SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (MUNICH)
On le croyait passager, mais l’exode urbain se poursuit. Depuis la fin du confinement, les Parisiens sont nombreux à vouloir concrétiser leurs projets de déménagement en région, relate la Süddeutsche Zeitung. Le prix de l’immobilier est un facteur déterminant.
Ce rendez-vous pourrait sans problème être une scène de carte postale. Pavés, tables de bistrot sur le trottoir, tasse de café et croissant, et le soleil qui brille. “J’adore Paris, déclare Thiên-Thanh Tran, mais je n’y viendrai plus qu’en touriste à l’avenir.” Après quinze années au cours desquelles cette jeune provinciale est devenue parisienne, elle prend congé de la carte postale.
Le coronavirus n’est pas directement responsable de cette décision mais il a transformé en certitude une idée qui lui trottait dans la tête : il faut que je parte. Après le confinement, l’agence Paris, je te quitte [dédiée à l’accompagnement des Parisiens souhaitant s’installer en région] a publié un sondage sur les projets de déménagement. Si 38 % des personnes interrogées voulaient partir “le plus vite possible” en février, elles étaient 54 % en mai. Une agence dont le fonds de commerce consiste à vendre le rêve d’une vie hors de la capitale n’est certes pas la source la plus neutre, mais rien que le succès rencontré par Paris, je te quitte depuis trois ans – et le fait qu’il existe au moins deux autres agences misant sur le ras-le-bol de la capitale –, montre le peu d’attrait qu’offre cette ville dès lors qu’on y vit.
Un désir d’arbres, d’une maison, de calme
Alors qu’un retour à la normale s’amorce pour la plupart des Français après la première vague de Covid-19, une question demeure : que reste-t-il des idées nées pendant le confinement ? Que va devenir le désir collectif d’arbres, d’une maison, de calme ? Au fur et à mesure que le virus se répandait, on avait l’impression que le dégoût de la grande métropole gagnait le monde entier. “New York en vaut-elle encore la peine ?” demandait le New York Times en rapportant abondamment l’exode urbain précipité des Américains.
Près d’un quart des habitants de Paris ont passé ces deux mois de pause forcée à la campagne, à en croire les informations communiquées par les téléphones mobiles – dans leur résidence secondaire ou sur le canapé-lit des parents, selon leurs moyens financiers. Les petites annonces immobilières des journaux ont indiqué une explosion de la demande de maisons avec jardin hors de Paris. Le coronavirus a accéléré un phénomène qui était en cours depuis des années : les Français n’aiment plus la ville de l’amour.
Le New York Times faisait également intervenir des hordes de personnes qui s’indignaient qu’on puisse vouloir quitter la ville. Le New-Yorkais reste à New York, puisque New York a besoin de lui, telle était la logique. Cela ne semble pas s’appliquer à Paris. Quand Thiên-Than Tran a annoncé à ses connaissances qu’elle s’installait à Lyon, tout le monde s’est simplement déclaré content pour elle. Une biographie française standard comporte en effet ces deux étapes : on s’installe à Paris pour le travail à un moment, puis on finit par en repartir, pour cause d’épuisement.
Thiên-Tanh avait 20 ans lorsqu’elle a quitté Orléans pour venir à Paris travailler comme dessinatrice de films d’animation. Elle a maintenant la mi-trentaine et sa fille aura bientôt 3 ans. “Tout ce qui me plaisait à Paris, je ne le supporte plus” : les expositions, les restaurants, les cinémas. Pendant le confinement, ces huit semaines où on n’avait pas le droit de s’éloigner de plus d’un kilomètre de son domicile, Thiên-Tanh a eu l’impression de n’avoir que du béton à offrir à sa fille.
À la naissance du premier enfant, on a envie de moins de saleté et de plus de place, les habitants des grandes villes du monde entier le savent. Cependant, Paris perd ses familles dans de telles proportions que la ville s’en retrouve changée plus que de raison. Le nombre d’élèves du primaire baisse de 3 000 par an depuis 2015. Sur plus de 600 maternelles et écoles primaires parisiennes, douze ont dû fermer rien qu’entre 2014 et 2018. D’une part parce que la crise financière de 2008 a découragé les Français à avoir beaucoup d’enfants, d’autre part à cause du coût de l’immobilier qui ne cesse d’augmenter. Il y a dix ans, on pouvait encore acheter un appartement pour 6 000 euros le mètre carré, en 2019, il fallait compter plus de 10 000 euros en moyenne.
Qu’est-ce que Thiên-Tanh a appris pendant ses années à Paris ? “Faire des économies. Et avoir l’air très occupée pour que personne ne vous adresse la parole”, confie-t-elle. Sa nouvelle vie, à Lyon, doit commencer dans deux semaines. Son mari travaille en libéral pour des sociétés du monde entier, peu importe où il est installé. entre-temps elle a fait des études de droit et va chercher un nouvel emploi à Lyon. Ils auront bientôt une grande terrasse, un appartement plus grand et des trottoirs suffisamment larges pour qu’on puisse y apprendre à un enfant à faire du vélo.
Thiên-Tanh parle de l’avenir avec un optimisme qui correspond tout à fait aux annonces des agences ayant pour credo “Au revoir, Paris”. Les photos qui incitent à aller vivre à Bordeaux, au bord de la Méditerranée ou dans les Alpes, ressemblent à des photos de vacances. Certes la plupart de ceux qui veulent quitter Paris souhaitent s’installer plus près de leur famille ou de vieux amis, mais le soleil et la mer sont tout aussi importants. Il y a tellement de Parisiens aisés qui se sont installés à Bordeaux, à une heure de l’Atlantique seulement, qu’on voit des graffitis “Parisien rentre chez toi” sur les murs de la ville.
Si on voit les choses de façon positive, le virus pousse les gens à oser réaliser leur rêve. Il donne l’élan nécessaire à ceux qui veulent depuis longtemps s’installer à la campagne ou dans une ville plus petite. Dans le même temps, il creuse aussi l’éloignement des Parisiens les uns des autres. La richesse et la pauvreté augmentent dans la ville. Quand on n’est ni très très riche ni très très pauvre, on va chercher son bonheur en banlieue, ou plus loin.
Plus on l’écoute, plus Thiên-Tanh a l’air déchirée. Vivre à Paris aurait aussi permis à sa fille de fréquenter les meilleures écoles. Et puis, il y a une vieille peur qui revient quand on part pour une ville plus petite. “Quand j’étais enfant à Orléans, mes camarades de classe me lançaient des injures racistes, j’étais la seule dont les parents venaient du Vietnam”, confie-t-elle. Ça ne lui est jamais arrivé à Paris, “c’est une ville cosmopolite, je me suis vraiment épanouie ici”. Elle se demande comment ça va se passer pour sa fille.
“Plus un quartier est sympa, plus les loyers sont inabordables”
Le café où Thiên-Tanh a voulu qu’on se retrouve est sur la Butte-aux-Cailles, une colline dans le sud de Paris. Une rue qui ressemble à une place de village animée. Pas de frénésie, les gens saluent des connaissances dans la rue. “Plus un quartier est sympa, plus les loyers sont inabordables”, déplore-t-elle. Sa fille va à la maternelle qui est juste à côté du café, mais l’appartement de la famille est plus loin.
Il y a quelques jours, une petite association a installé un poulailler pour quarante-huit heures [dans le cadre du festival Les 48 heures de l’agriculture urbaine]. Les enfants pouvaient nourrir les animaux pendant que les parents buvaient du vin blanc à côté. Ils avaient tout simplement fait venir en ville la vie à la campagne dont ils semblent tous rêver. On attendait la maire, qui s’était annoncée et n’est jamais venue, et tout le monde était d’accord autour du poulailler : finalement, la vie est devenue meilleure avec le coronavirus. Sans tourisme de masse, et après deux mois d’isolement, les gens apprécient davantage d’avoir des voisins et un “café du coin”.
Si seulement on avait les moyens de vivre cette vie.
Nadia Pantel