèle un goût prononcé pour l’exotisme, la danse et les transformations identitaires.

On doit ainsi à Jean-Paul Goude l’invention du « style minet » dans le Paris de l’avant-Mai 68, de la « French Correction » – améliorer les proportions du corps au moyen de prothèses – au début des années 1970, du « style black » au début des années 1980 et du « style beur » un peu plus tard. En 1989, pour le 14-Juillet, il crée un défilé métissé sur les Champs-Elysées, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française.

En s’installant à New York, en 1970, pour devenir directeur artistique du mensuel Esquire qui, sous l’impulsion d’Harold Hayes, met en avant le nouveau journalisme et les modes de vie, Jean-Paul Goude vit au quotidien dans le bouillon de la culture noire américaine, qui sera centrale dans son travail.

Il impose son style dans le portrait, la mode et la publicité, donnant aux genres une patte arty, comme le prouvent ces travaux – photos ou films – pour Kodak, Chanel (des mannequins au balcon d’un palace pour le parfum Egoïste en 1990, Vanessa Paradis en cage pour le parfum Coco en 1992), Perrier, Cacharel, Kenzo, Jean Paul Gaultier, Azzedine Alaïa, John Galliano, Harper’s Bazaar, les Galeries Lafayette et tant d’autres.

La plupart de ses créations ont été réunies dans le livre Tout Goude (La Martinière, 2005). Il est aussi exposé dans le monde entier, notamment en 2011 au Musée des Arts décoratifs, à Paris.

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Que signifie pour vous la liberté de la presse ?

C’est un slogan, qui a ses mérites, comme tout slogan, mais qui m’est a priori étranger, au sens où je n’ai pas souffert des violences du monde et où mon travail n’a pas été entravé par les censures d’Etat. J’ai travaillé pour nombre de magazines, mais sans être journaliste. Je suis un artisan artiste qui explore la fiction. Je suis pleinement heureux en studio, comme je l’étais quand je dessinais dans ma chambre d’enfant, à Saint-Mandé [Val-de-Marne]. Je suis un illustrateur qui essaie de coller à l’époque. Je me situe donc dans un entre-deux : entre le reportage et l’art.

Vos images des années 1970 et 1980 autour du métissage des cultures ne heurtent-elles pas aujourd’hui les revendications communautaires – les Noirs, les femmes, les homosexuels, les Amérindiens, etc. ?

Oui, nombre d’images d’antan qui m’ont valu des louanges ne peuvent plus être montrées ou publiées. J’ai décliné récemment une invitation à exposer mon travail à New York, car il m’aurait fallu retirer trop d’œuvres importantes. La vulgate autour de l’appropriation culturelle, le blackface, le décolonialisme, tout cela est un cauchemar pour moi.

L’anachronisme devient la norme : on juge mes images du passé dans le contexte d’aujourd’hui. A ce compte, une bonne partie des œuvres d’art qui marquent l’histoire sont condamnables. Cet anachronisme est imposé par de nouveaux inquisiteurs, qui considèrent l’art non plus sous l’angle esthétique ou culturel, mais communautaire.

Quelles images posent problème ?

Beaucoup. Celle de Grace Jones que je photographie nue et en cage est un bon exemple, car si on ne donne pas le contexte, on peut me jeter en prison. Nous sommes en 1978, à New York, pour une performance au Roseland Ballroom, salle mythique prisée de la communauté gay – Grace Jones était une icône gay. C’est la nuit d’Halloween, il y a 2 000 personnes dans la salle, presque toutes travesties.

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Avec Grace, nous devons aller loin dans la provocation, afin de capter l’attention d’un public qui n’attend que ça, à une époque où tout est possible. D’où ce « numéro » : Grace, grimée en tigresse, interprète son tube Do or Die, tout en marchant à quatre pattes autour d’un vrai tigre en cage. Au moment précis où elle ouvre la cage, coup de théâtre ! La lumière s’éteint. Effroi dans la salle. Quelques secondes passent et la lumière se rallume. Le vrai tigre a disparu, Grace est seule dans la cage, mâchonnant un morceau de viande factice.

On oublie le spectacle, alors que l’image reste…

L’image en question servait de carton d’invitation au concert, et j’ai cru bon d’ajouter un panneau sur la cage : « Do not feed the animal ! » (« ne pas donner à manger à l’animal »). C’est vrai, j’y suis allé un peu fort. Mais il faut savoir qu’à l’époque, pour un oui ou pour un non, Grace Jones cultivait son rôle de mangeuse d’hommes. Elle adorait poser en bête sauvage et jouait de cette réputation.

Regrettez-vous d’avoir créé cette image ?

A l’époque, pas le moins du monde. Elle figure en couverture de mon premier livre, Jungle Fever, paru en 1981. Harold Hayes, le rédacteur en chef d’Esquire, qui avait bien voulu m’aider à écrire le texte, m’avait encouragé à l’utiliser. Je ne voyais pas où était le problème. Grace Jones non plus. J’ai été critiqué, mais cela restait de l’ordre du débat – un débat devenu impossible.

Avec le recul, disons que ce n’est pas du meilleur goût, mais qu’après tout, Grace était une chanteuse disco qui flirtait avec la décadence ; on est loin de Shakespeare, mais c’est efficace. Aujourd’hui, l’image est quasiment impossible à montrer, et pourtant elle colle si bien à l’époque…

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Avez-vous eu des problèmes pour des images moins scandaleuses ?

Bien sûr, et récemment, même. Il y a quelques mois, j’ai photographié Lady Gaga pour un magazine américain alors qu’elle était en course pour l’Oscar de la meilleure actrice, avec A Star Is Born. Elle est venue dans mon studio à Paris.

Sur une des images, j’ai blanchi son visage, un peu comme le mime Marceau, et je lui ai dessiné un costume en paille de forme triangulaire. Elle était ravie, au point de poster fièrement l’image sur son compte Instagram. Mais ses manageurs, changeant brusquement d’avis, ont refusé de la publier au motif qu’elle risquait d’être perçue comme une appropriation culturelle. J’imagine que le visage blanc pouvait être assimilé à un détournement du théâtre nô, et la paille à une citation africaine. Personne n’a pourtant le monopole de ces codes. Et puis je ne fais pas de copier-coller, je me nourris de motifs que je transforme.

Ce portrait de Lady Gaga a-t-il finalement été publié ?

Oui, mais avec un visage plus réaliste retouché en rose. C’est moche. En revanche, j’inclus le portrait originel dans mes expositions, notamment celle qui aura lieu à Milan à partir de novembre. Là, c’est moi qui décide.

Cette image, c’est votre « blackface » à vous ?

D’une façon, oui. J’ai toujours défendu une approche ironique du blackface. J’ai peint des Noirs en jaune, en bleu ou en blanc, et des Blancs et des Jaunes en noir. C’est ma façon de dénoncer cette pratique raciste en vogue dans l’Amérique du XIXe siècle. Une de ces images a servi d’affiche pour une exposition « antiraciste » au Musée de l’homme, en 1992.

Cette affiche serait-elle aujourd’hui publiée de nouveau ?

Je ne crois pas. Parce que nombre d’œuvres antiracistes sont désormais jugées racistes par certains.

N’est-ce pas la nature même de votre œuvre qui pose problème à certains ?

J’en ai peur. Depuis cinquante ans, j’ai toujours été du côté de ceux qui défendent le mélange et le métissage, alors qu’aujourd’hui certains prônent la séparation.

Depuis cinquante ans, j’ai toujours rêvé de faire dialoguer les cultures, quand certains font primer le mot « origine » sur le mot « culture ». Le défilé de 1989 sur les Champs-Elysées était une ode au métissage, il associait Blacks, Blancs, Beurs, tirailleurs sénégalais, valseuses maghrébines… Je ne crois pas que ce défilé serait encore possible aujourd’hui.

Parce que vous êtes Blanc et que vous ne restez pas dans votre culture ?

Pas seulement, mais oui, être Blanc et évoquer la culture noire, par exemple, la citer, voire me l’approprier, fait de moi une cible. Toute communauté qui se considère comme minoritaire et opprimée refuse à l’homme blanc, perçu par elle comme dominant et oppresseur, de s’approprier ses codes. Chacun cultive l’entre-soi : les Noirs avec les Noirs, les femmes avec les femmes, etc. C’est grave pour la liberté de tous. Quand Kim Kardashian porte des tresses africaines, elle est violemment attaquée par des membres de la communauté afro-américaine. Un exemple parmi des dizaines…

Mais la question de l’appropriation culturelle restreint aussi la liberté des créateurs. Regardez ce qui est arrivé au metteur en scène canadien Robert Lepage, que je connais depuis longtemps et dont j’admire les pièces. Il a dû annuler son spectacle Kanata, à Montréal, en 2018, parce qu’il n’a pas impliqué d’acteurs amérindiens dans sa relecture de l’histoire de son pays. Nous étions habitués aux censures d’Etat, au nom de l’ordre moral. Nous devons désormais affronter des revendications communautaires, portées par les réseaux sociaux. Le combat a changé de nature, mais il est tout aussi rude.

Vous sentez-vous légitime à vous approprier la culture noire ?

Chacun doit se sentir autorisé à s’inspirer, voire à s’approprier la culture de l’autre ! Cela dépend du contexte et de la façon dont on le fait. Mais aujourd’hui, le débat est autre. Certains Noirs veulent faire payer aux Blancs le colonialisme. Pour ma part, j’estime que je n’ai pas à payer pour les erreurs de nos ancêtres. Et puis, si mon origine est blanche, ma culture est noire.

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C’est-à-dire ?

Depuis toujours, je me sens plus attiré par d’autres cultures que par la mienne, je suis plus proche des Noirs que des Blancs, des gays que des hétéros. Pourtant, je ne devrais pas avoir à me justifier, je ne devrais pas expliquer pourquoi, depuis tout petit, je suis aimanté par le rythme noir, par la danse et la transe. Je ne devrais pas expliquer pourquoi, à 14 ans, je vais danser avec des Noirs dans des « boîtes de jour » parce que je n’ai pas l’âge pour aller dans les boîtes de nuit. Je ne devrais pas justifier mon dandysme qui, pour certains, doit être insupportable. A la sortie de l’adolescence, comme je suis de petite taille, je veux rendre jaloux mes copains en sortant avec des filles spectaculaires, grandes, intimidantes, souvent noires. Mais ce dandysme colle à ma vie et à ma création.

Ceux qui m’attaquent ne connaissent même pas mon parcours et mes engagements. Je connais dix fois mieux la culture africaine-américaine que ceux qui m’accusent de faire des images racistes, mais passons.

Comment avez-vous vu le débat identitaire se crisper ?

J’ai habité dans le New York très politisé des années 1970, je vivais avec des artistes et des musiciens noirs et je soutenais les manifestations pour les droits civiques. L’ambiguïté de mon travail avec des Noirs était acceptée, voire saluée, notamment quand j’ai proposé dans Esquire, en 1972, l’« afro-look total » avec ma compagne new-yorkaise d’alors, Radiah Frye.

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Les années 1980 ont été celles de l’utopie du métissage, où personne, dans la culture, ne semblait se soucier de qui était Noir ou qui était Blanc. Je passais beaucoup de temps avec la famille de ma compagne, Grace Jones, et je travaillais quotidiennement avec ses musiciens, presque tous d’origine jamaïcaine. Tout cela sous l’égide de l’Anglais Chris Blackwell, fondateur du label Island Records, à qui l’on doit la diffusion de la musique jamaïcaine en général, et celle de Bob Marley en particulier.

Cette atmosphère de liberté et d’ouverture, je crois qu’on la ressent bien dans mon livre Jungle Fever. Mais dix ans plus tard, en 1991, le cinéaste noir américain Spike Lee a repris mon titre pour le donner à un mélodrame banal, presque exclusivement focalisé sur les préjugés raciaux. Ce film annonce une fracture, portée par la montée des cultural studies dans les universités américaines.

Depuis, l’époque a changé. Les attitudes ont changé. Les jeunes ont changé. Les relations ont changé. Les mots ont changé aussi. « Appropriation culturelle », « décolonialisme », « racisé » sont des mots nouveaux, inconnus il y a trente ans.

Mais ce débat, vous comprenez qu’il puisse exister ?

Bien sûr. Je pense même l’avoir vu monter en France avant d’autres. C’est grâce à ma double culture. J’ai une mère américaine, danseuse à Broadway dans les années 1930. Je parle anglais depuis tout petit. A New York, j’ai vu monter les ghettos, les fractures sociales et culturelles. Lors de mon défilé de 1989, je n’étais pas convaincu par la petite musique ambiante sur la fraternité intercommunautaire. Je voyais bien comment le débat aux Etats-Unis allait gagner la France, avec ses quartiers et ses ghettos. Mais le retour de manivelle va trop loin. Il y a assez de problèmes de racisme en France pour ne pas en créer d’autres, artificiels ceux-là, quand on s’en prend aux artistes.

Vous jouez avec l’exotisme dans votre œuvre. C’est un problème ?

Le mot est devenu suspect. J’ai beau détourner les clichés de l’exotisme, les actualiser, ajouter une forte dose d’ironie… En fait, j’aggrave mon cas.

Les nouveaux censeurs ne prennent pas en compte l’imaginaire de l’artiste, ni ce qui sépare la réalité de sa représentation. Si vous convoquez une autre culture dans vos images, mieux vaut éviter la subtilité et l’ambiguïté. Vous devez rester au premier degré et vous cantonner aux « clichés positifs » sur cette culture. Peu importe que le résultat soit souvent creux et déborde de bons sentiments.

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Ces polémiques vont-elles se réduire à l’avenir ?

Je crains au contraire qu’elles n’empirent. Ce mouvement, qui semble irréversible, va s’étendre à d’autres communautés. Il faudra s’y faire, le raisonnement binaire va s’imposer : vous êtes avec eux ou contre eux ! J’espère sincèrement me tromper.

Cet entretien est également publié dans l’album de Reporters sans frontières « Jean-Paul Goude, 100 images pour la liberté de la presse », 9,90 €. En kiosque.

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31 octobre 2019

Stéfanie Renoma - photographe

La photographe Stéfanie Renoma a soumis cette histoire de mode dans un club étrange.

Voir plus de travail de Stefanie

http://stefanierenomaphotography.com/

https://www.instagram.com/stefanierenoma/

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31 octobre 2019

Syrie, dans une prison de djihadistes de l’EI : « Tous les jours, on se réveille en espérant savoir ce qu'on va devenir

Par Allan Kaval, Gouvernorat d'Hassaké, Syrie, envoyé spécial

« Le Monde » a pu accéder à l’un des centres gérés par les forces kurdes. S’y entassent des centaines de détenus, les derniers irréductibles du « califat » du groupe Etat islamique, souvent blessés ou mourants.

La mort a une odeur. Le désespoir aussi ; son effluve mêle celle de la maladie, de la dysenterie, de la chair humaine que la vie, peu à peu, abandonne.

Quand la porte de la cellule réservée aux malades de cette prison pour membres de l’organisation Etat islamique (EI) du nord-est de la Syrie s’ouvre sur d’innombrables prisonniers en combinaisons orange, entassés les uns sur les autres sur toute la superficie d’une pièce de la taille d’un hangar, c’est bien cette odeur-là qui étreint la poitrine.

Les responsables de la prison, appartenant aux forces kurdes de sécurité, ne connaissent pas le nombre d’hommes et d’enfants qui gisent là, entre le monde des vivants et celui des morts. « On ne peut pas les compter. Ça change tout le temps. » Certains guérissent et regagnent leurs cellules. D’autres meurent.

Amas humain

Il y a là des vieillards en couches gériatriques et des enfants amputés. Des moignons bandés. Il y a aussi des aveugles. Et çà et là sur le sol ou sur des lits d’hôpital, des hommes qui n’ont plus que la peau sur des os saillants. Leurs articulations sont disproportionnées. Leurs yeux exorbités, sans expression, semblent être tombés au fond de leurs crânes. Ceux qui ont atteint cet état tiennent leurs bras en croix, repliés sur des torses concaves comme s’ils attendaient le linceul. Partout, des corps sans âge au teint morbide, enveloppés dans des couvertures grises. Ceux-là vivent peut-être leurs dernières heures sous la lumière froide des lampes phosphorescentes. Autour d’eux, l’amas humain formé par les prisonniers malades est parcouru de mouvements minuscules. Très lents. Un léger murmure trouble à peine des faces dont les visages, peu à peu, semblent s’effacer.

A quelques exceptions près, tous les détenus de cette prison ont été capturés après la chute du tout dernier territoire de l’EI, Baghouz, tombé après un long siège, en mars. Syriens, Irakiens, Saoudiens, Russes, Chinois, Européens, ils formaient le dernier carré de combattants et de partisans du groupe djihadiste dont la bannière noire flotta un temps de l’est de l’Irak à Alep. Les traces des derniers combats sont omniprésentes sur les corps ravagés de ces hommes qui sont considérés comme les plus dangereux par les forces kurdes, car ils sont restés jusqu’au bout. Ils sont désormais en suspens, au-dessus de la faille sismique régionale qu’est devenu le Nord-Est syrien.

« Tous les jours, on se réveille en espérant savoir ce qu’on va devenir. On mange. On dort. Et ça recommence. Mais les gardiens, ils n’en savent rien non plus », dit en anglais un Néerlandais d’origine égyptienne, âgé de 41 ans. Sa jambe droite est affreusement déformée par une blessure de guerre qui a mal cicatrisé.

Il dit avoir été recruté en 2014 dans une pizzeria de la ville de Gouda. A l’époque, consommateur régulier de cannabis, à la tête d’une petite entreprise de BTP, il a pris la route avec femmes et enfant en direction de la Turquie avant de passer en Syrie et d’être pris en charge par des membres de l’EI. Aujourd’hui, son « califat » imaginaire n’est plus, et, bien que personne ici ne le sache, son chef Abou Bakr Al-Baghdadi est mort.

Attendre la mort

« Viens par ici », crie en russe l’Egypto-Néerlandais à l’attention d’un octogénaire à moitié sourd qui enjambe bientôt les corps allongés, enveloppés dans le gris des couvertures. Le petit vieillard sec approche en boitant. « Je viens du Daghestan [dans le Caucase russe], je suis venu pour vivre dans un gouvernement islamique. Maintenant je ne sais pas pourquoi je suis ici », explique-t-il, en russe, les yeux remplis d’une angoisse sénile.

Face à lui, épuisé, est allongé sur le sol un garçon de 13 ans, né en Sibérie. La jambe qui lui reste est brisée par une fracture ouverte. Il n’a plus qu’un filet de voix dans la gorge. Un adolescent regarde la scène d’un œil absent. Sa jambe à lui est enveloppée dans une gaze souillée de sang et de fluides jaunes. Il est né il y a seize ans de parents Ouïgours et ne parvient pas à se remettre d’une mauvaise blessure laissée par l’éclat d’un obus de mortier tombé près de sa tente lors du siège de Baghouz. Comme tous les autres étrangers, il a rejoint la Syrie par le territoire turc dont la frontière, ouverte aux quatre vents, a permis à l’EI de recruter son contingent international et d’entretenir la chimère d’un califat universel.

Les survivants de cette utopie criminelle, totalitaire, s’entassent désormais dans les prisons du Nord-Est syrien et semblent attendre la mort dans un territoire sans statut défini et désormais menacé, détenus en dehors de toute juridiction reconnue et par une entité politique et militaire sans légitimité internationale et qui ne veut pas d’eux.

Les bâtiments de la prison, une ancienne université, comptent plusieurs dizaines de cellules où près d’un homme par mètre carré voit son existence filer. Un secteur du centre pénitentiaire auquel Le Monde n’a pas eu accès est réservé aux mineurs sans père, de toutes nationalités et dont certains n’ont pas plus de 10 ans. Ailleurs encore, dans les cellules surpeuplées pour adultes, les hommes attendent chaque jour des nouvelles d’un monde extérieur dont ils ignorent tout.

« On est le mercredi 30 octobre 2019, c’est bien ça ? »

« Vous savez ce qui va se passer pour nous ? », s’enquiert un détenu britannique, ancien étudiant de l’université de Westminster à Londres, dans l’une d’entre elles. La seule chose qu’il sache, c’est la date du jour. « On est le mercredi 30 octobre 2019, c’est bien ça ? Trump est toujours président des Etats-Unis, non ? On compte les jours, on a vraiment que cela à faire explique-t-il, donc on connaît la date. »

Derrière le jeune détenu de 27 ans se trouvent, selon son dernier comptage, 142 hommes de tous âges. Un Indonésien d’âge mûr, aveugle, est guidé par un compagnon de cellule dans un labyrinthe des corps amaigris, prostré dans un air épais que pénètre une odeur d’excréments et de sueur. La lumière du jour entre par deux ouvertures de la taille d’une brique. Il y a un petit ventilateur qui tourne à travers l’une d’elles. Les fenêtres ont été occultées par des parpaings. D’après le Britannique, depuis que les prisonniers ont été transférés dans cette prison, le jour s’est levé six fois sur des cadavres de détenus morts dans leur sommeil : « Les gardiens prennent les corps, ils les emmènent. On ne sait pas où ils les enterrent. »

Des personnels de la Croix-Rouge sont passés il y a plus de deux mois. C’est à cette occasion que le prisonnier dit avoir entendu parler d’un éventuel rapatriement et d’un jugement dans les pays d’origine. Mais depuis, plus de nouvelles. Il a toutefois pu envoyer par leur intermédiaire une lettre pour son épouse, une Versaillaise retenue dans le camp de Al-Hol avec 12 000 autres femmes et enfants, dont de nombreuses étrangères.

Après la chute du réduit de Baghouz, les hommes ont été placés en détention tandis que les familles ont été regroupées dans cette ville de tentes qui s’étend indéfiniment à l’endroit où la steppe du nord syrien rencontre le désert, à proximité de la frontière irakienne. De ces femmes et de ces enfants non plus les autorités kurdes syriennes ne savent que faire. Aucun des pays d’origine, à de rares exceptions portant sur un nombre limité de personnes, n’a organisé de rapatriement.

Un archipel de prisons et de camps

En forgeant une alliance avec les Occidentaux de la coalition internationale, les forces kurdes ont repris en trois ans l’essentiel des territoires syriens de l’EI, recueillant dans le reflux du « califat » les djihadistes survivants et leurs familles.

Si leurs partenaires américains, français et britanniques ont pu mettre en œuvre avec elles une coopération militaire considérée comme exemplaire sur le plan opérationnel, ils ont laissé entre les mains des forces kurdes le sort de ceux qui, parmi les perdants, avaient survécu aux combats et aux bombardements massifs des villes tenues par les djihadistes. Les autorités du Nord-Est syrien ont maintenant la charge d’un archipel de prisons et de camps fermés et la responsabilité de les garder alors même que la coalition internationale se retire, les laissant à la merci d’une intervention turque et du retour en force du régime de Damas.

« Cette prison, nous l’avons construite nous-même, avec nos propres moyens, sur la base des bâtiments d’une université abandonnée. Le principal apport de la coalition ici, c’est ces combinaisons orange que vous voyez partout », affirme un responsable du centre pénitentiaire. Lorsque les prisonniers du réduit de Baghouz ont été transférés, en provenance de divers centres de détention de fortune, dans cette prison ouverte il y a près de cinq mois, « les Américains » ont fourni des uniformes d’une pièce. Ils rappellent ceux que, du temps de leur gloire meurtrière, les djihadistes affublaient, dans des mises en scènes macabres, les prisonniers qu’ils s’apprêtaient à égorger, à noyer dans des piscines de villas mossouliotes, à brûler vifs dans des cages, à faire marcher à quatre comme des chiens, laisses métalliques au cou, ou encore à faire exploser à la roquette devant leurs caméras.

« Quand on leur a demandé de mettre les combinaisons orange, ils ont cru qu’on allait leur faire la même chose ! », se souvient une responsable de la prison dans un rictus gêné. Ces tenues choisies par les propagandistes de l’EI constituaient une provocation sinistre censée répondre à l’utilisation de vêtements similaires par Washington dans la prison pour djihadistes de la base de Guantanamo après les attentats du 11-Septembre. D’un trou noir juridique à l’autre, le symbole demeure, seul legs tangible de l’administration américaine à cette prison, près de deux décennies après de début de la « guerre contre le terrorisme ».

« Une bombe, prête à exploser »

Mais trois véhicules blindés des forces américaines viennent de s’arrêter dans la cour boueuse de la prison. Deux colosses bottés aux visages masqués par des lunettes de soleil, bardés d’accessoire tactiques, montent la garde, fusils d’assaut à la taille. Les odeurs de la cellule des malades ne peuvent pas leur parvenir. Le convoi transporte un envoyé de la coalition internationale venu discuter. La réunion durera moins d’une demi-heure.

« On ne les attendait pas ceux-là », glisse le responsable du centre pénitentiaire chargé des relations avec la coalition, après la rencontre. « C’est la première fois qu’ils viennent ici depuis le début de l’intervention turque…, confie-t-il : Ils nous ont demandé de faire revenir les hommes des forces spéciales affectés à la garde de la prison que nous avons envoyés au front contre les Turcs et leurs mercenaires. On leur a dit non. »

Les Américains ont-ils fait part d’un quelconque plan concernant le site pénitentiaire ? Une évacuation ? Des assurances sur le maintien de leurs troupes dans la région pour aider les forces kurdes à le sécuriser ? « Rien de nouveau », répond le responsable.

« Ce n’est pas à nous de nous occuper de ça ! On a fait la guerre contre Daesh [acronyme de l’EI en arabe] pour protéger notre peuple et notre priorité est de protéger notre peuple dans cette nouvelle guerre. La sécurisation des prisons arrive en second rang. Maintenant ils veulent que nos hommes qui ont perdu des frères, des sœurs, dans ce combat protègent leurs tueurs ?, dénonce-t-il avec un air incrédule. Que les pays étrangers, prennent leurs responsabilités, jugent leurs ressortissants. Ce qu’ils nous laissent ici c’est une bombe, prête à exploser. »

Défi lancé par l’EI à l’Etat de droit

Mais la déflagration, lente, a peut-être déjà commencé. Elle n’est pas seulement liée aux risques sécuritaires de voir disparaître dans la nature les mutilés du califat. Elle est plus insidieuse. Silencieuse.

Aucun des détenus, même dans une langue que ne maîtrisaient pas ses geôliers, n’a eu à se plaindre de tortures ou d’humiliations particulières. L’inhumanité qui règne entre les murs de la prison est dépourvue de cruauté ou de haine. Elle semble être le résultat implacable d’une décision politique : celle de confier à un groupe armé dont les priorités sont autres une charge dont on ne veut pas et qui n’a d’autre choix que de laisser mourir à petit feu un problème que l’on ne veut pas résoudre.

Elle est en définitive le produit de la décision de ne pas répondre au défi lancé par l’EI à l’Etat de droit. Entre les murs de la prison où sont enfermés les derniers sujets de son règne criminel, le long de ses mouroirs verrouillés, avec chaque tunique orange, chaque corps estropié, le « califat » a réussi, dans sa chute, à imposer son monde.

31 octobre 2019

Anna Johansson

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31 octobre 2019

Mourad, entraîné à 12 ans par ses parents dans le « califat » de l’EI, oublié par la France dans une prison du Nord-Est syrien

Par Allan Kaval, Gouvernorat d'Hassaké, Syrie, envoyé spécial

Rencontré par « Le Monde » dans un camp tenu par les forces kurdes, le jeune homme a tout juste 18 ans. Il retrace son départ de France, la vie dans un pays en guerre et sa détention sans issue.

Mourad (le prénom a été changé) aura 18 ans le 31 octobre et il ne se souvient plus des titres des livres qu’il aimait emprunter à la bibliothèque de son école primaire. C’était à Roubaix (Nord). Là où il est aujourd’hui, mercredi 30 octobre, dans une prison du nord-est de la Syrie, il n’y a pas de livre. Pas d’image. Quand ses parents l’ont emmené de force sur les terres de l’organisation Etat islamique (EI), il avait 12 ans et si le « califat » n’est plus, il en est resté prisonnier : « J’oublie les choses… »

Mourad a passé les six années qui le séparent de l’enfance sous les bombes et maintenant, en prison. Son visage est secoué de tics. Souvent, d’une main, il se frotte les yeux, assis dans une salle nue de la prison pour djihadistes où on l’a emmené. Il dit que quand il était petit, il aimait la natation et les mathématiques. Mourad a le visage creusé, le corps maigre. Autour de la maison de ses grands-parents, il y avait un grand jardin. Il dit que c’est aujourd’hui la veille de son anniversaire.

Comme tous les autres détenus, il porte une combinaison orange et des sandales en plastique. Les mots se heurtent dans sa bouche. Ils s’étranglent à l’évocation d’un passé qui d’ici paraît impossible. Ils sortent d’un très profond silence. Eclats de la langue de l’enfance, qui peu à peu, en lui, s’efface, ils se brisent contre l’air de la prison. Puis son regard s’enfuit dans des enfers invisibles où les souvenirs des jours heureux peinent à percer.

« J’aimais… j’aimais… l’école. » Il faut remonter le temps. Il faut traverser quelque part, dans le fond de la mémoire cette frontière si lointaine de sa vie antérieure. « Je crois que mon père… Je crois qu’il nous a dit qu’on partait tous en vacances en Turquie. On y est allé et puis il y a eu une nuit… Le matin c’était différent. Les maisons… Il y avait des choses qui explosaient. On avait changé de pays. Mon père a dit qu’on allait s’habituer. »

Répondre à l’appel du nouveau « calife »

Mourad vient d’être sorti d’une cellule où les existences de 154 hommes et jeunes garçons se mêlent dans un magma de corps malades, de couvertures grises et de soupe aux lentilles. Comme tous les autres prisonniers de ce site pénitentiaire, ces hommes ont été capturés à Baghouz en mars. Comme lui, ils faisaient parti des deniers sujets du « califat », des derniers à avoir quitté ce réduit de boue, de métal et de chair humaine qui fut le tout dernier territoire tenu par les djihadistes.

Mourad se souvient que dans son enfance, son père travaillait dans une boulangerie dans une rue toute droite aux maisons de briques rouges dont il ne sait plus très bien épeler le nom. Et un jour, fin août 2014, il a décidé d’emmener les siens sur les terres chimériques du « califat ». L’EI régnait alors en maître entre le Tigre et l’Euphrate. Son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, venait d’exiger l’allégeance de tous les musulmans. Le groupe djihadiste organisait depuis les villes, les villages, les banlieues du monde entier la migration de milliers d’étrangers adhérant à son idéologie de mort.

« On est parti en voiture… Mon père, ma mère, mes frères et sœurs, mes grands-parents, mes tantes, mes oncles… » Entre Irak et Syrie, les hommes d’Al-Baghdadi viennent de rétablir l’esclavage. Ils organisent le partage de leur récent butin humain de captives yézidies raflées en Irak dans les environs du mont Sinjar. Et à Roubaix, ce sont vingt-trois Français, adultes et enfants, de la même famille, emmenée par des membres radicalisés, qui quittent en voiture les ruines du nord industriel pour répondre à l’appel de leur nouveau « calife ».

Et puis, deux mois plus tard, Mourad a eu 13 ans en Syrie : « On s’est installé quelque part vers Alep là-bas… Manbij… Tout le côté maternel de la famille était là, on était ensemble. » Petit à petit l’accent du Nord revient, scintille entre les silences. Manbij est proche de la frontière turque. C’est là que les attentats de novembre 2015 ont été organisés après avoir été conçus à Rakka, la capitale du « califat ». Mourad y apprend l’arabe et la lecture du Coran.

« Baghouz, un film d’horreur »

La guerre le rattrape en 2016 avec l’arrivée des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes. D’après son récit, la guerre ne cessera plus de talonner sa famille, dont le parcours à travers la Syrie en flamme épousera désormais les retraites successives du « califat ». « On est allé à Rakka… les bombes… ça a recommencé… mon frère avait 5 ans et demi… il a été blessé. »

Quand la chute de la capitale de l’EI devient inévitable, la famille est entraînée le long de l’Euphrate dans une fuite heurtée qui la fera échouer dans le réduit de Baghouz où les derniers djihadistes défendent quelques arpents de boues semées de tentes et de cadavres. Entre-temps, selon Mourad, une de ses petites sœurs doit être amputée de la jambe après avoir reçu un éclat de mortier.

Lui, il s’est réveillé dans un hôpital avec une jambe cassée, après un bombardement : « Depuis j’ai perdu la vue d’un œil… » Il frotte sa paupière. Au cours de la dernière année du « califat », les grands-parents de Mourad fuient vers les positions tenues par les Kurdes. Il dit qu’il n’a plus eu de nouvelles d’eux, avant d’apprendre la mort de sa grand-mère dans un camp du nord-est de la Syrie.

« Baghouz c’était la pire chose que j’ai vue dans ma vie… C’est un film d’horreur… Ils tirent sur le front. Ils tirent vers l’arrière. Tu vois quelqu’un qui est dans la rue… Il tombe. Il y a des balles, des bombes. Tout le temps tu sais pas, tu comprends rien à ce qui se passe… La nourriture… rien… Le pot de confiture coûte 25 dollars, les enfants, petits, mourraient de faim. Beaucoup », se souvient, un mot après l’autre, le jeune homme.

A 17 ans, sa troisième vie commence

Là-bas, partout, la mort rôde. Mourad raconte que son père partait et revenait au front. Un jour, il n’est plus revenu. « J’étais devenu le chef de famille. Alors il y a un pacte avec les Kurdes, pour sortir les femmes, les enfants. J’ai refusé que ma mère, mes frères, mes sœurs partent…, raconte Mourad. La nuit ils bombardaient tout le temps… Tu dois oublier la lumière… » Son œil valide se perd encore. « Tu oublies la lumière… » Sa famille finit par évacuer. Il se retrouve seul et se rend aux forces kurdes.

« Je me souviens… On était dans le désert. Des Américains ont installé des tables, des ordinateurs. Les étrangers, on passait un par un », raconte Mourad qui dit qu’on a mis ses objets de valeur, sa montre, dans un sachet à son nom. Il a 17 ans lorsque sa troisième vie commence. C’est le printemps, et il est prisonnier. Des trajets en camions. Des interrogatoires. Puis, en plein été, dans une chaleur impossible, on le jette avec des dizaines d’autres prisonniers dans une cellule et on les laisse cuire, lentement.

« Vous prenez vos vêtements, vous les essorez. Ça coule sur le sol, se rappelle-t-il en tordant entre ses mains serrées un linge invisible, il y avait une ouverture, un ventilateur qui tirait l’air et puis des hommes ont commencé à mourir. Ils étouffaient. Moi je suis pas mort… Certains devenaient fous. Ils commençaient à se frapper entre eux. » Une nuit, les autorités kurdes réagissent, des ambulances arrivent, on ouvre la porte aux survivants, on leur jette de l’eau froide : « L’oxygène rentre dans leurs corps, et ils tombent dans les pommes, les uns sur les autres. » Il tape sa paume droite sur le dos de sa main gauche.

« Parfois ils disent qu’on va être jugés. Par qui ? Je sais pas »

Comme les autres prisonniers capturés à Baghouz, Mourad est arrivé au début de l’été dans la prison des combinaisons orange. Il n’a pas vu le soleil depuis. « Tu oublies la lumière. » Il énumère longuement les plats qu’on sert aux prisonniers au long des semaines, dans le même ordre, toujours : « Il y a cinq repas différents, le riz, le blé concassé, les haricots, les lentilles, les pâtes… le matin, il y a du sirop de datte, de la confiture. » L’esprit de Mourad semble s’être habitué à collecter les rares indices qui lui prouvent qu’il vit un jour différent de la veille et que malgré tout, dans la prison, le temps suit son cours.

Mais vers quoi ? « Parfois ils disent qu’on va être jugés. Par qui ? Je sais pas… Ils savent pas… » Mourad dit n’avoir jamais vu de représentant du gouvernement français. Alors qu’il a été emmené en Syrie au sortir de l’enfance, Paris, qui dispose d’une présence dans le Nord-Est syrien, semble avoir choisi de le laisser disparaître dans l’oubli de sa geôle, comme d’autres mineurs dans les camps fermés, plutôt que de lui porter assistance. Quoi qu’il ait fait en approchant de l’âge d’homme, est-ce parce qu’il est mineur qu’il n’a pas été transféré vers l’Irak, comme onze autres français, condamnés depuis à la peine de mort ?

Mais dans cette prison infestée par la maladie, un sort plus enviable l’attend-il ? Il dit aussi que la nourriture est de plus en plus rare. Et alors sa parole butte. Il y a quelque chose qu’il n’arrive pas à dire : « La vie ici, la vie avant… c’est… c’est deux choses… ça se mélange pas… c’est impossible… je… » Un garde attend. Il faut partir. Mourad va retourner dans l’ombre. C’est son anniversaire demain : « Ma mère ne sait pas si je suis mort ou vivant… » La France non plus. La dernière fois qu’elle l’a vu, il avait 12 ans.

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31 octobre 2019

Extrait d'un shooting

shoot77

31 octobre 2019

Le conseil d’administration de PSA valide le mariage avec Fiat Chrysler

Par Jean-Michel Bezat

Ce projet de rapprochement, révélé par le « Wall Street Journal », a été confirmé mercredi par les deux constructeurs. L’opération pourrait donner naissance au numéro quatre mondial du secteur.

Le conseil d’administration de PSA a accepté, mercredi 30 octobre au soir, le mariage avec Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Ce projet, révélé par le Wall Street Journal, avait été confirmé plus tôt dans la journée par les deux protagonistes, évoquant dans des communiqués aux termes presque identiques la création d’un « groupe parmi les leaders mondiaux de la mobilité ».

Dans le cas où elle serait finalisée, l’opération donnera naissance au numéro quatre mondial du secteur, derrière Volkswagen, Renault-Nissan-Mitsubishi et Toyota, avec 8,7 millions de véhicules vendus sous les marques Peugeot, Citroën, DS, Opel, Vauxhall, Fiat, Alfa Romeo, Maserati, Lancia, Chrysler, Jeep et Dodge RAM.

Son chiffre d’affaires combiné atteindra 184 milliards d’euros et sa capitalisation boursière environ 45 milliards d’euros. Carlos Tavares, président du directoire de PSA, en deviendra le directeur général, tandis que John Elkann, président de FCA et représentant de la famille Agnelli, assurera la présidence du conseil d’administration.

Ces discussions ne sont pas une surprise. Une première tentative de rapprochement, moins ambitieuse, avait eu lieu, au début de l’année : la construction en commun d’automobiles dans leurs usines européennes. En mars, au Salon automobile de Genève (Suisse), M. Tavares et Mike Manley, le directeur général de FCA, envisageaient encore un partenariat, avant que les pourparlers ne soient interrompus.

M. Tavares se déclarait alors « ouvert à toute opportunité qui pourrait se présenter ». « Si on gagne de l’argent, on peut rêver de tout », avait-il ajouté. Et de l’argent, il en avait puisqu’il avait annoncé, fin février, un bénéfice net « historique » de 2,83 milliards d’euros en 2018 (+ 47 %) et un objectif de rentabilité opérationnelle de ses activités automobiles supérieur à 6 % à l’horizon 2021.

Ouvrir les portes de l’Amérique du Nord

« Tant le groupe FCA que PSA ont besoin d’une alliance » et « ce n’est pas la première fois que Elkann et Tavares se parlent », rappelle le secrétaire général du syndicat FIM-CISL, Marco Bentivogli, dans une interview à l’agence de presse italienne AGI.

Ce mariage permettrait de favoriser la transition vers les véhicules électriques, un domaine où FCA accuse de sérieux retards. Pour lui, une alliance était nécessaire. Même s’il jugeait plus intéressant un accord avec Renault et qu’après son échec avec ce dernier il affirmait avoir un plan stratégique « relativement robuste » pour « survivre » seul.

L’opération se justifie par une complémentarité géographique. Trop dépendant de l’Europe et en difficulté en Chine, PSA s’ouvrirait ainsi les portes de l’Amérique du Nord, où il n’est guère présent, alors que FCA détient d’importantes parts de marché sur des véhicules offrant les marges les plus lucratives.

Pour sa part, FCA a aussi besoin à la fois d’un partenaire en Asie, où il est très peu présent, et d’un meilleur ancrage en Europe, où PSA est mieux implanté. Car sur le Vieux Continent, où le groupe italo-américain vit surtout des ventes de la citadine Fiat 500, sa part de marché est tombée de 6 % en 2010 à 4,6 % en 2018 en raison d’un renouvellement insuffisant de sa gamme de véhicules.

Même s’il a privilégié la rentabilité des ventes et l’efficacité opérationnelle sur l’augmentation du nombre de véhicules vendus, M. Tavares n’a jamais caché qu’il souhaite grossir en poursuivant sa politique de fusions ou d’acquisitions, après le rachat de l’allemand Opel (groupe General Motors, GM) début 2017.

L’homme, qui se présente volontiers comme un « psychopathe du changement », juge que la consolidation du secteur automobile n’est pas achevée. Une analyse qui était partagée par Sergio Marchionne, ex-patron de Fiat Chrysler mort en 2018. Artisan du rachat de Chrysler par Fiat il y a dix ans, il avait ensuite tenté un rapprochement avec GM.

Un chemin semé d’embûches

Le gouvernement français se refusait à tout commentaire, mercredi matin, sur un dossier sensible qui le concerne directement. A travers la banque publique d’investissement Bpifrance, l’Etat détient en effet 12,23 % du capital de PSA et 9,75 % des droits de vote au conseil d’administration.

La reprise des discussions PSA-FCA intervient quatre mois après l’annonce de l’échec du mariage de Fiat Chrysler avec Renault, l’Etat français actionnaire de Renault (15 %) ayant à l’époque finalement renoncé à une opération pourtant fortement défendue par le nouveau patron de Renault, Jean-Dominique Sénard.

Reste que le rapprochement entre PSA et FCA se fait sur un chemin semé d’embûches compte tenu de la structure capitalistique des deux groupes. Outre l’Etat français, le groupe chinois Dongfeng et la famille Peugeot détiennent chacun 12,23 % du capital de PSA, et chacun 19,5 % des droits de vote. Pour sa part, M. Elkann et d’autres membres de la famille Agnelli contrôlent 29 % de FCA à travers leur holding Exor NV, installée aux Pays-Bas.

31 octobre 2019

Au cours du défilé de la Nuit Blanche

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30 octobre 2019

Halloween - vu dans la rue

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30 octobre 2019

Le prix Albert-Londres décerné au journaliste du « Monde » Benoît Vitkine

Par Nicole Vulser

Le 81e prix de la presse écrite a été remis au journaliste, spécialiste des pays de l’ex-URSS et de l’Europe orientale, pour une série de six enquêtes.

Le 81e prix Albert-Londres de la presse écrite a été remis, mardi 29 octobre, à Paris, au journaliste du Monde Benoît Vitkine, 36 ans, pour six enquêtes publiées entre 2018 et 2019. Ce spécialiste des pays de l’ex-URSS et de l’Europe orientale, aujourd’hui correspondant du Monde à Moscou, a dépeint, avec rigueur et une plume incisive, aussi bien le douloureux retour des vétérans du Donbass en Ukraine que la violence et la corruption minant la ville d’Odessa, dans le même pays. Envoyé spécial à Marioupol (Ukraine), Benoît Vitkine a décortiqué la façon dont Moscou multiplie les mesures d’intimidation pour verrouiller son emprise en mer d’Azov.

Le jury a récompensé à la fois ses angles originaux et son écriture chaleureuse, ainsi qu’en témoigne son reportage en Tchétchénie sur l’utilisation du football comme outil de propagande. A travers ses enquêtes, menées avec sérieux, il a décrit l’art russe de l’intox en Transcarpathie ou encore les coulisses de la guerre de l’information russe en Estonie.

Le parti des opprimés

Pour son 35e prix audiovisuel, le jury du prix Albert-Londres, présidé par Annick Cojean, journaliste au Monde, a également récompensé Marlène Rabaud pour son film Congo Lucha, diffusé sur la RTBF et la BBC, produit par Esprit libre et Tita Productions. Il sera prochainement programmé par France 2.

Agée de moins de 40 ans au moment de la diffusion de ce film courageux (une condition pour concourir), Marlène Rabaud reprend l’épopée d’un groupe de Congolais engagés dans une lutte pacifique pour débarrasser leur pays du président Kabila, qui empêche la tenue des élections. Le jury a salué « une magnifique utopie contre un système politique ».

Enfin, le 3e prix du livre a été attribué à Feurat Alani pour son « ovni littéraire » Le Parfum d’Irak (Editions Nova/Arte Editions, octobre 2018). Ce roman graphique, composé d’un millier de tweets, raconte les voyages en Irak d’un jeune Français d’origine irakienne devenu journaliste. Il témoigne de la guerre qu’il doit couvrir, au fil de messages de 140 signes, tout en restant précis et en révélant la poésie et l’âme du pays qu’il a appris à aimer.

Depuis 1933, le prix Albert-Londres récompense les meilleurs journalistes francophones. Albert Londres, reporter très engagé, a sillonné la planète pour témoigner, dès 1920, des souffrances du peuple russe ou, deux ans plus tard, de la folie du régime en Chine. Il a pris le parti des opprimés en dénonçant, en 1927, le sort des Françaises conduites en Argentine pour y être prostituées, les effets néfastes de la colonisation française en Afrique ou l’horreur du bagne de Cayenne.

Six articles de Benoît Vitkine, récompensé par le prix Albert-Londres 2019

En Ukraine, le délicat retour des vétérans à la vie civile

Ukraine : Odessa, ville gangster

Ukraine : emprise russe en mer d’Azov

En Tchétchénie, le football totalitaire

En Transcarpathie, l’art russe de l’intox fait des étincelles

En Estonie, dans les coulisses de la guerre de l’information russe

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