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Jours tranquilles à Paris
31 janvier 2020

L'hommage vibrant de la documentariste Mariana Otero au photographe Gilles Caron

caron affiche

Histoire d'un regard - Mariana Otero

Un documentaire d’une puissance émotionnelle rare sur les traces du photojournaliste, disparu au Cambodge en 1970.

La filmographie de Mariana Otero est, en partie, composée d’œuvres où domine le collectif et qui, dans une tradition toute documentaire, pénètrent les murs d’un endroit – d’une école (La Loi du collège), d’une usine (Entre nos mains) ou même, ceux invisibles, d’une place parisienne (L’Assemblée) – pour en explorer les rouages, en décoder les symboles.

Au milieu de ces films de groupes, il y en a un pourtant tourné vers une plus grande intimité. C’est une histoire de famille, l’Histoire d’un secret trop bien gardé que Mariana Otero perce et où la déchirante vérité enfin résolue (la mort de sa mère) se teinte d’une dimension sociale et politique (les avortements clandestins). De l’intime au collectif, de l’individu au groupe, il n'y a qu’un pas.

La nouvelle histoire qu’elle nous conte aujourd’hui en est la preuve, éblouissante. Au centre : Gilles Caron, photographe, disparu au Cambodge à 30 ans et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Ici, le secret, enfoui dans les décombres d’un conflit, ne peut être résolu, sa recherche est vaine.

La cinéaste tente d’approcher un homme, un père de famille, un artiste, et renoue par là avec notre histoire contemporaine dont il a été l’un des précieux témoins. Regarder dans l’œilleton de Caron, c’est regarder le monde. Alors, comme une voyante lisant dans le marc de café, la cinéaste s’immerge dans ses photographies, cherche à découvrir ce qui s’y cache.

L’une des premières séquences du film est en cela inouïe. Avec l’expertise et la méticulosité d’une enquêtrice, Otero recompose la temporalité d’une série d’images prises en mai 1968 pour saisir le cheminement qui guida Caron à “la bonne photo” – en l’occurrence, celle d’un jeune Cohn-Bendit, tout sourire face à un policier. Ce jonglage frénétique entre les différents clichés et cette chronologie qui se fabrique en direct revêt alors une puissance émotionnelle rare.

Outre l’examen passionnant d’un processus créatif mis à nu, c’est le corps du disparu qui se lève, s’anime. Chaque esquisse nous renseigne sur un geste, un mouvement, un regard en action. A travers ce voyage dans ces paysages-mondes (aussi éloignés que peuvent l’être une salle pleine à l’Olympia et un champ de bataille), Otero affine son geste, dévoué à cette merveilleuse chose que seul le cinéma permet : faire revenir, métaphoriquement et charnellement (le tutoiement qu’elle lui adresse nous rend Caron si proche), un disparu.

C’est la prouesse d’une cinéaste, orpheline, qui aura changé un manque (celui d’un être et d’une vérité) en une quête pour débusquer, dans un cadre défini (celui d’une photo ou d’un lieu), le tangible et la puissance d’une rencontre. La filmer c’est alors vaincre, sans toutefois la réparer, l’injustice de la disparition.

Marilou Duponchel

Histoire d'un regard de Mariana Otero (Fr., 2019, 1h33)

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30 janvier 2020

François Fillon ce soir sur France 2

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30 janvier 2020

CÉSAR 2020 : EN TOUTE IMPUNITÉ, POLANSKI ET SON "J’ACCUSE" SONT LES GRANDS FAVORIS

par Tess Annest

Meilleur film, meilleur réalisateur et même meilleure adaptation, Roman Polanski a tout raflé ce mercredi 29 janvier 2020. Lors d’une conférence de presse très attendue, l’Académie des César s’est montrée, une nouvelle fois, apparemment indifférente aux accusations d'abus sexuels et de viols sur mineure qui pèsent sur le réalisateur depuis 1977. À l'époque, la jeune Samantha Gailey, alors âgée de treize ans, le charge de l'avoir droguée puis violée. Condamné à trois mois de prison après avoir reconnu un "détournement de mineure", il est finalement libéré 42 jours plus tard et quitte le sol américain sans autorisation. Il y devient persona non grata et reste considéré comme fugitif par Interpol, l’Organisation Internationale de Police Criminelle. Depuis, il ne peut circuler librement que dans trois pays : la Suisse, la Pologne et bien-sûr, la France. En 2010, nouveau rebondissement. Pour la première fois, Roman Polanski est accusé de viol par une deuxième femme, l'actrice britannique Charlotte Lewis. Dix autres personnes disent avoir été abusées sexuellement par le réalisateur, mais tous les faits sont prescrits. Nommé douze fois pour cette 45ème édition, son film devance ainsi ceux de Ladj Ly et de Nicolas Bedos qui repartent avec onze nominations chacun. Le 28 février prochain, le cinéaste franco-polonais devrait donc être logiquement récompensé pour son adaptation de l’affaire Dreyfus.

Après avoir brillé en salles en novembre 2019 avec plus de 1,3 million d'entrées, son film se voit ainsi récompensé par les professionnel.le.s français.es, apparemment décidé.e.s à "distinguer l'homme de l'artiste". Ironie du sort : cette année, deux femmes seront à la tête de la cérémonie, Florence Foresti à la présentation et Sandrine Kiberlain à la présidence. On a hâte de voir comment elles vont gérer ça. Comme pour se justifier de cet acte, et pour se préserver des critiques qui pleuvent déjà sur son institution, Alain Terzian, le président de l’Académie, a déclaré que les César ne devaient pas "avoir des positions morales". Discutable.

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Découvrez la liste définitive des nommé.e.s aux Césars 2020 :

Meilleur Film :

La Belle époque de Nicolas Bedos

Grâce à Dieu de François Ozon

Hors normes d’Olivier Nakache et Éric Toledano

J’accuse de Roman Polanski

Les Misérables de Ladj Ly

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma

Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin

Meilleur réalisateur :

Olivier Nakache et Éric Toledano pour Hors normes

Ladj Ly pour Les Misérables

Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu

Arnaud Desplechin pour Roubaix, une Lumière

Nicolas Bedos pour La Belle Epoque

François Ozon pour Grâce à Dieu

Roman Polanski pour J’accuse

Meilleure actrice :

Anaïs Demoustier pour Alice et le maire

Eva Green pour Proxima

Adèle Haenel et Noémie Merlant pour Portrait de la jeune fille en feu

Karin Viard pour Une chanson douce

Doria Tillier pour La Belle Époque

Meilleur acteur :

Daniel Auteuil dans La Belle Époque

Damien Bonnard dans Les Misérables

Vincent Cassel dans Hors normes

Jean Dujardin dans J’Accuse

Reda Kateb dans Hors Normes ou Le Chant du loup

Melvil Poupaud dans Grâce à Dieu

Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière

Meilleur Acteur dans un Second Rôle :

Swann Arlaud dans Grâce à Dieu

Grégory Gadebois dans J'accuse

Louis Garrel dans J'accuse

Benjamin Lavernhe dans Mon inconnue

Denis Ménochet dans Grâce à Dieu

Meilleure actrice dans un second rôle :

Fanny Ardant dans La Belle Époque

Laure Calamy dans Seules les bêtes

Sara Forestier dans Roubaix, une lumière

Hélène Vincent dans Hors normes

Josiane Balasko dans Grâce à Dieu

Meilleur Espoir Féminin :

Luàna Bajrami dans Portrait de la jeune fille en feu

Céleste Brunnquell dans Les Éblouis

Lyna Khoudri dans Papicha

Nina Meurisse dans Camille

Mama Sané dans Atlantique

Meilleur Espoir Masculin :

Anthony Bajon dans Au nom de la terre

Benjamin Lesieur dans Hors Normes

Alexis Manenti dans Les Misérables

Debri Tsonga dans Les Misérables

Meilleure Adaptation :

Adults in the room, Costa-Gavras

J'accuse, Roman Polanski

J'ai perdu mon corps, Jérémy Clapin

Roubaix, une lumière, Arnaud Desplechin

Seules les Bêtes, Dominik Moll

Meilleur scénario original :

Nicolas Bedos pour La Belle Époque

François Ozon pour Grâce à Dieu

Olivier Nakache et Éric Toledano pour Hors normes

Ladj Ly, Giordano Gederlini et Alexis Manenti pour Les Misérables

Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu

Meilleur Premier Film :

Atlantique de Mati Diop

Au nom de la terre d’Edouard Bergeon

Le Chant du loup d’Antony Baudry

Les Misérables de Ladj Ly

Papicha de Mounia Meddour

Meilleur Film d'Animation :

La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti

J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec

Meilleur court métrage :

Beautiful Loser de Maxime Roy

Pile Poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller

Le Chant d’Ahmed de Foued Mansour

Chien bleu de Fanny Liatard

Netta Football Club d’Yves Piat

Meilleur Court-Métrage d'Animation :

Ce magnifique gâteau de Marc James Roels et Emma de Swaef

Je sors acheter des cigarettes d’Osman Cerfon

La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel

Make It Soul de Jean-Charles Mbotti Malolo

Meilleur Film Étranger :

Douleur et Gloire de Pedro Almodovar

Le Jeune Ahmed de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Joker de Todd Phillips

Lola vers la mer de Laurent Micheli

Once Upon A Time in Hollywood de Quentin Tarantino

Parasite de Bong Joon-ho

Le Traître Marco Bellocchio

Meilleur documentaire :

68, mon Père et les Clous de Samuel Bigiaoui

La Cordillère des songes de Patricio Guzmán

Lourdes de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

M de Yolande Zauberman

Wonder boy Olivier Rousteing, né sous X de Anissa Bonnefont

30 janvier 2020

Inauguration à Paris d'une statue de René Goscinny

Le scénariste de bande-dessinée, auteur de Lucky Luke ou Asterix, est décédé il y a maintenant 43 ans mais son oeuvre, immense, est toujours vivante. Une statut à son effigie a été inaugurée à Paris. …

30 janvier 2020

Les Césars

cesars

Nominations aux Césars : « J’accuse », « Les Misérables », « La Belle Epoque » et « Portrait de la jeune fille en feu » en tête

L’Académie, faisant avant tout droit à la qualité esthétique de son film « J’accuse », n’a pas cédé à la campagne de boycott qui accompagne Roman Polanski.

Au Fouquet’s, à 10 heures, à Paris, se tenait mercredi 29 janvier, en toute simplicité, la conférence de presse de la nomination des Césars 2020, dont la cérémonie aura lieu le vendredi 28 février. Mais il devient difficile pour un événement un tant soit peu exposé de passer à travers les mailles de la vigilance contemporaine, comme d’ailleurs de ses effets pervers qui consistent à créer de la polémique à tout bout de champ.

Le cinéma, avec ses ors et son entre-soi, échappe moins que tout autre à cette nouvelle règle. Régulièrement étrillés pour l’ennui qu’ils distillent, épinglés en 2017 sur la question d’une présidence contestée, celle, en l’occurrence, de Roman Polanski, les Césars ont ainsi d’ores et déjà été atteints par un premier « Scud », portant sur l’opacité de leur organisation et de leur fonctionnement, émanant de la corporation elle-même, en l’espèce la Société des réalisateurs de films (SRF).

Adressé le lundi 13 janvier, peu avant le « dîner des révélations », un communiqué dénonçait le refus de l’Académie d’entériner le choix des marraines – la romancière Virginie Despentes, la réalisatrice Claire Denis – fait par deux jeunes acteurs (Jean-Christophe Folly et Amadou Mbow). Excuses officielles immédiates, arguant d’un quiproquo, qui n’empêcha pourtant pas l’envoi, le 17 janvier, d’un second communiqué du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) qui appelait l’Académie à « plus de transparence et de modernité », et renchérissait sur l’aspect « discriminatoire » du refus de ces parrainages.

La réponse d’Alain Terzian, président de l’Académie des Césars, ne se fit pas non plus attendre, menée cette fois sur un ton plus offensif.

Atmosphère touffue

C’est dire dans quelle atmosphère touffue se tenait, ce mercredi, la conférence de presse de l’annonce des nominations. Elle fut d’emblée apaisée par Alain Terzian dans un bref discours liminaire, qui prenait acte de la contestation et signifiait la volonté de l’Académie de s’engager à « élargir le conseil d’administration en le faisant voter par l’assemblée générale », d’œuvrer à « la modernisation et à la parité », tout en « retissant des liens entre les générations ». A la suite de ces vœux énoncés avec « détermination », la conférence de presse fut expédiée sans fioritures sous la preste conduite de la future maîtresse de cérémonie, Florence Foresti, au cours d’une lecture en mode mitraillette.

Peu de surprises ressortent de cette annonce, dont les grands gagnants sont J’accuse, de Roman Polanski, avec douze nominations, suivi des Misérables, de Ladj Ly, et de La Belle Epoque, conte mélancolique de Nicolas Bedos, avec onze nominations chacun, puis de Portrait de la jeune fille en feu, film-peinture de Céline Sciamma. A quelques encablures, Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechin, ainsi que Grâce à Dieu, de François Ozon – deux beaux films d’auteur à tendance sociétale marquée –, ne perdent rien de leurs chances de décrocher du moins le titre de la meilleure réalisation et/ou du meilleur film.

De grands absents

Ce par quoi, évidemment, la polémique, brièvement chassée par la porte, se réintroduit céans par la fenêtre. Les membres de la corporation, droits dans leurs bottes et faisant avant tout droit à la grande qualité esthétique de J’accuse, film consacré à l’affaire Dreyfus, n’ont en effet pas cédé à la campagne d’accusations et de boycott qui accompagne désormais chacune des apparitions de Polanski ou d’un de ses films.

Les faits ne sont pourtant pas minces, puisqu’une nouvelle plainte pour viol avait été rendue publique peu avant la sortie du film. Il ne fait donc guère de doute que, à compter de cette conférence de presse, un nouveau mouvement de protestation s’engage. Interrogé à l’occasion de la conférence de presse, Alain Terzian a répliqué que les Césars ne sont « pas une instance qui doit avoir des positions morales ».

Du côté de ceux sans qui le cinéma se réduirait à pas grand-chose, à savoir les actrices et les acteurs, relevons les noms d’Adèle Haenel, Anaïs Demoustier, Eva Green ou Doria Tillier ; là ceux de Jean Dujardin, Roschdy Zem, Daniel Auteuil ou Vincent Cassel.

Relevons aussi, au passage, la haute tenue de la section documentaire avec, notamment, M, de Yolande Zauberman, 68, mon père et les clous, de Samuel Bigiaoui, La Cordillère des songes, de Patricio Guzman.

Protestons enfin pour les scandaleusement peu nommés, eu égard à leurs vertus, Jeanne, de Bruno Dumont, Alice et le maire, de Nicolas Pariser, et Proxima, d’Alice Winocour. Consignons enfin, pour la postérité, dans l’obituaire de rigueur, les noms de ces grands et regrettés absents que sont Quentin Dupieux pour Le Daim et Rebecca Zlotowski pour Une fille facile, deux des films les plus frais, intelligents et aériens de l’année 2019.

Jacques Mandelbaum

Les douze nominations aux Césars de « J’accuse » de Polanski ont fait réagir. La secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s’est interrogée mercredi sur RTL du « message qui est envoyé ». « Là, je crois que l’on ne respecte pas les femmes », a-t-elle ajouté, estimant que « manifestement, le cinéma n’a pas terminé sa révolution en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles ». « 12 nominations pour le film J’accuse de Polanski ! 12 comme le nombre de femmes qui l’accusent de viols ! Honte @Les Césars », a écrit sur Twitter l’association Osez le féminisme, avant d’appeler à manifester devant la salle Pleyel, où se tiendra, le 28 février, la cérémonie présidée par l’actrice Sandrine Kiberlain.

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30 janvier 2020

Ce soir à la télévision : François Fillon, la vie après le crash

Par Solenn de Royer, Vanessa Schneider - Le Monde

Le candidat malheureux de la droite à la présidentielle de 2017, qui doit être jugé du 24 février au 11 mars devant le tribunal correctionnel de Paris, sort de sa réserve : il est l’invité, jeudi 30 janvier, de « Vous avez la parole », sur France 2.

Il tend sa carte d’embarquement à l’hôtesse d’Air France et s’installe dans la cabine business. Ce 17 avril 2019, François Fillon vient de passer trois jours au Liban pour sa fondation Agir pour les chrétiens d’Orient. En attendant le décollage, il repense avec tristesse à Notre-Dame de Paris, dont il a suivi l’incendie dévastateur deux jours plus tôt, alors qu’il dînait sur le port de Beyrouth. Son officier de sécurité le sort brutalement de sa rêverie : « Robert Bourgi est dans l’avion ! » M. Fillon racontera plus tard à un ami : « A cet instant, je me suis dit : “Si je le croise, pas sûr que je sois capable de ne pas lui mettre ma main dans la figure.” »

Par le plus mauvais des hasards, l’avocat franco-libanais, proche de Nicolas Sarkozy, qui avait achevé de plomber sa campagne en révélant à la presse avoir offert à M. Fillon de coûteux costumes, se trouvait dans le même hôtel que lui, à Beyrouth. Les deux hommes ne se sont pas croisés. Cette fois, François Fillon se sent coincé. Quand une hôtesse vient lui proposer un surclassement en première, à côté d’un siège encore vide, il hésite : « C’est gentil, mais je préfère ma place seule en business. » L’hôtesse sourit et murmure élégamment : « Soyez tranquille, M. le premier ministre. M. Bourgi se trouve en business. »

Près de trois ans après le fiasco présidentiel, le candidat malheureux de la droite reste hanté par la tragédie politico-judiciaire qui, pense-t-il, lui a coûté l’Elysée. Il sera jugé, du 24 février au 11 mars, devant le tribunal correctionnel de Paris, dans l’affaire des emplois présumés fictifs dont aurait bénéficié son épouse, Penelope, quand il était député. L’ancien premier ministre devra notamment répondre de « détournement de fonds publics », « complicité et recel » de ce délit, « complicité et recel d’abus de biens sociaux », ainsi que de « manquement aux obligations déclaratives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

Une échéance majeure, qui l’a décidé à sortir de sa réserve : jeudi 30 janvier, il est l’invité de « Vous avez la parole », sur France 2. M. Fillon a préparé ce retour avec sa communicante, Anne Méaux, l’influente patronne d’Image 7, sa plume et conseiller depuis trente ans, Igor Mitrofanoff, et son avocat, Antonin Lévy. Une réunion de stratégie a eu lieu le 16 janvier, dans les bureaux de l’agence. « Il y a une impatience chez lui de pouvoir s’expliquer directement et non face à un juge, dont certains propos fuitent sans qu’il puisse se défendre, explique Me Lévy. Il veut parler sans intermédiaires, dire sa vérité. »

La page est tournée

Depuis son effondrement, l’ancien premier ministre s’est fait discret. Sa première apparition publique, après l’« affaire », date du 3 juillet 2018. Impeccable dans un costume bleu marine à rayures, il a croisé ce jour-là le Tout-Paris des médias, de la politique et des affaires dans les jardins du Cercle Interallié, où Image 7 fêtait ses 30 ans. « Il avait l’air très tranquille, s’étonne encore un invité. Il a choisi de faire de l’argent dans le privé. Ce qu’il a fait à la droite ne semble pas l’empêcher de dormir… »

« BEAUCOUP L’ONT MAUVAISE. ILS DISENT : “IL NOUS A CONDUITS AU CIMETIÈRE, ON N’IRA PAS FLEURIR LA TOMBE.” »

BRICE HORTEFEUX, ANCIEN MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Tous ceux qui l’ont aperçu depuis le décrivent en effet « détaché », ayant « tourné la page de la politique », « heureux de sa nouvelle vie » comme senior partner dans la société de gestion et d’investissements Tikehau Capital. C’est Anne Méaux qui l’a présenté aux deux fondateurs du fonds, Antoine Flammarion et Mathieu Chabran.

Depuis l’automne 2017, l’ex-chef du gouvernement travaille au neuvième étage d’un immeuble chic et aseptisé, près du parc Monceau. Pour le compte de cette société cotée en Bourse, qui pèse 3 milliards d’euros, il parcourt le monde à la recherche d’investisseurs potentiels. En octobre 2019, il se trouvait à Milan pour séduire des industriels de l’automobile dans lesquels Tikehau veut investir. L’an passé, il a œuvré à la création de l’International Advisory Board, auquel il a associé son ami l’ancien premier ministre italien Enrico Letta. « Il s’est remis à niveau en anglais et s’est reformé de A à Z pour son nouveau métier, raconte Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat. Il voulait se prouver à lui-même qu’il y avait une vie après la politique, en s’immergeant complètement dans son job. »

M. Flammarion et M. Chabran ont demandé à leur associé de bannir toute incursion dans le champ politique. « Dès qu’il y a un article sur lui, ils grimpent aux rideaux », raconte un proche des deux dirigeants, qui ne sont guère enthousiastes à l’idée de voir leur nouvelle recrue sur un plateau de télévision. L’arrivée de l’ex-candidat à la présidentielle, mis en examen en pleine campagne, n’aurait d’ailleurs pas été du goût de tous les clients de la société. Mais « nous en avons 60 000 », relativise-t-on rue de Monceau. « M. Fillon apporte son expérience, ses connexions, sa connaissance du tissu économique et son envergure internationale », explique-t-on chez Tikehau.

« Maintenant, j’ai mes week-ends »

Après cette campagne « cauchemar », François Fillon s’est recentré sur sa famille, son clan. Son frère, Pierre, président de l’Automobile Club de l’Ouest, qui a la charge des 24 Heures du Mans, a épousé Jane Clark, la sœur de Penelope. Les deux couples sont inséparables, se retrouvent parfois le week-end à Solesmes, dans la Sarthe, où François et Penelope ont acquis, en 1984, le ravissant manoir de Beaucé ; l’été, ils louent des maisons voisines en Toscane. Il est aussi très lié à son frère Dominique, musicien de jazz. « Ils ont fait bloc, constate Igor Mitrofanoff. La douleur était telle, dans et autour de la famille, qu’ils ont géré cela ensemble dans le silence, en dressant une muraille avec le monde extérieur. »

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A ceux qu’il croise désormais, il assure qu’il est heureux d’avoir retrouvé sa liberté. « Tu sais, maintenant, j’ai mes week-ends », a-t-il ainsi glissé cet automne au député (LR) du Bas-Rhin Patrick Hetzel, lors d’un déjeuner au Divellec, restaurant de poissons du 7e arrondissement de Paris. Celui qui a laissé sa famille politique en lambeaux, déçu ses amis et déboussolé ses soutiens semble décidé à profiter de la vie, de la sienne surtout.

Dès le lendemain de son échec au premier tour de la présidentielle, le 24 avril 2017, il a appelé son ami le financier Arnaud de Montlaur, qui avait levé des fonds pour sa campagne : « Il faut voir le bon côté des choses, lui lance-t-il, ça fait des années que tu me parles de moto, maintenant, je peux venir avec toi. » A la fin de l’été, Fillon part désormais chaque année faire des excursions de moto-cross dans les Pyrénées ou le Massif central. L’ex-premier ministre, qui s’est initié à la photo à Matignon, est aussi devenu le photographe attitré du petit groupe d’amis.

Il n’a pas délaissé sa passion pour les courses automobiles pour autant. En 2017, le patron de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), Jean Todt, lui a proposé la présidence de la « commission constructeurs » de l’institution. Début janvier, l’ancien patron de Ferrari a dîné avec M. Fillon et M. Flammarion et leurs épouses respectives. Heureux de voir son ami, Jean Todt n’a pas osé insister sur le procès qui vient. « Je ne l’ai jamais vu se plaindre. Il est fier », confie M. Todt, qui le croise parfois sur les circuits.

Ni remords ni regrets

Décidément bien loin des tourments qui agitent ses anciens amis politiques, François Fillon a décidé de s’adonner à un nouveau hobby, la chasse. C’est Henri de Castries qui l’y a initié. L’ancien patron d’Axa l’a invité une première fois à chasser le gros gibier en Ecosse, le week-end du 13 mai 2017, pour lui changer les idées. Au même moment, à Paris, le vainqueur de la présidentielle descendait les Champs-Elysées. Le groupe de chasseurs, parmi lesquels l’avocat d’affaires Antoine Gosset-Grainville, ex-bras droit de M. Fillon à Matignon, n’a vu aucune image du triomphe d’Emmanuel Macron, leur hôtel étant dépourvu de télévision.

« J’essaye de vivre de façon agréable, confortable, a récemment confié M. Fillon à un proche. On a pu dire que j’étais hédoniste, ce n’est pas totalement faux. Je fais des trucs que j’aime, qui m’amusent. Je n’ai pas de remords. »

Ni remords ni regrets, une posture d’apparente indifférence qui a laissé un sentiment d’amertume et de colère à ceux qui ont fait sa campagne. L’ancienne ministre Roselyne Bachelot, qui avait toujours une anecdote amusante à raconter sur son « ami François », ne veut plus en parler. Le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, serait encore « ulcéré, profondément blessé », raconte l’ancien directeur de campagne du candidat LR, Patrick Stefanini, qui a quitté l’équipe au lendemain du meeting du Trocadéro et ne veut plus le voir.

Chez LR, François Fillon a disparu des conversations. « Qui sème le vent, récolte la tempête, puis l’indifférence », soupire un membre de la nouvelle direction du parti. « Il a disparu du jour au lendemain de la politique, du parti, de ses amis, observe l’ancien ministre sarkozyste Brice Hortefeux. Beaucoup l’ont mauvaise. Ils disent : “Il nous a conduits au cimetière, on n’ira pas fleurir la tombe.” »

Impavide, perçu comme « perso », solitaire, l’ancien premier ministre n’a pas hésité à brutalement couper avec le monde politique, sans se retourner. Bruno Retailleau est le seul qu’il revoit vraiment. Un appel tous les quinze jours, un dîner de temps en temps. « C’est un grand brûlé de la politique, ça reste très douloureux pour lui, mais il ne dit rien, assure le sénateur de Vendée. On sent qu’il cherche à enfouir tout ce qui s’est passé. »

Affronter ses fantômes

Même Jérôme Chartier, l’un de ses derniers soutiens, ne l’a pas revu depuis un an. « Le temps a fait son œuvre », confie sans amertume l’ex-député du Val-d’Oise, qui a connu une période difficile après la défaite. Mais avec ce fidèle lieutenant, qui semblait aller si mal, François Fillon s’est montré prévenant. Il l’a appelé, emmené déjeuner. Un an après, M. Chartier lui a envoyé un SMS, en guise d’au revoir : « Je me sens en pleine forme. Je te remercie d’avoir été là. » Depuis, ils ne se sont plus revus.

Le 12 décembre 2019, clôturant au Sénat un colloque sur les chrétiens d’Orient, la voix du candidat défait s’est légèrement voilée au moment d’évoquer publiquement le crash, pour la première fois depuis la présidentielle : « J’ai tout donné. J’aurais voulu faire mieux et plus encore… Il ne faut pas ruminer le passé. »

Le perdant nie toute nostalgie. « Ce n’est peut-être pas bon signe, d’ailleurs, a-t-il admis devant un proche. Certains peuvent me le reprocher… le fait que je n’ai pas envie de continuer le combat. Mais quarante ans, c’est long… Faire autre chose, c’est bien ! »

Enrico Letta, qui a, lui aussi, changé de vie en devenant le doyen de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po Paris, abonde : « Parmi les ex-premiers ministres que je connais, c’est celui qui a tourné la page le plus nettement. Sans regrets, sans volonté de retourner en arrière. » L’intéressé soupire parfois : « S’il n’y avait pas les sujets judiciaires, la vie serait parfaite. »

Dans un mois, François Fillon va en effet devoir affronter ses fantômes. « L’approche du procès ravive la blessure », admet une proche. Ses amis sont inquiets pour lui. Lui s’inquiète pour Penelope. « Elle n’arrive pas à dépasser cette histoire », répète-t-il à ses interlocuteurs, qui sentent bien qu’il « culpabilise ». « Il ne peut pas dire : “J’ai mal”, alors il dit : “Penelope va mal” », analyse l’un de ses amis, en décrivant cette dernière – qui comparaîtra à ses côtés – comme « réservée, mais plus costaud qu’on ne croit ».

Me Lévy le dit « concentré », « combatif » : « Il sait que le procès va être un moment compliqué. » « Il y allait comme un mouton à l’abattoir, ajoute l’un de ses amis. Il a finalement décidé de s’exprimer avant le procès. Car s’il est condamné, il ne pourra plus parler. Il a quarante ans de vie politique derrière lui. Il ne pouvait pas s’en aller comme ça. »

29 janvier 2020

Critique - Dans « Histoire d’un regard », Mariana Otero filme Gilles Caron, l’homme derrière l’objectif

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Par Mathieu Macheret – Le Monde

La documentariste a plongé dans l’œuvre du photographe, mort en 1970 à l’âge de 30 ans, pour tenter d’en faire le portrait.

L’AVIS DU « MONDE » - À NE PAS MANQUER

Comment tirer le portrait du portraitiste, lui qui a pour habitude de se dérober derrière ses modèles ? A fortiori comment le faire en son absence, quand celui-ci est mort depuis longtemps ? La documentariste Mariana Otero (Entre nos mains, L’Assemblée) répond avec Histoire d’un regard, son dernier long-métrage, consacré au photographe Gilles Caron (1939-1970), de la plus belle des manières. Elle plonge au cœur de ses œuvres, pour faire d’elles la matière première du film et poursuivre leur trame secrète, où se dessine quelque chose du cheminement et du geste singulier de l’artiste. Mais aussi, peut-être, du secret de son absence.

Une certaine discrétion caractérisait, semble-t-il, la personnalité de Gilles Caron, photoreporter pour l’agence Gamma disparu en 1970 au Cambodge à l’âge de 30 ans. C’est de ce retrait que part Mariana Otero : alors qu’on lui doit certaines des photographies les plus célèbres de la seconde moitié des années 1960, dont certaines habitent la mémoire collective (le sourire narquois du jeune Daniel Cohn-Bendit opposé à un CRS en mai 1968), son nom reste peu identifié du grand public. Durant sa courte période d’activité (1964-1970), Caron est monté au front des conflits et événements les plus significatifs de son temps, du Vietnam au Biafra, de la guerre des Six-Jours à la fin du « printemps de Prague ». Ses images resplendissent de présences humaines intenses, saisies la plupart du temps dans le feu de la lutte ou la fugace parenthèse d’un regard éloquent.

Le film ne se contente pas de compiler les meilleurs clichés de Caron, façon « best of », mais les investit comme un terrain d’enquête, propice à reconstituer des phases entières et décisives de reportages. Mariana Otero remonte à ses rouleaux de pellicule numérotés pour observer le travail du journaliste dans son déroulement : les photographies ne sont plus considérées isolément, comme des objets sortis de nulle part, mais resituées dans des séquences de prises de vue qui en révèlent l’avant et l’après. C’est sans doute dans cet angle « analytique » que se situe la part la plus passionnante du film. Inscrire la photographie dans la dimension temporelle du cinéma permet de saisir la part de tâtonnement, de recherche, qui la caractérise – ce qu’on pourrait appeler « l’exercice » du regard.

Pratique du pas de côté

Une scène d’anthologie révèle les coulisses de la fameuse photographie de Cohn-Bendit : c’est en se déportant audacieusement sur le côté de la scène que Caron trouve le bon angle pour immortaliser l’insolence étudiante de Mai 68. Tout l’art du photographe semble tenir précisément dans cette pratique du pas de côté, susceptible de révéler la scène à elle-même. Lors de la bataille de Dak To, au Vietnam, en novembre 1967, alors que les affrontements font rage, Caron prend sur lui de passer devant les troupes pour saisir le visage des soldats, et plus seulement leurs silhouettes de dos.

Nikon F

Le mythique NIKON F

LES IMAGES RACONTENT L’EXTRÊME MOBILITÉ DU PHOTOGRAPHE, SA FAÇON DE VIBRIONNER AUTOUR D’UN ÉVÉNEMENT

Par un beau travail de voix off, la réalisatrice retrace les enjeux et le déroulement des situations, en partant toujours des images, de ce qu’elles montrent, de ce qu’elles oblitèrent. C’est leur observation scrupuleuse qui lui permet, avec l’aide de l’historien Vincent Lemire, de reconstituer le parcours géographique de Caron à Jérusalem lors de la guerre des Six-Jours. Ainsi scrutées, les images racontent aussi l’extrême mobilité du photographe, sa façon de vibrionner autour d’un événement, pour en dénicher le cœur battant.

Le personnage demeure jusqu’au bout insaisissable, mystérieux : il semble avoir été atteint par la violence des conflits qu’il allait couvrir comme autant de réminiscences d’une guerre d’Algérie dont il gardait au fond de lui la blessure. En Irlande du Nord, Mariana Otero retrouve d’anciens modèles de ses reportages sur les émeutes du Bogside, en août 1969, à l’occasion d’un émouvant passage : des années plus tard, personne ne se souvient du photographe qui a donné aux événements le visage et la posture iconique d’une jeune insurgée blonde, en jupe et sandales, au milieu des gravats. Partout, le reporter semble s’être effacé, comme absorbé par la légende de ses images. Et si Gilles Caron était passé tout entier du côté de ses photographies ? L’histoire d’un regard s’avère ainsi le meilleur fil à délier pour retrouver l’homme disparu derrière l’objectif.

Documentaire français de Mariana Otero (1 h 33). diaphana.fr/film/histoire-dun-regard

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SYNOPSIS

Gilles Caron, alors qu’il est au sommet d’une carrière de photojournaliste fulgurante, disparaît brutalement au Cambodge en 1970. Il a tout juste 30 ans. En l’espace de six ans, il a été l’un des témoins majeurs de son époque, couvrant pour les plus grands magazines la guerre des Six Jours, mai 68, le conflit nord-irlandais ou encore la guerre du Vietnam.

Lorsque la réalisatrice Mariana Otero découvre le travail de Gilles Caron, une photographie attire son attention qui fait écho avec sa propre histoire, la disparition d’un être cher qui ne laisse derrière lui que des images à déchiffrer. Elle se plonge alors dans les 100 000 clichés du photoreporter pour lui redonner une présence et raconter l’histoire de son regard si singulier.

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28 janvier 2020

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28 janvier 2020

Critique - Dans « Histoire d’un regard », Mariana Otero filme Gilles Caron, l’homme derrière l’objectif

Par Mathieu Macheret

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La documentariste a plongé dans l’œuvre du photographe, mort en 1970 à l’âge de 30 ans, pour tenter d’en faire le portrait.

L’AVIS DU « MONDE » - À NE PAS MANQUER

Comment tirer le portrait du portraitiste, lui qui a pour habitude de se dérober derrière ses modèles ? A fortiori comment le faire en son absence, quand celui-ci est mort depuis longtemps ? La documentariste Mariana Otero (Entre nos mains, L’Assemblée) répond avec Histoire d’un regard, son dernier long-métrage, consacré au photographe Gilles Caron (1939-1970), de la plus belle des manières. Elle plonge au cœur de ses œuvres, pour faire d’elles la matière première du film et poursuivre leur trame secrète, où se dessine quelque chose du cheminement et du geste singulier de l’artiste. Mais aussi, peut-être, du secret de son absence.

Une certaine discrétion caractérisait, semble-t-il, la personnalité de Gilles Caron, photoreporter pour l’agence Gamma disparu en 1970 au Cambodge à l’âge de 30 ans. C’est de ce retrait que part Mariana Otero : alors qu’on lui doit certaines des photographies les plus célèbres de la seconde moitié des années 1960, dont certaines habitent la mémoire collective (le sourire narquois du jeune Daniel Cohn-Bendit opposé à un CRS en mai 1968), son nom reste peu identifié du grand public. Durant sa courte période d’activité (1964-1970), Caron est monté au front des conflits et événements les plus significatifs de son temps, du Vietnam au Biafra, de la guerre des Six-Jours à la fin du « printemps de Prague ». Ses images resplendissent de présences humaines intenses, saisies la plupart du temps dans le feu de la lutte ou la fugace parenthèse d’un regard éloquent.

Le film ne se contente pas de compiler les meilleurs clichés de Caron, façon « best of », mais les investit comme un terrain d’enquête, propice à reconstituer des phases entières et décisives de reportages. Mariana Otero remonte à ses rouleaux de pellicule numérotés pour observer le travail du journaliste dans son déroulement : les photographies ne sont plus considérées isolément, comme des objets sortis de nulle part, mais resituées dans des séquences de prises de vue qui en révèlent l’avant et l’après. C’est sans doute dans cet angle « analytique » que se situe la part la plus passionnante du film. Inscrire la photographie dans la dimension temporelle du cinéma permet de saisir la part de tâtonnement, de recherche, qui la caractérise – ce qu’on pourrait appeler « l’exercice » du regard.

Pratique du pas de côté

Une scène d’anthologie révèle les coulisses de la fameuse photographie de Cohn-Bendit : c’est en se déportant audacieusement sur le côté de la scène que Caron trouve le bon angle pour immortaliser l’insolence étudiante de Mai 68. Tout l’art du photographe semble tenir précisément dans cette pratique du pas de côté, susceptible de révéler la scène à elle-même. Lors de la bataille de Dak To, au Vietnam, en novembre 1967, alors que les affrontements font rage, Caron prend sur lui de passer devant les troupes pour saisir le visage des soldats, et plus seulement leurs silhouettes de dos.

LES IMAGES RACONTENT L’EXTRÊME MOBILITÉ DU PHOTOGRAPHE, SA FAÇON DE VIBRIONNER AUTOUR D’UN ÉVÉNEMENT

Par un beau travail de voix off, la réalisatrice retrace les enjeux et le déroulement des situations, en partant toujours des images, de ce qu’elles montrent, de ce qu’elles oblitèrent. C’est leur observation scrupuleuse qui lui permet, avec l’aide de l’historien Vincent Lemire, de reconstituer le parcours géographique de Caron à Jérusalem lors de la guerre des Six-Jours. Ainsi scrutées, les images racontent aussi l’extrême mobilité du photographe, sa façon de vibrionner autour d’un événement, pour en dénicher le cœur battant.

Le personnage demeure jusqu’au bout insaisissable, mystérieux : il semble avoir été atteint par la violence des conflits qu’il allait couvrir comme autant de réminiscences d’une guerre d’Algérie dont il gardait au fond de lui la blessure. En Irlande du Nord, Mariana Otero retrouve d’anciens modèles de ses reportages sur les émeutes du Bogside, en août 1969, à l’occasion d’un émouvant passage : des années plus tard, personne ne se souvient du photographe qui a donné aux événements le visage et la posture iconique d’une jeune insurgée blonde, en jupe et sandales, au milieu des gravats. Partout, le reporter semble s’être effacé, comme absorbé par la légende de ses images. Et si Gilles Caron était passé tout entier du côté de ses photographies ? L’histoire d’un regard s’avère ainsi le meilleur fil à délier pour retrouver l’homme disparu derrière l’objectif.

Documentaire français de Mariana Otero (1 h 33). diaphana.fr/film/histoire-dun-regard

27 janvier 2020

Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le centoventi giornate di Sodoma)

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Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le centoventi giornate di Sodoma) est un film italien réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1976. Il s'agit du dernier film du cinéaste, assassiné quelques mois avant sa sortie.

C'est une libre adaptation, transposée au xxe siècle, de la grande œuvre du marquis de Sade (1740-1814), Les Cent Vingt Journées de Sodome, dont l’action se passait, elle, à la fin du règne de Louis XIV (mort en 1715).

L'action commence à Salò, ville près du lac de Garde où, en septembre 1943, les nazis installèrent Benito Mussolini, qu'ils venaient de libérer. Quatre notables riches et d'âge mûr y rédigent leur projet macabre. Elle se poursuit par la capture de 9 jeunes garçons et 9 jeunes filles dans la campagne et quelques villages alentour.

Les quatre notables, le Duc, l’Évêque, le Juge et le Président, entourés de divers servants armés et de quatre prostituées, ainsi que de leurs femmes respectives (chacun ayant épousé la fille d'un autre au début du film), s'isolent dans un palais des environs de Marzabotto, dans la république de Salò.

Le film se divise en quatre tableaux, comme dans l'œuvre du marquis de Sade, qui prennent le nom de cercles infernaux, comme dans l'œuvre de Dante Alighieri :

le premier tableau est intitulé Antinferno (le « Vestibule de l'enfer »), dans lequel le réalisateur plante le décor ;

le deuxième se nomme Girone delle manie (le « Cercle des passions »). Il est l'occasion de diverses scènes de viol sur les adolescents ;

le troisième est celui du Girone della merda (le « Cercle de la merde »), où les victimes doivent notamment se baigner dans des excréments, manger ceux du Duc ou encore des plats fécaux au cours d'un grand banquet aménagé pour l'occasion ;

le dernier tableau, celui du Girone del sangue (le « Cercle du sang »), est l'occasion de diverses tortures et mutilations (langue coupée, yeux énucléés, scalpations, marquages au fer de tétons et de sexes…), et finalement meurtre des adolescents.

Le tout est crûment montré dans un scénario proche de la réalité. Toujours interdit de diffusion à la télévision publique, Salò fait l'objet d'un véritable culte et a longtemps été projeté dans une salle « Art et Essai » du Quartier latin de Paris. Réservé à un public très averti, il a toutefois été diffusé en France sur CinéCinéma Classic à l'occasion d’une intégrale Pasolini et sur Paris Première.

Le film fut diffusé sur FR3 fin 1970 au « cinéma de minuit » dans le cadre d’un cycle Pasolini.

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