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Jours tranquilles à Paris

26 mars 2020

Fanny Müller

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26 mars 2020

Confinement - Coronavirus : Quel est le prix d’une vie humaine ?

prix une vie

THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

La stratégie de confinement, qui permet de limiter le nombre de victimes du Covid-19, pèse tellement sur l’économie qu’elle n’en vaut pas la peine, avancent certains, dont Donald Trump. Alors, quel est le rapport coût/bénéfice d’une vie sauvée ? Des économistes tentent de répondre à cette question.

Peut-on calculer le coût de plusieurs centaines de milliers de morts ? Donald Trump et des dirigeants de grandes entreprises s’élèvent contre l’interruption prolongée de l’activité économique aux États-Unis – qui a déjà mis des millions de personnes au chômage – pour tenter d’enrayer la pandémie de Covid-19.

“Les Américains veulent reprendre le travail”, a écrit le président américain sur Twitter le 24 mars, ajoutant que “LE REMÈDE NE DOIT PAS ÊTRE (largement) PIRE QUE LE PROBLÈME !”. Il a ainsi soulevé une question qui occupe les économistes depuis longtemps : comment une société peut-elle mettre dans la balance la santé économique et la santé de la population ?

Selon certains économistes favorables à la fin des restrictions actuellement imposées aux entreprises, les gouverneurs d’État et même la Maison-Blanche ont mal évalué les coûts et les avantages de ces mesures. Toutefois, il y a un large consensus parmi économistes et les spécialistes de la santé publique pour estimer que lever les restrictions alourdirait considérablement le bilan humain lié au nouveau coronavirus – et aurait peu d’effets bénéfiques durables sur l’économie. Justin Wolfers, économiste à l’université du Michigan, assure :

L’analyse coûts-avantages a son utilité, mais dès qu’on fait ce calcul, les résultats sont si accablants qu’on sait tout de suite quoi faire sans chercher plus loin”.

Selon lui, il n’y a qu’un seul scénario où lever les restrictions serait plus avantageux qu’absorber le coût des vies perdues : c’est si “les épidémiologistes nous mentent sur le nombre de morts”.

Appauvrir les gens nuit aussi à leur santé

Mettre dans la balance le bilan économique et les vies humaines paraît forcément grossier. Mais les sociétés accordent aussi de l’importance à diverses choses comme les emplois, la nourriture et l’argent pour payer les factures – parallèlement à la faculté de gérer d’autres besoins et d’éviter d’autres formes d’aléas.

“Appauvrir les gens a aussi des répercussions sur la santé”, fait valoir Kip Viscusi, un économiste à l’université Vanderbilt qui a consacré sa carrière à l’utilisation d’outils économiques pour évaluer les coûts et les avantages des réglementations. Les chômeurs se suicident parfois. Les pauvres risquent plus de mourir s’ils tombent malades. Ce chercheur estime que sur la population dans son ensemble, à chaque fois qu’on perd 100 millions de dollars de revenus dans l’économie, une personne supplémentaire meurt.

Les organismes publics font régulièrement ce type de calcul. Pour décider de lancer ou non la dépollution d’un site, par exemple, l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) se base sur un coût estimé de 9,5 millions de dollars par vie sauvée. D’autres organismes ont recours à ce type de calculs pour décider, ou non, de réaménager un carrefour et limiter les accidents, ou de renforcer les normes de sécurité dans une entreprise. Le ministère américain de l’Agriculture a un outil pour estimer le coût économique – soins médicaux, décès prématurés, chute de la productivité pour les cas non mortels – des maladies d’origine alimentaire.

Un fort ralentissement économique est inévitable

Aujourd’hui, plusieurs économistes ont décidé de se mouiller et d’appliquer ce raisonnement à la pandémie de Covid-19. Dans un article paru le 23 mars, Martin S. Eichenbaum et Sergio Rebelo, de la Northwestern University, en coopération avec Mathias Trabandt de l’université libre de Berlin, se sont appuyés sur le chiffre de l’EPA pour déterminer le moyen optimal de ralentir la propagation de la maladie sans encourir des coûts économiques supérieurs aux avantages.

Un ralentissement économique important est inévitable même si les pouvoirs publics n’imposent pas le confinement, car les citoyens évitent de se rendre sur leur lieu de travail et dans les magasins, pour se préserver au maximum de la contagion. Dans le scénario de l’isolement volontaire, les chercheurs estiment que la consommation aux États-Unis baisserait de 800 milliards de dollars en 2020, soit un recul d’environ 5,5 %.

D’après des projections épidémiologiques, dans la mesure où le virus se propagerait alors librement, il infecterait rapidement un peu de plus de la moitié de la population avant que l’immunité collective ne ralentisse sa progression. En s’appuyant sur un taux de mortalité d’environ 1 % des personnes contaminées, environ 1,7 million d’Américains mourraient en un an. Au contraire, contenir le virus en contractant l’activité économique ralentirait la propagation de la maladie et limiterait la mortalité, mais entraînerait un bilan économique plus lourd.

Les économistes continuent de peaufiner leur travail

L’équipe de chercheurs affirme que la politique “optimale” – qui met dans la balance les pertes financières et les décès – exige des restrictions qui ralentiront sérieusement l’économie. Dans cette hypothèse, le déclin de la consommation en 2020 représenterait 1 800 milliards de dollars, mais il y aurait 500 000 morts en moins. Cela revient à 2 millions de dollars d’activité économique perdue par vie sauvée.

Dans ce cas, “il faut aggraver la récession”, conclut Martin Eichenbaum. Sachant qu’il y a des limites au sacrifice : au-delà d’un certain point, il ne serait pas pertinent d’accentuer les pertes économiques pour sauver plus de monde.

Le modèle, précise-t-il, dépend en grande partie des hypothèses qui l’alimentent. Et les économistes continuent de peaufiner leur travail. Le rapport coût-avantage évoluera si on estime que le système de santé risque d’être submergé par les cas de Covid-19, exacerbant ainsi le taux de mortalité. Cela justifierait un confinement plus radical, mis en œuvre plus rapidement.

Tout se résume à ce que vaut une vie.

Et si chacun fixait le prix de sa propre existence ?

Dans les années 1960, un lauréat du prix Nobel d’économie, Thomas C. Schelling [qui fut un spécialiste de la théorie des jeux], avait proposé de laisser les gens déterminer le prix de leur vie. En observant combien ils seraient prêts à dépenser pour se protéger – acheter un casque de vélo, respecter les limites de vitesse, refuser d’acheter une maison près d’un site pollué ou exiger un meilleur salaire pour un emploi plus dangereux – les organismes publics pourraient calculer un montant.

On arrive parfois à des chiffres surprenants. Comme l’a noté le philosophe australien Peter Singer, spécialiste de la bioéthique, on peut sauver une vie dans les pays pauvres pour 2 000 ou 3 000 dollars, et beaucoup de ces vies ne sont pas sauvées pour autant. “Quand on compare ces chiffres avec la somme de 9 millions de dollars, c’est dingue”, signale-t-il.

Le débat prend un tour encore plus délicat quand on tient compte de l’âge des victimes. On en vient à se demander si sauver une personne de 80 ans est aussi important que sauver un bébé. Cass Sunstein, juriste qui a travaillé pour le gouvernement d’Obama, avait suggéré de fonder les stratégies de l’État sur le nombre d’années de vie préservées, par opposition au nombre de vies sauvées, ce que font d’autres pays. D’après lui, “une politique qui protège les jeunes est préférable, à cet égard, à une initiative identique qui permet de sauver les personnes plus âgées”.

Une décote liée à l’âge

Pendant la présidence de George W. Bush, l’EPA a tenté d’adopter cette méthode. Pour déterminer les coûts et les avantages d’une loi réglementant des émissions de suie des centrales au charbon, l’agence a dû calculer combien valait une baisse de la mortalité précoce. Au lieu d’évaluer à 6,1 millions de dollars chaque vie sauvée, comme par le passé, elle a appliqué une décote liée à l’âge : les personnes de plus de 70 ans ne valaient que 67 % d’une personne plus jeune.

L’Association américaine des personnes retraitées (AARP), entre autres, a vivement protesté. Et l’EPA a laissé tombé. Mais en accordant la même valeur à toutes les vies, l’agence a implicitement dévalué les années restant à vivre des jeunes.

Le Covid-19 semble beaucoup plus souvent mortel pour les séniors. Mais Donald Trump a déclaré le 24 mars que tout en protégeant les plus vulnérables, l’économie pourraient “repartir à fond” sous trois semaines. Sur Twitter, il a écrit :

Les séniors seront protégés et choyés. Nous pouvons faire deux choses à la fois.”

Eduardo Porter et Jim Tankersley

26 mars 2020

La rue de Rivoli déserte...

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26 mars 2020

Le Covid-19 va fragiliser un peu plus le secteur du livre (qui n’avait vraiment pas besoin de ça)

livre salon

Article de Sylvie Tanette

Librairies et maisons d’édition fermées, festivals annulés... Toute la chaîne du livre est frappée et ses acteurs - particulièrement les indépendants - sont menacés.

Peu de temps avant la décision gouvernementale de fermer les commerces considérés comme non essentiels, Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF), le reconnaissait : depuis quelques jours déjà les ventes de livres s’effondraient. "Si on compare avec la même période de l’année précédente, à la mi-février on était à -0,5 %, du 3 au 10 mars, à -2,8 % et, le lendemain, en observant la période du 4 au 11 mars, on était à -5,4 %." Aussi, et dès la semaine dernière, les maisons d’édition l’avaient noté : les libraires, par prudence, avaient réduit leurs commandes. Mais leur fermeture ce week-end et les mesures de confinement annoncées lundi soir inaugurent une situation totalement inédite. On s’en doute, elle pourrait bien être dévastatrice. Le coronavirus a d’ores et déjà ébranlé, de différentes manières, le fragile écosystème du monde du livre.

Du côté des éditeurs, on a commencé la semaine dernière par réfléchir à différer certaines publications, notamment chez Gallimard où on a reporté dans un premier temps les offices de Philippe Labro ou Camille Laurens, par exemple. Mais depuis l’annonce des décisions radicales du gouvernement, la situation s’est soudain complètement transformée. Lundi après-midi, différents éditeurs ont opté pour l’arrêt total des offices et le report au cas par cas des publications prévues fin mars ou avril. Les livres sortiront en mai, en juin, à l’automne, et pour certains titres aucune date précise n’a encore été arrêtée. Gallimard, Seuil, Buchet-Chastel, Grasset, Stock, Actes sud, Flammarion et POL notamment s’y sont résolus.

"Les ventes en ligne ne combleront pas les déficits"

Certaines librairies ont dans un premier temps tenté de continuer à vendre des livres, en effectuant des livraisons, par exemple. Et en communiquant sur les réseaux sociaux pour inciter les lecteurs à se tourner vers leurs propres sites internet plutôt que vers Amazon. Ce qui de toutes façons ne pouvait pas égaler les chiffres de ventes habituels. Guillaume Husson remarque : "L’achat de livres se fait beaucoup à l’intuition, en feuilletant, en flânant dans les rayons." Ce que confirme Jean-Charles Grunstein, directeur des ventes chez Gallimard : "Les ventes en ligne ne combleront pas les déficits que nous allons rencontrer."

Mais les nouvelles mesures de confinements énoncées lundi soir ont de toutes façons, là encore, transformé la situation en rendant les livraisons impossibles. Pour les enseignes les plus fragiles, le SLF cherche des solutions concrètes, comme l’explique Guillaume Husson : "Il existe des dispositifs d’aide à la trésorerie propres à notre secteur et nous sommes aussi en train d’étudier les aides aux TPE et PME proposées par le gouvernement. Pour l’instant, il n’y a pas encore trop de demandes, mais les librairies sont des entreprises qui possèdent peu de fonds propres. Beaucoup auront du mal à encaisser une telle baisse du chiffre d’affaires si elle se prolonge sur plusieurs semaines."

Ce n’est pas seulement la chute des ventes qui porte atteinte à la chaîne du livre, mais aussi les annulations en cascade de rencontres et de festivals, dans la capitale comme en région. Celle du salon Livre Paris a marqué le début d’une longue liste, de Montaigu à Rennes en passant par Lyon. Certaines peuvent être reportées : la manifestation parisienne Italissimo, prévue début avril, devrait se tenir en octobre. Mais ce n’est pas toujours possible.

Venues d'auteurs étrangers annulées

A côté des librairies, les lieux où sont régulièrement organisées tables rondes et lectures sont tous fermés jusqu’à nouvel ordre, comme la Maison de la Poésie ou les musées. Liés ou non à ces événements, plusieurs déplacements d’écrivain·es étranger·ères ont été annulés. Les sorties de leurs livres sont donc privées du battage médiatique qui habituellement entoure l’arrivée d’une star internationale. L’Inde était cette année invitée d’honneur de Livre Paris. Arundhati Roy, qui publie Mon cœur séditieux ce mois-ci chez Gallimard, devait être là pour l’occasion. Elle ne viendra pas. Alberto Manguel était à Paris pour la sortie de son Monstres fabuleux – Dracula, Alice, Superman et autres amis littéraires chez Actes Sud. Il est reparti plus tôt que prévu, annulant une rencontre au Collège de France. L’auteur, qui vit à New York, craignait à juste titre que Trump ne ferme les frontières.

Si ces contretemps sont problématiques dans les grandes maisons, ils peuvent être catastrophiques pour les petites structures. David Meulemans, directeur des éditions Aux Forges de Vulcain, explique l’importance des salons et festivals auxquels sa maison participe tous les week-ends : "Livre Paris ne nous a pas remboursés pour l’instant. Entre les frais engagés et le manque à gagner, c’est 5 000 € que nous perdons, et pour nous c’est beaucoup." Car les petits éditeurs font une part importante de leur chiffre d’affaires dans ces manifestations, où ils sont plus visibles qu’en librairie. "Au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, certains acheteurs reviennent, année après année, pour se procurer nos livres", raconte David Meulemans.

La toute jeune maison d’éditions Matin Calme, spécialisée dans le roman noir coréen, vient d’être créée, le premier titre de son catalogue est sorti en janvier. Et l’épidémie remet complètement en question sa stratégie de lancement. Le festival Quais du Polar, à Lyon, lui avait ménagé un accueil de choix avec des rencontres autour de ses auteurs. Ensuite, une tournée en librairies devait se dérouler sur quinze jours. Las, les deux romanciers invités resteront en Corée. "C’est un manque à gagner, bien sûr, mais surtout un moment de promotion qui n’existera pas. La conséquence pour nous : une perte importante de visibilité", regrette Pierre Bisiou, directeur de la maison. Partout, comme lui, on souligne que l’épidémie ne pose pas seulement un problème économique immédiat. Dans un secteur, la littérature, où depuis plusieurs années on ne sait plus comment fidéliser un lectorat dévoré par les séries télévisées, voir des librairies désertes et des rencontres annulées tout le printemps est un crève-cœur.

Et les indépendants ?

Les auteurs sont eux aussi directement touchés par les annulations de festivals car, depuis quelque temps, ils ont obtenu de haute lutte d’être rémunérés pour leur participation. Dans un communiqué, la Société des gens de lettres (SGDL) invite "l’ensemble des manifestations concernées à confirmer l’engagement qu’elles ont pris auprès des auteurs invités quant au versement de la rémunération qui était prévue au titre de leur participation". Mais nul ne sait si ce sera le cas.

Sinon, comme dans n’importe quel secteur économique, les maisons d’édition s’organisent face au virus. "Il paraît que chez Gallimard les plus de 70 ans sont invités à rester chez eux", nous raconte-t-on avec un brin d’humour. Mais il n’y a pas que les auteurs, les libraires et les éditeurs qui souffrent. D’autres professionnels – agences de communication spécialisées dans le livre, attaché·es de presse indépendant·es, autoentrepreneur·ses – s’inquiètent.

Ces structures autonomes se sont multipliées ces dernières années, en conséquence de l’externalisation par les éditeurs, surtout les petits, de certains postes de travail. Et dans les villes de province, l’organisation d’événements littéraires, dont le nombre a explosé, leur est souvent confiée. "Tout ce qui s’est mis en place autour du livre se casse la figure en trois semaines", se désole-t-on. C’est un nouveau modèle entrepreneurial, sorte d’ubérisation de l’édition, qui semble montrer ses limites.

Si les uns et les autres confient volontiers leur désarroi, personne ne veut être cité, ce qui montre de fait la fragilité du secteur. Outre la frustration d’avoir travaillé parfois des mois et des mois sur un événement important, et pour rien, plusieurs problèmes concrets se posent, concernant la façon dont les assurances des festivals fonctionnent. On parle de chômage. Au fond, chacun se demande comment être payé.

26 mars 2020

LUI Magazine

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26 mars 2020

Coronavirus - la promenade du chien....

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26 mars 2020

« Le Monde » au temps du coronavirus, une rédaction presque entièrement confinée

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Par Gilles van Kote

Depuis une semaine, les collaborateurs du « Monde » travaillent quasiment tous depuis leur domicile. Une situation inédite pour les journalistes, mais qui n’a pas empêché le quotidien de paraître et le site Lemonde.fr de connaître un afflux de connexions sans précédent.

L’immeuble du Monde, dans le 13e arrondissement parisien, est comme hanté depuis le début du confinement. Certes, quelques rares salariés s’y rendent encore : personnel de sécurité, équipes informatiques, membres de la hiérarchie de la rédaction… Une quinzaine de personnes par jour tout au plus.

Dans les espaces de bureaux, des dizaines d’écrans d’ordinateurs sont pourtant allumés et comme activés par une force invisible. Devant des fauteuils vides, des fenêtres s’ouvrent et se ferment sur les écrans, les curseurs se déplacent, des lettres, des mots, des phrases, des pages apparaissent.

José Bolufer, le directeur informatique du groupe Le Monde, entré au journal en 1988, n’oubliera jamais le sentiment qui l’a envahi quand il a traversé ces bureaux déserts et qu’il a senti la rédaction malgré tout – et plus que jamais – au travail. « En pointe, nous avons atteint jusqu’à 530 connexions simultanées à distance », note-t-il. Ces connexions dites « VPN » (pour réseau virtuel privé) qui permettent de prendre à distance le contrôle de son propre ordinateur de bureau.

Le mardi 17 mars, les locaux se vident

Entre le jeudi 12 mars, date à laquelle Louis Dreyfus, président du directoire du Monde, et Jérôme Fenoglio, directeur du journal, ont adressé un message enjoignant à « tous les collaborateurs dont la présence physique dans les locaux n’est pas indispensable pour la publication numérique et papier ainsi que pour le fonctionnement des services non rédactionnels » de rejoindre leur domicile et de se mettre en télétravail, et le mardi 17, jour du début du confinement, les locaux du Monde et de l’ensemble des titres du groupe se sont presque entièrement vidés.

« Le dimanche 15 mars, pour le premier tour des élections municipales, nous sommes venus à la rédaction, raconte Elvire Camus, rédactrice en chef adjointe du site Internet. Vers 17 heures, vu comment les choses tournaient, on s’est dit qu’il fallait changer notre fusil d’épaule et on a demandé à une partie de l’équipe qui devait assurer la soirée électorale de le faire depuis chez elle. »

« C’ÉTAIT UN SAUT DANS L’INCONNU : TRAITER DE L’ACTUALITÉ PROBABLEMENT LA PLUS FORTE DEPUIS 1945 TOUT EN METTANT 500 JOURNALISTES EN TÉLÉTRAVAIL EN MOINS DE 48 HEURES », LUC BRONNER, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION DU « MONDE »

Comme par miracle, le quotidien a continué à être publié, imprimé et distribué, et le site Lemonde.fr à fonctionner en continu, sans que les lecteurs ne réalisent qu’ils sont désormais fabriqués par des journalistes installés à leur domicile. Même si les médias font partie des secteurs autorisés à poursuivre leur activité, la rédaction du Monde est – comme la majorité des Français – confinée chez elle.

« C’était un saut dans l’inconnu : traiter de l’actualité probablement la plus forte depuis la fin de la seconde guerre mondiale tout en mettant 500 journalistes en télétravail en moins de quarante-huit heures, estime Luc Bronner, le directeur de la rédaction du Monde, l’un des rares à se rendre encore régulièrement au journal. Et on n’a connu aucun accident majeur. Chapeau à l’informatique. »

Le 26 février, José Bolufer est de retour d’un court séjour en Espagne et passablement inquiet de ce qu’il y a entendu sur l’arrivée imminente de la crise du coronavirus. Deux jours plus tard, la direction du groupe fait le point sur les capacités à mettre en place le télétravail : le groupe ne dispose alors que de 200 licences VPN.

La semaine suivante, cette capacité est doublée, avec la possibilité d’utiliser des licences supplémentaires en cas de dépassement, sachant que le groupe Le Monde compte environ 1 450 collaborateurs, mais que certains peuvent travailler à distance sans accès VPN.

Bricolage d’un espace de travail maison

Tout est donc prêt pour que le télétravail se mette en place à une échelle sans précédent. Sauf que les collaborateurs ne possèdent pas toujours le matériel nécessaire à leur domicile. Certains partent donc avec leur ordinateur de bureau. Celles et ceux qui travaillent sur la maquette, le graphisme ou la vidéo emportent les postes et les écrans spéciaux nécessaires pour utiliser les logiciels dont ils ont besoin.

Chacun, chez soi, se bricole un espace de travail. Une rédactrice réquisitionne les pupitres de ses deux jeunes fils pour se faire un bureau dans son salon. Une éditrice tire des câbles et monte une tente pour pouvoir travailler du seul endroit de son jardin où elle trouve de la 4G. Une jeune journaliste, confinée chez ses parents, retrouve sa chambre d’adolescente, où ses peluches et ses vieux posters semblaient l’attendre, et s’installe au bureau où, il y a quelques années encore, elle rédigeait ses dissertations. « Le contraste est saisissant entre ce cocon que j’ai retrouvé et le côté anxiogène des informations que j’y suis amenée à traiter », note-t-elle.

Apparition d’un enfant ou d’un chat à l’écran

En quelques heures, une nouvelle organisation et de nouveaux outils se mettent en place. La conférence de rédaction de midi, qui réunit traditionnellement une trentaine de représentants des services de la rédaction, se tient désormais via l’application de visioconférence Google Hangouts Meet.

N’y participent physiquement qu’environ cinq personnes, qui se tiennent à distance réglementaire les unes des autres. Toutes les autres sont connectées depuis chez elles. Ce qui favorise quelques moments de respiration et de rire collectif : l’apparition impromptue d’un enfant ou d’un chat à l’écran, un échange un peu vif avec un conjoint alors que le micro est resté ouvert… Chacun apprend à se discipliner et à n’activer son micro que quand son tour de prendre la parole est arrivé.

Du côté du site Internet, c’est la messagerie Slack qui est devenue l’outil numéro un de communication, « une salle de réunion virtuelle », selon les mots d’Alexandre Pouchard, rédacteur en chef adjoint du site Internet. Les boucles de mails se multiplient aussi, jusqu’à devenir parfois ingérables : l’adresse covid@lemonde.fr, créée pour partager des idées de sujets, s’est retrouvée rapidement noyée sous les messages en tout genre et a finalement été abandonnée.

DEUX ÉQUIPES SPÉCIALES ONT ÉTÉ CONSTITUÉES : L’UNE SUIT AU JOUR LE JOUR LA BATAILLE DES BLOUSES BLANCHES, L’AUTRE RACONTE LA VIE CONFINÉE DES FRANÇAIS

« Les premiers jours, il y a eu beaucoup d’initiatives désordonnées, reconnaît Simon Roger, chef du service « planète ». Il a fallu se coordonner entre services pour déterminer qui faisait quoi. » « Au début, on a eu du mal à se repérer, confirme la rédactrice Chloé Hecketsweiler, qui – avec ses confrères François Béguin et Paul Benkimoun – est au cœur depuis un mois déjà de la “cellule Covid-19”. On passait la journée à s’organiser et on se retrouvait à 20 h 30 avec nos interlocuteurs à appeler et notre article à rédiger dans la nuit. »

Deux équipes spéciales de journalistes venus de tous les services de la rédaction ont été constituées : l’une pour suivre au jour le jour la bataille des blouses blanches, l’autre pour raconter la vie confinée des Français.

« Cette organisation requiert une énergie collective énorme, notamment au niveau de la coordination, remarque Luc Bronner. En même temps, tout devient plus simple, des circuits courts se mettent en place, les arbitrages à rendre sont infiniment plus fluides que d’habitude… et heureusement ! »

Trois personnes sur place pour boucler

La table de bouclage du quotidien « papier », qui accueille normalement jusqu’à 10 h 30 une dizaine de journalistes de la direction de la rédaction, de l’édition, de la correction, de la direction artistique, de l’iconographie et de la photogravure, a été réduite à trois personnes. Les autres intervenants travaillent à distance mais échangent en direct par l’application audio Hangouts. « Ça ne change pas tant que ça, estime Sabine Ledoux, chef d’édition du Monde. Devant son ordinateur et avec la connexion audio, c’est comme si on était à côté les uns des autres. »

Sur le site, les équipes ont été renforcées pour assurer les « live » quasi permanents, un exercice particulièrement énergivore mais plébiscité par les internautes : on y a recensé jusqu’à 12 300 questions, témoignages ou messages de lecteurs par jour. Evidemment, seule une petite partie d’entre eux peut être publiée et traitée par les deux journalistes se trouvant devant leur écran, ce qui peut occasionner une certaine frustration.

« Le “live” crée un lien très particulier avec les lecteurs, explique la journaliste Camille Bordenet. La semaine dernière, quand j’étais de “live” en soirée, j’avais l’impression d’être comme sur une radio le soir, avec une communauté d’auditeurs autour de moi. On reçoit beaucoup d’encouragements, et ça fait du bien. Mais c’est aussi beaucoup d’adrénaline et de concentration. »

« Les gens nous posent beaucoup de questions sur notre organisation interne, veulent savoir depuis où on travaille », a remarqué Marie Slavicek, l’une des trois journalistes qui gèrent les comptes Facebook et Twitter du Monde.

Le bureau de Los Angeles, qui prend les commandes du site tous les jours de 23 heures à 7 heures du matin, a décidé de confiner à leur domicile la quinzaine de collaborateurs qu’il emploie, bien que les règles soient moins strictes en Californie qu’en France.

Traquer les fausses informations

L’équipe des Décodeurs s’est retrouvée en première ligne face aux nombreuses fausses informations qui circulent. Et le constat n’est pas aussi affligeant que ce que l’on pouvait craindre : « Je trouve qu’il y a une prise de conscience, note Adrien Sénécat, journaliste spécialisé dans le “fact-checking”. Sur un sujet aussi grave, les gens réalisent qu’on ne peut pas partager n’importe quoi n’importe comment. Même si on retrouve toujours ceux qui se disent : dans le doute, je partage… »

Du côté de la fabrication et de la distribution du quotidien papier, les équipes se sont mises également au télétravail… à l’exception d’une personne par jour, qui se rend sur le site de l’imprimerie située au Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) pour remettre les listes des journaux à envoyer aux abonnés et aux dépositaires de presse. Chez les deux sous-traitants où Le Monde est imprimé (au Tremblay et à Montpellier), l’organisation du travail a été aménagée pour que les équipes se croisent le moins possible.

DES INSTRUCTIONS TRÈS CLAIRES ONT ÉTÉ DONNÉES AUX JOURNALISTES : PAS QUESTION DE SORTIR ET D’ALLER EN REPORTAGE, SAUF NÉCESSITÉ ABSOLUE

« Nous avons une réunion téléphonique quotidienne pour réajuster les quantités de journaux, raconte Hervé Bonnaud, le chef du service production et diffusion du groupe Le Monde. Un quart des points de vente sont fermés en France mais ceux qui restent ouverts vendent beaucoup de journaux et il faut augmenter les quantités habituelles. De même, à cause de l’exode dont on a beaucoup parlé, la demande de journaux est plus forte que d’habitude chez certains dépositaires en régions. »

Des instructions très claires ont été données aux journalistes du Monde : il n’est pas question de sortir et d’aller en reportage, sauf nécessité absolue et autorisation de la direction de la rédaction. « Et ce pour deux raisons : la santé des salariés eux-mêmes et le risque de contribuer à la propagation du virus », explique Luc Bronner.

Même chose pour les photographes que le journal fait travailler. « On fait service minimum, affirme Nicolas Jimenez, le chef du service photo. Chaque reportage est validé par la direction de la rédaction, et on s’assure que le photographe est encadré et prend les mêmes précautions que les gens qu’il accompagne. »

« ON N’A JAMAIS ÉTÉ AUTANT À DISTANCE DE NOTRE SUJET », CONSTATE LA JOURNALISTE CHLOÉ HECKETSWEILER

Une situation inhabituelle et paradoxale pour des journalistes habitués à aller sur le terrain et au contact de leurs interlocuteurs. « On n’a jamais été autant à distance de notre sujet, constate Chloé Hecketsweiler. C’est un risque journalistique, car il devient très difficile d’interroger le discours officiel et de savoir ce qui se passe. C’est la première fois qu’on ne peut compter que sur le regard d’autres personnes pour évaluer la situation et nourrir nos articles. Pour compenser cela, il faut multiplier les sources. »

Certains profitent du confinement pour innover : Jean-Guillaume Santi a improvisé un studio audio dans sa chambre à coucher et s’apprête à lancer une série de podcasts consacrée à la pandémie. Six jours ont suffi entre le lancement du projet et la mise en ligne du premier épisode, réalisé avec Hervé Morin, le responsable du supplément « Science & médecine ».

La question est maintenant de gérer cette organisation sur la durée et d’économiser des collaborateurs mobilisés sur l’actualité et qu’il est parfois difficile de convaincre de prendre du repos. « Il y aura un moment très compliqué, ce sera l’immédiat après-confinement, anticipe Luc Bronner. La rédaction sera épuisée et il y aura une actualité considérable à traiter, notamment sur le plan économique. »

Le mot d’ordre a été rabâché à la rédaction : chacun doit s’imposer des temps de déconnexion et de repos… Car l’onde de choc provoquée par la pandémie se poursuivra bien au-delà de la période de confinement.

26 mars 2020

PQR - Presse Quotidienne Régionale

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26 mars 2020

Coronavirus : Didier Raoult, l’infectiologue marseillais derrière la folie planétaire autour de l’hydroxychloroquine

professeur

Par Gilles Rof, Marseille, correspondant, Stéphane Foucart - Le Monde

Le microbiologiste préconise un traitement des malades sur la base d’éléments encore ténus. Savant reconnu, il divise par ses prises de position parfois iconoclastes.

En quelques jours, il a réussi à faire d’une vieille molécule un objet de convoitise mondiale. Et d’un simple espoir thérapeutique contre le Covid-19 un remède miracle.

Une vidéo postée sur YouTube, un essai au mieux fragile, au pire bancal, et un débat public que la panique a rendu perméable aux promesses de guérison : c’est tout ce qu’il a fallu au microbiologiste français Didier Raoult, 68 ans, patron de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, pour déclencher une folie planétaire autour de l’hydroxychloroquine, commercialisée sous le nom de Plaquenil. Au Maroc, les autorités commencent à en stocker ; aux Etats-Unis et ailleurs, on commence à compter les premières victimes – par intoxication – de l’engouement pour la molécule.

Dans son fief marseillais, Didier Raoult vient, lui, d’entrer au panthéon des héros locaux incarnant l’esprit rebelle de la ville, opposée à un parisianisme compassé. Un héros, voire un sauveur : devant le siège de son IHU, des centaines de personnes patientent désormais pour recevoir, et le diagnostic, et le remède.

Et, toujours, ces pieds de nez à la capitale, à l’establishment, à la bienséance. Le journaliste Hervé Vaudoit, ancien de La Provence, auteur d’un livre sur le sujet (IHU Méditerranée Infection. Le défi de la recherche et de la médecine intégrées, Michel Lafon, 2018), raconte l’avoir un jour interrogé sur son changement de style, ses cheveux longs, sa barbe, sa bague de biker : « Il m’a souri et m’a répondu : “Parce que ça les fait chier.” »

Affoler tranquillement, depuis Marseille, le personnel politique et les médias parisiens semble comme un jeu. Quand le quotidien Les Echos annonce, mardi 24 mars, le scoop de sa démission du conseil scientifique Covid-19 installé par l’Elysée le 11 mars, son institut répond aussitôt qu’il ne démissionne pas du comité. Simplement qu’il n’y viendrait plus – excusé lors des deux premières réunions, son nom n’apparaît pas dans les deux derniers avis rendus par le conseil.

Né en 1952 à Dakar d’un père médecin militaire et d’une mère infirmière, Didier Raoult ne s’insère dans la tradition familiale qu’après un parcours chaotique : indocile, rétif au système scolaire, il croise Christian Estrosi – actuellement maire (Les Républicains, LR) de la ville – au lycée de Nice, où son père l’envoie après un premier exil en internat à Briançon, dans les Hautes-Alpes. Il quitte l’école en seconde, passe un bac littéraire en candidat libre et l’obtient de justesse. Il part deux ans sur les mers à bord de navires de commerce à la façon du Marius de Pagnol. Puis rentre à Marseille et entreprend, contraint par son père, des études à la faculté de médecine.

Goût pour la polémique et la bonne formule

« Les médecins que je fréquentais ici voulaient tous être le meilleur de Marseille, a-t-il glissé, un jour, au Provençal, qui l’interrogeait sur son attachement à sa ville. Moi, je voulais être champion du monde, à Marseille. »

Controversé, fort en gueule, haut en couleur et incontrôlable, le professeur de médecine est aujourd’hui convaincu d’être devenu le « champion du monde » de sa discipline. Et même si ses pairs ne partagent pas tous cette conviction, il est loin d’être le « docteur Maboule » moqué par certains. Microbiologiste de renommée internationale, il a des travaux majeurs à son actif. A commencer par ceux conduits sur les virus géants, découverts en 2003 en collaboration avec le généticien Jean-Michel Claverie (CNRS). Une percée susceptible de redessiner les contours du monde vivant, et qui a généré de très nombreux travaux en virologie, en génétique, en biologie de l’évolution. Dans les années 1980, ses travaux pionniers sur les rickettsies – de petites bactéries intracellulaires – lui ont également valu une grande reconnaissance.

« On a travaillé ensemble, on a fait de belles publications ensemble et puis on s’est engueulés très fort. Nous sommes clairement en rivalité, mais ça ne m’empêche pas de le respecter en tant que scientifique, raconte Jean-Michel Claverie. Je suis d’ailleurs assez choqué des attaques personnelles dont il est victime sur les plateaux de télévision, alors qu’il n’est pas là pour se défendre. » Ses déclarations à l’emporte-pièce lui nuisent cependant bien plus que les attaques de ses nombreux adversaires.

Dans sa chronique au Point, il a annoncé la fin du changement climatique à plusieurs reprises, sans succès : en 2013 (« Les prédictions climatiques sont absurdes ! »), puis en 2014 (« La Terre ne se réchauffe plus ! »), avant d’enchaîner sur plusieurs textes climatosceptiques. Il a aussi revisité de façon toute personnelle la question du trou dans la couche d’ozone, assurant que celui-ci était la cause d’un… refroidissement du climat.

Même dans son domaine de recherche, son goût pour la polémique et la bonne formule, son jeu du contre-pied permanent l’emmènent parfois sur un terrain glissant. Le 21 janvier, alors que les autorités chinoises s’apprêtent à boucler la province du Hubei, il déclare sur la chaîne YouTube de son institut que l’inquiétude à propos du Covid-19 est « délirante ». « Il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l’OMS [Organisation mondiale de la santé] s’en mêle, on en parle à la télévision et à la radio, raillait-il alors. Tout cela est fou, il n’y a plus aucune lucidité. »

Statistique contestée

Jusqu’à la mi-février, il continuera, dans ses vidéos, à relativiser la situation, affirmant que c’est « beaucoup de bruit pour pas grand-chose ». Anthony Fauci, le grand immunologiste américain, conseiller de la Maison Blanche ? « Il a dû devenir gâteux », déclare-t-il. C’est aussi par une vidéo postée sur YouTube qu’il défraie la chronique, quelques jours plus tard, en prophétisant la « fin de partie » du Covid-19 grâce à la chloroquine. Il n’y a, alors, aucune donnée probante publiquement disponible pour étayer une telle affirmation.

Plus grave, notent certains : des chercheurs affiliés à son IHU ont publié, début mars, dans Antiviral Research, une synthèse de littérature indiquant que, jusqu’à présent, les effets encourageant in vitro de la chloroquine et de ses dérivés sur des virus, n’avaient jamais été confirmés in vivo. Et que, dans le cas du chikungunya, la molécule avait même eu des effets paradoxaux, aggravant la maladie. Des réserves dont Didier Raoult ne tient nul compte dans sa parole publique.

Les données n’existent pas encore : il faut donc en produire. En un temps record, c’est chose faite avec la publication, le 20 mars, dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents, d’un essai mené en quinze jours sur une trentaine de patients atteints par le coronavirus. Las ! L’étude est éreintée par de nombreux spécialistes. Un patient traité à l’hydroxychloroquine est mort mais n’a pas été inclus dans l’analyse, pas plus que trois autres dont l’état s’est aggravé et qui ont dû être placés en soins intensifs… et ce alors qu’aucun des patients non traités n’est mort ou n’a été conduit en réanimation. Critères d’enrôlement peu clairs, statistique contestée, groupes traités et témoins trop différents pour être comparables, hiatus inexpliqués entre les courbes présentées en vidéo et celles publiées… les commentaires assassins affluent.

C’EST LÀ L’UN DES SECRETS DU SYSTÈME MIS EN PLACE PAR LE PROFESSEUR DE MÉDECINE : PUBLIER À TOUT PRIX

Au point que certains se demandent comment une telle étude a pu être acceptée pour publication par une revue à comité de lecture. De nombreux chercheurs relèvent un conflit d’intérêts patent : la revue ayant publié l’essai a pour éditeur en chef un collaborateur de Didier Raoult, Jean-Marc Rolain, également cosignataire de l’étude en question, de même que responsable de la « valorisation » de l’IHU Méditerranée Infection. Une situation peu conforme aux standards de la publication scientifique.

C’est là l’un des secrets du système mis en place par Didier Raoult : publier à tout prix. Selon la base de données Scopus, il totalisait, mardi 24 mars, 3 062 articles de recherche publiés dans la littérature scientifique. Un chiffre phénoménal : une grande part des chercheurs publient au cours de leur carrière moins d’articles que le professeur marseillais en quelques mois (plus de trente depuis le début de l’année). Ce qui en fait le microbiologiste le plus cité au niveau international – le « champion du monde », aurait-il peut-être dit s’il avait répondu à nos sollicitations avant le bouclage de cet article.

Là encore, le professeur Raoult est son propre et plus redoutable ennemi. Car, dans la communauté savante, l’énormité de tels chiffres ne fait plus guère illusion : « Comment croire qu’un scientifique puisse participer réellement à des recherches débouchant sur quasi une publication par semaine ? », interroge à son propos le biologiste et journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis, dans son dernier ouvrage (Malscience. De la fraude dans les labos, Seuil, 2016). En outre, plusieurs centaines de ses articles scientifiques ont été publiés dans des revues gérées par ses propres collaborateurs.

Ses meilleurs soutiens sont politiques

Des stratégies de publication qui finissent par occulter ses études parues, dans des conditions normales, dans les meilleures revues internationales. Au point qu’en 2018 l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le CNRS ont retiré leur label aux unités de recherche de son IHU.

« Quand Agnès Buzyn est devenue ministre de la santé, Didier Raoult a été un des premiers à monter au créneau pour dénoncer un possible conflit d’intérêts du fait de la situation de son mari [Yves Lévy], directeur de l’Inserm, assure Hervé Vaudoit. Et, au moment où Lévy a voulu être prolongé, il est remonté au créneau. L’IHU a perdu le label Inserm dans la bataille. »

Les cercles parisiens ont-ils intrigué contre le tempétueux infectiologue marseillais ? Tous ses soutiens, à Marseille, en sont convaincus. « Le rapport du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [Hcéres] n’était pas très bon et celui du Comité national de la recherche scientifique [CoNRS] ne l’était pas non plus, rétorque un cadre du CNRS. Nous avons malgré tout envisagé de garder le label CNRS à certaines équipes, mais une affaire de harcèlement sexuel [impliquant un chercheur qui a depuis quitté l’institut] nous a conduits à renoncer. » A plusieurs reprises, des plaintes ont attiré l’attention des organismes de tutelle de l’IHU. Le journal local d’investigation Marsactu a d’ailleurs révélé, à l’été 2017, qu’une lettre d’une douzaine de chercheurs leur avait été adressée, alertant sur la pression pesant sur certains personnels.

Une pression qui peut conduire au pire. En 2012, la revue Science a ainsi révélé qu’en 2006 une suspicion de fraude, impliquant un article de l’équipe de Didier Raoult, avait conduit l’American Society for Microbiology à l’interdire de publication pendant un an, lui et son équipe, dans toutes les revues éditées par la société savante. Une information qui était demeurée confidentielle jusqu’en 2012 et dont la révélation a ulcéré le chercheur marseillais.

Ses meilleurs soutiens sont politiques. Sur les réseaux sociaux ou les chaînes d’information, Christian Estrosi, Renaud Muselier, président (LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Gilbert Collard, eurodéputé apparenté Rassemblement national, l’ancien député PS de l’Essonne Julien Dray, conseiller régional d’Ile-de-France, ou encore les élus marseillais testés positif et traités à l’hydroxychloroquine : tous lui apportent un indéfectible soutien. De même qu’une bonne part de l’extrême droite.

Le président de la région PACA Renaud Muselier, médecin et urgentiste, le connaît de longue date et assure avoir personnellement insisté auprès du président de la République pour qu’il l’intègre à son conseil scientifique. « On se connaît depuis près de quarante ans, dit-il. Je l’ai rencontré alors que j’étais étudiant et lui assistant enseignant. C’est un ami et un partenaire. C’est un génie. Il est porteur de cette idée de la grandeur de la France, de la liberté d’expression, et de la liberté de penser. Sa vision est très gaulliste. »

Didier Raoult, selon Hervé Vaudoit, « aime la baston et il gagne souvent ». « Il a toujours parlé mal, il est provocant. Il dégage une certaine arrogance et cela lui a parfois coûté cher. »

Les prochaines semaines diront s’il avait raison de plaider pour un maillage du territoire français par des structures consacrées aux maladies infectieuses, comme celle qu’il dirige. Elles seront cruciales, pour lui et son institut. Soit les essais cliniques lancés lui donnent raison sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine et conforteront sa stature de savant précurseur et incontournable. Soit ils le démentent et le ramèneront à un statut de simple bateleur qu’il ne mérite pas. En attendant, l’épidémiologiste Philippe Ravaud (Cochrane France) lui a demandé, dimanche 22 mars, les données brutes de son essai sur l’hydroxychloroquine. Mardi soir, il n’avait toujours rien reçu.

Et là encore, le premier critique de Didier Raoult n’est autre que Didier Raoult lui-même, qui écrivait, en 2015 dans Le Point, reprenant les idées d’un professeur de Harvard : « Pour redonner confiance dans les études scientifiques », il faut « mettre plus systématiquement les données brutes à disposition de tous ».

26 mars 2020

David Bellemere - photographe

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