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Jours tranquilles à Paris

29 juillet 2020

Récit - « C’est un message d’adieu » : le secret du dernier tableau de Van Gogh

Par Judith Perrignon - Le Monde

Que s’est-il passé le 27 juillet 1890 pour que le peintre se retrouve avec une balle logée près du cœur ? A l’aide d’une vieille carte postale, un chercheur a déterminé le lieu précis où Van Gogh a passé cette journée : près d’un arbre dont les racines composent sa dernière œuvre, inachevée.

Vincent Van Gogh s’est éteint il y a cent trente ans, le 29 juillet 1890, une balle logée tout près du cœur. C’est long cent trente ans, le temps de voir éclater des guerres, des révolutions artistiques, le temps de marcher sur la Lune, de laisser disparaître quelques espèces et même de sentir la Terre se réchauffer dangereusement, mais ce n’est pas suffisant pour éteindre le mystère de cette mort-là. Ce geste fatal qui, comme ses toiles, ses lettres, traverse toutes les époques en ne demandant qu’une seule chose : comment vivre ?

La question est revenue nous hanter alors que l’humanité s’est immobilisée sous la pression du Covid-19. Van Gogh aussi, à sa manière. Car une découverte a été faite.

Wouter van der Veen, chercheur et auteur de plusieurs livres sur le peintre, était comme tout le monde bloqué chez lui, à Strasbourg. Il avait entrepris de classer d’anciennes cartes postales qu’il avait déjà numérisées, des photos d’Auvers-sur-Oise datées des années 1910, période à laquelle le village ressemblait encore à celui où Van Gogh avait vécu ses derniers mois et peint ses dernières toiles, vingt ans plus tôt.

Même mouvement des tiges

Soudain, l’une d’elles a retenu son attention, la numéro 37, cliché en noir et blanc d’un homme de dos, à l’arrêt à côté de son vélo, sur une route bordée d’arbres, rue Daubigny, dit la carte. Wouter van der Veen s’est attardé, l’a examinée longuement, il a zoomé sur les vieux arbres à gauche, leurs racines mises à nu par l’érosion du taillis.

Il pensait au dernier tableau de Van Gogh, Racines d’arbres, œuvre inachevée, dont des recherches poussées et récentes ont établi que c’était bien le dernier, celui sur lequel il travaillait encore au moment de sa mort, à 37 ans. Il l’a ouvert sur son écran. Puis il a comparé. Même mouvement des tiges. Mêmes boursouflures. Même coudes. Et si c’était cela son dernier paysage ?

Il a soumis son hypothèse aux éminences du Musée Van Gogh d’Amsterdam avec lequel il travaille depuis des années. Teio Meedendorp, l’un des responsables des recherches, se souvient de ses messages : « Appelle-moi vite, j’ai trouvé quelque chose ! » De l’extrême prudence avec laquelle lui-même a d’abord accueilli cette trouvaille : « Difficile de lier une photo à la peinture, surtout avec l’angle de celle-ci, de se fier à des paysages qui changent si vite. N’était-ce pas une coïncidence ? Mais j’aime beaucoup étudier la topographie. »

Teio Meedendorp et son acolyte du musée, Louis van Tilborgh, calculent alors les distances, les angles, les proportions, ils consultent un dendrologue, spécialiste des arbres et des végétaux ligneux, qui estime pour eux l’évolution possible des bois qui s’entrelacent sur la carte postale. C’est la photo de l’endroit comme il existe aujourd’hui qui est finalement venue confirmer l’hypothèse, après cinq semaines d’étude. « Tout était encore là, il y a cette racine horizontale, l’arbre devant. J’étais convaincu. C’était difficile à contester », poursuit Teio Meedendorp.

Une vieille souche

Car sitôt le confinement levé, Wouter van der Veen a fait le déplacement à Auvers pour en avoir le cœur net. Il a trouvé facilement l’emplacement, une vieille souche désormais couverte de lierre, un lieu de rendez-vous que les gens du coin appellent « l’Eléphant ».

Une dame de 104 ans lui a confié que, jeune fille, c’est par là qu’elle passait avec ses moutons pour aller aux champs. C’est donc par là que Vincent s’en allait « au paysage ». Vers les blés. C’est juste derrière l’auberge où il logeait, à 150 mètres. Après tout, il n’a jamais peint que ce qui était sur son chemin, ou ceux qui étaient sur son chemin. « Ce qui signifiait que je savais soudainement où il avait passé la journée du 27 juillet, et qu’un mystère tenace de la fin de sa vie venait d’être levé », explique Wouter van der Veen.

Que s’est-il passé ce jour-là ? C’était un dimanche. Il faisait très chaud. Van Gogh est parti comme chaque matin avec son barda, son chapeau vissé sur la tête. Longtemps, on a dit qu’il était allé dans les champs à l’arrière du château d’Auvers. Mais maintenant que le motif de sa toile en cours ce jour-là est localisé, il est probable qu’il a posé son chevalet sur la route Daubigny, qui s’appelait alors Grande Rue. Pourquoi peindre ces racines qui ne lui servaient jusque-là que de marchepied ? A quoi pensait-il ? Qu’y voyait-il ? On ne peut parler à sa place.

Mais Van Gogh, par ses innombrables lettres, plus de huit cents, dont l’essentiel à son frère, laisse un mode d’emploi, l’impression qu’il savait ce que l’avenir lui réservait, et qu’il l’éclairait depuis sa trop courte vie. « Peu d’artistes vous laissent aller si près d’eux, de leur personne », dit Teio Meedendorp. Dans une lettre de mai 1882 qui accompagne quelques croquis, notamment celui d’un vieil arbre aux racines apparentes, il dit y voir « quelque chose de la lutte pour la vie », « le fait de s’enraciner passionnément et convulsivement en quelque sorte dans la terre en étant pourtant à moitié arraché par les tempêtes ».

Seul Théo le relie à son passé

Ses racines à lui sont glacées, elles plongent dans le sol de Groot Zundert, petit village du sud des Pays-Bas, et plus précisément, là-bas, dans les quelques mètres qui séparent sa maison d’enfance de l’église dont son père était le pasteur. Il s’est employé à les suivre tout jeune en cherchant un temps la voie de Dieu, puis à les brûler tant il déplaisait à son austère père et à son édifice religieux. Choses impossibles, l’une comme l’autre.

On ne se défait pas de ses racines. Il a donc cherché à s’en éloigner et il a marché vers le sud, vers une tout autre lumière. Seul Théo le relie à son passé, mais aussi à la vie, à la société des hommes puisque c’est lui qui envoie de quoi peindre et de quoi se payer un toit. « Je suis le petit bateau que tu as en remorque, et qui parfois peut apparaître comme un fardeau dont tu pourrais, certes, te débarrasser en coupant la corde si tu le voulais », lui avait-il un jour écrit.

C’est Théo qui a organisé son rapatriement à Auvers-sur-Oise, après les crises qui ont émaillé son séjour à Arles, l’oreille coupée, les tentatives de se donner la mort, déjà. Tant de sombres signaux envoyés tandis que Théo se mariait, avait un fils qu’il appelait Vincent. Théo, dans ses lettres, le suppliait de ne pas se sentir abandonné. « Notre vie, justement par cet enfant, est si étroitement liée que tu ne dois pas avoir peur qu’une petite différence ne puisse occasionner un écartement… Crois-moi. Ton frère qui t’aime. »

« J’AI COMPRIS CE TABLEAU IL Y A DEUX MOIS SEULEMENT. UN TAILLIS, C’EST QUELQUE CHOSE QU’ON COUPE, MAIS OÙ LA VIE RESTE. POUR MOI, C’EST UN MESSAGE D’ADIEU. » WOUTER VAN DER VEEN, CHERCHEUR

Mais lorsque Vincent, trois semaines avant sa mort, a rendu visite à son frère et sa famille à Paris, ça ne s’est pas bien passé. Théo était épuisé, souffrant. Ils n’ont eu que des discussions avortées et tendues. Vincent ne se doute pas alors que son frère n’a plus que quelques mois à vivre, mais il comprend qu’il va mal et c’est tout l’édifice de sa vie qui tremble. Une fois revenu à Auvers, il n’a plus parlé à grand monde au village, n’a même pas rendu visite au docteur Gachet. C’est lui qui va couper la corde. Il rentre déjeuner selon son habitude, comme les deux autres peintres qui sont en pension à l’auberge.

Auvers-sur-Oise est un repaire d’artistes. Il repart aussitôt après poursuivre son ouvrage. « Les dernières touches de jaune sont typiques des lumières de fin de journée », explique Wouter van der Veen. Tout s’éclaire sur cette ultime toile inachevée et longtemps illisible que certains avaient même interprétée comme un possible glissement de Van Gogh vers l’abstraction. « J’ai compris ce tableau il y a deux mois seulement. Un taillis, c’est quelque chose qu’on coupe, mais où la vie reste. Pour moi, c’est un message d’adieu. Il abandonne. Mais la vie continue. Un petit Vincent est né chez son frère. Lui vivra à travers ses tableaux. »

Le rapport introuvable des gendarmes

Il n’est pas à l’auberge à l’heure où est servi le dîner. Les Ravoux s’inquiètent, c’est la première fois depuis son arrivée sept mois plus tôt. Ils l’ont vu revenir avec son chevalet en fin d’après-midi, se délester de son barda et repartir. Il ne reparaît qu’une fois la nuit tombée, la main pressée sur le torse. Il monte directement dans sa chambre au premier étage, M. Ravoux l’y suit, le trouve recroquevillé sur son lit, lui demande s’il est malade.

Van Gogh soulève sa chemise et montre le trou d’une balle dans sa poitrine. « Je voulais me tuer », aurait-il dit. Ce qu’il répète au peintre hollandais qui occupe la chambre d’à côté, Anton Hirschig : « Je m’emmerdais alors je me suis tué. » Il s’allonge, demande qu’on bourre sa pipe. On envoie chercher le docteur Gachet qui l’ausculte, ment gentiment en lui promettant qu’il fera tout pour le sauver. « Alors c’est à refaire », aurait soupiré un Van Gogh qui ne voulait pas se rater.

On charge Hirschig d’un message urgent pour Théo à Paris. Le lendemain, les gendarmes se présentent, lui demandent s’il a tenté de se suicider, il répond que oui. Ils lui rappellent que c’est illégal. « Gendarme, mon corps m’appartient et je suis libre d’en faire ce que je veux. N’accusez personne, c’est moi qui ai voulu me suicider. »

Le rapport des gendarmes n’a jamais été retrouvé. Tout comme le pistolet. Peut-être la vieille pétoire qui traînait à l’auberge. Le récit s’est tissé au gré des témoignages des gens du village, puis des amis venus à l’enterrement avec tant de chagrin qu’ils posaient beaucoup de questions. Il a enflé au fil des décennies puisque ce pauvre Vincent tout taché de couleurs est devenu une légende mondiale.

Du piment sur le bout de ses pinceaux

Dans les années 1930, une autre version de l’histoire circule dans le village qui revisite tout. On s’y souvient très bien de tous ces petits Parisiens qui venaient s’aérer par ici l’été, des enfants de bourgeois qui aimaient rire de ce bonhomme arpentant les champs et leur faisant l’effet d’un épouvantail à oiseaux. En douce, ils versaient du sel dans son café, du piment sur le bout de ses pinceaux qu’il mâchouillait, ou glissaient un serpent dans sa boîte à couleurs.

Il y avait deux frères parmi eux, Gaston et René Secrétan, 19 et 16 ans, fils d’un pharmacien de la rue de la Pompe à Paris. Et si c’était eux qui, en jouant les cow-boys avec un pistolet à oiseaux, lui avaient malencontreusement tiré dessus ? Un historien américain de passage, John Rewald, entend ces rumeurs et les couche noir sur blanc. Les frères alors adultes sont retrouvés et interrogés.

Gaston, l’aîné devenu chansonnier, a raconté qu’il aimait Vincent pour sa fibre anarchiste, qu’il lui a payé des coups à boire et a parlé peinture avec lui. René, le cadet devenu banquier, a admis que Vincent l’appréciait beaucoup moins que son frère, il a évoqué Vincent les espionnant quand ils faisaient venir de jeunes prostituées de Paris, ou le vieux pistolet qu’il empruntait à Ravoux, et que Vincent lui a peut-être « barboté ». Jamais l’un ou l’autre n’a évoqué de choses plus graves. Et la thèse de l’homicide s’est tranquillement dissipée.

En 1947, Antonin Artaud, l’homme de théâtre, livre son verdict. Après une traversée fulgurante d’une exposition Van Gogh au Musée de l’Orangerie, il publie Van Gogh le suicidé de la société. Beau texte qui parle plus de lui que du peintre, mais accuse la société d’avoir précipité la fin de ce génie tout sauf fou. Ce n’est pas Vincent lui-même, pas des mômes armés d’un pistolet à moineaux, c’est nous qui l’avons tué. Et c’est peut-être pour ça, au fond, que nous l’aimons tant.

A la recherche du pistolet

En 1953, c’est le centenaire de sa naissance. Ladite société communie. On cherche les survivants d’Auvers, les adolescents de ces journées de l’été 1890 qui ont emporté Vincent Van Gogh. Adeline, la fille des Ravoux, la jeune fille en bleu du tableau de Van Gogh, a maintenant 77 ans. Elle refait le déroulé de ce jour-là pour la télévision française. Vincent qui rentre en se tenant l’estomac et en disant à tout le monde qu’il a voulu se tuer. Son père et Théo partis en vain à la recherche du pistolet dans les champs. Trois ans plus tard, René Secrétan répond encore à une interview, il raconte les bêtises et la morgue de son adolescence. Mais, déjà, plus personne ne lui demande s’il a tiré sur le peintre.

Vincent a laissé un mot trouvé dans sa poche. C’est le brouillon d’une lettre qu’il vient d’adresser à son frère. « Mais c’est plus dramatique que ce qu’il a envoyé. C’est peut-être l’ultime message de celui qui sait qu’on le trouvera mort », explique Wouter van der Veen. Il connaît bien la correspondance du peintre. Il avait 24 ans quand le Musée Van Gogh d’Amsterdam l’a embauché. Il n’était alors pas un spécialiste de l’artiste qu’il prenait même pour « une icône bourgeoise ».

ERIC YAHNKER POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

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Mais il est né au Pays-Bas, s’est installé très jeune en France, il sait comment on va d’une langue à l’autre. Le musée, qui voulait alors revenir au texte originel de la correspondance tant publiée, coupée, traduite, arrangée qu’elle en avait été dénaturée, avait pensé que le jeune Wouter comprendrait les fantaisies, les libertés, les fautes et la ponctuation très libre de Vincent qui écrivait toujours dans la langue du pays où il s’installait, donc beaucoup en français, y compris à son propre frère.

Le punk, c’était Vincent

Wouter van der Veen avait eu accès à la chambre forte dans le sous-sol du musée, il tenait entre ses mains gantées les fines pages noircies de phrases et de croquis que le moindre rayon de lumière pourrait endommager. Et là, ce fut un choc. Une rencontre. Ce fut Vincent plutôt que le mythe Van Gogh. Vincent bavard. Vincent rebelle. Vincent baiseur. Vincent déterminé. Loin du fou, de l’autiste et du maudit. Vincent conscient de la valeur de sa peinture qu’il confiait aux bons soins de son frère.

Wouter van der Veen souriait intérieurement de son premier passage à Auvers en famille sur la route des vacances, il avait 15 ans, il était punk, il avait préféré rester dans la voiture. Gonflant, ce Van Gogh. Quelques années plus tard, ses lettres originales en main, il découvrait que le punk, c’était Vincent, et il n’allait plus jamais s’en éloigner. Il avait alors fait retirer le point d’interrogation qui clôt bien des publications de la correspondance, ce mot à Théo trouvé dans sa poche.

Il se termine ainsi, dans sa version initiale et rétablie. « Eh bien mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondrée à moitié – bon – mais tu n’es pas dans les marchands d’hommes ; pour autant que je sache et puisse prendre parti je te trouve agissant réellement avec humanité mais que veux-tu. » Nombreux sont ceux qui ont chez eux une édition des Lettres à Théo avec un point d’interrogation à la fin. Vincent n’en avait pas mis. Ce « que veux-tu », il l’emploie souvent, formule teintée de fatalisme. Il ne demande rien à son frère. Il ne veut plus être son fardeau.

Mains pleines de couleurs

Théo accourt quand la nouvelle lui parvient. Il passe la dernière nuit allongé, tout contre son aîné mourant et gémissant, parmi les toiles qui sèchent dans sa chambre mansardée, dont probablement Racines d’arbres. Il lui ferme les yeux à une heure et demie du matin, joint ses mains pleines de couleurs sur sa poitrine. Il organise l’enterrement. Le prêtre refuse de lui prêter sa charrette, car l’Eglise n’escorte pas les suicidés.

Puis Théo écrit la nouvelle à leur mère : « L’on peut se dire qu’il a trouvé le repos qu’il recherchait. La vie lui pesait tant. Et comme à chaque fois, maintenant tout le monde loue son talent. Oh mère, il était mon frère à moi. »

Une fois Vincent en terre, et sans qu’il ait été capable d’articuler un seul mot au bord de la fosse, il part pour les Pays-Bas, il retourne aux froides racines, il veut leur raconter son frère, ce fils depuis longtemps perdu pour ses parents, il veut leur dire quel homme et quel artiste magnifique a finalement germé. Il meurt six mois plus tard, de chagrin, disent souvent les biographies de Van Gogh. Mais aussi de la syphilis.

Ancienne rumeur du village

Alors cette souche de bois de la rue Daubigny que raconte-t-elle ? Pas tout. Mais elle dit où Vincent a passé l’essentiel de sa journée. Elle concorde avec ses lettres, sa mauvaise humeur, sa tristesse après sa dernière visite à Théo, avec les témoignages glanés au moment de sa mort. « Ce qui est important, c’est qu’il était sur la pente, il voulait mettre fin à ses jours, ce qu’il avait déjà tenté de faire. Il allait mal », insiste Teio Meedendorp.

Ce n’est pas nouveau, mais les historiens d’Amsterdam tiennent à le rappeler, parce qu’en 2011 la thèse du meurtre par les gamins Secrétan est revenue en force. Deux Américains, Steven Naifeh et Gregory White Smith l’ont remise au goût du jour par la publication d’une biographie très détaillée, Van Gogh, the Life, fruit de dix années de travail.

Eric Yahnker pour M Le magazine du Monde

La thèse de l’homicide n’y figure qu’en annexe. Mais elle a assuré la publicité de l’ouvrage. Dominique Janssens, propriétaire de l’Auberge Ravoux, a vu passer les auteurs bien des fois, il a aimé disséquer avec eux encore et encore la vie de Vincent. Il s’y consacre pleinement depuis qu’en 1985 il a survécu à un grave accident de voiture devant l’auberge alors qu’il traversait le village. Il était à l’époque directeur marketing chez Danone, il a tout plaqué et racheté l’auberge dont il a fait un musée.

C’est entre ses murs qu’a eu lieu le lancement du livre. L’équipe de l’émission de CBS « 60 minutes » était venue ­filmer dans la salle à manger. « A un moment du tournage, on m’a demandé de sortir, j’ai demandé à rester, mais ils ont insisté. “Marketing reasons, ils m’ont dit” », se remémore Dominique Janssens.

Les deux auteurs ont alors raconté devant les caméras la possibilité du meurtre de Vincent par deux adolescents. Ils n’affirment pas en avoir la preuve, mais revisitent les relations troubles des frères Secrétan avec Van Gogh, ils avancent le fait qu’un homme qui peint toute la journée n’est pas sur le point de se ­donner la mort, et que s’il vient de se tirer une balle dans la ­poitrine, il ne peut pas rentrer à pied à l’auberge.

Et c’est ainsi que l’ancienne rumeur du village a été diffusée un siècle plus tard dans l’un des shows les plus regardés aux États-Unis.

Expert en balistique

Les spécialistes d’Amsterdam n’ont pas réagi tout de suite. Après tout, cette ­histoire avait déjà circulé. « Mais un nouveau mythe était en train de s’écrire, à partir de faits qui n’en sont pas », explique Teio Meedendorp. « Tapez donc “mort de Vincent Van Gogh” sur [la version anglophone de] Wikipédia. » On peut y lire en introduction : « Vincent Van Gogh a été blessé à la poitrine, par lui-même ou par d’autres et il est mort deux jours plus tard. » Les chercheurs du musée, très attachés à ce que Vincent révèle de lui dans ses lettres, ont fini par contre-attaquer dans une série d’articles.

En 2014, les auteurs américains ont fait appel à un expert en balistique, Vincent Di Maio, qui a conclu à l’homicide plutôt qu’au suicide, en expliquant notamment que si le peintre avait tiré on aurait dû retrouver de la poudre sur ses paumes et son torse. Ce à quoi un autre expert américain, Joe Nickell, parfois consulté par le FBI, a répondu que le peintre a pu tenir l’arme par le barillet de la main gauche, et que ses vêtements ont pu absorber la poudre.

L’histoire de l’art a soudain viré à la criminologie, pourtant privée de tout, du corps, de l’arme et de la balle. Les restes de Vincent sont depuis longtemps devenus poussière, à côté de ceux de Théo sous le lierre du cimetière d’Auvers.

Correspondance houleuse

Au mois d’août 2017, Dominique Janssens reçoit le scénario du prochain film du peintre et réalisateur Julian Schnabel, un biopic sur Van Gogh qui serait incarné par Willem Dafoe. Il veut tourner l’agonie dans la mansarde de Vincent. Dominique Janssens envoie le scénario à Wouter van der Veen avec lequel il a créé l’Institut Van Gogh, dont l’épicentre est l’auberge.

Wouter van der Veen note quelques anachronismes, s’énerve des champs de tournesols arlésiens déplacés à Auvers, mais surtout du dénouement, le meurtre par deux adolescents. « Un tas de fadaises dont il faudra rester éloigné à mon avis », répond-il à Janssens. L’Auberge fait savoir qu’elle n’ouvrira pas ses portes au tournage. S’ensuit une correspondance houleuse avec le réalisateur qui a fini par reconstituer le décor ailleurs. At Eternity’s Gate est sorti en 2018 aux Etats-Unis (puis en 2019 en France sur Netflix). Les gardiens de l’Auberge n’ont aucun regret.

Ces deux-là ont d’ores et déjà fait installer une clôture autour de la souche et de ses racines en bord de route. Wouter van der Veen a fait de sa découverte un livre en téléchargement libre. Le confinement lui en a laissé le temps. Il distillait alors l’information, mais c’était un secret, sous embargo. Tout a été rendu public ce mardi 28 juillet, à l’Auberge Ravoux, en présence notamment des chercheurs du Musée Van Gogh d’Amsterdam et de l’ambassadeur des Pays-Bas. Veille du jour anniversaire de la mort du peintre, le 29 juillet. Cela fait cent trente ans que Vincent s’est éteint, une balle logée tout près du cœur.

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29 juillet 2020

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29 juillet 2020

Récit - Le parcours rocambolesque du Banksy volé au Bataclan, puis retrouvé en Italie

Par Simon Piel, François Krug

Interpellé dans le cadre de l’enquête sur le vol du pochoir peint en hommage aux victimes des attentats, un entrepreneur de mode de la région lyonnaise est soupçonné d’avoir exfiltré l’œuvre.

Les voleurs ont pris leur temps, se moquant des caméras de surveillance. Cette nuit de janvier 2019 à Grenay, une petite ville de l’Isère, ils dévalisent le Gedimat, un magasin pour bricoleurs et professionnels du bâtiment. Fait divers banal. Un an plus tard, des suspects sont entendus à la gendarmerie d’Heyrieux. Comme le révélera plus tard Le Dauphiné libéré, l’un d’eux se vante d’avoir utilisé une partie du matériel subtilisé pour un autre vol, commis dix jours plus tard. Celui-là a ému la planète entière.

Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2019, une camionnette se gare près du Bataclan, à Paris. Trois hommes découpent une porte de sécurité de la salle et l’emportent, avec l’œuvre qui la recouvre : un pochoir de Banksy. La star anonyme du street art avait ainsi rendu hommage aux victimes de l’attentat de 2015, en peignant une jeune femme au bord des larmes. Une œuvre si connue qu’elle paraît invendable.

Dans du plastique noir

L’enquête patine. Elle rebondit finalement dans l’Isère et mène en Italie. Comme l’a révélé Le Journal du dimanche (JDD), elle suit la trace de Mehdi Meftah, 39 ans, un ancien gamin de la banlieue lyonnaise. Signe particulier : il a créé une marque de streetwear de luxe empruntant son logo à Banksy…

Le 10 juin, une quinzaine de carabiniers italiens et trois policiers français débarquent dans un hôtel modeste de Tortoreto, dans les Abruzzes. Un bâtiment sans charme, loin de la plage. Une dizaine de chambres, 50 euros la double l’hiver, 80 au plus fort de la saison estivale. Ils cherchent un paquet laissé par Mehdi Meftah. Le propriétaire, Giacomino P., les conduit non loin de là, à Sant’Omero. Il y possède une maison perdue dans la campagne. Dans les combles, il désigne un panneau ­enveloppé dans du plastique noir.

« LE PROPRIÉTAIRE NE SAVAIT PAS CE QU’IL Y AVAIT DANS CE PAQUET, IL RENDAIT SERVICE À UN CLIENT DEVENU UN AMI. » L’AVOCAT DE L’HÔTELIER ITALIEN QUI DÉTENAIT LE BANKSY

Selon nos informations, Giacomino P. explique aux enquêteurs qu’il connaît Mehdi Meftah depuis quatre ans. Ce client lui a été présenté par une connaissance commune, Raffaele P., qui fait dans l’import-export de voitures entre Lyon et les Abruzzes. A partir de 2016, le Français vient plusieurs fois par an. En famille ou seul, pour les vacances ou pour des affaires qu’il ne détaille pas.

En octobre 2019, il débarque en camionnette avec deux amis, et le panneau emballé. Il évoque une décoration pour la maison qu’il s’aménage à La Seyne-sur-Mer (Var) et demande s’il peut l’y stocker jusqu’à son prochain passage, à Noël. « Le propriétaire ne savait pas ce qu’il y avait dans ce paquet, il rendait service à un client devenu un ami », nous assure son avocat, Angelo Palermo. Le paquet est entreposé dans le garage de l’établissement.

Toujours selon la version de l’hôtelier, Noël passe mais le Français ne revient pas. En janvier dernier, Giacomino P., qui effectue des travaux dans l’hôtel, aurait transféré le paquet à la campagne. Selon nos informations, l’homme est placé peu après sous surveillance par les carabiniers. Pendant des mois, rien ne bouge : l’Italie s’est confinée. A la sortie du confinement, les enquêteurs décident d’intervenir.

Une couronne stylisée

Le 11 juin, le procureur de L’Aquila, chef-lieu des Abruzzes, présente fièrement le Banksy lors d’une conférence de presse. Le 23, plus discrètement, la police judiciaire (PJ) intervient notamment à Toulon, dans la banlieue lyonnaise, et à Flachères, petit village de l’Isère surtout connu pour sa foire aux navets. Selon le parquet de Paris, deux suspects sont mis en examen pour vol en bande organisée et quatre pour recel, dont Mehdi Meftah. Son petit frère est aussi interpellé. Tous sont placés en détention provisoire. L’œuvre devait-elle être récupérée par un acheteur étranger en Italie ? Mystère.

Mehdi Meftah intrigue. Ce fan de street art habite un pavillon avec piscine à La Seyne-sur-Mer, avec sa femme, Lyonnaise elle aussi, épousée à Las Vegas (Nevada). Sur un compte Instagram créé sous pseudo, on le découvre au volant de sa Ferrari blanche, piquant une pointe sur l’autoroute – il possède aussi une Porsche jaune. Ou les pieds sur la table basse, en claquettes Louis Vuitton. Au fond du salon, une statuette d’Alec Monopoly, un célèbre street-artiste ­américain, ­qui a détourné la mascotte du jeu de société.

« IL A DE L’ARGENT ET UN BON NIVEAU DE VIE, MAIS IL L’A ACQUIS HONNÊTEMENT. IL A VOULU CRÉER UNE VRAIE MARQUE DE LUXE AVEC L’ADN DE LA STREET. FRANCHEMENT, POURQUOI IL AURAIT EU BESOIN DE VOLER ÇA ? » UNE PROCHE D’UN DES SUSPECTS

Au registre du commerce, il possède deux sociétés à Toulon. Un snack de tacos et surtout sa marque, BL1.d ­ (prononcer « blindé »). Il a déposé un premier logo dès avril 2018 à l’Institut national de la propriété industrielle : encadrée par deux armes de poing, une couronne stylisée empruntée à la star du street art. « Un clin d’œil à Banksy », expliquera-t-il dans un publi-reportage sur le site français de Forbes. Ce motif, Banksy l’avait lui-même emprunté à Jean-Michel Basquiat.

Depuis, les armes ont disparu du logo, mais les modèles de tee-shirts s’appellent « Colt », « Cartel » ou « Medellin ». La marque, lancée à l’automne 2019, les vend sur son site et dans un magasin de Lyon. Tarifs : de 290 à 615 euros, justifiés par un petit « lingot d’or 18 carats cousu sur l’encolure ». On peut se rabattre sur les casquettes, 85 euros, sans lingot. En janvier 2020, BL1.d a organisé un happening avenue Montaigne, pendant la Fashion Week parisienne. Sur les nez de Mehdi Meftah et de ses amis, des lunettes aux branches en forme de Kalachnikov. La presse grand public n’a pas réagi. BL1.d a plus de succès auprès de rappeurs comme Hornet La Frappe, Lacrim ou Alonzo.

Chez la juge d’instruction, Mehdi Meftah aurait minimisé son rôle et expliqué avoir lui aussi rendu service à un ami. Son avocat, Yves Sauvayre, n’a pas répondu aux sollicitations de M. « Il a de l’argent et un bon niveau de vie, mais il l’a acquis honnêtement, nous assure une proche de Mehdi Meftah. Il a voulu créer une vraie marque de luxe avec l’ADN de la street. Franchement, pourquoi il aurait eu besoin de voler ça ? »

Un retour au Bataclan ?

Le statut du pochoir de Banksy est l’autre mystère de l’affaire. Il apparaît sur la porte du Bataclan dans la nuit du 24 au 25 juin 2018. Passé l’émerveillement, il suscite de vifs débats parmi l’équipe de la salle et chez son propriétaire, le groupe Lagardère. Jules Frutos, à l’époque patron et coactionnaire des lieux, veut rester fidèle à l’esprit du street art et laisser l’œuvre vivre sa vie, avec les risques que cela comporte. D’autres souhaitent l’exposer à l’intérieur. L’état-major de Lagardère, lui, se demande qui est vraiment propriétaire – et donc responsable – de cette peinture. Finalement, l’œuvre reste à sa place. Une plaque de Plexiglas la protège des tags, pas du vol. Jusqu’à la nuit du 25 janvier 2019.

Le pochoir ne passionnera pas davantage les policiers de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. L’affaire est confiée au service compétent géographiquement, le 2e district de la PJ de Paris. Un de ses enquêteurs prend le dossier à cœur : le 13 novembre 2015, il est intervenu au Bataclan après l’attentat. Et maintenant ? Le 14 juillet, l’Italie a rendu le Banksy en grande pompe à la France. Il a été exposé à l’ambassade à Rome. Selon Le JDD, il se trouve au siège de la PJ à Paris.

Une rumeur relayée par la presse annonce un cadeau à l’Unesco et une exposition de l’œuvre dans son siège parisien. « Ce n’est pas prévu à ce stade », nous répond-on à l’Unesco. « Notre souhait est que cet hommage aux victimes revienne au plus près de là où il était », indique de son côté Jérôme Langlet, patron de Lagardère Live Entertainment, qui gère le Bataclan.

Cette filiale a d’autres soucis. En proie à de graves difficultés financières, Lagardère a dû démentir en juin qu’il cherchait à la vendre. Et donc à se séparer du Bataclan.

29 juillet 2020

LIBERATION ce matin... Gisèle Halimi

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29 juillet 2020

Nécrologie - Gisèle Halimi, défenseuse passionnée de la cause des femmes, est morte

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Par Josyane Savigneau

La célèbre avocate, qui a défendu des militants FLN pendant la guerre d’Algérie et s’est battue pour la libéralisation de l’avortement et la criminalisation du viol, est morte à l’âge de 93 ans.

Pour parler de Gisèle Halimi, qui est morte le 28 juillet, au lendemain de son anniversaire, deux mots s’imposent d’emblée : battante, insoumise.

Le 27 juillet 1927, dans le quartier de la Goulette, à Tunis, lorsque naît Zeiza Gisèle Elise Taïeb, personne ne fait la fête. Comme elle le raconte dans La Cause des femmes (Grasset, 1974), son père, Edouard, est si désolé d’avoir une fille qu’il met plusieurs semaines à avouer sa naissance à ses amis. Ce père qui n’aime pas les filles aimera pourtant passionnément « sa » fille. Tandis qu’entre Gisèle et sa mère les relations ont toujours été difficiles, comme on peut le lire tant dans Le Lait de l’oranger (Gallimard, 1988), émouvant récit autobiographique, que dans Fritna (Plon, 2000).

Mme Taïeb aurait sans doute voulu une fille plus docile. La jeune Gisèle résiste à tout, allant jusqu’à faire, à 10 ans, une grève de la faim pour appuyer son droit à la lecture. Elle défie les sentiments religieux de sa famille juive en refusant d’embrasser la mézouza avant d’aller en classe.

A 16 ans, elle refuse un mariage arrangé, obtient de faire ses études de droit en France, revient à Tunis et s’inscrit au barreau en 1949. La rebelle qu’elle a toujours été devient militante. D’abord pour l’indépendance de son pays dont, tout en étant Française, elle n’a jamais abandonné la nationalité. Elle a toujours aimé la Tunisie, y est régulièrement retournée et, à Paris, elle aimait cuisiner, pour ses amis, des plats tunisiens.

En s’installant en France en 1956 et en épousant Paul Halimi, un administrateur civil, elle change de nom et donne naissance à deux fils. Elle divorce, tout en gardant ce nom par lequel elle s’est faite connaître, et épouse Claude Faux, qui fut le secrétaire de Jean-Paul Sartre. Elle a avec lui un troisième fils. Jamais de fille. C’est peut-être pour cela qu’elle aura, avec sa petite-fille, la relation passionnelle qu’elle analyse dans Histoire d’une passion (Plon, 2011), son dernier livre publié.

Longue bataille contre la torture

Quand commence la guerre d’Algérie, c’est une évidence pour Gisèle Halimi de militer aux côtés de Sartre et de ceux qui signeront, en septembre 1960, le Manifeste des 121. En 1960, apprenant qu’une Algérienne de 22 ans, Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe a été arrêtée, torturée et violée par des soldats français, elle décide de la défendre.

Commence alors une longue bataille, dans laquelle Gisèle Halimi entraîne Simone de Beauvoir. Celle-ci écrit une tribune dans Le Monde et crée un comité, avec, notamment, Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion. Djamila est finalement jugée en France, à Caen, en 1961. En dépit de la brillante plaidoirie de Gisèle Halimi, elle est condamnée à mort, mais sera amnistiée et libérée en 1962 après les accords d’Evian qui mettent fin à la guerre d’Algérie.

La même année, chez Gallimard, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi publient, avec d’autres, Djamila Boupacha (Gallimard), un livre de témoignages sur toute cette affaire. Sur la couverture, le portrait de Djamila est réalisé par Pablo Picasso. L’histoire de Djamila Boupacha et de Gisèle Halimi est devenue un téléfilm, réalisé par Caroline Huppert. Pour Djamila a été diffusé pour la première fois le 20 mars 2012 sur France 3. Le rôle de Djamila Boupacha est tenu par Hafsia Herzi et celui de Gisèle Halimi par Marina Hands.

Dès lors, Gisèle Halimi est considérée comme l’avocate des causes difficiles. Qui l’a entendue plaider, même dans des affaires plus mineures, connaît le charme de sa parole. Et son aplomb. Un jour, opposée à un Robert Badinter plutôt condescendant, elle a commencé sa plaidoirie par un retentissant : « Je ne me laisserai pas renvoyer à mes fourneaux par le professeur Badinter. »

Sans être la porte-drapeau d’un parti, Gisèle Halimi est, depuis toujours, engagée en politique. C’est pourquoi, en 1965, avec Evelyne Sullerot, Colette Audry et quelques autres, elle fonde le Mouvement démocratique féminin pour soutenir la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République.

Féministe, sans que le mot ait encore un sens pour elle, elle l’a été depuis son enfance à la Goulette. Aussi, logiquement, on la retrouve en 1971 parmi les signataires du Manifeste des 343, publié par Le Nouvel Observateur. Toutes ces femmes déclarent avoir avorté, donc avoir violé la loi, et plaident pour que les femmes n’aient plus à mettre leur vie en danger en avortant clandestinement. La même année, Gisèle Halimi fonde avec Simone de Beauvoir le mouvement Choisir la cause des femmes, qui prendra part à toutes les luttes féministes et organisera la défense de nombreuses femmes maltraitées.

Le procès de Bobigny

En 1972, une jeune fille de 16 ans, Marie-Claire, et sa mère qui l’a aidée à avorter, sont poursuivies en justice. Elles demandent à Gisèle Halimi de les défendre. Bien décidée à plaider, non seulement pour ces deux femmes, mais pour la libéralisation de l’avortement, Gisèle Halimi fait venir au procès à Bobigny de prestigieux témoins, dont le professeur de médecine Paul Milliez, fervent catholique, père de six enfants. Marie-Claire est relaxée, sa mère condamnée mais dispensée de peine.

C’est une grande avancée vers la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, qui, portée par Simone Veil après l’élection de Valéry Giscard d'Estaing, sera promulguée en janvier 1975. Cette affaire est, elle aussi, devenue un téléfilm, Le Procès de Bobigny, réalisé par François Luciani. Il a été diffusé en mars et en avril 2006 sur plusieurs chaînes, dont France 2. Anouk Grinberg interprète Gisèle Halimi, et Sandrine Bonnaire, la mère de Marie-Claire.

Pour les féministes, une nouvelle lutte commence alors, demandant que le viol soit reconnu comme un crime. Une fois de plus, Gisèle Halimi est là. En mai 1978, à Aix-en-Provence, devant les assises des Bouches-du-Rhône, elle représente deux jeunes femmes Belges qui ont porté plainte contre trois hommes.

Dans la nuit du 21 au 22 août 1974, elles ont été violées alors qu’elles campaient dans une calanque. Les trois hommes plaident non coupables. Hors du prétoire, Gisèle Halimi est bousculée, injuriée, menacée. Les hommes sont condamnés. Et de nouveau ce procès ouvre le chemin vers la loi de 1980, qui reconnaît le viol comme un crime. L’affaire a fait l’objet d’un documentaire en 2014 réalisé par Cédric Condon (Le Procès du viol) et d’un téléfilm, Le Viol, d’Alain Tasma, diffusé en 2017.

L’écriture, son autre passion

En 1981, le candidat que Gisèle Halimi avait soutenu dès 1965, François Mitterrand, devient président de la République. Elle a alors envie de participer à l’aventure et devient députée apparentée socialiste de la 4e circonscription de l’Isère, avant d’être ambassadrice de France à l’Unesco, de 1985 à 1986. Au terme de tout cela, elle retourne avec plaisir à son métier d’avocate, et décide de consacrer plus de temps à son autre passion : écrire.

Elle publiera une quinzaine de livres entre 1988 et 2011, dont le dernier, Histoire d’une passion, à l’âge de 84 ans. Une occasion de dire, dans un entretien au Monde, son sentiment sur la vieillesse : « La seule crainte, si l’on est en bonne santé, est celle de la faiblesse intellectuelle. Or je me sens en pleine capacité. Plus riche même, de l’expérience. Bien sûr, il y a certaines limites. Autrefois, pour un procès d’assises, comme celui de Bobigny, je pouvais travailler une nuit entière sur un dossier, me doucher, prendre un café et aller plaider. Aujourd’hui, je ne pourrais pas aller au-delà d’une heure du matin. Mais c’est assez minime. Ce n’est pas si désagréable de vieillir si l’on ne coupe pas la vie en étapes, si on ne se dit pas : “Maintenant c’est fini, je suis entrée dans la vieillesse”. »

Citant Marguerite Yourcenar, qu’elle admirait, elle voulait mourir comme elle avait vécu : « Les yeux ouverts. »

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28 juillet 2020

Exposition photographique

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28 juillet 2020

En Colombie, la dangereuse prolifération des hippos d’Escobar

Importés par le chef du cartel de Medellín à la fin des années 80, les hippopotames se sont reproduits et fragilisent l’écosystème du bassin du Magdalena, tout en effrayant pêcheurs et habitants.

C’est sans doute le moindre des problèmes hérités de Pablo Escobar en Colombie. Mais quand même : faut-il (et comment ?) se débarrasser du troupeau d’hippopotames qui a envahi le bassin du Magdalena, le plus important fleuve colombien ? Car les mastodontes, qui avaient été importés illégalement à la fin des années 80 par le chef du cartel de Medellín pour enrichir le zoo exotique de son immense propriété, la hacienda Nápoles, à l’ouest de Medellín, se reproduisent depuis sa mort, le 2 décembre 1993, de manière exponentielle. Ils étaient quatre - trois femelles et un mâle - du temps du capo, ils sont aujourd’hui au moins 80, représentant le plus grand troupeau hors d’Afrique, d’où ils sont originaires. On ne sait pas de quel pays ils proviennent, ayant sans doute été achetés dans un zoo nord-américain par le baron de la drogue, mais en tout cas ils ravissaient les touristes avant la pandémie, fascinent les scientifiques qui y voient un cas d’école pour étudier les invasions d’espèces biologiques, et effraient de plus en plus les pêcheurs ou les habitants du bord du fleuve. Selon plusieurs études scientifiques publiées ces derniers mois en Colombie et aux Etats-Unis, ils pourraient se compter en milliers d’ici à 2050, et représenter un grave danger pour l’écosystème.

«Paradis»

Souvent agressifs, imprévisibles par nature mais avec une grande capacité d’adaptation, ces mégaherbivores ont trouvé sous le climat équatorial de la Colombie un «paradis», explique le biologiste David Echeverri de la Corporación autónoma de las cuencas de los ríos Negro y Nare (Cornare), institution régionale chargée d’appliquer les politiques du ministère de l’Environnement : «C’est un environnement parfait pour eux, sans saisons ni sécheresses, avec une bonne humidité et des pâturages qui leur offrent de quoi manger toute l’année.»

Une quarantaine de bêtes sont restées dans les lacs artificiels de la hacienda Nápoles, devenue en 2007 un parc à thème à succès, qui comprend notamment un mémorial pour les victimes du trafic de drogue. Mais le troupeau grandissant, certains hippos se sont échappés et n’ont pas eu de mal à trouver le fleuve Magdalena, à 11 kilomètres de là, ou à s’installer dans un de ses affluents, s’éloignant jusqu’à 150 kilomètres.

Quatre spécimens ont par exemple élu domicile depuis déjà sept ans à la confluence de la rivière Claro Cocorna et du Magdalena, raconte par téléphone le pêcheur Alvaro Diaz : «Ils représentent un danger pour les pêcheurs et les habitants des rivages, mais ils ont aussi embelli le paysage et attirent les touristes qui préfèrent les observer en liberté dans un milieu naturel, ce qui engendre des revenus supplémentaires.»

Plusieurs accidents ont eu lieu, les hippopotames aimant défendre leur territoire : «On ne peut plus pêcher à l’embouchure», souligne Alvaro Diaz. Et certaines bêtes se promènent dans les hameaux avoisinants, effrayant plus d’un villageois.

Les scientifiques débattent pour l’instant encore des conséquences à long terme de la prolifération de ces impressionnants animaux dans un environnement qui n’est pas le leur. «L’espèce peut, d’une part, modifier la composition physique et chimique de l’eau, estime David Echeverri, et de l’autre, altérer la biodiversité et chasser des espèces en voie d’extinction» comme les lamantins, les caïmans et les loutres.

Stérilisation

L’étude de Jonathan Shurin, de l’université de San Diego, montre par exemple qu’en déféquant, les hippopotames augmentent la quantité de nutriments dans l’eau, contribuent à la prolifération d’algues et de bactéries toxiques, ce qui diminue la quantité d’oxygène de l’eau. En broutant sur les rives, les bêtes détruisent aussi les abords des fleuves. «En Afrique, ils peuvent même modifier les cours des rivières quand les troupeaux sont nombreux», souligne David Echeverri. Dans ces conditions, comment arrêter ou freiner leur reproduction ? En 2009, la mort d’un hippopotame avait fait l’objet d’une plainte et depuis, selon la jurisprudence colombienne, il est interdit de les tuer. Les capturer pour les stériliser ou les déplacer dans des zoos en Colombie ou à l’étranger représente un travail de titan, surtout pour ceux qui sont en liberté dans le Magdalena. Sans compter le coût…

Les hippopotames ne sont certes pas la seule pression qui s’exerce sur l’écosystème du Magdalena, déjà touché par la déforestation, l’élevage, l’industrie… «Les immenses troupeaux de buffalos sont aussi des prédateurs, et ce n’est pas une espèce d’ici», remarque Isabel Romero, qui s’occupe du centre de conservation des tortues de Puerto Triunfo (commune où se trouve la hacienda Nápoles) et qui aime bien «les grosses bêtes». En dix ans, cinq hippopotames ont été transférés dans des zoos et dix autres stérilisés. Dans le même temps, leur nombre est passé de 25 à 80… A ce rythme, le problème va devenir «national», souligne David Echeverri qui, assez désemparé, en appelle à l’aide de la communauté internationale.

28 juillet 2020

Extrait d'un shooting - Heidi Romanova

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28 juillet 2020

Gérald Darmanin : les féministes ne lâchent pas l’affaire

Par Virginie Ballet — LIBERATION

Mobilisées contre la nomination de l’élu du Nord, visé par plusieurs actions judiciaires, au ministère de l’Intérieur des associations multiplient les manifestations pour se faire entendre.

Surtout, ne pas relâcher la pression. Près de trois semaines après la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, la mobilisation féministe contre ce qui est qualifié de «remaniement de la honte» ne faiblit pas, et semble même changer de nature. Le mot d’ordre : obtenir la démission du locataire de la Place Beauvau, alors que la justice a ordonné en juin la reprise des investigations concernant une accusation de viol à son encontre.

La semaine dernière, l’association Pourvoir féministe, think tank tout juste créé et qui se veut un «laboratoire d’idées et d’actions pour repenser le champ politique selon des perspectives féministes», a décidé d’en appeler à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée en 2013 pour veiller à la probité des responsables publics. «En tant que ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a autorité sur les services de police, ce qui pose un réel problème de conflits d’intérêts, malgré les lettres de déport du ministre», explique Anaïs Leleux, présidente de Pourvoir féministe.

«Ethique en politique»

Selon elle, plus de 12 000 personnes ont déjà signé en quelques jours le formulaire en ligne destiné à alerter la HATVP. En parallèle, ce tout nouveau think tank, qui se veut apartisan et espère peser en vue de l’élection présidentielle de 2022, a également écrit au parquet de Lille pour tenter de relancer l’enquête pour «abus de faiblesse» classée sans suite en 2018, et relative à des faits datés de 2015. Anaïs Leleux : «Le sens de notre démarche repose sur l’éthique en politique. Nous tentons d’actionner des leviers qui étaient jusque-là de l’ordre de l’impensé dans ce genre de questions.» Interrogé mercredi par Europe 1, l’avocat de Gérald Darmanin, Me Mathias Chichportich, a quant à lui martelé qu’il n’y a «aucune interférence entre les fonctions de M. Darmanin et les investigations à mener». Et d’ajouter : «Lorsqu’on instrumentalise une procédure classée sans suite et une jeune femme qui ne veut plus en entendre parler, ce n’est plus du militantisme, c’est de la politique.» Ce qui n’a pas manqué d’exaspérer Anaïs Leleux : «Quand Macron dit avoir parlé "d’homme à homme" avec son ministre, c’est une manière de dépolitiser nos luttes, de prétendre que c’est une affaire privée. Or, qu’est-ce qui est plus politique qu’un remaniement ?»

Comme beaucoup de militantes, Anaïs Leleux a le sentiment que «la mobilisation citoyenne n’a pas été entendue», et ce, alors que plusieurs manifestations ont eu lieu un peu partout en France ces dernières semaines, de Paris à Bordeaux, en passant par Toulouse ou encore Lille. «C’est ainsi depuis le début du quinquennat», renchérit Léonor Guénoun, membre du mouvement #NousToutes à l’origine d’une vaste mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles dans l’Hexagone en novembre dernier. «150 000 personnes sont descendues dans la rue. Pour quelle réponse ? Un tweet du Président… Malgré ce qu’il prétend, ces sujets n’intéressent pas le gouvernement. Maintenir en poste un ministre accusé d’un crime, c’est aussi une manière de minimiser la gravité des violences sexuelles», déplore Léonor Guénoun.

Alors chez #NousToutes non plus, pas de pause estivale : le collectif a mis en ligne un kit pour continuer d’interpeller le gouvernement par courrier ou sur les réseaux sociaux et adresser au Premier ministre ce genre de tweet : «Bonjour @JeanCASTEX, votre ministre de l’Intérieur est visé par une enquête pour viol et a reconnu avoir échangé un service contre un acte sexuel. En matière d’insulte aux femmes victimes (et de conflit d’intérêts), on pouvait difficilement faire mieux non ? cc @Matignon.» Dans une tribune initiée par les jeunes du collectif #NousToutes et parue samedi sur Mediapart, plus de 20 000 personnes de 13 à 25 ans, qui se présentent comme la «génération #MeToo», disent leur ras-le-bol du «climat d’impunité qui règne depuis la nomination de Gérald Darmanin», dressent «le constat d’un décalage béant entre les attentes de la société et l’entêtement du gouvernement à maintenir au pouvoir un homme accusé de viol» et disent ne pas se reconnaître dans «ce pouvoir qui cultive l’entre-soi masculin». Léonor Guénoun : «Il devrait en aller de ces questions comme de l’écologie : il y a urgence. On ne peut plus faire comme si cela n’existait pas. Quant à la présomption d’innocence, sans cesse brandie, il n’est pas question de la remettre en cause. Le problème, c’est le symbole politique et éthique.»

Fissure dans l’impunité

Pour les militantes féministes interrogées, il est grand temps que «la France soit à la hauteur de #MeToo». La démission de Christophe Girard, adjoint à la Culture de la mairie de Paris épinglé pour ses liens avec l’écrivain Gabriel Matzneff, serait-elle une fissure dans l’impunité décriée ? Accusé notamment d’avoir réglé les notes d’hôtel de l’écrivain accusé de pédocriminalité, par l’intermédiaire de la Fondation Yves Saint Laurent dont il fut le secrétaire général, Girard a annoncé jeudi renoncer à ses fonctions à la mairie de Paris, quelques heures après une manif sur le parvis de l’hôtel de ville de la capitale. Dans un communiqué, Girard a déclaré ne pas vouloir se «pourrir la vie plus longtemps» pour «quelque chose qui n’existe pas» et fustigé «les nouveaux maccarthysmes». Depuis, deux élues EE-LV au conseil de Paris, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, font l’objet d’une vague de cyberharcèlement en raison de leurs prises de position, au point qu’Alice Coffin a été placée sous protection policière.

Enième illustration du «backlash», ou «guerre froide contre les femmes», théorisé par l’Américaine Susan Faludi, comme le rappelle Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme ! : «On a vu ressurgir les arguments les plus rances, les accusations d’hystérie… Ça ne peut que motiver à continuer de mettre en lumière les mécanismes de pouvoir qui contribuent au silence et à l’impunité des agresseurs.»

27 juillet 2020

Street Art

25 street artistes ont peint 500 mètres carrés de mur le week-end du 25 juillet, dans l'ancien centre de tri postal de Saint-Brieuc. Leur travail, en entier, sera à découvrir en septembre

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