THE DAILY TELEGRAPH (LONDRES)
Confinement oblige, pas de voyage possible en ce moment. The Telegraph propose de vous transporter à Berlin, une ville qui attire beaucoup les Français, sans même que vous bougiez de votre canapé.
La capitale allemande a été au cœur de la tourmente pendant toute la Seconde Guerre mondiale, puis pendant les décennies de la guerre froide. Vu cette histoire “récente” tumultueuse, la ville est largement représentée dans l’art et la culture des XXe et XXIe siècles. Sachez toutefois qu’on peut très bien faire une visite virtuelle de Berlin sans regarder de vieux clichés de la porte de Brandebourg derrière les fils barbelés. Car Berlin, c’est aussi les rythmes fébriles d’une playlist techno, le goût de la Berliner Weisse et la joie simple et sucrée d’un beignet, ce même beignet qui, selon la légende urbaine, aurait autrefois mis dans l’embarras un président américain…
Cinéma
Good Bye Lenin ! (2003)
Cette comédie noire de Wolfgang Becker se déroule à l’automne 1989 de l’“autre” côté du mur de Berlin. On y raconte l’histoire – à première vue malheureuse – d’une Allemande de l’Est fervente socialiste, qui, victime d’un infarctus, tombe dans le coma quelques semaines avant la chute du rideau de fer. Avec un humour loufoque et beaucoup de chaleur, le film décrit les efforts déployés par ses enfants pour la protéger de la vérité. À son réveil, le mur est tombé, mais Alex (Daniel Brühl) et Ariane (Maria Simon) se donnent beaucoup de mal (faux journaux télévisés, dissimulation des produits alimentaires ouest-allemands) pour que leur mère ne s’en rende pas compte. Dans ce film, qui est devenu un symbole de l’“ostalgie”, à savoir la nostalgie pour le passé communiste, Berlin est dépeinte avec cet air vétuste associé au bloc de l’Est.
Disponible sur Amazon Prime.
Cours, Lola, cours (1998)
Ce thriller au rythme effréné (littéralement) nous entraîne aux quatre coins du Berlin de la fin des années 1990, une ville qui n’a déjà plus grand-chose à voir avec les vieux clichés de la guerre froide. Lola (Franka Potente), l’héroïne aux cheveux rouges, sprinte le long de Behrenstrasse ou de Friedrichstrasse, dans le quartier de Mitte, cherchant à réunir la somme d’argent qui lui permettra de sauver la peau de son petit ami. Dans la même veine que Pile et face (avec Gwyneth Paltrow dans le rôle principal), un film paru la même année qui a popularisé le concept, Cours, Lola, cours offre plusieurs versions de la même histoire. Un léger changement dans la chronologie des événements vient en effet changer la suite de l’histoire. Les trois versions se succèdent, certaines plus violentes que d’autres.
Disponible sur Amazon Prime.
Télévision
Deutschland 83
Le titre de cette série télévisée, qui a remporté un certain succès au moment de sa diffusion sur la chaîne britannique Channel 4 en janvier 2016, donne une bonne idée du sujet. Le spectateur se retrouve en effet plongé dans l’Allemagne de 1983, à une époque où la guerre froide menaçait de dégénérer en conflit ouvert. On y raconte l’histoire de Martin Rauch (Jonas Nay), un garde-frontière est-allemand qui devient espion contre son gré et qui doit infiltrer une base militaire en Allemagne de l’Ouest alors que plane la menace d’un holocauste nucléaire. La série est pleine de suspense, certes, mais les scènes où Martin — élevé de “l’autre” côté du rideau de fer — peine à s’adapter à la facilité de l’existence et à l’abondance des produits disponibles dans les commerces de l’Allemagne de l’Ouest sont aussi captivantes que l’intrigue elle-même. Berlin y apparaît souvent, mais son lustre moderne est savamment estompé par les effets de caméra. Ceux qui ont aimé la série seront heureux d’apprendre qu’il existe une suite — Deutschland 86 — et que l’on prévoit de tourner Deutschland 89.
Disponible sur Youtube.
Babylon Berlin
Basée sur les romans de l’auteur allemand Volker Kutscher, la série télévisée Babylon Berlin constitue un captivant exemple du genre néo-noir. Un inspecteur de police, muté de Cologne à Berlin, tente de démanteler un réseau d’extorsion dans la capitale allemande de la fin des années 1920. La série se déroule dans une ambiance de cabaret : des garçonnes dansent sur fond de tintements de verres à cocktail et de volutes de fumée de cigarette. Les épisodes ont été tournés en grande partie dans les légendaires studios Babelsberg, situés dans la ville voisine de Potsdam, mais certaines scènes se déroulent dans le vrai Berlin, notamment dans des quartiers comme Mitte et Charlottenbourg.
Disponible sur Youtube.
Musique
Techno
Si Detroit peut définitivement se targuer d’être le berceau de la techno et qu’il faut reconnaître le rôle qu’a joué Chicago dans son évolution, on peut aussi clairement compter Berlin parmi les terrains d’essai de ce genre musical à la fin des années 1980 et au début des années 1990. On considère même que la rythmique frénétique de ce type de musique dance a fortement contribué à rétablir les liens entre les deux moitiés de la capitale à la suite de la réunification officielle. Ce qui est certain, c’est que les rythmes pesants et la quête incessante d’euphorie associés à la techno en ont fait un son populaire dans les clubs berlinois pendant la décennie de l’après-guerre froide. Des boîtes de nuit comme Planet, UFO, E-Werk, Bunker et Tresor étaient remplis d’une faune disparate prête à faire la fête jusqu’au petit matin. La musique dance a évolué et une myriade de tendances sont apparues depuis, mais il n’est pas difficile de déterrer les hymnes technos qui ont autrefois fait danser toute une nation.
Reise, Reise
Formé à Berlin en 1994, Rammstein est l’un des groupes allemands les plus populaires des 30 dernières années. Ce géant du métal industriel, dont la musique puissante et sans compromis ne séduit pas tout le monde, a pourtant vendu plus de 10 millions de disques dans le monde. Une partie de l’attrait de la formation réside dans les spectaculaires concerts qu’elle donne sur fond de guitares distorsionnées, des créations théâtrales littéralement flamboyantes dans lesquelles Till Lindemann, le leader à la voix tonitruante, semble être en danger de mort, si près des flammes qui s’élèvent soudainement de la scène high-tech qu’il semble sur le point d’être brûlé vif. L’album Reise, Reise, paru en 2004, est l’une de leurs cartes de visite, en partie grâce à la tonique Keine Lust (“pas envie”).
Low
On pourrait écrire une thèse sur les raisons qui font que chacun des albums composant la mythique trilogie berlinoise de David Bowie — Low (1977), “Heroes” (1977) et Lodger (1979) — peut être considéré comme le plus abouti des trois. D’une certaine façon, cela n’a pas vraiment d’importance. Ils ont tous été écrits alors que Bowie vivait dans le quartier berlinois de Schöneberg et traversait une intense période créative. Par ailleurs, à l’exception de Lodger, dont le son est plus pop, ils expriment, à travers des effets de synthé désincarnés et des nappes instrumentales très denses, le sentiment de claustrophobie et d’appréhension que ressentaient les habitants d’une ville en première ligne. On considère cependant souvent Low comme le chef-d’œuvre des trois. Pas seulement parce qu’il contient des pièces comme Be My Wife et Sound And Vision, mais aussi parce qu’en tant que premier album de la série, il a bénéficié de l’effet de nouveauté. Chose certaine, sur le plan musical, le son n’a pas grand-chose à voir avec le rock glamour de The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, qui avait fait de Bowie une vedette à peine cinq ans auparavant.
Staatsoper Unter Den Linden
Malgré la pandémie mondiale, l’Opéra d’État de Berlin (situé sur l’axe central Unter Den Linden, d’où son nom complet en allemand) continue d’assumer sa mission culturelle. Il offre en effet aux mélomanes la possibilité de visionner en ligne des spectacles (historiques) ayant été enregistrés dans le majestueux auditorium qu’il occupe depuis 1742.
Livres
Adieu à Berlin, de Christopher Isherwood
Cette collection d’histoires courtes et de longueur moyenne n’a été publiée qu’en 1939, mais elle est fermement ancrée dans le Berlin du début des années 1930. Le romancier s’est inspiré du temps qu’il a passé dans la capitale allemande (il a fait plusieurs séjours intermittents entre 1929 et 1938) pour raconter des histoires de désir et de décadence sur fond de montée du nazisme et de lente déliquescence sociale. La plus connue de ces histoires est sans doute celle de Sally Bowles. On y raconte les déboires d’une jeune fille anglaise qui plonge dans l’ambiance déjantée de la capitale allemande à l’époque de la République de Weimar. Le récit, dont le ton est parfois mélancolique, décrit comment elle parvient à joindre les deux bouts en travaillant comme danseuse et comme chanteuse et en servant de maîtresse à des hommes fortunés. L’histoire a fini par acquérir une existence propre, notamment avec la sortie sur grand écran de la comédie musicale Cabaret (1972), avec Liza Minnellli dans le rôle de la frivole Mme Bowles.
Berlin Alexanderplatz, d’Alfred Döblin
Döblin était un auteur allemand prolifique. Au cours de sa longue carrière, qui s’est étendue sur plus d’un demi-siècle, il a touché à plusieurs genres littéraires, du roman historique à la science-fiction. Berlin Alexanderplatz est considéré comme son œuvre magistrale. Le roman, publié 10 ans plus tôt (en 1929) que le recueil d’Isherwood, se déroule cependant pendant la même période. Döblin y raconte l’histoire d’un meurtrier qui, remis en liberté dans la capitale allemande après un séjour en prison, s’efforce de se tenir loin des milieux criminels. C’est l’époque de la République de Weimar, une époque caractérisée par la montée de l’extrémisme.
Peinture
La Rue, d’Ernst Ludwig Kirchner
Bien que natif de Bavière, Ernst Ludwig Kirchner, un membre important de “Die Brücke” (Le Pont), un groupe influent d’expressionnistes allemands, a souvent peint Berlin. Il s’est notamment intéressé à la capitale allemande dans les années 1910, posant un regard stoïque sur son atmosphère sordide. Nombre de ses œuvres ont été détruites, car son art était considéré comme dégénéré pendant la période nazie, mais La Rue, un tableau très réussi réalisé en 1913, a survécu à la purge. La toile, aujourd’hui exposée au Museum of Modern Art, à New York, représente deux prostituées en train de discuter pendant qu’une longue file de clients potentiels attend à côté. Les femmes portent des fourrures et les hommes sont vêtus de leurs plus beaux atours. C’était un an avant que la Première Guerre mondiale vienne tout bouleverser.
Musée
East Side Gallery
Berlin abrite plusieurs musées d’art (la Alte Nationalgalerie et la Gemäldegalerie, entre autres), mais le haut lieu de la peinture de la capitale est une structure qui, au moment de sa construction, était loin d’avoir une vocation culturelle. L’East Side Gallery est un tronçon de 1,3 km de l’ancien mur de Berlin situé dans l’arrondissement de Friedrichshain-Kreuzberg qui sert de support à 105 fresques, dont la plupart ont été peintes après l’ouverture de la frontière, en 1990. Elles ont toutes été réalisées dans un esprit de protestation, mais on observe une variété presque infinie de styles et de couleurs. Ainsi, on peut très bien visiter le musée à plusieurs reprises et y découvrir chaque fois quelque chose de nouveau. Cela dit, l’une des œuvres les plus photographiées est sans doute celle de l’artiste russe Dmitri Vrubel, intitulée Mein Gott, Hilf Mir, Diese Todliche Liebe Zu Uberleben (Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel), dans laquelle il se moque des liens étroits qu’entretenaient l’Allemagne de l’Est et l’Union soviétique. On y voit Erich Honecker et Leonid Brejnev (les leaders respectifs des deux puissances dans les années 1970) s’embrassant sur la bouche.
Sport
Olympiastadion
Alors que l’Allemagne est un haut lieu du football, le club berlinois est loin d’être une puissance dans ce sport. En effet, le dernier titre de champion du Hertha Berlin remonte à 1931, et l’équipe n’a jamais gagné le championnat d’Allemagne depuis le début de l’ère de la Bundesliga. Le stade où elle joue (actuellement) présente plus d’intérêt que le club lui-même. Malgré les rénovations importantes dont il a fait l’objet au cours des huit décennies qui se sont écoulées depuis, l’Olympiastadion reste associé aux Jeux olympiques de 1936, le sombre événement pour lequel il a été construit. Les “Jeux nazis”, organisés dans une optique de propagande, survivent dans les mémoires grâce à la multitude de séquences vidéos disponibles en ligne et à l’histoire intéressante à laquelle ils ont donné lieu. Le héros de l’heure était Jesse Owens, le sprinter noir américain qui a détruit le mythe de la suprématie aryenne de la façon la plus directe possible, soit en remportant quatre médailles d’or. On trouve en ligne des séquences vidéos de chacune de ces victoires, même si le visionnement de ces images détruit aussi quelques mythes. Après son triomphe à l’épreuve du 200 mètres, Owens a reçu une ovation debout de la part de la foule assemblée dans le stade. Sur les bandes vidéos, on peut voir les jeunes admirateurs allemands qui se penchent depuis les gradins pour lui demander un autographe. Par ailleurs, après la remise des médailles pour l’épreuve du saut en longueur, l’ancien détenteur du record, l’allemand Carl “Luz” Long, et Jesse Owens, l’homme qui venait tout juste de lui voler la première place, ont fait un tour du stade en se tenant par le bras (sous le regard visiblement furieux d’Hitler), donnant un visage humain à une époque caractérisée par son inhumanité.
Boisson
La Berliner Weisse
On raconte que la Berliner Weisse aurait été créée à Hambourg au Moyen-Âge. Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui le nom de la capitale allemande qui est associé à cette bière de blé légèrement acidulée. À une époque, les habitants de la ville en buvaient presque autant que de l’eau. Contrairement à certaines bières allemandes, la Weisse est légère (son taux d’alcool tourne généralement autour de 3 %). Mieux vaut en commander deux !
Gourmandise
Le Berliner
L’humble beignet est au cœur de l’une des grandes controverses de l’histoire de Berlin. Le discours prononcé par le président américain John F. Kennedy sur les marches de la mairie de Schöneberg le 26 juin 1963, soit 22 mois après l’érection du mur de Berlin, contenait en effet la phrase aujourd’hui célèbre “Ich bin ein Berliner”. Contrairement au mythe urbain, toutefois, la foule rassemblée n’a pas cru qu’il disait “je suis un beignet” : elle a bien compris qu’il exprimait sa solidarité avec les Berlinois. Son discours n’a pas non plus provoqué l’hilarité des spectateurs. La controverse a malgré tout permis à la pâtisserie en question d’acquérir une certaine renommée. L’authentique Berliner, une boule de pâte frite fourrée à la confiture et recouverte de sucre à glacer, accompagne par ailleurs parfaitement une bonne tasse de café.
Chris Leadbeater